Ma note:
8,5/10
Voici la présentation de l'éditeur: « De même que Dante chemine de cercle en cercle pour atteindre son Enfer ou son Paradis, de même Samuel Beckett situe-t-il, chacun dans un cercle bien distinct, les trois principaux protagonistes des romans de sa trilogie, Molloy, Malone meurt et L'Innommable, afin qu'il atteignent, peut-être, le néant auquel ils aspirent. D'un roman à l'autre, ce cercle est de plus en plus réduit. Beaucoup plus à l'étroit que Molloy, voici donc Malone figé dans une chambre close, gisant quasi immobile dans son lit, attendant sa mort prochaine. Le seul cheminement apparemment possible est celui du regard qu'il pose sur les objets qui l'entourent. Cependant Malone possède un crayon et un cahier : il va écrire. II va décrire son état par le menu, de façon tout à la fois savoureuse et bouleversante, mais aussi il va enfin s'exiler de soi vers la périphérie où réside l'imaginaire : il va pouvoir inventer. " Vivre et inventer. (...) vivre, faire vivre, être autrui, en moi, en autrui. ”. Dès lors, ce sont d'incessants allers et retours du centre jusqu'à la circonférence, cet ailleurs où prennent vie les personnages rocambolesques qu'il crée. “ Et doucement mon petit espace vrombit, à nouveau. Vous me direz que c'est dans ma tête, et il me semble souvent en effet que je suis dans une tête, que ces huit, non, ces six parois sont en os massif, mais de là à dire que c'est ma tête à moi, non, ça jamais. ” Malone gagne ce domaine périphérique où tantôt il semble s'inventer lui-même, tantôt il se métamorphose en l'un ou l'autre des personnages qu'il invente. Est-il encore Malone ou serait-il devenu Macmann ? Les limites deviennent floues, la frontière s'abolit entre l'écrivain Malone et ses personnages, comme aussi, fort subtilement, entre l'écrivain Samuel Beckett et Malone, son personnage. Malone meurt est l'œuvre dans laquelle, avec un humour extrême, une acuité et un sens poétique infinis, Samuel Beckett s'exprime le plus explicitement sur l'acte d'écrire et sur la complexité des rapports entre un écrivain, sa création et ses créatures. » « Malone meurt apparemment va plus loin. (...) Il n'y a que la chambre, le lit, il y a le bâton avec lequel celui qui meurt attire et repousse les choses, augmentant par là le cercle de son immobilité. (…) Malone, comme Molloy, c'est un nom et une figure, et c'est aussi une suite de récits, mais ces récits ne reposent plus sur eux-mêmes ; loin d'être racontés pour que le lecteur y croie, ils sont dénoncés aussitôt dans leur artifice d'histoires inventées. »
"Malone Meurt" est le deuxième roman d'une trilogie qui débuta avec le stupéfiant "Molloy" et qui se terminera avec "L'innommable" que je lirai tout de suite après cette chronique. Beckett a écrit ces trois romans en français, bien que sa langue maternelle soit l'anglais, peut-être pour se démarquer (et écrire autre chose) de son mentor James Joyce. Beckett est un pionnier de la littérature du néant et pour certaines parties de la littérature métafictionnelle. C'est pourquoi plusieurs spécialistes de la littérature le considèrent comme le meilleur écrivain du 20e siècle au côté de Marcel Proust. Mais Samuel Beckett est mon préféré (de ces deux auteurs), parce qu'il est (selon moi), le seul écrivain, de par son style dépouillé et précis, qui permet au lecteur de rentrer dans la tête de ses personnages.
Et pour ce roman en tant que tel, je dois dire que dès le départ, toutes les qualités de l'écriture de Beckett ressurgissent. Le narrateur, Malone (ou Beckett?) nous annonce sa mort pour le mois d'avril ou mai. Le ton est donné. Il est pessimiste, il souhaite la souffrance aux autres, se considère récompensé par cette mort qui approche. Beckett joue avec la langue, comme lui seul sait le faire, les "je" foisonnent, le narrateur est égoïste, narcissique, introverti. On sent que cette prose lui fait bonheur, et que pour une fois, il peut vraiment exprimer le fond de sa pensée. Beckett semble se projeter dans ce personnage, comme il se projette à la fin de sa vie. En somme, il se pense déjà mort, cette condamnation que la plupart d'entre nous refusons de voir. Alors que dans "Molloy" le pessimisme de Becket s'exprimait dans la "nature" avec le personnage principal qui léchait les pierres de la forêt ravageuse, ici avec "Malone meurt" un autre roman extraordinaire, on est enfermé avec le narrateur dans une chambre inconnue et avec le pouvoir de l'imagination comme seul salut. La forme du roman alterne entre les histoires qu'il nous raconte et sa vie dans sa chambre. Il garde sa prose épurée à l'extrême, d'une froideur sans nom et va à l'essentiel. On est touché au plus profond de notre être.
La littérature du néant offre davantage de beauté (selon moi) que celle du réalisme. Peut-être que cela est dû à la langue et au vocabulaire qui se prête pour ce genre d'exercice ou c'est peut-être tout simplement que les auteurs avec le plus de talent écrivent sur ces sujets.
Par contre, cette trilogie de Beckett va plus loin que le simple roman nihiliste. Fondamentalement, c'est une trilogie sur l'imagination comme remède à la vie. L'auteur ne nous cache rien. Il invite le romanesque par les histoires qu'invente le narrateur et aussi par la prise de contrôle de son propre roman. En plus d'Elfriede Jelinek qui est sans aucun doute sa plus digne héritière, on voit un grand attachement de Paul Auster pour l'oeuvre de Beckett. La chambre où est confiné un personnage, un protagoniste qui se voit confier la mission de surveiller quelqu'un d'autre, la métafiction, les mises en abymes, sont tous des sujets et des formes maintes fois employés par Auster par l'influence de Samuel Beckett.
Très bon commentaire.j'ai particulièrement aimé l'audace de classer Beckett avant Proust. Ce a quoi j'adhère. Oui, l'un des plus grands du 20eme siecle, si ce n'est le plus grand ...
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