jeudi 25 juillet 2013

L'innommable, Samuel Beckett



Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: « De même que Dante chemine de cercle en cercle pour atteindre son Enfer ou son Paradis, de même Samuel Beckett situe-t-il, chacun dans un cercle bien distinct, les trois principaux protagonistes des romans de sa trilogie, Molloy, Malone meurt et L'Innommable, afin qu'ils atteignent, peut-être, le néant auquel ils aspirent. D'un roman à l'autre, ce cercle est de plus en plus réduit. Le cercle imparti à l'Innommable se réduit à un point, c'est le trou noir au centre d'une galaxie, là où l'espace-temps se déforme, où tout est happé et s'engouffre sans pour autant disparaître. L'être qui réside en ce point est nécessairement sans nom puisqu'il s'agit de " je ”, ce “ moi ” à jamais non identifiable. Figé, le corps de l'Innommable est incapable du moindre mouvement. Cependant il a à parler. Ses précédents personnages, Molloy, Malone et les autres passent et repassent, tournant autour de lui. Ils semblent avoir ourdi un complot pour le contraindre à continuer d'être, le forcer donc à continuer de dire. Alors l'Innommable va créer d'autres mondes, donner voix à d'autres lui-même. Les personnages qu'il devra essayer d'être - avec lucidité, mais sans jamais se départir de son humour –, seront tour à tour Mahood, homme-tronc fiché dans une jarre, puis Worm, visage indistinct qui n'est qu'oreille tressaillante et terrible inquiétude d'un unique œil aux aguets. »

Dernier roman de la trilogie de Beckett. Il clôt en beauté cette trilogie même s'il est plus difficile à lire que les deux premiers. Parce que cette trilogie est de plus en plus à l'étroit. Ici, une chose (un humain?), à tout le moins un narrateur, est pris dans une jarre. Quant à "Malone meurt", le personnage principal était enfermé dans une chambre. Le langage s'effondre aussi. Voici l'incipit pour preuve :
"Où maintenant ? Quand maintenant ? Qui maintenant ? Sans me le demander. Dire je. Sans le penser. Appeler cela des questions, des hypothèses. Aller de l'avant, appeler ça aller, appeler ça de l'avant. Se peut-il qu'un jour, premier pas va, j'y sois simplement resté, où, au lieu de sortir, selon une vieille habitude, passer jour et nuit aussi loin que possible de chez moi, ce n'était pas loin. Cela a pu commencer ainsi. Je ne me poserai plus de question."
Il n'y a pas d'intrigue. Seulement qu'une suite de digressions autour du néant. Une voix, une chose, l'innommable ! Et c'est comme cela tout le roman. Un flux de pensées désincarné, une langue brutalisée, une matérialité inatteignable. Le narrateur ne veut pas se taire et il le dit : "Cependant je suis obligé de parler. Je ne me tairai jamais. Jamais." Pourquoi ne veut-il pas se taire ? Nous ne le saurons pas au début, mais ensuite cela s'éclaircit un peu. On est en droit de penser qu'il ne veut pas éteindre son pessimisme, son nihilisme.

Le narrateur parle ensuite des personnages antérieurs, des débuts de la trilogie. Il parle de Malone, celui qui inventait, imaginait, pour avancer jusqu'à sa mort. Des personnages éclopés il y en a beaucoup dans cette trilogie. Éclopé comme Beckett l'a été toute sa vie, poignardé par un inconnu dans les rues de Paris, ensuite il a eu des kystes dans la mâchoire, des doigts qui ne bougent plus. Voilà la vie de Beckett. Et ses personnages ? Des prisonniers de leurs psychismes surtout. Molloy, celui qui m'a le plus convaincu, était en même temps le plus pitoyable, quoiqu'il eût accès au "dehors". On doit lire cette trilogie en ordre : "Molloy" en premier, ensuite "Malone meurt" et pour finir, celui-ci, "L'innommable". Et avec ce dernier, nous assistons à la métafiction dans toute sa splendeur. La boucle est bouclée. L'imagination a pris le dessus sur le réel. Elle est plus forte, et comme le dirait Emily Dickinson, elle est plus grande que le ciel.

En terminant, même si "L'innommable" (et "Malone meurt") n'atteignent peut-être pas la puissance intellectuelle, narrative et romanesque de "Molloy", je ne crois pas que l'on puisse en parler sans parler du "tout". Ces livres marqueront la littérature du 20e siècle par une virtuosité rarement égalée. Le narrateur de "L'innommable" (qui lui se rapproche dangereusement de Beckett) ne parle pas seulement des personnages de cette trilogie mais aussi de toute l'oeuvre précédente de Samuel Beckett. Cela agrandit encore plus une perspective qui était gigantesque au départ. Bref, ces romans sont sombres, profonds, non-humains, trop humains !

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