dimanche 29 décembre 2013

La conscience de Zeno, Italo Svevo


Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: «Pendant de longues années, autant que dura notre jeunesse, nous nous tînmes sur la plus grande réserve et ne fîmes jamais allusion au passé. L'autre jour, elle me demanda à brûle-pourpoint, et son visage encadré de cheveux gris se colorait d'une rougeur juvénile : - Pourquoi m'avez-vous quittée ? Pris de court, je n'eus pas le temps de fabriquer un mensonge. Aussi fus-je sincère : - Je ne sais plus... j'ignore tant de choses de ma propre vie. - Moi, je regrette, dit-elle. (Et déjà je m'inclinais à cette promesse de compliment.) Il me semble que vous devenez très drôle en vieillissant.»

Voici l'ultime roman sur la psychanalyse. Zeno, le personnage principal, est poussé par son psychanalyste pour écrire son autobiographie. Le texte qui nous parvient est écrit par un vieux et il évoque ses souvenirs d'avant la psychanalyse, pour la majeure partie du bouquin. Ce dernier veut absolument que Zeno reprenne sa thérapie (ce qui est fréquent avec les psychanalystes). Zeno commence donc son voyage vers l'inconscient avec la recherche historique de son goût pour le tabac. Il remonte à son enfance, "le" moment important en psychanalyse, il repense à sa mère qui prend la place de sa femme (autre élément de la psychanalyse), il écrit sur la mort de son père et le souhait inconscient de le voir mourir (encore un autre élément fondamental de la psychanalyse). Aussi, il raconte qu'il veut absolument abandonner le droit pour la chimie, inconsciemment il va vers la transgression de l'interdit (familial). Son désir d'arrêter de fumer devient une obsession. Chaque événement qui lui arrive devient un prétexte pour arrêter de fumer. Ces situations nous font souvent rire et l'humour ne quitte jamais vraiment le récit. Même son mariage raté est une occasion pour rire. Cela convergera vers sa psychanalyse qu'il entreprendra et la découverte totale du moi qu'il fera.

Le point central de la psychanalyse est le complexe d'Œdipe d'où les nombreuses références que l'écrivain fait à son endroit. Ici, on est surtout dans la psychanalyse freudienne parce qu'ensuite certains psychanalystes attachèrent un peu moins d'importance à ce concept. Pour Freud cependant, les maux remontent presque toujours au complexe d'Œdipe. Dans son autobiographie, Carl Jung reproche à Freud de faire de la sexualité son obsession et cela a causé leur rupture. Personnellement, ce que je reproche à la psychanalyse c'est de prétendre qu'elle peut guérir alors qu'elle fait partie, selon moi, de la philosophie. "La conscience de Zeno" démontre, même si la psychanalyse de Zeno semble un échec de prime abord, que l'on peut pénétrer au plus profond de notre être avec l'aide de la psychanalyse. C'est un roman de la première moitié du 20e siècle, des débuts de la psychanalyse, et donc, l'auteur n'avait pas les résultats empiriques que l'on connaît aujourd'hui. Et ces résultats sont de l'ordre du placebo (voir "Le livre noir de la psychanalyse"). Enfin, à la fin du roman, Zeno a de bonnes prémonitions sur le destin futur du monde.

Je ne suis pas surpris que Joyce ait cru à ce roman parce que le style se rapproche par moments de son "Ulysse" et de plus, le quotidien est décrit d'une façon réaliste, moderne, et par des "instants étirés". Zeno écrit davantage sur les chapitres importants de sa vie et donc, j'ai préféré de loin celui-ci à la banalité de "Ulysse". C'est un roman tout à fait original. Svevo ne semble pas avoir de précurseur en littérature (mais une tonne d'épigones). Svevo était un grand amateur de Freud et cela jaillit partout dans le roman. Le complexe d'Œdipe tenaille Zeno du début à la fin comme une force qu'on ne peut échapper. L'auteur est critique de la psychanalyse mais il semble lui donner le mérite de pouvoir guérir à long terme et sur ce point bien précis, on ne peut le contredire avant d'avoir de vraies réponses.

vendredi 20 décembre 2013

Le naufragé, Thomas Bernhard


Ma note : 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Trois jeunes pianistes plus que prometteurs - Glenn Gould, le narrateur et son ami Wertheimer - se sont rencontrés autrefois au Mozarteum de Salzbourg pour y suivre un cours donné par Horowitz. Rencontre déterminante au cours de laquelle Glenn Gould fait d'emblée figure de génie triomphant au point de détourner brutalement et définitivement les deux autres de leur carrière de pianiste virtuose. Mais si le narrateur, après s'être séparé de son Steinway, se mue alors délibérément en un artiste de la représentation du monde (Weltanschauungskünstler) tout entier voué à la rédaction toujours recommencée d'un interminable essai sur Glenn Gould, son ami Wertheimer s'engage sur la voie fatale du vaincu, du " sombreur ", comme Glenn Gould en personne l'a plaisamment mais fort exactement surnommé aussitôt après avoir fait sa connaissance. Vingt ans plus tard, au terme d'une longue plongée dans son propre malheur, Wertheimer le sombreur mettra fin au tourment de son existence en se pendant haut et court devant la maison de sa soeur. C'est le destin cruel et dérisoire de ce naufragé de l'existence, son ami de toujours, que le narrateur interroge en fait tout au long de son essai sur Glenn Gould et, à travers ce destin, c'est évidemment toute la misère du monde, celle également du génial Glenn Gould et la sienne propre, que Thomas Bernhard analyse avec la minutie - et avec la fureur - qu'on lui connaît, au fil d'un récit qui procède entièrement du soliloque déclenché chez le narrateur par le suicide de son ami - un de ces impitoyables et envoûtants soliloques-fleuves dont l'auteur a le secret.

Le soliloque est le "parler seul", le fait de se parler à soi-même. Il est fréquemment utilisé par les personnages nihilistes et cela remonte au "Sous-sol" de Dostoïevski. La poétique du néant de Thomas Bernhard est instrumentalisée dans "Le naufragé" avec pour résultat un antiroman historique et plus particulièrement un livre sur la vie de Glenn Gould. "Le naufragé" devient donc un monologue de 185 pages au cours duquel le narrateur écrit sur la relation entre Gould, Wertheimer et lui-même. Avec des passages où il relie cette relation avec l'Europe et L'Amérique, les maîtres qu'ils ont eus, ce qu'ils ont étudié, etc. Le narrateur parlera de sujets sérieux (et graves) avec une banalité déconcertante. La mort et le suicide seront abordés froidement comme on le retrouve, entre autres, dans la pièce "En attendant Godot" de Samuel Beckett. La littérature autrichienne du 20e siècle est la plus forte, la plus originale aussi. Musil d'abord ! Le précurseur de Kundera, il a amené la philosophie en littérature sans objectiver cette dernière pour démontrer la première. Ce qui veut dire qu'il n'a pas hésité à nous parler de philosophie sous forme de digressions (comme Kundera le reprendra plus tard, notamment en commençant "L'insoutenable légèreté de l'être" en parlant de Nietzsche et ses concepts). Ensuite, nous avons ce Thomas Bernhard qui lui, accouchera de Jelinek. Et finalement, parmi les plus connus, nous avons Peter Handke qui parlera des "instants" du quotidien et qui "méritait le Nobel à ma place" selon les dires de Jelinek. Bref, Thomas Bernhard suivra Robert Musil en amenant sa littérature du côté du pessimisme et en ayant une haine indéniable contre son pays, l'Autriche.

Schopenhauer disait du suicide qu'il est un excès du vouloir-vivre et non un acte pessimiste. Pour résumer grossièrement, il disait que ce ne sont pas les pessimistes qui se suicident mais plutôt les optimistes. Lorsque ces derniers ne peuvent vivre de la façon qu'ils le voudraient, ils tombent dans la jalousie et ainsi, ils n'acceptent pas de vivre au-dessous d'une certaine condition qu'ils s'étaient fixée (comme objectif). Lorsqu'une personne accepte sa condition, et même lorsqu'elle l'idéalise, c'est en effet plutôt rare qu'elle se suicide. Personnellement, je ne crois pas que l'on puisse appliquer ceci pour les suicides des jeunes mais pour les adultes, je suis en accord avec lui. À travers ses trois personnages, Bernhard montre en quelque sorte cette théorie parce qu'il cherche à expliquer pourquoi un seul de ces trois nihilistes s'est suicidés. Et celui qui le fera, ce sera Wertheimer, qui était rempli de "faux sentiments", qui portait attention à l'opinion des autres mais surtout, qui enviait le génie de Gould. Une autre théorie de Schopenhauer que nous pouvons appliquer à ce roman est celle de l'illusion du libre arbitre. Schopenhauer, comme Nietzsche plus tard, démontrera que notre libre arbitre, que les décisions que nous prenons en pensant les prendre en toute liberté, sont en fait une pure illusion et que notre pensée est conditionnée par les motifs antérieurs. Le roman, en général, est une forme qui peut expliquer parfaitement cette théorie et particulièrement ici, dans "Le naufragé", parce que le déterminisme biologique (et autres) semble être fatal pour les personnages. Bernhard décrit un Glenn Gould insomniaque, pianistes de génie que nous reconnaissons comme tel dès les premiers instants, adorant Bach mais méprisant Beethoven et Mozart et qui finira par se cacher du public sans vouloir jouer pour lui. Quant à Wertheimer, il est peint comme un être désenchanté, déçu, étudiant les sciences humaines sans réel engagement et qui n'acceptera pas de survivre à un génie comme Gould. Enfin, le narrateur se décrira comme étant plus doué que Wherteimer, nous sentons en lui une banalité qu'il accepte bien à cause de sa perception pessimiste de la vie contrairement à Wertheimer qui ne peut supporter d'être seulement un bon pianiste. Les deux ont été écrasé par le génie de Gould et chacun le vivra à sa façon avec les résultats que l'on connaît.

"La pianiste" d'Elfriede Jelinek sortit la même année que "Le naufragé" et l'on ne peut passer à côté du fait qu'ils ont de fortes similitudes. Les deux romans mettent en scène des pianistes qui, sans vraiment le vouloir, sont à la recherche de leur propre génie. Les deux romans sont d'une noirceur certaine et "La pianiste" l'est même davantage. Ce côté ténébreux est le résultat d'un domaine où le simple talent n'a pas sa place et où seul le génie peut espérer, peut-être, trouver un certain bonheur. Pour une première intrusion en sol bernhardien, j'ai adoré mon expérience et ce qui est impressionnant avec ce roman, c'est que l'on finit par y croire, la fiction se mêlant parfaitement avec la réalité et cela aidé par le style d'écriture simple et magnifique de l'auteur.

mercredi 11 décembre 2013

Ravelstein, Saul Bellow


Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture: Abe Ravelstein est un brillant professeur de l'université de Chicago et un homme qui se targue d'avoir formé tout ce qui compte dans le monde politique. Il a vécu sur un grand pied, largement au-dessus de ses moyens. Son ami Chick, le narrateur, lui a suggéré d'exposer sa philosophie politique dans un livre destiné au grand public. A sa propre surprise, Ravelstein le fait et devient millionnaire. Durant un séjour à Paris destiné à célébrer ce succès, Ravelstein suggère à son tour à Chick d'écrire un livre sur lui et tous deux échangent des pensées sur la mort, la philosophie et l'histoire, les amours et les amis, et les anecdotes du passé. L'humeur s'assombrit à leur retour dans le Midwest et Ravelstein succombe au sida tandis que Chick lui-même frôle la mort de peu. Le dernier roman de Saul Bellow est un voyage, tantôt sombre, tantôt férocement drôle, à travers l'amour et la mémoire; c'est un hymne à l'amitié et à la vie.

Saul Bellow est l'influence principale de Philip Roth. Il est le Prix Nobel de littérature de 1976 et certainement l'un des plus grands écrivains du 20e siècle. Comme Roth, il est nord-américain. Cependant, il est né au Québec et a déménagé très tôt aux États-Unis. Il fait partie des écrivains juifs qui marquèrent profondément les lettres américaines. Malheureusement, il est peu édité en français, pour une raison qui m'échappe totalement.

La pire façon pour commencer à lire un auteur est de débuter par le dernier roman qu'il a écrit. Et c'est cela que je fais avec Saul Bellow. Mais d'entrée de jeu, je ne fus pas dépaysé. Il a le même style que Philip Roth, les sujets sont un peu les mêmes, la narration est structurée de la même façon, et il aborde des sujets marquants de l'histoire américaine. Ici il parle un peu du procès scopes (sur l'enseignement du darwinisme aux élèves américains) qui est évoqué au début du roman alors que, par exemple, Philip Roth aborde "l'affaire Lewinsky" dans "La tache" et le terrorisme anarchiste dans "Pastorale américaine". Un autre élément semblable entre "La tache" et "Ravelstein" est le narrateur et sa relation maître-élève avec le professeur. Nathan-Coleman pour "La tache" alors que nous avons Chick-Abe dans le présent roman. Chick est plus vieux que Abe mais ce dernier se meurt du sida. Une autre facette intéressante de "Ravelstein" est que l'intellectualisme ne quitte jamais le roman, il est présent un peu partout. On pourrait faire un rapprochement entre Ravelstein et Léo Strauss, le philosophe américain qui a influencé et enseigné aux faucons de Washington. Cependant, il semble que Bellow a plutôt tracé le portrait de son ami et professeur Allen Bloom qui est décédé du sida et qui cachait son homosexualité. Les thèmes abordés dans le roman sont très nombreux, surtout pour un livre qui fait à peine 300 pages : l'argent, l'amour, la mémoire, l'amitié, la vieillesse, la vitalité, l'enseignement, l'influence, la condition juive, l'écriture, la politique, la littérature, la philosophie, le sida, la mort, l'histoire, l'économie politique, la mythologie grecque, le nihilisme, la culture de masse, la maladie, l'élitisme, la bourgeoisie, le suicide. Ravelstein côtoie aussi bien la gauche que la droite mais comme tout ce beau monde fait partie intrinsèque du néolibéralisme, on ne peut dire de quoi il en retourne.

Encore une fois, j'ai eu de la difficulté avec la traduction très fanco-française. Contrairement aux romans de Philip Roth, celui-ci est mal traduit. C'est en fait la principale différence entre ces deux écrivains, lorsqu'on lit en français. Les mots d'argots français foisonnent pour notre plus grand malheur. Le personnage de Ralvestein est excentrique et frôle la caricature de l'universitaire qui n'en fait qu'à sa tête. Harold Bloom, mon mentor littéraire, préfère Philip Roth à Saul Bellow parce qu'il trouve ce dernier trop peu imaginatif dans la construction de ses personnages et lui reproche d'en faire des copies (ou des variantes) de sa propre personne, et ce, dans tous ses romans. Je ne serai pas aussi sévère. J'ai adoré ce roman mais comme je le disais, la traduction est vraiment atroce.

mardi 3 décembre 2013

Le château, Franz Kafka


Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture : «Dans quel village me suis-je égaré ? y a-t-il donc ici un château ? - Mais oui, dit le jeune homme lentement, et quelques-uns des paysans hochèrent la tête, c'est le château de M. le Comte Westwest. - Il faut avoir une autorisation pour pouvoir passer la nuit ? demanda K. comme s'il cherchait à se convaincre qu'il n'avait pas rêvé ce qu'on lui avait dit. - Il faut avoir une autorisation, lui fut-il répondu, et le jeune homme, étendant le bras, demanda, comme pour railler K., à l'aubergiste et aux clients : - A moins qu'on ne puisse s'en passer ?...»

K. arrive dans un village. Cet homme ne semble pas avoir de passé (il n'aura pas d'avenir non plus), ce qui le distingue clairement des autres hommes sur cette terre. Par contre, il est arpenteur, ce qui montre qu'il a probablement fait des études dans ce domaine. Et monsieur le comte l'a fait venir dans son village, dans son château qu'il tentera d'atteindre. La scène du début rappelle "Le procès" parce que K. est surpris par des hommes, et cela donne lieu à un échange aussi absurde pour K. que rationnel pour les hommes. Ensuite K. arrive proche du village et commence ses tentatives pour pénétrer dans le château. Cette entreprise est vouée d'avance à l'échec comme si Kafka n'offrait aucune réussite possible à ses personnages principaux. "K. se trouvait là comme dans un nuage" nous dit Kafka. Le château semble tranquillement s'incruster sous la peau de K. La neige, très symbolique, ajoute un élément écrasant à l'histoire, elle recouvre de son manteau blanc les environs du château. Le temps se disloque dans ce roman, K. étant perdu dans une temporalité (et un espace) devenu invraisemblable. Le château deviendra de plus en plus inatteignable pour lui, et la dangereuse machination de l'écrivain en résultera à la défaite absolue pour son personnage, qui lui, reflètera l'aliénation de la société tout entière.

J'ai beaucoup plus apprécié celui-ci que "Le procès" qui m'avait laissé froid. "Le château" a peut-être la même idée romanesque, un peu les mêmes thèmes, un personnage qui se nomme K. (pour "Le procès" c'était Joseph K.) mais l'auteur est davantage subtil pour faire passer son message. Les romans et nouvelles de Kafka, et celui-ci particulièrement, marquent un point tournant dans l'histoire de la littérature mondiale, notamment parce qu'il est le premier à maintenir son intrigue entre le rêve et la réalité sans que le lecteur sache pleinement de quel côté il se trouve. Kafka a su créer une ambiance qui reflète cette angoisse en ancrant ses personnages dans un univers bureaucratique à l'extrême et par le fait même, les règles bureaucratiques, si l'on veut, emprisonnent totalement l'individu. Le cauchemar absolu ! Cependant, il y a une chose qui me déplaît chez Kafka et c'est son style d'écriture que je trouve un peu faible si l'on compare aux autres grands écrivains. Aussi, ce style est par moments mécanique, dépouillé et on pourrait dire qu'il est presque aussi faible que celui d'Hemingway par exemple. Il faut dire que Kafka n'avait peut-être pas le choix pour en arriver à créer ce genre de roman où la froideur rend compte de l'inhumain. Kafka aura certes révolutionné la littérature mondiale au même titre que Cervantes et Flaubert mais personnellement il n'est pas mon auteur préféré.

Lors d'une précédente critique, je plaçais en relation Robert Walser et Franz Kafka. L'un est le style incarné (Walser) alors que l'autre a changé le visage de la littérature et est devenu l'influence principale de la plupart des écrivains du 20e siècle. Même si j'ai davantage apprécié "Le château" que "Le procès" je persiste à dire que Walser est de loin supérieur à Kafka alors qu'il est dans son ombre, qu'il est moins connu. Kafka était lui-même un très grand admirateur de Walser. Alors, aussi ironique que cela puisse paraître, si j'avais un conseil à vous donner pour terminer cette critique de Kafka, ce serait de lire "Le Brigand" de Robert Walser.

lundi 25 novembre 2013

L'homme qui tombe, Don DeLillo


Ma note: 6/10

Voici la quatrième de couverture: En cette matinée du 11 septembre 2001, il y a, dans la main de Keith, masqué de cendres, criblé d'éclats de verre et revenu d'entre les morts dans l'appartement de son ex-femme, Lianne, une mallette qui ne lui appartient pas et que sa main de rescapé serre, mécaniquement, de toutes ses forces. Tandis que Keith se rapproche et s'éloigne d'une autre femme rencontrée dans l'enfer des tours, avant de décider de finir sa vie assis devant une table de jeu dans le désert de Las Vegas, Lianne dérive entre l'inquiétude que lui causent l'attitude farouche et réticente de son propre fils, l'atelier d'écriture pour malades d'alzheimer dont elle a la charge, l'Homme qui Tombe, ce performeur que la police traque, la santé de sa mère qui vit depuis des années une incompréhensible liaison avec un mystérieux Européen, marchand d'art toujours entre deux avions, entre deux univers... Affrontant, avec les seules armes de son art, un monde en morceaux dont la représentation s'est perdue avec les attentats du 11 Septembre, Don DeLillo donne à voir les ressorts brisés de la belle machine humaine - psychisme, langage et corps impuissant confondus. Voyage au cœur de l'ADN de notre histoire commune, exploration magistrale des effets et des causes d'une catastrophe, ce roman fraye le chemin d'une catharsis qui autorise à regarder en face le Mal dans tous ses inévitables et fulgurants avènements.

La scène du début est un cliché. On a vu mille fois cet homme pris dans les cendres du World Trade Center, son attaché-case à la main, son veston, son air égaré de la fin des temps. Ensuite, on a droit aux journées post-11 septembre, aux deuils, un autre cliché qu'on a vu mille fois à la télévision, les médias insinuant qu'un millier de morts aux USA est plus important qu'un million de morts dans un pays moins riche. Mais peut-on en vouloir à DeLillo de nous ressasser ces clichés ? Je ne crois pas, il est Newyorkais et cet acte de terrorisme a bouleversé ses habitants. Et DeLillo amène quand même son roman plus loin que ces clichés et plus loin aussi que la littérature qui a suivi le 11 septembre 2011. Entre autres, il traite des traumatismes psychologiques qui ont suivi les attentats. Étant écrivain, il a la chance de pouvoir canaliser ses propres souffrances par écrit (qui eux seront lus, de surcroît). Ce roman passe aussi, avec quelques parties, du côté des terroristes mais on sent un DeLillo moins en confiance dans la description de la psychologie des personnages, n'ayant pas vécu cette partie de l'histoire.

Voici donc un roman qui joue sur la mémoire, sur la reconstruction après le drame, reconstruction autant physique que psychologique, sur l'existence de Dieu et de son rôle lors de ces événements. Le traumatisme est tellement grand, pour DeLillo et ses personnages, qu'il nomme cet événement "Les avions" et non pas "L'attentat du World Trade Center". C'est un livre qui ne prend pas de risque, où l'on sent la maturité de l'auteur mais où son génie habituellement frappant s'efface derrière une prose moins habile de ce qu'il nous a habitué par le passé. Comme Philip Roth, Cormac McCarthy et une foule d'autres auteurs, DeLillo a atteint son plein potentiel au milieu de son œuvre avec "Mao II" et "Outremonde". Ces grands génies écrivent des romans moins vivants, plus courts, plus simples, lorsqu'ils se rapprochent de la fin de leur carrière.

Il est intéressant de voir qu'avec "Libra", l'auteur traitait de la mort de JFK comme un complot, alors qu'ici, il prend la version officielle du gouvernement pour acquis. Plus un événement est éloigné dans le temps, plus les gens ont tendance à pencher pour la théorie du complot. L'homme qui tombe, c'est cet artiste, qui pourrait être n'importe qui, et qui hante les rues de New York. Il sert de symbole pour montrer le déclin de la civilisation, le thème central de l'œuvre de DeLillo. Et c'est l'art qui sert de rempart à tout cela, comme DeLillo l'avait fait avec "Mao II" en plaçant le terrorisme en relation avec l'art. Ici, c'est le terrorisme qui a gagné mais l'art, comme toujours, n'a pas dit son dernier mot, et cela, pour notre plus grand bonheur.

lundi 11 novembre 2013

Body art, Don DeLillo



Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: Après la mort de son mari Rey Robres, Lauren Hartke, artiste, découvre bientôt qu'elle n'est pas seule avec son deuil, son corps à discipliner et son temps à organiser. II y a un intrus dans la maison, un squatter d'origine inconnue, un être étrange et comme "inachevé". De sa physionomie, de son destin, de la plupart de ses propos, Lauren ne décrypte rien mais, dans sa voix, peu à peu, elle croit entendre non seulement la sienne, mais celle de Rey, puis leurs voix conjuguées leurs dernières conversations peut-être... Dans cette éblouissante variation beckettienne sur le corps, sur l'art et sur la mort, Don DeLillo explore les abîmes de la conscience, du langage, de l'espace et du temps. Un voyage philosophique en forme de descente aux enfers, au coeur de la condition humaine.

Exercice de style très proche de la poésie, "Body art" débute en laissant le lecteur dans la brume, et DeLillo exploite à merveille son génie stylistique où il décrit le quotidien de Lauren Hartke enfermée avec un homme au nom inconnu (son mari?). Il n'y a rien de clair dans les pensées de la femme. Elle semble vivre à la limite de l'absurde et de la maladie mentale, très reculée du monde réel, très éloignée tant physiquement que psychologiquement. DeLillo a pour habitude d'avoir un style qui allie la prose poétique et cinématographique, ce qu'il tente ici, tant bien que mal parce que sa poésie jaillie davantage que la cinématographie, étant donné la difficulté de la chose. De plus, la prose poétique de l'écrivain se marie parfaitement avec un très court roman comme celui-ci. Ensuite, une courte partie nous apprend la mort de Rey, son mari. Il était réalisateur de films, et son corps a été retrouvé dans l'appartement de sa première femme. Et surtout, nous apprenons que Lauren Hartke était sa troisième femme, qu'elle pratique le body art et qu'elle vivait avec un alcoolique maniaco-dépressif. La suite du bouquin est la rencontre de Lauren avec son "double" intérieur, et cela devient extrêmement proche de la trilogie de Samuel Beckett composée de "Molloy", "Malone meurt" et "L'innommable".

En effet, cette influence n'est pas seulement présente mais elle est un peu trop grande. Cela s'explique d'abord par le grand enthousiasme que porte l'écrivain à Beckett mais aussi, selon moi, par le fait que tout a été tenté et "essayé" en littérature et que justement, Beckett est peut-être le dernier superbe inventeur que le domaine des lettres ait connu. Parce que depuis ce temps, tout est une question de référence, d'influence et de plagiat dans les cas extrêmes. Et ce, dans tous les genres de romans. Malgré les grandes qualités de Don DeLillo, celui-ci ne peut échapper à ce piège inéluctable.

Aussi, "Body art" manque un peu d'originalité parce que ce genre de récit, celui de retrouver le personnage principal seul et à l'écart de la société après un décès, a maintes fois été écrit. DeLillo joue sur le thème du double inexistant, de l'ombre intérieure théorisée en psychanalyse par Carl Jung. On peut retrouver le thème du double dans la littérature classique, moderne et contemporaine. Notamment, il y a "Le double" de Dostoïevski, "Opération Shylock" de Philip Roth et "L'autre comme moi" de José Saramago. Chacun traite le thème à sa façon et Don DeLillo a choisi un être extérieur à Lauren, et malgré sa grande différence physique, il reflète son ombre intérieure et son côté inachevé. "Body art" se démarque en ayant un deuxième angle d'analyse, soit le retour de Rey sous une forme différente, et même un troisième angle avec la possibilité d'analyser le roman strictement avec le sujet de l'art et plus particulièrement des possibilités infinies du body art.

dimanche 3 novembre 2013

Mao II, Don DeLillo


Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Moon, Khomeiny, Mao – vu par Andy Warhol –, le terrorisme et le fanatisme, l’écrivain et son éditeur, une photographe, une téléphage, un archiviste monomane : Mao II prend thèmes et personnages au piège d’une illusion romanesque impitoyable, où la fin du XXe siècle peut se contempler, fascinée et inquiète. Avec la virtuosité qu’on lui connaît, DeLillo métamorphose en une fiction vertigineuse des problématiques aussi fondatrices que la politique à l’échelle internationale, le rôle des médias, la prégnance de l’image, son statut et sa multiplication dans les sociétés contemporaines.

Le début de "Mao II" m'a laissé perplexe parce que la première partie se déroule au Yankees Stadium et comme j'avais lu "Outremonde" dernièrement, j'ai retrouvé la même sensation et de plus, l'ambiance de cette scène est exactement la même, à un point tel où l'on croit relire "Outremonde". Par contre, on s'aperçoit rapidement que ce n'est pas la même chose parce qu'ici, ce n'est pas un match de baseball qui se joue, mais un mariage de masse, pour certains sectaires. Et cette scène du début commence à rappeler quelque peu la scène totalitaire de "1984" où les gens criaient leur haine à l'ennemi, même si les deux événements ont des buts opposés. DeLillo réussit à recréer l'angoisse des célébrations de masses où l'unification devient la monstruosité, la barbarie. Cette scène religieuse renvoie au piège de la foi aveugle où de nombreux croyants sont emprisonnés. Ensuite dans la deuxième partie (appelée "partie 1" dans le roman) le roman commence réellement. On est dans une librairie à New York, et nous découvrons le personnage de Scott Martineau et surtout de Brita, une photographe d'écrivains, qui s'est concentrée sur ces écrivains depuis son dégoût de photographier New York. Sur ce point, DeLillo a peut-être voulu montrer l'obsession de l'image, en prenant comme modèle des figures de l'écrit, en faisant d'eux des images immortalisées. Une autre facette du totalitarisme de la surface ! Et cette fois-ci elle veut prendre Bill Gray en photo, et Scott la conduira à Bill, qui lui, est le J.D. Salinger du roman. Comme lui, il se cache en haut d'une montagne. Aussi, la mariée du Yankees Stadium réapparaît dans cette partie. (Le roman est séparé en 4 parties). La troisième partie traitera d'un écrivain qui est fait prisonnier de terroristes mais reprendra surtout le récit de la deuxième partie, celui de Bill, Karen, Scott et Brita. Et finalement, la dernière partie nous conduira à Beyrouth.

On retrouve dans ce roman, et avec le plus grand des bonheurs, la poésie dans la prose de Don DeLillo qu'il avait abandonné dans "Libra". De plus, "Mao II" contient des dialogues extraordinairement biens écrits et les conversations ont souvent pour sujets les éléments perturbateurs de la société, ce qui gangrène le politique. Il est fascinant de lire DeLillo et de constater à quel point il est un écrivain de talent.

Alors, pour conclure, il est important de mentionner que "Mao II" est un livre sur l'écrivain et son rapport à la célébrité, sur l'art et son rapport à la réalité. C'est aussi un livre sur le danger de l'écriture qui aboutira sur un sujet stupéfiant, celui de la relation entre le terrorisme et l'art. C'est un peu la thèse de Roberto Bolaño qui est prouvée dans ce roman, thèse selon laquelle l'écriture consiste à se jeter dans le vide, à vivre dangereusement. On pourrait dire que "Mao II" est une pratique pour "Outremonde", son réel chef-d'oeuvre. "Mao II" est de beaucoup plus court (275 pages), les personnages sont plus attachants, plus humains, et les récits sont construits de la même façon, et certains thèmes sont les mêmes.

samedi 26 octobre 2013

Libra, Don DeLillo


Ma note : 7/10

Voici la quatrième de couverture: 22 novembre 1963, assassinat du président Kennedy. Faute d'élucidation crédible, le mystère est resté total et le drame est entré dans la légende américaine. Don DeLillo a puisé dans la vérité historique tous les éléments d'un fantastique roman policier - agents secrets, activistes de droite et de gauche, mafiosi, stripteaseuses, trafiquants de drogue, CIA, FBI, KGB, Fidel Castro. et un coupable désigné nommé Oswald, né sous le signe de la Balance (Libra, en anglais), meurtrier idéal assassiné à son tour devant les caméras du monde entier. De ce personnage mystérieux, DeLillo a fait l'antihéros d'un roman saisissant qui prouvera une fois de plus que l'intuition d'un grand romancier peut nous emmener plus loin sur le chemin de la vérité que bien des enquêtes. Né à New York en 1936, écrivain reconnu dans le monde entier, Don DeLillo a reçu les plus prestigieuses distinctions dont The National Book Award et The Pen / Faulkner Award. Il a également obtenu The Jérusalem Prize 1999 pour l'ensemble de son oeuvre ainsi que The Howells Medal of the American Academy of Arts and Letters pour son roman, Outre-monde. La plus grande partie de l'oeuvre de Don DeLillo est publiée en France par Actes Sud.

Avec un sujet aussi éculé, celui de l'assassinat de Kennedy, le premier, on était en droit de s'attendre au pire, et de plus, quand la fiction se mêle d'un sujet aussi important, le résultat est rarement satisfaisant. J'ai lu quelque part qu'il y a près de 40 000 livres qui ont été écrit sur JFK. Ce qui n'est pas rien, vous en conviendrez. Quant à Don DeLillo, il m'avait ébloui avec son chef-d'oeuvre "Outremonde" qui reprenait certains faits divers mais qui traitait de sujets originaux, dans l'ensemble. Aussi, j'avais adoré "Bruit de fond", une critique de la société moderne où les simulacres remplaçaient tout ce qui bouge. Ainsi, DeLillo m'avait habitué à des fictions où le malaise de la civilisation est présent à chaque page, et où la prose poétique de l'auteur vient ajouter un élément vivant à une forme (le roman) souvent sans vie.

Avec "Libra", on suit Lee Harvey Oswald, le présumé tueur de Kennedy. Et c'est justement là que Don DeLillo est original et se démarque des autres écrivains sur ce thème. Son enfance, toujours d'une façon fictionnelle mais appuyée par les lectures historiques de DeLillo, est décrite dans les premières pages. Ensuite, on alterne entre les chapitres sur la vie d'Oswald et ceux où les complots contre Kennedy se préparent. Cela convergera sur la date de l'assassinat. Entretemps, Lee Harvey Oswald devient communiste, sans réellement comprendre toute la théorie qui l'accompagne. Oswald voyage en Asie et surtout en U.R.S.S. Il devient de plus en plus révolutionnaire. Le roman gagne en complexité lorsque Nicolas Branch est chargé, des années plus tard, d'écrire l'histoire secrète de l'assassinat de JFK. Cette partie est incorporée dans la période précédente où l'on suit L.H.O. et les complots de cette affaire. De grandes parties du roman sont consacrées à Cuba, Castro et les missiles de La Baie des cochons, qui avaient donné la crise que l'on connaît, quelques mois avant l'assassinat de Kennedy.

La poésie de l'auteur, ce qui est sa plus grande force, n'a pas vraiment sa place dans "Libra". Poésie, parce qu'Harold Bloom dit que DeLillo se rapproche de Walt Whitman, le grand poète américain. Aussi, la prose de l'auteur, son esthétique, se rapproche de la poésie en général. Mais dans "Libra" le sujet du bouquin ne s'y prête pas et ainsi, quand il y en a, elle ne paraît à sa place et quand il n'y en a pas, DeLillo devient un écrivain comme les autres, ce qu'il n'est pas. Voici donc un roman où les coïncidences n'en sont pas, et qui met la table pour l'époque, la nôtre, où les Edward Snowden, Julian Assange, etc., sont les héros. Bien que les théories du complot aient toujours existé, DeLillo a écrit son roman en 1986-1988 et à l'époque c'était plus rare d'aborder ces sujets parce qu'internet n'existait pas. Par contre, à la fin du présent volume, DeLillo sert est savante mise en garde contre certaines théories fumeuses et qui sont appuyées sur du vide. En ce sens, on pourrait dire que ce livre est utile pour démontrer la surveillance des gouvernements capitalistes sur les mouvements de gauche, l'espionnage à grande échelle. Comme tous les romans d'espionnage, le récit se précipite dans tous les sens, et l'on est transporté d'un endroit à l'autre, d'une temporalité à une autre. Le roman d'espionnage n'est pas un genre que j'apprécie beaucoup, d'où mon ambivalence quant à la qualité de ce livre de Don DeLillo.

vendredi 18 octobre 2013

Cosmos, Witold Gombrowicz


Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: «Perdu, couvert de sueur, je sentais à mes pieds la terre noire et nue. Là, entre les branches, il y avait quelque chose qui dépassait, quelque chose d'autre, d'étrange, d'imprécis. Et mon compagnon aussi regardait cela.- Un moineau.- Ouais.C'était un moineau. Un moineau à l'extrémité d'un fil de fer. Pendu. Avec sa petite tête inclinée et son petit bec ouvert. Il pendait à un mince fil de fer accroché à une branche. Bizarre.»

Le roman commence par un moineau pendu à arbre, mais ce n'est pas cela qui retient notre attention. C'est plutôt le style de l'auteur. Noir, obscur, sans aucun repère pour le lecteur. Ce qu'on ressent, c'est la chaleur des lieux, l'inconfort des personnages. Il est maître dans les descriptions, notamment avec ses énumérations, nombreuses, foisonnantes, justes. Sa plume est poétique. Le narrateur loue une chambre avec son ami Fuchs. Il repense au moineau pendu. Si un moineau prend la peine de se pendre...se dit le lecteur ? Mais non ! Forcément, un homme jouant le rôle de Dieu est intervenu. Bref, on poursuit notre lecture, sans trop comprendre. Et c'est là que l'enquête commence. Le temps s'étire. Le narrateur et son compagnon Fuchs poursuivent leur enquête. Enquête du néant ! Parce que le développement se fait attendre dans un environnement parfois absurde, parfois inquiétant, avec un point de vue subjectif, celui du centre de cette enquête grotesque. Nos deux protagonistes auront à découvrir l'histoire derrière cette pendaison de moineau, et cette histoire deviendra encore plus inquiétante quand ils retrouveront une flèche dans leur chambre, et ensuite, le narrateur se surprendra à se comporter bizarrement.

Globalement, "Cosmos" est un antiroman policier. Malgré la simplicité de l'enquête, il offre plusieurs rebondissements mais surtout nous fait vivre le sentiment d'étrangeté. Gombrowicz a influencé Kundera. On peut le rapprocher d'un Kafka (avec "Le château" et "La métamorphose" surtout). Il use de l'allégorie comme Camus. Il est aussi très proche des romans de Beckett (et de sa pièce "En attendant Godot"). Alors que Beckett se contente du thanatos, Gombrowicz ajoute une touche d'éros, notamment avec les fétichismes du narrateur, son obsession de la bouche. Il est un roman fait "d'instants", de recommencement où, comme le dit le narrateur " J'étais suspendu à cela, moi qui avais quitté les choses de là-bas, de Varsovie, et voilà que je tombais dans les choses d'ici, pour recommencer". On avance par tâtonnement dans ce roman. Le narrateur observe. Il peut passer quelques instants à regarder et décrire des choses simples qui deviennent élégantes dans son regard, un peu comme le fait John Keats dans ses poèmes, où la conscience désabusée débouche sur des instants enchanteurs.

C'est un excellent roman. Il a une facette ludique, de par sa proximité avec le roman policier. Écrivain de son temps, Gombrowicz utilise une forme et une structure romanesque en opposition aux classiques, où le style représente bien la pensée atrophiée du vingtième siècle et surtout l'horreur de ce siècle totalitaire, en perdition. À l'exception de Proust et de quelques autres, le vingtième siècle n'est pas dans le grand lyrisme hugolien et Gombrowicz en est un bon archétype. Les auteurs du siècle dernier charcutent leur prose et conséquemment leurs pensées, leurs idées, d'une façon volontaire ou non. Et malgré tout ce que j'ai écrit plus haut, la fin de ce roman-ci est éclairante et laisse le lecteur reposer, en paix !

jeudi 10 octobre 2013

Je suis vivant et vous êtes morts, Emmanuel Carrère


Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: “Tout commence avec le souvenir d’un cordon de lampe qui n’existe pas. La plupart des gens se disent « c’est bizarre » et passent outre. Pas Philip K. Dick. Pour lui, c’est le début d’un doute incessant : sommes-nous vraiment réels ? Vivants ou bien morts ? L’existence de l’écrivain sera guidée par ces retournements, tour à tour époux modèle, grand psychotique, fervent catholique, junkie…”

Lorsqu'on est en présence d'une biographie signée Emmanuel Carrère, on est en droit de s'attendre à tout. Avec "L'adversaire" Carrère amenait des éléments autobiographiques au récit du tueur Jean-Claude Romand. Dans "Limonov", une autre biographie extraordinaire, Carrère nous présentait un auteur dont la vie rocambolesque dépassait l'entendement humain, et encore une fois, Carrère réussissait à incorporer des éléments autobiographiques. Cette grande fresque d'un homme d'action épousait le genre de la biographie parfaitement, ce qui lui a valu le prix Renaudot. Avec "Je suis vivant et vous êtes morts", biographie de mon écrivain de science-fiction préféré Philip K. Dick, cela est quelque peu différent parce que le voyage dont nous convie Carrère est davantage psychique.

L'œuvre de Philip K. Dick repose sur le titre qui coiffe ce bouquin. Une œuvre qui interroge la réalité au point où l'auteur (et conséquemment le lecteur) se demande si la réalité qui nous emprisonne est réellement "réalité" ou s'il y a quelque chose d'autre. D'où le "Je suis vivant et vous êtes morts" qui a pour but d'ébranler nos certitudes. Philip K. Dick n'était pas un enfant tout à fait comme les autres. Le sport ne l'intéressait pas, au grand dam de son père, mais il se passionnait plutôt pour la lecture, la musique et l'écriture. Adolescent, il consultait déjà un psychiatre, et sa mère, avec qui il vivait seul, était hypocondriaque. Tout cela a certainement nui à ce jeune garçon qui, une fois rendu adulte, devint psychotique. Il a commencé à écrire très jeune de la science-fiction pour devenir le génie que l'on connaît. Il devint écrivain professionnel de science-fiction à 24 ans, et c'est là que les choses devenaient intéressantes pour le lecteur. Il lâcha son emploi de disquaire pour se consacrer à l'écriture à temps plein. Il rencontrera le succès assez tard dans sa vie. Philip (celui qui aime les chevaux, selon l'étymologie) mena ce qu'on pourrait appeler une vie de bohème, bien qu'il fût par moments sédentaire à cause de ses problèmes psychologiques qui ne le quittèrent pas de sa vie. Pauvre, souvent incompris, il côtoya sa vie durant une foule de personnes non fréquentables pour la plupart des gens. Quand le film "Blade runner" sortit, il propulsa la célébrité de K. Dick à un autre niveau, mais ce dernier était déjà mort. Même s'il connut une certaine gloire de son vivant, il ne put goûter à l'immense succès de ce film, bien qu'il ait le temps d'empocher les droits d'auteur. Il passa la majorité de sa vie complètement paranoïaque et psychotique. Les grands esprits comme lui sont souvent incompris de leur vivant.

Donc, en terminant, il faut dire que cette biographie, savamment construite, laisse une place bien méritée à l'œuvre de Philip K. Dick sous forme de résumés de ses œuvres et de quelques explications. Par contre, le défaut de ce livre est de dévoiler la fin des romans de K. Dick. On doit avoir lu Philip K. Dick avant de se lancer dans cette biographie, c'est primordial. Contrairement à ses autres livres discutées plus haut, Carrère se fait plus discret dans celui-ci, en s'effaçant derrière sa prose, mais le style est un peu inférieur, étant donné qu'il est écrit par un écrivain encore en développement. Il a écrit "Je suis vivant et vous êtes morts" avec le plus grand des respects pour son sujet, et cela, c'est tout en son honneur.

mercredi 2 octobre 2013

L'Adolescent, Dostoïevski



Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture: Des cinq grands romans de Dostoïevski, L'Adolescent est l'avant-dernier, et aussi le moins connu. Il a pourtant un magnifique sujet, un foisonnement de thèmes, une technique romanesque solide. Le sujet: le passage à l'âge adulte d'un jeune homme ambitieux, malheureux, avide et le conflit entre père et fils. Les thèmes: l'enfant sans bonheur, l'homme fort, l'argent, l'Occident, l'avenir de la Russie, le socialisme, la société future, le mouvement révolutionnaire, et même, sous la forme du père adoptif du héros, le saint des temps modernes: la foi remporte une victoire sur les désordres de la pensée. On reconnaît là tout l'univers de Dostoïevski. La technique est celle du roman d'aventures, du roman policier d'Alexandre Dumas ou d'Eugène Sue. L'Adolescent devrait donc connaître une résurrection, et retrouver sa place parmi les plus grands.

Probablement le livre de Dostoïevski le plus méconnu, le plus difficile à trouver (je me rappelle l'avoir déjà cherché en ebook sans succès), presque jamais cité par les grands critiques, et malgré mon grand intérêt pour cet immense auteur, j'en ai entendu parler que tout récemment. Qu'est-ce qui explique cela ? Peut-être son côté anti-roman initiatique, anti-roman d'apprentissage qui ne plaît pas à tous. Et aussi, il faut dire que l'on est loin du roman de la totalité que représentaient "Les frères Karamazov". De plus, le côté sombre, obscur et déplaisant du personnage principal en rebutera plusieurs. Pourtant, on retrouve l'exubérance littéraire de Dostoïevski dans ce roman. Un jeune homme de 21 ans écrit ses mémoires. Dès les premières pages, il semble drôle, intelligent, de caractère bouillant, un peu comme l'était Dostoïevski. Et je dois dire aussi, pour faire une comparaison avec un auteur contemporain, que la forme se rapproche des romans de Philip Roth, un grand amateur de Dostoïevski qui a certainement puisé dans les idées du maître. Le style exubérant côtoie l'(auto)biographie mais complètement fictionnelle. Roth l'a utilisé presque toute sa carrière alors qu'avec Dostoïevski c'est plus rare. Si l'on combine cette forme de l'autobiographie romancée à la fluidité légendaire de la prose et de la narration de Dostoïevski, on peut dire que le roman est d'une actualité certaine (du point de vue de la forme).

Plusieurs passages rappellent "Les Carnets du sous-sol", un chef-d'oeuvre de cet écrivain russe. Alors que le personnage du souterrain crachait son pessimiste, celui de "L'Adolescent" prend ce pessimiste et veut en faire quelque chose de grandiose aux yeux de la société. Le début est consacré à son enfance et même avant cela, parce qu'il remonte à ses ancêtres. Ensuite on découvre le noyau et le moteur de l'histoire, l'"idée" du narrateur. Et cette idée consiste à devenir aussi riche que Rothschild. L'auteur s'éloigne souvent du sujet, mais pas vraiment sous forme de digressions mais plutôt en racontant des sous histoires qui touchent les personnages secondaires du roman. Alors que "Les frères Karamazov" préfiguraient le complexe d'Œdipe de Freud, ici c'est la volonté de puissance de Nietzsche qui est traitée sous forme romanesque. Aussi, on en vient par découvrir une mélancolie qui se cache derrière le flux de pensées et le verbiage du narrateur. Et cette mélancolie se transforme rapidement en tristesse profonde, objectivée par le héros. Dostoïevski utilise, encore une fois, la technique de "l'attente" en commençant par raconter un fragment d'une histoire dans l'histoire, pour dire ensuite : "nous y reviendrons". Il écrit des romans très littéraires mais ce qui se cache derrière tout cela c'est le genre du thriller (Philip Roth utilise aussi ce procédé, particulièrement pour "La tache"). Ce procédé brille encore plus dans "Crime et châtiment". Il est le maître de cette technique et je dirais même le maître de la littérature générale aussi. Par contre, des écrivains et théoriciens littéraires comme Nabokov lui reprochent de reprendre trop d'éléments de la littérature du genre policier, et même des faits divers des journaux de son époque.

En terminant, disons simplement que "L'Adolescent" est un très bon roman mais peut-être un peu en dessous du réel talent de cet écrivain. C'est un roman difficile à lire si l'on compare aux romans contemporains (bien qu'il ait une structure assez contemporaine comme je l'explique plus haut). On donne généralement le qualificatif de "faible" pour "Résurrection" de Tolstoï en faisant valoir qu'il est un roman du crépuscule, de fin de vie, où l'auteur avait perdu son talent. On pourrait être tenté de faire de même avec "L'Adolescent" de Dostoïevski, même s'il écrivit "Les frères Kamarazov" après celui-ci. Mais pour ma part, je dirais plutôt qu'il est sous-estimé bien qu'il soit son mal-aimé, comme "Résurrection" de Tolstoï.

mercredi 25 septembre 2013

Docteur Pasavento, Enrique Vila-Matas


Ma note: 8/10

Voici la présentation de l'éditeur: « J’ai décidé tout à coup d’arrêter de tourner autour du pot et de disparaître moi-même. Disparaître, tel était le grand défi. » Écrivain, Andrés Pasavento a en horreur la gloire littéraire. Caché à Naples, où il se fait passer pour un docteur en psychiatrie, il aurait pourtant bien aimé qu'on le recherche, à l'instar d'Agatha Christie. Mais il doit peu à peu affronter la vérité : personne ne pense à lui. Sur les traces du poète Robert Walser, son modèle dans l’art de n’être rien, il poursuit alors son errance en Suisse et tente véritablement de disparaître. Né à Barcelone en 1948, Enrique Vila-Matas est l’auteur d’une œuvre profondément originale qui brise les conventions d’écriture pour explorer des thèmes comme le mensonge, l’imposture ou la disparition. Il a reçu le prix Médicis étranger en 2003 pour Le Mal de Montano.

Collègue et ami de Roberto Bolaño, mon écrivain préféré, Enrique Vila-Matas est, de plus, souvent considéré comme le meilleur écrivain contemporain de langue espagnol avec ce même Bolaño. "Docteur Pasavento" nous amène sur les traces de deux autres écrivains extrêmement importants pour moi, Agatha Christie et Robert Walser. Il s'inspire d'un fait divers pour la première mais fondamentalement, ce roman est inspiré de la vie et de l'oeuvre du second.

D'emblée, on ne sent pas la rage littéraire qui enflamme les écrits de Roberto Bolaño, non plus la folie créatrice et géniale de Robert Walser. Par contre, avec Vila-Matas, et c'est frappant dès le début lorsqu'il écrit sur Montaigne et Descartes, on voit une érudition et un désir très fort d'écrire sur la littérature elle-même et ainsi, le résultat est très "littéraire", pris dans l'abstrait, éloigné du roman réaliste. Le personnage principal, l'écrivain Pasavento, est passionné du thème de la disparition et il veut ressuscité sous une autre persona. Il a les mêmes goûts littéraires que moi, ce qui m'a fait apprécier le roman, et il est passionné, le mot est faible, par Robert Walser, autant que je le suis. On assistera à la désintégration de sa personnalité plus le roman avance. Il admire "le glissement vers le silence" de Walser et tentera de l'imiter. À travers cette quête du rien, si l'on prend pour acquis que disparaître c'est n'être rien, Vila-Matas appuiera sa thèse sur une foule de références aux grands auteurs, même si Walser reste le point central, parce que l'on sent qu'il lui rend un vibrant hommage. Pasavento, quant à lui, nous écrit de sa disparition, où il devient effacé. Il écrit à la première personne pour ne pas masquer son "je" avec un "il" comme d'autres auteurs le font.

Je crois que Vila-Matas est proche d'un Kundera, d'un Musil, d'un Sollers. Et un peu d'un Carrère et d'un Auster. Il écrit sur un thème cher à Cioran et Emily Dickinson. C'est un roman qui se rapproche de la métaphysique, de la leçon d'écriture aussi. Il analyse la relation entre la réalité et la fiction à travers une utopie personnelle qui débouche sur la conquête ultime du moi dans le but de se débarrasser de la persona. Le style est précis, mais il n'a pas un vocabulaire extraordinaire. Si on rassemble tous les éléments qui donnent la forme à un roman, "Docteur Pasavento" est agréable à lire.

Cependant, je pense que ce bouquin aura du mal à plaire à tous. Les références sont trop nombreuses, on est davantage dans l'étalage de connaissances que du roman en tant que tel. C'est proche de l'essai. Il y a tellement de références qu'elles peuvent parfois devenir encombrantes, surtout au début où j'ai eu peine à rentrer dans ce livre. Avec toutes ces citations, le lecteur est en droit de se demander si Vila-Matas s'est vraiment accaparé son roman (et son sujet, la disparition volontaire). Mais finalement, même si le début a été ardu pour moi, une fois rentrée, on n'y sort pas !

mercredi 11 septembre 2013

1Q84, Haruki Murakami



Ma note: 8,5/10


Livre 1 : Immense fresque de plus de 1600 pages, "1Q84" est divisé en trois livres, dont le premier couvre la période des mois d'avril à juin. La référence à Orwell se limite surtout pour le titre (en effet, on prononce la lettre "Q" en japonais comme le chiffre "9", ce qui donne 1984) parce que, ensuite, le roman en tant que tel n'est pas vraiment du même genre que celui de George Orwell et les références que l'on retrouve dans le bouquin sont négligeables. Dans "1Q84" on est dans la science-fiction générale alors que le "1984" d'Orwell était un roman d'anticipation. Dans le premier volume de "1Q84", deux personnages, aux antipodes l'un de l'autre, évoluent dans un univers réaliste au départ, et sous la plume de Murakami, cet univers basculera vers une réalité "décalée" pour nos deux protagonistes. Le style d'écriture de Murakami permettra d'établir un rythme excessivement lent, en volupté, qui nous donnera la sensation d'être bien installé dans cet univers qui deviendra de plus en plus inquiétant mais aussi liquéfié, magique, hors de notre portée psychique. Les deux personnages sont Tengo et Aomamé. Le premier est un écrivain, enseignant de mathématiques, qui deviendra un écrivain fantôme à succès. Le second, est une tueuse à gages pour le moins spéciale, qui tue avec un pic à glace, seulement des hommes qu'elle croie coupables. La force du roman, ce sont ces deux personnages d'une profondeur rare en littérature et que l'on verra évoluer dans une réalité qui change peu à peu d'apparence. Le rythme très lent de Murakami, qui est par moments une faiblesse autant qu'une force à d'autres moments, permettra d'exploiter encore plus la profondeur des personnages en revenant constamment sur leur attitude, leur caractère, leur façon de vivre, en décrivant souvent les mêmes facettes de leur personnalité mais d'un angle différent. Aomamé remarquera que les costumes des policiers changent, et plus loin dans ce premier livre, une deuxième lune apparaîtra. Quant à Tengo, ce sera plus subtil, de léger étourdissement l'assaille avec une petite voix à l'intérieur qui lui murmure. Aussi, il y aura cet étrange roman qu'il doit réécrire et les Little People qui parsèment le roman. De plus, il rencontrera "Le maître" qui lui parlera de la secte des "Précurseurs" qui semble avoir un étrange lien avec le roman qu'il réécrit. Pour Aomamé surtout, la réalité de 1984 basculera vers celle de "1Q84", tranquillement, avec lenteur. Dans ce premier volume nous assisterons seulement au prologue de cette nouvelle réalité parce que l'auteur prend un temps énorme pour placer son histoire. Il prend aussi le temps de placer d'autres personnages plus secondaires, comme l'auteur Fukaéri qui a écrit "La Chrysalide de l'air" (que Tengo réécrit), en plus de Komatsu, l'éditeur de Tengo et mentor littéraire. Quant à Aomamé, elle rencontre son employeur (rappelons qu'elle est tueuse à gages), elle rencontre Tamaru, elle rencontre Ayumi. Et pour l'histoire, les deux récits développés en parallèle par le biais de Tengo et Aomamé commencent à se fondre l'un dans l'autre avec "La Chrysalide de l'air" et la vie d'Aomamé.

Livre 2 : La fin du premier livre traite surtout de la secte des "Précurseurs" et nos deux personnages principaux convergent petit à petit vers cette secte pour des raisons différentes. Aomamé est chargée par son supérieur de retrouver Tsubasa, une fillette du "safe house" disparue et d'éliminer le chef de la secte des "Précurseurs". Tengo doit retrouver l'auteur des "Chrysalide de l'air". Les Little People ont à voir avec ces deux intrigues parallèles qui se rejoindront plus tard. Ensuite, Tengo se voit offrir une occasion en or de terminer son roman en chantier, par une subvention d'une mystérieuse organisation. Et entretemps, nous découvrons que Tengo et Aomamé se sont déjà connus, à l'école primaire, et surtout, qu'ils ne se sont jamais oubliés malgré la brièveté de leur rencontre. La copine policière d'Aomamé, Ayumi, décède d'une sauvage agression. Aomamé se remet en question. Tengo semble avoir ouvert, avec Fukaéri, quelque chose de très puissant en plaçant leur effort en commun pour écrire "La Chrysalide de l'air". L'imagination se mêle à la réalité et c'est vers cette piste que semble nous diriger Murakami. Tengo retrouve Fukaéri sans l'avoir recherché activement. Aomamé finit par rencontrer "Le leader" de la secte en se faisant passer pour une massothérapeute. Elle découvre qu'il a réellement d'étranges pouvoirs. Elle apprendra qu'elle a vraiment pénétré dans l'année 1Q84. "Le leader" explique tout à Aomamé, ce que sont les Little People, leur puissance quand les gens comme Aomamé passent en 1Q84 et les anti-Little People qui se forment pour garder l'équilibre. Et surtout, il lui explique que 1Q84 n'est pas un monde parallèle mais un deuxième temps qui se forment et qu'une poignée d'individus peuvent voir. Les deux lunes servent d'aiguillage. Aomamé découvrira qu'elle et Tengo font partie du virus et de l'anti-virus mais qu'en même temps, ils "s'attirent".

Livre 3 : Dans ce dernier livre, un nouveau personnage principal fait surface, que l'on avait à peine vu dans le deuxième livre, celui qui représentait l'organisation qui voulait donner une subvention à Tengo, et ce nouveau personnage, maintenant détective privé, arrive dans l'histoire d'une façon presque incongrue. Il n'y a rien qui nous préparait à cela, parce que Tengo et Aomamé prenaient quasiment toute la place dans les deux premiers livres. De plus, ce troisième livre fragilise en lui-même une trilogie qui était excellente. Ce troisième personnage c'est Ushikawa. Il enquête sur la mort du "Leader". Il a été mandaté par la secte des "Précurseurs". Le problème avec ce genre d'enquête qui arrive dans le dernier tiers d'un long roman comme celui-ci, c'est que l'enquêteur suit, en quelque sorte, les traces du lecteur et cela devient rapidement redondant. Des chapitres complets sont un résumé dispensable des deux premiers livres, qui eux, étaient magnifiques. Par contre, on retrouve encore Tengo et Aomamé et les chapitres alternent entre ces trois personnages au lieu des deux personnages dans les autres livres. Au début, Aomamé et Tengo se cherchent l'un et l'autre, espère enfin se retrouver pour de bon, et on ne sait plus trop s'ils sont la même personne. Tengo continue ses visites à son père qui est dans le coma, à lui faire la lecture. Il se demande si la Chrysalide de l'air le visitera de nouveau, avec Aomamé-fillette à l'intérieur, comme dans le deuxième volume. Le troisième livre traîne en longueur, parce que quand ce n'est pas le détective qui fait son enquête inutile, ce sont Tengo et Aomamé qui ressassent les mêmes choses que dans les deux premiers livres. Et pour la suite et la fin, je ne la dévoilerai pas, comme j'en ai pris l'habitude dans mes chroniques, pour ne pas brimer votre plaisir de la découvrir.

Impression générale

Il n'y a pas vraiment de nouvelles idées romanesques dans ce roman mais plutôt une quantité impressionnante de bonnes idées regroupées dans un tout cohérent et surtout, raconter différemment des autres auteurs de science-fiction qui se ressemblent tous. Il y a l'idée du roman des "Chrysalides de l'air", de sa fonction dans le réel, dans la nouvelle réalité 1Q84. Aussi, il y a l'idée de ce temps qui change pour nous projeter en 1Q84. Il y a la ville des chats que je n'ai pas traitée dans mon résumé mais qui prend une place importante. Les Little People, leurs anti-Little People, la secte, les deux lunes, etc. Sans oublier le genre policier qui vient se greffer dans un univers science fictionnel. Sur certains plans, "1Q84" est une oeuvre qui traite de sujets d'extrême droite comme le fait qu'Aomamé aide à faire justice soi-même. Les aphorismes sur la philosophie de Murakami parcourent le roman, essaimés ici et là. Une philosophie basée sur l'équilibre dans tous les plans de la vie. Haruki Murakami ne sera jamais mon écrivain préféré parce que ses thèmes sont trop juvéniles et globalement ses livres se rapprochent trop de la littérature pour adolescents. Par contre, Murakami semble, et de loin, le meilleur dans cette catégorie. Son imagination est débordante. Son talent c'est aussi de nous permettre de nous évader, un peu comme Paul Auster réussit à le faire et la reconnexion avec notre réalité est difficile. Peu d'auteurs réussissent cela. "1Q84", de par son histoire, se rapproche aussi de l'oeuvre de Philip K. Dick, mais avec une forme complètement différente, à l'exact opposé. Alors que Murakami étire le roman à son maximum, qu'il suspend le temps, qu'il emploie une foule de stratégies pour rendre le roman plus long, un peu à la manière des romans feuilletons, K. Dick se contente de courts romans, précis, concis, justes. Par contre, nombreux thèmes sont les mêmes, entre autres, la réalité qui se transforme, le temps qui change, le genre policier qui côtoie celui de la science-fiction. La façon dont Aomamé enquête sur son passage dans une nouvelle réalité (avec les journaux, les revues, etc.) m'a fait penser au roman "Le temps désarticulé" de Philip K. Dick. On retrouve dans "1Q84" plusieurs digressions intéressantes, notamment sur la création littéraire par le biais de Tengo, l'écrivain enseignant de mathématiques. Avec ce roman, Murakami va à contre-courant de notre société : le rythme d'une lenteur extrême est en opposition avec le rythme très rapide de nos sociétés. Murakami nous dit, en plus de valoriser l'équilibre, que la patience en création littéraire est d'une extrême importance. Comme mode de vie aussi. J'ai trouvé que son talent éclatait avec "1Q84" mais il a du mal à le gérer surtout dans le troisième livre. Parce que les deux premiers sont les romans les mieux écrits de cet auteur, c'est une littérature envoûtante, comme l'était l'extraordinaire "La ballade de l'impossible" même si ce dernier était entièrement du genre réaliste. En conclusion, je dirais que la plus grande force de Murakami est de suspendre et d'étirer le temps, et par le fait même de nous faire décrocher de la réalité, en passant, dans ce roman, d'une réalité à une autre, sans en voir les ficelles.

lundi 2 septembre 2013

Au coeur de ce pays, J.M. Coetzee



Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture: Au plus noir de la nuit, la maison devrait être silencieuse. Pourtant, l'oreille collée à la cloison, Magda perçoit des halètements presque inhumains. Elle attend le moment propice. Dans une minute, elle se lèvera et se dirigera vers la chambre de son père, un fusil chargé à la main, bien décidée à changer le cours de son existence...

La forme.
Écrit en paragraphes numérotés de 1 à 266, comme un journal intime. Le narrateur, c'est la fille, Magda qui écrit (et lit) dans sa chambre, souvent en train de combattre la migraine. Les autres personnages seront son père et sa nouvelle belle-mère de même que Hendrick, l'employé de la ferme. Le style de Coetzee est concis et précis. Le roman ne fait que 215 pages, et cette concision dans l'écriture est donc indispensable.
Le fond.
L'apartheid apparaît presque toujours dans les romans de Coetzee et celui-ci ne fait pas exception. Rarement en avant-plan, toujours amené d'une façon subtile, silencieuse. L'histoire est celle de cette nouvelle famille, la mère de Madga étant décédée quand elle était jeune. La nouvelle famille est malheureuse, et pour cause. L'on ne sait même pas au début si c'est réellement sa belle-mère. Magda sera malheureuse toute sa vie, on la suit jusqu'à la toute fin. En fait, cette histoire décousue au possible est celle, du début jusqu'à la fin, de Magda. Et revenons à cette nouvelle belle-mère. Elle ne fait rien, elle flâne dans la maison du père de Magda. Cette dernière est rejetée, elle idéalise sa mère qu'elle n'a pas connue, elle déteste son père qui voulait un fils. La ferme, située passablement à l'écart, est le décor. Quasiment prisonnière de cette ferme, la fille prendra la décision de tuer le père. Enfin, presque. Parce que tout cela est davantage compliqué que ce qu'il paraît. Le meurtre est plutôt un accident mais en même temps, elle voulait le tuer. Et c'est à partir du décès du père que la cassure se fera. Elle vivra ensuite avec Hendrick et Anna, qui eux aussi, comme le père, la prendront en grippe. La suite du récit abondera en digressions, en explications sur l'après-père. Un peu à la manière d'Elfriede Jelinek, où la pulsion de mort, de même qu'un nihilisme violent, ressurgiront dans un flot de pensées. Tandis que la haine de l'écrivain Jelinek est dirigée vers sa mère, celle du narrateur-Magda sera plutôt portée vers son père. Le complexe d'Oedipe pour Jelinek, l'anti-Oedipe pour Madga.

Contrairement à ses autres romans, Coetzee descend plus en profondeur dans l'âme humaine avec "Au coeur de ce pays". On assiste aux lamentations de la narratrice et personnage principale sur les deux cents quelques pages. Sa haine, ses tourments, ses craintes, et finalement sa vengeance plus ou moins inconsciente. Le roman est un flux de pensées intérieurs (et même extérieurs) où Magda imagine, ressasse, mais aussi, où elle décrit la vie à la ferme. C'est une sorte de huis clos réel, imaginaire, psychologique.

Je ne crois pas avoir déjà lu de romans semblables. Comme je le disais il se rapproche un peu sur la forme (et un peu sur le fond) de l'oeuvre de Jelinek. Mais aussi peut-être se rapproche-t-il un peu de "Crime et châtiment" de Dostoïevski, avec le meurtre, le flux de pensées, la folie, la subtilité entre le bien et le mal, le relativisme moral qui s'en dégage, le remords plus ou moins fort, l'angoisse développée par les personnages principaux, leurs tendances à spéculer sur la réalité. Par contre, la forme des deux romans diffère parce que l'un est classique alors que l'autre, moderne, jouit d'une forme éclatée comme je la décrivais plus haut. Il y aurait aussi une intertextualité à faire avec un autre roman de Dostoïevski, "Les Carnets du sous-sol", notamment par le venin craché par ses narrateurs.

En conclusion, je dois dire que c'est un excellent roman. Encore une fois, les personnages "blancs" doivent payer pour les crimes de l'apartheid. Cette métaphore explique bien l'oeuvre de Coetzee, le grand écrivain Sud-africain.

samedi 24 août 2013

Michael K, sa vie, son temps, J.M. Coetzee


Ma note: 8/10

Voici la présentation de l'éditeur: Michael K, dont la couleur de peau n'est jamais mentionnée, homme frustre et solitaire, quitte Le Cap accompagné de sa mère et se lance sur les routes. Contrôles, interdictions, combats ne l'empêcheront pas d'accomplir son périple, remontant toujours plus loin au nord, en quête d'une ferme-refuge originelle où il espère vivre paisiblement. Il parvient seul en ce lieu reculé, sa mère n'ayant pas supporté le voyage. A partir de quelques graines retrouvées par hasard, il cultive son champ et crée son petit paradis. Mais la guerre ne s'arrête pas, elle, et bien vite le rattrape. Pourtant, malgré les emprisonnements, la cruauté et le dénuement, Michael K ne se pliera pas aux lois des hommes... Avec ce roman, J. M. Coetzee nous donne à lire une superbe parabole, à la fois sombre et éblouissante, sur la dignité humaine.

Ce résumé laisse présager un roman dans la même veine que "Moon Palace" de Paul Auster alors que ce n'est pas tout à fait ce qu'on retrouve. L'action est davantage explicite, soutenue, alors que dans les romans d'Auster, on a une intimité comme je m'y attendais après la lecture de cette quatrième de couverture. Dans le présent roman, on retrouve le même genre de manichéisme que dans les autres romans de Coetzee, notamment "En attendant les barbares" et "Disgrâce" où ce manichéisme se traduit par le "seul contre tous" que j'ai décrit lors d'une précédente chronique. Le personnage principal, souvent bon, semble totalement incompris. Dans un premier temps, il se referme sur lui-même pour ensuite jouir d'une seconde naissance spirituelle, une sagesse renouvelée, une humanité postapocalyptique à l'épreuve des plus grands fardeaux que peut lui apporter le commerce du monde. Avec Michael K, c'est un peu ce que l'on voit, avec le style d'écriture propre à Coetzee, un prix Nobel de littérature.

La première partie du roman est écrite avec le narrateur omniscient, mais dans une courte deuxième partie, la narration est faite à la première personne par un personnage secondaire qui côtoie Michael K. Quant à la troisième partie, elle reprend la narration à la troisième personne qu'elle avait délaissée dans la seconde partie. La forme du roman sort donc un peu des sentiers battus. Pour le contenu maintenant, on doit dire que l'histoire commence directement à la naissance de Michael K, lorsque la sage-femme découvre un handicap qui le suivra tout au long de sa vie, son bec-de-lièvre. Sa mère, personnage important du récit, s'appelle Anna K. (comme dans Anna Karénine de Tolstoï?). Et parlons maintenant du nom Michael K. Y a-t-il un lien à faire avec Kafka et son Joseph K ? Nous ne le saurons jamais même si l'on peut le croire. Parce que l'analogie à faire avec "Le procès" de Kafka est par moments évident. L'absurdité, surtout celle de la vie de Michael K, parcourt tout le roman. Cette existence qui se transformera en une quête incessante pour l'épicurisme (même si K. ne s'en doute pas étant donné son retard mental), celui d'Épicure, le vrai, où le bonheur ne signifie pas le plaisir à tout prix peu importe la douleur, mais bien "l'absence de douleur" qui conduit à l'ataraxie, le but ultime d'Épicure qui sera repris plus tard par Schopenhauer, un autre philosophe mal lu par nos contemporains. Coetzee nous ramène donc sur le vrai terrain de l'épicurisme et non sur celui de l'hédonisme postmoderne qui sert fallacieusement de référence pour décrire l'épicurisme. Mais cette quête de l'absolue par le personnage principal ne se fera pas sans heurts. Éduqué à l'écart, pour cause de malformation (le roman se rapproche sur ce point d'un classique de la littérature, "L'homme qui rit" de Victor Hugo), ridiculisé donc, élevé dans la honte, Michael K sera envoyé, durant sa jeunesse, avec d'autres enfants ayant un handicap. Cette jeunesse aura une incidence certaine sur la vie de K. Son désir de migrer vers la campagne, son désir d'être seul avec son jardin. D'accomplir ce que sa mère ne pourra pas faire parce qu'elle mourra en chemin. Finalement, K. affrontera l'enfer pour arriver au paradis.

En conclusion, comme pour ses autres romans, l'action évolue vite, étant donné que le bouquin n'est pas très long. En quelques pages, on peut sauter plusieurs années de la vie de Michael K. Et pour compléter mon introduction, il est important de savoir que Coetzee est peut-être à mille lieues de la splendeur esthétique de Paul Auster mais qu'il le regagne en efficacité, en réalisme et en humanité. Bien que j'aie préféré "En attendant les barbares", le roman est quand même excellent.

vendredi 9 août 2013

En attendant les barbares, J.M. Coetzee



Ma note: 8,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Dans un désert sans nom et un temps incertain, un Magistrat gère un fort qui marque la frontière de l'Empire. Le pouvoir central s'inquiète d'une invasion barbare et dépêche sur les lieux le colonel Joll, un tortionnaire de la pire espèce. Parmi les hommes et les femmes ramenés au fort et torturés, une jeune fille blessée attire l'attention du Magistrat qui finit par partir avec elle. Mais, rejeté par le peuple nomade dont elle est originaire, le Magistrat s'en retourne auprès des siens. Accusé de trahison, il va à son tour passer par les mains du bourreau... J.M. Coetzee, jouant ici sur la peur de l'autre et de l'inconnu qui mène parfois à la plus grande des cruautés, questionne les notions de liberté et de pouvoir au sein d'un Etat imaginaire qui n'est pas sans rappeler l'Afrique du Sud de l'apartheid.

"En attendant les barbares" est le troisième roman de Coetzee, de qui j'avais lu "L'homme ralenti", un roman plutôt moyen, et "Disgrâce" pour lequel j'avais été déçu étant donné les critiques toutes plus élogieuses les unes que les autres qu'il avait reçues. Par contre, j'ai adoré le présent roman. Ici, c'est l'angoisse de la terreur qui prend le dessus sur tout le reste. Il commence avec un décor de contrée sauvage qui m'a rappelé quelque peu les romans de Cormac McCarthy, notamment "De si jolis chevaux". Le récit est écrit au "je", ce qui amplifie l'angoisse intérieure dans un univers qui était déjà terrifiant de l'extérieur. Et cela, même si le type de narration est particulier en ce sens que le narrateur reste le plus neutre possible - si tant que cela est possible - et c'est donc avec une certaine objectivité que le récit se rend jusqu'à nous. Après avoir placé son décor, Coetzee nous raconte les péripéties du magistrat qui rencontre des malades, éclopés par ceux qui hantent la cité. Le narrateur est ce magistrat, responsable, bon, au service de l'Empire. Dans ce roman, le contraste manichéen est puissant. D'une part, il y a le magistrat qui est seul contre tous mais aussi, nous avons l'Empire qui affronte les barbares de crainte d'une invasion. La peur des barbares s'amplifie dans la région et elle parcourt tout le bouquin. D'où le concept que j'ai utilisé plus tôt : l'angoisse de la terreur. L'angoisse qui en résultera fort probablement à la guerre entre l'Empire et ces barbares.

Le personnage principal peut être vu comme une allégorie du Christ. Cependant, il vient un temps au cours de notre lecture où l'on se demande s'il est si bon que cela ou s'il se donne tout simplement le beau rôle. Il sort une jeune fille de la mendicité (elle est une barbare) pour la faire travailler dans les cuisines. Ensuite ce sont les racontars de la ville qui se feront de plus en plus persistants. Il va le payer cher. La suite est consacrée à la terreur, encore une fois, mais cette fois-ci ce sera celle de l'Empire, ce qui constitue un revirement du manichéisme. Finalement, il en reste, comme au départ, que le magistrat est seul contre tous, ce qui peut aussi servir d'allégorie de la vie en tant que telle.

L'écriture est simple, sans fioritures, sans artifices, d'une efficacité rare. Les romans de Coetzee sont courts, ce qui démontre, entre autres, qu'il veut s'en tenir à l'essentiel. Dans "Disgrâce" il n'y avait aucune chaleur au récit alors qu'il aurait dû en avoir. Mais avec "En attendant les barbares", cette absence rend l'histoire davantage crédible, le contexte se retrouvant parfaitement rendu. La tension est tellement forte, de même que l'horreur, et tout cela est merveilleusement accompagné d'une prose qui est proche de la poésie. Il n'y a pas de temporalité et nous ne savons pas sur quel territoire le récit est ancré, même si l'on peut deviner. En conclusion, je dois dire que c'est une lecture très passionnante où le grand talent de cet auteur éclate au grand jour.

jeudi 25 juillet 2013

L'innommable, Samuel Beckett



Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: « De même que Dante chemine de cercle en cercle pour atteindre son Enfer ou son Paradis, de même Samuel Beckett situe-t-il, chacun dans un cercle bien distinct, les trois principaux protagonistes des romans de sa trilogie, Molloy, Malone meurt et L'Innommable, afin qu'ils atteignent, peut-être, le néant auquel ils aspirent. D'un roman à l'autre, ce cercle est de plus en plus réduit. Le cercle imparti à l'Innommable se réduit à un point, c'est le trou noir au centre d'une galaxie, là où l'espace-temps se déforme, où tout est happé et s'engouffre sans pour autant disparaître. L'être qui réside en ce point est nécessairement sans nom puisqu'il s'agit de " je ”, ce “ moi ” à jamais non identifiable. Figé, le corps de l'Innommable est incapable du moindre mouvement. Cependant il a à parler. Ses précédents personnages, Molloy, Malone et les autres passent et repassent, tournant autour de lui. Ils semblent avoir ourdi un complot pour le contraindre à continuer d'être, le forcer donc à continuer de dire. Alors l'Innommable va créer d'autres mondes, donner voix à d'autres lui-même. Les personnages qu'il devra essayer d'être - avec lucidité, mais sans jamais se départir de son humour –, seront tour à tour Mahood, homme-tronc fiché dans une jarre, puis Worm, visage indistinct qui n'est qu'oreille tressaillante et terrible inquiétude d'un unique œil aux aguets. »

Dernier roman de la trilogie de Beckett. Il clôt en beauté cette trilogie même s'il est plus difficile à lire que les deux premiers. Parce que cette trilogie est de plus en plus à l'étroit. Ici, une chose (un humain?), à tout le moins un narrateur, est pris dans une jarre. Quant à "Malone meurt", le personnage principal était enfermé dans une chambre. Le langage s'effondre aussi. Voici l'incipit pour preuve :
"Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ? Sans me le demander. Dire je. Sans le penser. Appeler cela des questions, des hypothèses. Aller de l'avant, appeler ça aller, appeler ça de l'avant. Se peut-il qu'un jour, premier pas va, j'y sois simplement resté, où, au lieu de sortir, selon une vieille habitude, passer jour et nuit aussi loin que possible de chez moi, ce n'était pas loin. Cela a pu commencer ainsi. Je ne me poserai plus de question."
Il n'y a pas d'intrigue. Seulement qu'une suite de digressions autour du néant. Une voix, une chose, l'innommable ! Et c'est comme cela tout le roman. Un flux de pensées désincarné, une langue brutalisée, une matérialité inatteignable. Le narrateur ne veut pas se taire et il le dit : "Cependant je suis obligé de parler. Je ne me tairai jamais. Jamais." Pourquoi ne veut-il pas se taire ? Nous ne le saurons pas au début, mais ensuite cela s'éclaircit un peu. On est en droit de penser qu'il ne veut pas éteindre son pessimisme, son nihilisme.

Le narrateur parle ensuite des personnages antérieurs, des débuts de la trilogie. Il parle de Malone, celui qui inventait, imaginait, pour avancer jusqu'à sa mort. Des personnages éclopés il y en a beaucoup dans cette trilogie. Éclopé comme Beckett l'a été toute sa vie, poignardé par un inconnu dans les rues de Paris, ensuite il a eu des kystes dans la mâchoire, des doigts qui ne bougent plus. Voilà la vie de Beckett. Et ses personnages ? Des prisonniers de leurs psychismes surtout. Molloy, celui qui m'a le plus convaincu, était en même temps le plus pitoyable, quoiqu'il eût accès au "dehors". On doit lire cette trilogie en ordre : "Molloy" en premier, ensuite "Malone meurt" et pour finir, celui-ci, "L'innommable". Et avec ce dernier, nous assistons à la métafiction dans toute sa splendeur. La boucle est bouclée. L'imagination a pris le dessus sur le réel. Elle est plus forte, et comme le dirait Emily Dickinson, elle est plus grande que le ciel.

En terminant, même si "L'innommable" (et "Malone meurt") n'atteignent peut-être pas la puissance intellectuelle, narrative et romanesque de "Molloy", je ne crois pas que l'on puisse en parler sans parler du "tout". Ces livres marqueront la littérature du 20e siècle par une virtuosité rarement égalée. Le narrateur de "L'innommable" (qui lui se rapproche dangereusement de Beckett) ne parle pas seulement des personnages de cette trilogie mais aussi de toute l'oeuvre précédente de Samuel Beckett. Cela agrandit encore plus une perspective qui était gigantesque au départ. Bref, ces romans sont sombres, profonds, non-humains, trop humains !

mercredi 17 juillet 2013

Malone meurt, Samuel Beckett



Ma note: 8,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: « De même que Dante chemine de cercle en cercle pour atteindre son Enfer ou son Paradis, de même Samuel Beckett situe-t-il, chacun dans un cercle bien distinct, les trois principaux protagonistes des romans de sa trilogie, Molloy, Malone meurt et L'Innommable, afin qu'il atteignent, peut-être, le néant auquel ils aspirent. D'un roman à l'autre, ce cercle est de plus en plus réduit. Beaucoup plus à l'étroit que Molloy, voici donc Malone figé dans une chambre close, gisant quasi immobile dans son lit, attendant sa mort prochaine. Le seul cheminement apparemment possible est celui du regard qu'il pose sur les objets qui l'entourent. Cependant Malone possède un crayon et un cahier : il va écrire. II va décrire son état par le menu, de façon tout à la fois savoureuse et bouleversante, mais aussi il va enfin s'exiler de soi vers la périphérie où réside l'imaginaire : il va pouvoir inventer. " Vivre et inventer. (...) vivre, faire vivre, être autrui, en moi, en autrui. ”. Dès lors, ce sont d'incessants allers et retours du centre jusqu'à la circonférence, cet ailleurs où prennent vie les personnages rocambolesques qu'il crée. “ Et doucement mon petit espace vrombit, à nouveau. Vous me direz que c'est dans ma tête, et il me semble souvent en effet que je suis dans une tête, que ces huit, non, ces six parois sont en os massif, mais de là à dire que c'est ma tête à moi, non, ça jamais. ” Malone gagne ce domaine périphérique où tantôt il semble s'inventer lui-même, tantôt il se métamorphose en l'un ou l'autre des personnages qu'il invente. Est-il encore Malone ou serait-il devenu Macmann ? Les limites deviennent floues, la frontière s'abolit entre l'écrivain Malone et ses personnages, comme aussi, fort subtilement, entre l'écrivain Samuel Beckett et Malone, son personnage. Malone meurt est l'œuvre dans laquelle, avec un humour extrême, une acuité et un sens poétique infinis, Samuel Beckett s'exprime le plus explicitement sur l'acte d'écrire et sur la complexité des rapports entre un écrivain, sa création et ses créatures. » « Malone meurt apparemment va plus loin. (...) Il n'y a que la chambre, le lit, il y a le bâton avec lequel celui qui meurt attire et repousse les choses, augmentant par là le cercle de son immobilité. (…) Malone, comme Molloy, c'est un nom et une figure, et c'est aussi une suite de récits, mais ces récits ne reposent plus sur eux-mêmes ; loin d'être racontés pour que le lecteur y croie, ils sont dénoncés aussitôt dans leur artifice d'histoires inventées. »

"Malone Meurt" est le deuxième roman d'une trilogie qui débuta avec le stupéfiant "Molloy" et qui se terminera avec "L'innommable" que je lirai tout de suite après cette chronique. Beckett a écrit ces trois romans en français, bien que sa langue maternelle soit l'anglais, peut-être pour se démarquer (et écrire autre chose) de son mentor James Joyce. Beckett est un pionnier de la littérature du néant et pour certaines parties de la littérature métafictionnelle. C'est pourquoi plusieurs spécialistes de la littérature le considèrent comme le meilleur écrivain du 20e siècle au côté de Marcel Proust. Mais Samuel Beckett est mon préféré (de ces deux auteurs), parce qu'il est (selon moi), le seul écrivain, de par son style dépouillé et précis, qui permet au lecteur de rentrer dans la tête de ses personnages.

Et pour ce roman en tant que tel, je dois dire que dès le départ, toutes les qualités de l'écriture de Beckett ressurgissent. Le narrateur, Malone (ou Beckett?) nous annonce sa mort pour le mois d'avril ou mai. Le ton est donné. Il est pessimiste, il souhaite la souffrance aux autres, se considère récompensé par cette mort qui approche. Beckett joue avec la langue, comme lui seul sait le faire, les "je" foisonnent, le narrateur est égoïste, narcissique, introverti. On sent que cette prose lui fait bonheur, et que pour une fois, il peut vraiment exprimer le fond de sa pensée. Beckett semble se projeter dans ce personnage, comme il se projette à la fin de sa vie. En somme, il se pense déjà mort, cette condamnation que la plupart d'entre nous refusons de voir. Alors que dans "Molloy" le pessimisme de Becket s'exprimait dans la "nature" avec le personnage principal qui léchait les pierres de la forêt ravageuse, ici avec "Malone meurt" un autre roman extraordinaire, on est enfermé avec le narrateur dans une chambre inconnue et avec le pouvoir de l'imagination comme seul salut. La forme du roman alterne entre les histoires qu'il nous raconte et sa vie dans sa chambre. Il garde sa prose épurée à l'extrême, d'une froideur sans nom et va à l'essentiel. On est touché au plus profond de notre être.

La littérature du néant offre davantage de beauté (selon moi) que celle du réalisme. Peut-être que cela est dû à la langue et au vocabulaire qui se prête pour ce genre d'exercice ou c'est peut-être tout simplement que les auteurs avec le plus de talent écrivent sur ces sujets. Par contre, cette trilogie de Beckett va plus loin que le simple roman nihiliste. Fondamentalement, c'est une trilogie sur l'imagination comme remède à la vie. L'auteur ne nous cache rien. Il invite le romanesque par les histoires qu'invente le narrateur et aussi par la prise de contrôle de son propre roman. En plus d'Elfriede Jelinek qui est sans aucun doute sa plus digne héritière, on voit un grand attachement de Paul Auster pour l'oeuvre de Beckett. La chambre où est confiné un personnage, un protagoniste qui se voit confier la mission de surveiller quelqu'un d'autre, la métafiction, les mises en abymes, sont tous des sujets et des formes maintes fois employés par Auster par l'influence de Samuel Beckett.

mardi 9 juillet 2013

Opération Shylock, Philip Roth



Ma note: 6/10

Voici la quatrième de couverture: En face de Philip Roth, personnage central de cette confession, un deuxième Philip Roth, un homonyme, un imposteur. Et ce sosie parfait, ce double monstrueux, s'est mis en tête de faire retourner «chez eux» - en Pologne, en Ukraine, en Allemagne - les Juifs venus d'Europe vivant en Israël.Tout se noue en quelques jours à Jérusalem, pendant le procès de John Demjanjuk, un Ukrainien alors suspecté d'être le «bourreau de Treblinka». Ajoutons que Philip Roth relève d'une profonde dépression, qu'il se fait passer pour le Philip Roth qu'il n'est pas, et que le Mossad s'en mêle...Opération Shylock est un livre pétillant d'intelligence et d'humour. C'est aussi l'émouvant bilan d'un homme entièrement investi dans son œuvre.

Selon moi, c'est le roman de Philip Roth le moins intéressant (et le moins bon aussi). Il reprend un peu la même forme et surtout les mêmes thèmes que "La contrevie", que je venais tout juste de lire. On croirait, et Roth en fait mention dans le bouquin, qu'il est un chapitre de "La contrevie", même s'il s'étire sur 600 pages. Et c'est là son plus grand défaut.

Commençant avec une fausse préface où l'auteur essaie d'ajouter un élément de réel à toute cette histoire (en plus d'avoir ajouté "Une confession" au titre de l'ouvrage), on devine dès le début que tout ceci est absurde. Le double est une invention de Roth lui-même, le vrai, pour montrer la possibilité qu'apporte le pouvoir de la création (comme dans "La contrevie" où cette fois-là, Roth utilisait les mises en abymes et son alter ego littéraire Nathan Zukerman). Et contrairement à la plupart de ses autres romans, "Opération Shylock" a une résonance universelle où la politique est omniprésente, de même que les complots qui en dérivent. Mais l'histoire commence avec un Philip Roth (le vrai?) en dépression, souffrant d'anxiété, suicidaire, perdant ses points de repère avec la réalité, ce qui explique peut-être (et je dis bien peut-être) l'apparition de son double. Roth cherche à se soigner, et peu après, reçoit un appel l'informant de l'existence de son double. Il doit donc partir à sa recherche pour rétablir cet imbroglio à Jérusalem. Il assiste ainsi au procès d'un bourreau, nous raconte l'horreur des camps de concentration. Ensuite, il rencontre son double, et se met à imaginer toutes les maladies dont pourrait souffrir son double ou bien toutes les hypothèses de cette situation plus qu'absurde. S'ensuit presqu'un cours d'histoire sur les Juifs, Israël, Jérusalem (là où se déroule l'action), etc. Il tourne ensuite autour du débat sur la diaspora juive (est-ce le salut juif tant espéré?) et revient pendant de nombreuses pages sur sa relation avec son double qui lui, n'est peut-être pas si menteur que cela. Et ensuite, dans la deuxième moitié, l'histoire devient un peu n'importe quoi.

Dans ce roman-ci, on retrouve les thèmes que sont le sionisme, la judaïcité, l'antisémitisme, avec un mélange de l'autobiographie de Philip Roth. C'est une sorte de suite métafictionnelle de "La contrevie" qui lui aussi était métafictionnel. Philip Roth est un grand lecteur de Dostoïevski et il est donc facile d'imaginer qu'il se soit inspiré du roman "Le double" pour écrire "Opération Shylock". De plus, le narrateur souffre un peu des mêmes tourments existentiels. Dostoïevski est même cité dans le roman, par sa plus belle réplique de "Crime et châtiment".

Roth est un excellent romancier et bien que je sois très déçu de ce roman, il ne peut pas vraiment écrire de mauvais livres. Après celui-ci, il écrira quatre chefs-d'oeuvre, coup sur coup, ses quatre meilleurs romans, avec "Le théâtre de Sabbath", "Pastorale américaine", "J'ai épousé un communiste" et "La tache". C'est, pour moi, et de loin, la période faste de Philip Roth (il avait entre 62 et 67 ans) que l'on pourrait comparer aux années miraculeuses de Dostoïevski qui écrivit "Crime et châtiment", "Le joueur", "L'idiot", "L'éternel mari" et "Les possédés" entre 1866 et 1871. Avec Philip Roth, le plus grand plaisir que j'éprouve est de relire continuellement ses livres, mais ici, je crois que l'on est en face de son pire roman.

mardi 2 juillet 2013

La contrevie, Philip Roth



Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: La contrevie est le roman d'hommes et de femmes qui réalisent leur rêve de prendre un nouveau départ et d'échapper au cours censément irréversible de la destinée - parfois au péril de leur vie. Où qu'ils se trouvent, ces personnages se laissent tenter par la perspective d'une existence de rechange, à rebours de la voie tracée. La conscience du romancier Nathan Zuckerman éclaire ces vies en transit et nous fait visiter les paysages du livre, familiers ou lointains mais toujours riches de sens. Sa vision d'ensemble, son intelligence sceptique évaluent le prix à payer pour qui veut réécrire son destin personnel ou infléchir l'histoire, que ce soit dans le cabinet dentaire d'une banlieue résidentielle du New Jersey, un village ancestral du Gloucestershire, une église du West End à Londres, ou une minuscule colonie israélienne en Cisjordanie.

Selon moi, "La contrevie" est un roman plutôt moyen de Philip Roth. Le roman commence de cette façon : Nathan Zuckerman, écrivain et personnage récurrent chez Roth, doit écrire l'éloge funèbre de son frère décédé. Mais il n'y parvient pas. L'écrivain Zuckerman est davantage tenté, comme chaque auteur, de raconter cette vie de façon autofictionnelle. Et la vie d'Henry, le frère de Nathan, c'est Philip Roth qui commence à nous la raconter dans les premières pages du récit, avec un chapitre écrit à la troisième personne, entrecoupé d'un récit découvert parmi un vieux journal intime qu'il tenait sur Henry. Ensuite, on assiste à la rencontre de Nathan, au moment des funérailles, avec des connaissances d'Henry. (C'est le talent de Roth d'esquisser une peinture de la vie américaine par le truchement de la biographie des personnages). Le deuxième chapitre est écrit à la première personne, par Nathan Zuckerman, qui se retrouve en Israël (il y rencontre même le Premier ministre). Zuckerman (Roth?) parle de sa condition de juif, et aussi, de la condition mondiale des Juifs. Nathan est en fait sur les traces de son frère dentiste (le même Henry) avant qu'il ne meurt. Roth en profite pour critiquer les Juifs au passage comme il le fait souvent dans ses romans (il est lui-même juif soit dit en passant). Il retrouve un frère complètement changé après avoir eu des problèmes cardiaques. Nathan reprend ensuite l'avion pour écrire à Henry.

Je ne peux m'aventurer plus loin dans l'histoire parce que j'en dirais trop. Ce roman offre quelques surprises. Disons simplement qu'il est question d'attentats terroristes, le thème du judaïsme (et du sionisme) et d'Israël revient plusieurs fois, des relations de Nathan et d'Henry (une sorte de rivalité s'installe) et pour la forme, on y retrouve différentes narrations (avec différents narrateurs), de la métafiction (des mises en abyme), les rôles des personnages changent (et pas à peu près), etc. On est presque dans le recueil de nouvelles. Et aussi, je dirais que c'est le roman de Philip Roth (j'en ai lu une vingtaine) qui se rapproche le plus de l'oeuvre de Paul Auster. Mais contrairement à lui, Roth n'a pas réécrit sans cesse le même roman comme Auster l'a fait. La plupart des critiques s'entendent ainsi pour dire que Philip Roth est un meilleur écrivain.

Nathan Zuckerman est selon moi le personnage de Roth le plus intéressant (ce qui inclut Mickey Sabbath). C'est l'alter ego littéraire de Roth qui lui ressemble le plus. Par contre, pour "La contrevie", l'auteur n'a pas une idée forte comme pour "La tache" (l'identité) et "Pastorale américaine" (le terrorisme et sa relation avec la famille stéréotypée américaine). Ici, il n'y a rien de vraiment intéressant qui solidifie le socle du roman. Parce qu'au fond, quel est le thème dominant de "La contrevie" ? Le pouvoir de la création ? Le judaïsme ? La vie de quotidienne des Zuckerman (de Philip Roth) ? Les thèmes de Roth sont souvent accrocheurs, mais pour le présent roman, ils m'ont ennuyé.

  Pour conclure, attardons-nous un peu sur le style d'écriture de cet auteur (qui lui, est toujours réussi). Avec Philip Roth, ce n'est pas la beauté de la prose qui se démarque, qui nous enchante. C'est davantage l'ensemble de l'oeuvre ; il a un souffle, sa plume est rythmée, etc. Ainsi, par ses romans, Philip Roth ne réussit peut-être pas à nous toucher par la beauté de l'art romanesque, mais il parvient certainement à toucher notre esprit. Malgré un roman avec plusieurs défauts, c'est quand même une bonne lecture.