tag:blogger.com,1999:blog-58069372531687520792024-03-12T19:20:02.575-04:00LITTÉRATUREjimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.comBlogger383125tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-57973959813876562682016-09-01T07:00:00.000-04:002018-05-04T09:23:42.060-04:00L'envers du paradis, Francis Scott Fitzgerald<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-KuzFFB3pvZo/V8a6yeoNm-I/AAAAAAAAD18/7P0Z81eV7-gVBbkh1x33tMZhyQh2E91CACLcB/s1600/157098-gf.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://3.bp.blogspot.com/-KuzFFB3pvZo/V8a6yeoNm-I/AAAAAAAAD18/7P0Z81eV7-gVBbkh1x33tMZhyQh2E91CACLcB/s320/157098-gf.jpg" width="210" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture: Alors, soudain, tout changea, quand se leva le premier vent violent du succès et le délicieux voile de brume qu'il apporte. C'est un temps très bref et précieux, - car lorsque cette brume s'élève, en quelques semaines ou en quelques mois, on trouve que le meilleur est passé. Cela commença à l'automne 1919, J'étais comme un seau vide, si abruti après avoir écrit tout l'été que je m'étais embauché pour réparer les toits des wagons dans les ateliers de la Northern Pacific. C'est alors que le facteur sonna à ma porte, et ce jour-là je plaquai mon travail et je courus dans les rues, arrêtant les autos pour dire à mes amis et connaissances que mon roman, <i>L'Envers du Paradis</i>, avait été accepté par un éditeur. Cette semaine-là, le facteur sonna et sonna, et je payai mes terribles petites dettes, achetai un costume et me réveillai chaque matin dans un monde d'excitation et de promesses ineffables.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans <i>Genius</i>, Harold Bloom parle de 100 auteurs pour lesquels il voulait écrire et Fitzgerald en fait partie :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Like his equivocal friend, Hemingway, Francis Scott Key Fitzgerald has joined American literary mythology. <i>The Great</i> <i>Gatsby</i> (1925) is a short novel of genius ; it and a few stories center Fitzgerald's legacy. after <i>Gatsby</i>, there were fifteen years of falling off, and then the Keastsian novelist died. Like nearly everyone else, I have written about <i>The Great Gatsby</i> several times before, but never from the perspective of testing the book's genius. In the nineteenth century, our national myth was Ralph Waldo Emerson's American Adam. The American Dream tended to be our characteristic myth in the twentieth century, and Scott Fitzgerald was both the prime celebrant and the great satirist of that dream-turned-nightmare. Now, at the start of the twenty-first century, it is unclear, just what - if anything - we entertain as a sustaining myth. Shall we say, in this new Gilded Age of George W. and his Robber Barons, Boom or Bust ? Scott Fitzgerald is reputed to have possessed by memory all of T.S. Eliot's <i>Waste Land</i> (1922), allusions to wich populate <i>The Great Gatsby.</i> The subtlest allusion, though, is to Keats's "Eve of Saint Agnes," as I will show, and perhaps the poetic dialect of The Great Gatsby is its enforced attempt to fuse the incompatible strains of Keats and of Eliot. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En plus de jouir de l'estime d'Harold Bloom, Fitzgerald est l'auteur préféré d'un monument des lettres contemporaines, Haruki Murakami. Celui-ci est surtout fasciné par <i>Gatsby</i> et il dit :</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « One of Fitzgerald’s themes is maturity—individual maturity and society’s maturity. He was in his 20s in the 1920s, a very special time for American society. His youth and society’s youth closely corresponded to each other and synchronized in a way. America was enjoying an unprecedented economic boom, and the young Fitzgerald was enjoying fame. The novel <i>Gatsby </i>was born almost by itself in the innocent fever of such times. But despite that fact, the novel itself is not innocent at all. Fitzgerald apparently captured a dark side of the noisy and tumultuous boom time.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Et il ajoute :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> We meet a lot of people in our lives, and there are fateful encounters among them. Such encounters can sometimes change your life completely.Such encounters can often open up new doors and close others. You sometimes feel your whole being has completely changed from how it was beforehand. My encounter with <i>The Great Gatsby</i> was of that nature. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Fitzgerald est probablement le premier écrivain, avec Hemingway, du genre littéraire qu'ils ont créé, si l'on peut dire. En fait, c'est davantage un mouvement littéraire et il a pour nom "Génération perdue". De plus, aucun de ses épigones de la seconde moitié du XXe siècle n'aura réussi à s'élever à cette hauteur. Je pense notamment à Bret Easton Ellis. Si l'on peut reprocher quelque chose à Fitzgerald, c'est d'avoir écrit de telle façon qu'il est facile à imiter mais impossible à égaler. Cela a donné de très mauvais écrivains, parce que pour construire une histoire de débauche et de révolte, il faut avoir un grand vécu et une expérience "fine" de la vie, et ainsi, ne pas s'être engagé à fond dans le monde des livres et surtout dans celui de l'écriture. Un n'empêche peut-être pas l'autre complètement, mais il y a seulement 24 heures dans une journée et lire (et écrire) beaucoup est irréconciliable avec une grande expérience de la vie. Comme on s'en rend compte dans les biographies de Fitzgerald, celui-ci a pu acquérir une grande expérience de la vie (comme Hemingway, Kerouac, etc) et presque par miracle, il a pu rendre compte de cette expérience dans ses livres, qui sont merveilleusement bien écrits. <i>Gatsby le magnifique</i> est de ces rares moments littéraires qui révolutionna la littérature (il plaît à presque la totalité des grands lecteurs) en donnant l'impression au lecteur de vivre une expérience étrange, un peu en retrait du monde, et cela en étant tout à fait original pour son époque (je dirais même qu'il est encore original de nos jours).</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Avec <i>L'envers du paradis</i>, on remonte aux racines de ce mouvement et cela en fait une oeuvre plus proche de l'épigone que j'ai nommé plus haut (même si de nos jours, ce roman se lit d'une façon différente parce que nos moeurs ne sont pas les mêmes et conséquemment, il dérange moins). Ce livre est le premier de Fitzgerald et l'on suivra les tribulations d'Amory Blaine. Le bouquin est divisé en deux livres de neuf chapitres et il y a un intermède entre les deux livres. Le premier livre intitulé "L'égotiste romantique" montre l'enfance atypique d'Amory : « Il n'avait pas dix ans qu'elle le nourrissait d'extraits des Fêtes galantes ; à onze ans, il était capable de parler de façon éloquente, sinon très personnelle, de Brahms, Mozart, Beethoven. Un après-midi, se trouvant seul à l'hôtel de Hot Springs, il goûta au cordial à l'abricot de sa mère ; le goût lui plut, il s'enivra. Ce fut d'abord très amusant, mais, dans son exaltation, il essaya une cigarette et succomba à une réaction vulgaire, plébéienne. Tout en horrifiant Béatrice, cet incident l'amusa secrètement, et s'inclut dans ce qu'une génération postérieure eût appelé son "genre" ». Tout au long de notre lecture nous rencontrerons des poèmes et l'intermède sera fait de lettres. Fitzgerald essaie de jouer avec plus ou moins de succès avec la forme. La narration se fera à la 3e et 2e personne. Amory Blaine ira étudier la littérature à Princeton University. Amory a tout pour lui mais il est surtout arrogant, très jeune il croyait déjà qu'il aurait un futur rêvé. Il écrira de la poésie à Princeton et lorsqu'il ira à Minniapolis il entretiendra une relation avec Isabelle Borgé, une compagne qu'il avait connue lorsqu'il était jeune. Dans l'intermède, on saura qu'il est à la Première Guerre mondiale et lorsqu'il reviendra dans le deuxième livre, on le retrouvera à New York dans une histoire d'amour impossible. Amory est l'archétype du déterminisme social et biologique, pris dans une époque de grand bouleversement où le paradis, encore une fois, n'est qu'illusion inatteignable.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans le premier livre, Amory se rebellera, mais il avait quand même hérité des traits de sa mère : « De sa mère, Amory Blaine avait hérité tous ses traits, sauf ceux, d'une qualité rare et indéfinissable, qui faisaient sa valeur. Son père, inefficace, confus, avec un goût marqué pour Byron et l'habitude de s'assoupir sur L'encyclopoedia Britannica, devint riche à trente ans, par la mort de ses deux frères aînés, courtiers à Chicago, et, dans la première griserie de sentir le monde lui appartenir, s'en fut à Bar Harbor où il fit la connaissance de Béatrice O'Hara. En conséquence, Stephen Blaine transmit à la postérité sa taille de 1 m 80 et sa tendance à hésiter aux moments critiques, caractéristiques qui se retrouvèrent chez son fils Amory. Pendant de nombreuses années, il flotta à l'arrière-plan de sa famille, silhouette effacée dont la chevelure molle, soyeuse, oblitérait le visage, se vouant en permanence à "prendre soin" de sa femme, harcelé par l'idée qu'il ne la comprenait pas et ne pouvait la comprendre. »</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Dans le <i>Don</i> de Nabokov des poèmes étaient aussi essaimés ici et là et Fitzgerald reprend un peu la même chose (mais avant Nabokov). Nabokov a plus de talent que Fitzgerald, dans la poésie aussi, mais on retrouve un peu de la même ironie dans leurs poèmes et ici en particulier, lorsque le métier de professeur est tourné en dérision, un thème fréquemment abordé par Nabokov. Dans celui-ci, Amory Blaine a écrit une satire sur les professeurs populaires :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Bonjour, Idiot...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Trois fois par semaine,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Impuissants, nous t'écoutons parler,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Tromper la faim de nos âmes</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Avec les "oui" mielleux de ta philosophie...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Eh bien, voici ton troupeau de moutons,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Dévide tes platitudes... nous dormons.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Tu es érudit, prétend-on ;</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Tu as pondu l'autre jour un syllabus,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Seule connaissance que nous ayons</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">De quelque grimoire disparu;</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Tu avais fouiné dans le moisi des siècles,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Rempli tes narines de poussière,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Puis dans un gigantesque éternuement</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Tu publias, en t'en sortant...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Mais j'ai là mon voisin de droite,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Âne bâté, qui passe pour un astre;</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Il pose des questions....</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">A la fin de l'heure</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il sera debout près de toi, l'oeil</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Sincère et les doigts nerveux,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Pour t'expliquer qu'il a passé la nuit</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> A ronger ton livre comme une taupe.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ah, tu seras timide, et lui</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Simulera la précocité,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Et, pédants tous deux, vous minauderez,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">L'oeil clignotant, et vite retournerez</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">A vos chères études...</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Voici une semaine aujourd'hui, monsieur, que vous m'avez</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Rendu une dissertation, où j'appris</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">(Grâce à divers commentaires dans la marge</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Par vous griffonnés) que je défiais</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Les lois premières de l'exégèse</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Pour me payer de mots faciles...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « En êtes-vous vraiment si sûr ? »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ou « Shaw ne fait pas autorité ! »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Mais l'âne bâté, avec ses prestations,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Fait des ravages dans vos appréciations. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Publié en 1920, le titre de ce roman reprend un vers du poème de Robert Brooke "Tiare Tahiti". Une chose qui m'avait frappé avec <i>Gatsby le magnifique</i> était l'aisance qu'avait Fitzgerald à jouer avec le rythme, en le plaçant, lorsqu'il le voulait, dans une sorte d'état d'apesanteur, dans une volupté, avec une lenteur mesurée alors que <i>L'envers du paradis</i>, comme la plupart des premiers romans, se lance dans une fièvre et une fureur de l'écriture qui donne un résultat assez mitigé parce que la rapidité du déroulement de l'action est trop grande. Le pire exemple d'un premier roman raté (sur ce point) est <i>Moins que zéro</i> de Bret Easton Ellis. <i>L'envers du paradis</i> n'est pas selon moi un grand roman, en tout cas il n'arrive certainement pas à la grande qualité de <i>Gatsby le magnifique</i>. Par contre, il est intéressant, parce qu'il nous permet de prendre conscience que l'on tient, dès les débuts de Fitzgerald, un véritable talent d'écrivain, quelqu'un dont on sait avec certitude, ou presque, que le meilleur est devant lui. Ce qui, bien sûr, sera confirmé plus tard. Un autre aspect intéressant avec ce roman, c'est la pièce de théâtre, ou quelque chose qui s'en rapproche, qui sera utilisée pour certaines parties du roman. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pietro Citati a déjà écrit un livre sur Fitzgerald et sa femme Zelda. Il disait, dans le passage où il parle de <i>L'envers du paradis</i> : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le 3 avril 1920, son premier roman, L'envers du paradis, était sorti depuis neuf jours : en deux jours, trois mille exemplaires furent vendus, et en un an, quarante-neuf mille - un chiffre énorme pour l'époque. « À ma grande stupeur, écrivit Fitzgerald en 1932, je ne fus pas adopté comme un provincial du Midwest, ni comme l'archétype de ce que New York désirait. » Il avait écrit pour les jeunes de sa génération et se sentait leur frère : les garçonnes et les jeunes gens de l'université, son public personnel, le considéraient comme une sorte d'oracle. Ou peut-être n'était-ce pas vrai : il n'avait écrit pour personne, ou bien pour lui-même et pour Zelda, pour les démons de sa jeunesse et ceux du futur, qui s'annonçaient déjà entre les lignes. » </span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">En terminant, voici deux dernières citations qui peuvent vous donner une meilleure idée du style de Fitzgerald. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Amory rougit, invisible par chance sous le rideau de pluie et de vent. Ils étaient assis l'un en face de l'autre dans un léger renfoncement du foin, recouverts en grande partie par l'imperméable, et par l'eau pour le reste. Amory essayait désespérément d'apercevoir Psyché, mais les éclairs refusaient de briller, et il attendait avec impatience. Grands dieux ! Si elle n'tait pas belle, si elle était âgée de quarante ans et pédante... Seigneur ! Et si, simple supposition, elle était folle ? Mais il eut honte de cette idée. La Providence lui envoyait une jeune fille pour le distraire comme elle avait envoyé à Benvenuto Cellini des hommes à assassiner, et il se demandait si elle était folle, simplement parce qu'elle s'accordait exactement à son humeur. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Tout en considérant son corps comme un frêle organisme, elle pensait son âme tout aussi malade, et donc importante dans sa vie. Elle avait jadis été catholique, mais, ayant trouvé les prêtres infiniment plus attentifs quand elle risquait de perdre ou de retrouver la foi dans l'Eglise mère, elle entretenait une attitude merveilleusement fluctuante. Elle déplorait souvent le caractère bourgeois du clergé catholique américain, et elle avait la certitude que, si elle avait vécu à l'ombre des grandes cathédrales européennes, la petite flamme de son âme eût encore brûlé sur l'autel du Vatican. Cependant, après les docteurs, les prêtres étaient son sport favori. "Ah, Monseigneur", déclarait-elle à l'évêque Wiston, "je ne veux pas parler de moi. J'imagine le flot de femmes hystériques qui affluent à votre porte, implorant votre sympathie...", et puis, après un interlude rempli par l'ecclésiastique : "...Mais mon histoire est étrangement particulière. " Elle ne révélait qu'à un évêque, pour le moins, son idylle cléricale. A son premier retour en Amérique, elle avait rencontré à Ashville un jeune païen imprégné de Swinburne dont les baisers passionnés et la conversation peu sentimentale lui avaient inspiré un sérieux penchant - ils discutaient ensemble avec une attirance intellectuelle dépourvue de mièvrerie. Par la suite, elle avait décidé de se marier pour acquérir une position, et le jeune païen d'Ashville avait traversé une crise spirituelle, s'était converti au catholicisme et était maintenant... Monsignor Darcy. »
</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-18681729781788316982016-08-22T07:16:00.001-04:002016-08-27T07:19:16.099-04:00Austerlitz, W. G. Sebald<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-A5GlKKFs7kg/V7m7INo0krI/AAAAAAAAD1s/0cBDJIKhn_sYTZQwwPmG12HLKrSerryegCLcB/s1600/product_9782070312443_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://2.bp.blogspot.com/-A5GlKKFs7kg/V7m7INo0krI/AAAAAAAAD1s/0cBDJIKhn_sYTZQwwPmG12HLKrSerryegCLcB/s320/product_9782070312443_195x320.jpg" width="194" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : L'ultime roman de W. G. Sebald nous fait connaître la vie de Jacques Austerlitz, un homme hanté par une appréhension obscure, lancé dans la recherche de ses origines. Par ce portrait saisissant d'un émigrant déraciné, fragile, érudit et digne, l'auteur élève une sorte d'anti-monument pour tous ceux qui, au cours de l'Histoire, se retrouvent pourchassés, déplacés, coupés de leurs racines – sans jamais en comprendre la raison ni le sens. La vulnérabilité douce et secrète de Sebald et de ses personnages hors du commun, leur façon d'être tour à tour gagnés par la beauté du monde et la souffrance qu'il engendre font que ses œuvres s'inscrivent dans la mémoire comme des événements majeurs.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il y a des chefs-d'oeuvre en littérature qui sont extrêmement difficiles à terminer, pour une raison ou pour une autre, et que l'on admire pour leur qualité, mais parfois qui nous tombent des mains, que l'on peine à terminer. Il y a de ces auteurs que l'on ne lit pas souvent mais pour qui l'on a une admiration sans bornes. Il y en a d'autres que l'on admire un peu moins, mais que l'on (re)lit très souvent. Parmi les chefs-d'oeuvre difficiles à terminer, trois particulièrement me viennent à l'esprit : <i>Les frères Karamazov</i> de Dostoïevski, <i>Enfants des morts</i> d'Elfride Jelinek et <i>Méridien de</i> <i>sang</i> de Cormac McCarthy. Avec d'autres, par contre, c'est tout le contraire. Ce sont les chefs-d'oeuvre que l'on termine facilement. <i>Feu pâle</i> de Nabokov est peut-être le meilleur exemple. Et je placerais <i>Austerlitz</i> parmi ceux qui sont très faciles à terminer, tellement que l'on reste accroché du début à la fin.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Sebald me rappelle beaucoup un autre critique-écrivain que j'admire, et j'ai nommé Pietro Citati. Celui-ci dit qu'il doit s'inspirer, pour pouvoir écrire, de quelque chose d'autres, du réel peut-être, de la littérature écrite avant lui. Ses meilleurs livres sont <i>La pensée chatoyante</i>, <i>La mort du papillon</i> et <i>Leopardi</i>. Sebald aussi semble s'appuyer, pour écrire ses livres, sur quelque chose de concret, de vécu ou écrit avant lui. Et son recueil de chroniques <i>La description du malheur</i> est ce qu'on peut faire de mieux dans la critique littéraire. Selon mes intérêts en littérature, W. G. Sebald est peut-être l'écrivain parfait de notre époque. Il a un style digne des plus grands romanciers. Ses idées sur la littérature et ses critiques des plus grands classiques (je pense ici à Kafka) se comparent en qualité à celles des meilleurs critiques (Harold Bloom et George Steiner) et parmi les essayistes et biographes, rares sont ceux qui peuvent faire aussi bien que lui. L'ancien secrétaire du comité du Nobel de littérature a déjà dit que Sebald aurait pu recevoir le Nobel s'il n'était pas disparu subitement (il est mort d'une crise cardiaque au volant de sa voiture). Sebald partage avec Schopenhauer une relation haineuse avec l'Allemagne. Il se sentait plus à son aise au Royaume-Uni. Il ne comprenait pas l'absence d'écrits su</span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">r la fin de la deuxième guerre mondiale. Il était aussi un farouche anti-nazi. Il a écrit des essais extraordinaires sur la littérature autrichienne, entre autres.
<i>Austerlitz</i> a reçu le </span><span style="color: #444444; font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><span style="background-color: white; font-weight: bold; line-height: 18.2px; text-align: left;">National Book Critics Circle</span><span style="background-color: white; line-height: 18.2px; text-align: left;"> </span><span style="background-color: white; font-weight: bold; line-height: 18.2px; text-align: left;">award</span></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">, comme le <i>2666</i> de Roberto Bola</span><span style="background-color: white; color: #545454; line-height: 18.2px; text-align: left;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ñ</span></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">o et cette récompense est somme toute assez rare pour les écrivains de langues étrangères.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> L'histoire de Jacques Austelitz aurait pu faire partie du recueil de Sebald <i>Les émigrants</i> parce qu'il reprend un peu les mêmes thèmes avec ces deux livres. Ce sont des histoires tragiques de personnes déracinées assez tôt dans leur vie. De plus, Sebald emploie le même procédé dans la structure, soit de placer des images un peu partout dans le texte, et aussi de les incorporer au bon endroit pour conserver une lecture "fluide". Cela n'est pas l'idée du siècle, j'en conviens, mais elle est quand même originale et donne une plus-value au lecteur. Cependant, avec Sebald, ce n'est pas ce qui compte. Il a une plume extraordinaire et ici, il nous raconte l'histoire de cet historien de l'architecture européenne. Et c'est à partir du milieu du roman que l'on en apprendra plus. Il fit ses études à Oxford pour devenir universitaire. Sa mère était une actrice et une chanteuse d'Opéra qui fut déportée dans les camps de concentration. Par un hasard, il visionne un film de propagande et croit reconnaître sa mère dans la vidéo. Par chance, Austerlitz n'est jamais arrivé dans ces prisons et il fut élevé par un pasteur. Austerlitz est un érudit de première. Ce livre est "littérature" de même qu'un travail de reconstruction de la mémoire en tant que tel. Je dois dire cependant que tout est subtil dans ce bouquin et de dégager une intrigue principale est chose pernicieuse. C'est plus un dialogue entre deux personnes qu'un récit écrit dans les règles de l'art.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ce livre n'a pas de paragraphes, il est proche de l'oeuvre de Thomas Bernhard sans les nombreuses répétitions (et Bernhard contrairement à Sebald ne voulait rien savoir de décrire la nature, les objets, etc. Pour lui, tout se passait dans la tête, dans l'esprit, et nous retrouverons un peu de cela dans <i>Austerlitz</i> de Sebald (de même qu'un peu de répétitions) mais il est beaucoup moins radical que Bernhard). Les digressions sont légion ici, de même que les longues phrases. Comme je le disais, <i>Austerlitz</i> est en fin de compte un dialogue entre le narrateur et Jacques Austerlitz. Mais c'est </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">probablement le meilleur livre sur la recherche du passé dans les camps de concentration. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Malgré le fait que l'on peut rapprocher ce livre du </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><i>Neveu de Wittgenstein</i></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> de Bernhard, </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><i>Austerlitz</i></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> (et Sebald) sont beaucoup moins pessimistes, et l'on sent, par sa prose en tant que telle, qu'il conserve un léger espoir dans l'humain, dans la vie. Tout n'est pas sombre avec Sebald, contrairement à Bernhard, qui est sans aucun doute l'un de nos écrivains les plus noirs. Sebald est beaucoup plus effacé dans son récit que Bernhard et sur ce point, il se rapproche davantage d'un Handke. Disons, par contre, qu'il a les deux en très haute estime.</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le narrateur, à une époque récente, raconte une histoire qui a commencé en 1967. Et cette année-là sera marquée par sa rencontre avec Austerlitz. Dans le bouquin elle arrive à la cinquième page :
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« L'une des personnes qui attendaient dans la salle des pas perdus était Austerlitz, à l'époque, en 1967, encore presque jeune d'allure avec ses cheveux blonds étrangement frisés, seulement comparables à ceux du héros allemand Siegfried dans les Nibelungen de Fritz Lang. Ce jour-là, à Anvers, comme à chacune de nos rencontres ultérieurs, il portait de lourdes chaussures de marche montantes, une sorte de pantalon de travail en calicot bleu délavé et la veste d'un costume sur mesure depuis longtemps passée de mode ; et outre cette apparence extérieure il se distinguait également des autres par le fait qu'il n'avait pas comme eux le regard vide et absent, mais était occupé à coucher sur le papier des notes et esquisses relatives, semblait-il, à cette salle d'apparat où nous nous trouvions, davantage conçue, selon moi, pour accueillir des délégations officielles que des voyageurs en attente de la prochaine correspondance vers Paris ou Ostende ; car lorsqu'il n'était pas penché sur ses feuilles, il portait son attention, longuement parfois, sur l'alignement des fenêtres, les pilastres cannelés ou autres détails et parties de l'édifice. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ce livre est une biographie un peu à la manière d'Emmanuel Carrère (mais en meilleur). Le narrateur se met en scène avec selon toute vraisemblance un mélange de faits et de fiction. On peut voir dans la prochaine citation que l'incipit appartient au narrateur (et plus tard il bifurquera vers Austerlitz) :
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">«Dans la seconde moitié des années soixante, pour des raisons tenant en partie à mes recherches et en partie à des motivations que moi-même je ne saisis pas très bien, je me suis rendu à plusieurs reprises d'Angleterre en Belgique, parfois pour un jour ou deux seulement, parfois pour plusieurs semaines. Au cours de l'une de ces excursions belges, qui toujours me donnaient l'impression de voyager très loin en terre étrangère, je me retrouvai, par un jour radieux de l'été commençant, dans une ville qui jusqu'alors ne m'était connue que de nom, Anvers. Dès l'arrivée, lorsque le train franchit à faible allure le viaduc flanqué des deux côtés de bizarres tourelles pointues pour s'immobiliser sous la sombre verrière de la gare, je fus saisi par un sentiment de malaise qui persista tout le temps que dura mon séjour en Belgique. Je me rappelle encore que mes pas incertains m'ont mené en zigzag par les artères du centre-ville, Jeruzalemstraat, Nachtegaalstraat, Pelikanstraat, Paradijsstraat, Immerseelstraat et beaucoup d'autres rues et ruelles, et que finalement, en proie aux maux de tête et aux idées noires, j'ai trouvé refuge dans le jardin zoologique de l'Astridplein, à proximité immédiate de la gare centrale. En attendant d'aller un peu mieux, je suis resté assis dans la pénombre, sur un banc près d'une volière où serins et pinsons s'agitaient tous sens dans une débauche de couleurs. L'après-midi déclinait lorsque j'ai traversé le parc et suis entré pour finir au Nocturama, rouvert depuis seulement quelques mois. Mes yeux ont mis un bon moment à s'habituer à l'obscurité artificielle qui règne en ce lieu et à distinguer derrière les vitres les différents animaux vivant leur vie crépusculaire à la lueur d'une lune blafarde. »</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Comme le neveu de Wittgenstein, Austerlitz est de ces personnages qui auront été oubliés par l'histoire. L'écrivain, par nature rebelle et contestataire, décide de réécrire en quelque sorte une histoire qui n'aurait jamais vu le jour autrement. <i>Austerlitz </i>est le roman de tous les contrastes : lourd et léger en même temps, véridique et fictionnel, sombre et lumineux. La principale différence entre <i>Les émigrants</i> et celui-ci, est que le premier évoque le destin de quatre personnages avec de courts textes alors que <i>Austerlitz</i> prend plus de 300 pages pour une seule personne. J'adore ces livres à la frontière de plusieurs genres : le roman, la biographie, les mémoires. De plus, ce n'est pas tout à fait le narrateur qui parle. Il emprunte aussi aux livres historiques, à la sociologie, à la psychologie, etc. Mais <i>Austerlitz</i> est avant tout une histoire personnelle. Le vocabulaire de Sebald est impressionnant, la traduction réussie, le rythme toujours parfaitement contrôlé, la phrase riche (autant de sens que de style).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">En terminant, le style puissant parcourt un roman au sujet déjà intéressant. À chaque page nous pouvons admirer le talent de Sebald. En voici deux autres exemples, en commençant par le thème du temps qui est très présent dans </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><i>Austerlitz</i></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « De cette femme blonde oxygénée à la chevelure dressée sur sa tête comme un gros nid d'oiseau, Austerlitz dit au détour d'une phrase qu'elle était la déesse des temps révolus. Il y avait effectivement, sur le mur derrière elle, au-dessus des armoiries au lion du royaume de Belgique, une impressionnante horloge au cadran jadis doré, noirci à présent par la fumée de tabac et la suie des chemin de fer, sur lequel se déplaçait une aiguille d'environ six pieds. Pendant les pauses de notre discussion, nous prenions l'un et l'autre la mesure du temps infini que mettait à s'écouler une seule minute, et nous étions chaque fois effrayés, bien que ce ne fût pas une surprise, par la saccade de cette aiguille pareille au glaive de la justice, qui arrachait à l'avenir la soixantième partie d'une heure puis tremblait encore une fraction de seconde, lourde d'une menace qui nous glaçait presque les sangs. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Ce genre d'associations d'idées qu'Anvers semblait m'inspirer spontanément explique sans doute que la salle d'attente, aujourd'hui transformée, autant qu'il m'en souvienne, en cantine pour le personnel, me soit apparue comme un second Nocturama, par un effet de surimpression qui, naturellement, tient peut-être aussi au fait qu'au moment précis où je pénétrais dans le lieu le soleil disparaissait derrière les toits de la ville. Sur le mur opposé aux baies de la façade, l'éclat d'or et d'argent qui se reflétait dans les gigantesques glaces ternies jetait encore ses dern</span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">iers feux, emplissant d'une lueur sépulcrale la salle où, disséminés, étaient assis quelques voyageurs immobiles et silencieux. Un peu comme les animaux du Nocturama, parmi lesquels se trouvait un nombre surprenant de races naines, de minuscules fennecs, gerbilles et hamsters, ces voyageurs, en raison de la hauteur extraordinaire de la verrière ou encore de l'obscurité croissante, m'apparaissaient rétrécis, et c'est pourquoi, je présume, m'a effleuré l'idée évidemment absurde qu'ils étaient les derniers représentants d'un peuple de taille réduite, disparu ou chassé de sa terre, de spécimens qui, parce qu'ils étaient les seuls à survivre, avaient sur le visage la même expression d'accablement que les bêtes du zoo. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-49017123731911405792016-08-12T07:22:00.000-04:002016-08-12T09:16:52.412-04:00J'avoue que j'ai vécu, Pablo Neruda<a href="https://4.bp.blogspot.com/-KqxZYyO9C1Y/V6ybHZ9FkpI/AAAAAAAAD1c/F92lZt5WlFcNmp3zexTXty0KTiHl1BGpwCLcB/s1600/product_9782070378227_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://4.bp.blogspot.com/-KqxZYyO9C1Y/V6ybHZ9FkpI/AAAAAAAAD1c/F92lZt5WlFcNmp3zexTXty0KTiHl1BGpwCLcB/s320/product_9782070378227_195x320.jpg" width="194" /></a><br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture :«Peut-être n'ai-je pas vécu en mon propre corps : peut-être ai-je vécu la vie des autres», écrit Pablo Neruda pour présenter ces souvenirs qui s'achèvent quelques jours avant sa mort par un hommage posthume à son ami Salvador Allende. Les portraits d'hommes célèbres - Aragon, Breton, Eluard, García Lorca, Picasso - côtoient les pages admirables consacrées à l'homme de la rue, au paysan anonyme, à la femme d'une nuit. À travers eux se dessine la personnalité de Neruda, homme passionné, attentif, curieux de tout et de tous, le poète qui se révèle être aussi un merveilleux conteur.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">J'ai l'habitude de commencer, lorsque c'est possible, avec une citation d'Harold Bloom et celle-ci n'est pas tirée de son magnifique "Genius" mais bien de "The Western Canon" qui est tout aussi intéressant. Il dit que Neruda est incomparable au 20e siècle :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Pablo Neruda is by general consent the most universal of those poets and can be regarded as Whitman's truest heir. The poet of Canto general is a worthier rival than any other descendant of Leaves of Grass, a difficult statement for me, as a lover of Hart Crane and Wallace Stevens, to make. I am skeptical whether Neruda, for all his variety and intensity, truly was of Whitman's eminence, or of Emily Dickinson's, but no Western hemisphere poet of our century sustain a full comparison to him. His unfortunate Stalinism is frequently an excrescence, a king of wart on the texture of his poems, but except in a few places it does not greatly mar Canto general. Neruda, in his relationship to Whitman, followed Borges' pattern : initial discipleship, followed by denunciation, culminating in a complex revision of Whitman in the poet's later works. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Je continue en vous présentant un extrait du premier poème de <i>Résidence sur la terre</i>, un recueil de Neruda, qui, selon moi, résume subtilement son autobiographie:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> «
Comme des cendres, comme des mers se peuplant,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">dans la lenteur submergée, dans l'informe,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ou comme on entend du haut des chemins</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">la traversée en croix des coups de cloches,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">avec ce son déjà distinct du métal,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">confus, songeur, tombant en poussière</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">dans le même moulin que les formes trop lointaines,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ou évoquées ou non vues,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">et le parfum des prunes qui roulant à terre</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">pourrissent dans temps, infiniment vertes.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Tout cela si rapide, si vivant,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">immobile toutefois, comme la poulie folle sur elle-même,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ces roues de moteur, enfin.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Existant comme les aspérités sèches sur les coutures de</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> l'arbre,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">silencieux, alentour, de telle sorte</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">que les feuilles entremêlent leurs tiges.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">D'où, par où, sur quel rivage ?</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Le bétail fidèle, instable, aussi muet,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">que les lilas autour du couvent,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ou l'arrivée de la mort sur la langue du boeuf</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> qui tombe à grand fracas, s'écroule et dont les cornes veulent sonner.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voilà pourquoi, dans l'immobile, en s'arrêtant, percevoir,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">alors, comme une palpitation immense, au-dessus,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">comme des abeilles mortes ou des nombres,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">ah ! ce que mon coeur pâle ne peut embrasser,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> à travers des multitudes, à travers des larmes à peine surgissant,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">et des efforts humains, des tempêtes,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">de noires actions découvertes soudainement</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">comme</span> des glaces, <span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">vaste désordre,</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">océanique, pour moi qui entre en chantant,</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">comme avec une épée parmi les sans-défense</span>.
»</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Je critique rarement des biographies sur le blogue et quand je l'ai fait, j'essayais de choisir des autobiographies, comme celle d'Amos Oz, la meilleure que j'avais lue avant de lire celle de Neruda. Par contre, de ce que j'ai lu d'Amos Oz, son autobiographie est ce qu'il a écrit de meilleur alors que la chose n'est pas si claire avec Neruda, parce que son oeuvre colossale nous offre une qualité exceptionnelle. Le Chili est une pépinière infinie d'écrivain talentueux et l'Amérique du sud semble avoir dominé les lettres mondiales de la seconde moitié du siècle.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"> <span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">J'ai déjà entendu à maintes reprises que les meilleurs prosateurs sont les poètes. Je pense à Nietzsche notamment lorsqu'il disait que Leopardi était l'un des meilleurs pour écrire de la prose. Les poètes ont le don de trouver le mot juste, de se lancer dans l'écriture en toute liberté et en n'usant pas de clichés, et cela en ayant un vocabulaire riche et varié. Cela s'applique pour la poésie et les vers qu'ils écrivent mais cela vaut aussi selon moi pour la prose. Neruda est sans aucun doute l'un des plus grands poètes du 20e siècle et avec ce livre, cette autobiographie, il parvient par le travail de la mémoire, à nous faire revivre la grandeur de sa conscience et de sa vie au niveau des phénomènes, avec une facilité déconcertante. C'est le genre de livre que l'on lit et où l'on se dit : « Je dois me mettre à l'écriture, c'est facile ! ». Nous sommes ainsi piégés par cette fausse simplicité, cette facilité apparente qui n'en est pas une. L'écriture est ardue, mais pour un génie comme Neruda, ce fait est plus complexe à analyser parce que notre perception, lorsqu'on lit Neruda, se transforme et nous voyons une certaine facilité dans l'acte d'écrire. Il écrit comme un dieu. Et dernièrement, j'en ai eu une autre preuve en lisant son chef-d'oeuvre poétique écrit sur 20 ans <i>Résidence sur la terre</i>.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: large;"> <span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">Neruda est né Ricardo Eliécer Neftali Reyes Basoalto au début du 20e siècle et il meurt en 1973, ce qui en fait un citoyen du 20e siècle à part entière. Et ce fait n'est pas anodin lui qui aura marqué ce siècle par ses écrits mais aussi politiquement (il était entre autres admiré par un homme comme Pierre Falardeau) en étant d'abord consul un peu partout sur la planète et en côtoyant ensuite les plus grands politiciens du siècle (en ce moment même les autorités chiliennes enquêtent pour savoir si le général Pinochet n'aurait pas fait tuer Neruda par empoisonnement). Il devint lui-même politicien dans le parti communiste chilien mais est exilé et pourra donc voyager beaucoup. Son appui aux bolcheviques de Staline lui donnera une mauvaise réputation plus tard dans sa vie et après sa mort surtout. Il obtint le Prix Nobel de littérature en 1971 pendant qu'il travaille à Paris pour le gouvernement Allende du Chili.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ces faits biographiques sont (un peu) présents dans son autobiographie mais tout est tellement subtil, tout part tellement de la conscience de l'auteur, qu'on peine à voir les grandes lignes de sa vie. Au tout début il y a un avertissement de Neruda où l'on peut voir le style nérudien, sa poétique qui m'a rappelé quelque peu les lettres de Kafka à Milena :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Ces Mémoires ou souvenirs sont intermittents et parfois oublieux parce que, précisément, la vie est ainsi. L'intermittence du sommeil permet de supporter les jours de travail. Nombre de mes souvenirs se sont estompés en les évoquant ; ils sont tombés en poussière comme un cristal irrémédiablement blessé. Les Mémoires du mémorialiste ne sont pas les Mémoires du poète. Le premier a peut-être moins vécu mais il a davantage photographié et il nous récrée par la précision des détails. Le second nous offre une galerie de fantômes secoués par le feu et l'ombre de leur époque. Peut-être n'ai-je pas vécu dans mon propre corps ; peut-être ai-je vécu la vie des autres. De tout ce que j'ai laissé écrit dans ces pages se détacheront toujours - comme des forêts à l'automne et comme à l'époque des vendanges - les feuilles jaunes qui vont mourir et le raisin qui revivra dans le vin sacré. Ma vie est une vie faite de toutes les vies : les vies du poète. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Les mémoires de Neruda sont parfois interrompues, pour le plaisir de nos yeux, par des "morceaux" de prose ce qui renforce encore plus un texte déjà magnifique. En voici un exemple :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Toutes ces œuvres d'art... Elles sont si nombreuses que le monde ne sait plus où les mettre... Il faut les accrocher hors des maisons... Et tous ces livres... Toutes ces plaquettes... Qui est capable de les lire ?... Si seulement on pouvait les manger... Si dans une crise de voracité nous pouvions en faire des salades, les hacher, les assaisonner... Nous en sommes repus... Nous en avons par-dessus la tête... Le monde étouffe sous leur marée... Reverdy me disait : "J'ai demandé à la poste de ne plus me les apporter. Je n'arrivais pas à les ouvrir et la place me manquait. Ils grimpaient le long des murs, j'ai craint une catastrophe, ils allaient s'effondrer sur ma tête..." Vous connaissez tous T.S. Eliot... Avant d'être peintre, de diriger des théâtres et d'écrire des critiques lumineuses, il lisait mes poèmes... Je me sentais flatté... Personne ne les comprenait mieux que lui... Jusqu'au jour où il a commencé à me lire les siens et où j'ai fui, égoïstement, en protestant : " Non, ne me lisez rien, ne me lisez rien "... Je me barricadai dans les toilettes mais Eliot, à travers la porte, me lisait ses vers... Une tristesse énorme m'envahit... Le poète écossais Frazer était présent... Il me chapitra : " Pourquoi traites-tu Eliot de cette façon ? "... »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dès le début, Neruda avoue que le personnage principal de son enfance fut la pluie :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je dirai pour commencer cette évocation des jours et des années de mon enfance que le seul personnage que je n'ai pu oublier fut la pluie. La grande pluie australe qui tombe du Pôle comme une cataracte, depuis le ciel du cap Horn jusqu'à la Frontière. Sur cette Frontière - Far West de ma patrie - je naquis à la vie, à la terre, à la poésie et à la pluie. Ayant beaucoup vu et beaucoup circulé, il me semble que cet art de pleuvoir qui s'exerçait comme une subtile et terrible tyrannie sur mon Araucanie natale a cessé d'exister. Il pleuvait des mois entiers, des années entières. La pluie tombait en fils pareils à de longues aiguilles de verre qui se brisaient sur les toits ou qui arrivaient en vagues transparentes contre les fenêtres ; et chaque maison était un vaisseau qui regagnait difficilement son port sur cet océan hivernal. Cette pluie froide du sud de l'Amérique n'a pas les violences impulsives de la pluie chaude qui s'abat comme un fouet et qui disparaît en laissant le ciel bleu. Bien au contraire, la pluie australe se montre patiente et continue à tomber interminablement du haut du ciel gris. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Neruda ne se contente pas d'écrire platement sur sa mémoire, parce que comme je le disais, il y glisse de la prose poétique. L'incipit était d'ailleurs de cette forme lorsqu'il décrivait la forêt chilienne :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> «... Sous les volcans, auprès des glaciers, entre les grands lacs, le parfum, le silence, l'enchevêtrement de la forêt chilienne... Les pieds s'enfoncent dans le feuillage mort, une branche fragile a crépité, les raulis géants dressent leur stature hérissée, un oiseau de la sylve froide passe, bat des ailes, s'arrête dans les branchages noirs. Et puis, de sa cachette, sa voix s'élève comme un hautbois... Mon nez reçoit et transmet à mon âme l'odeur sauvage du laurier, l'essence indéfinissable du boldo... Le cyprès des Guaïtecas me barre le chemin... C'est un monde verticale : une nation d'oiseaux, une foule de feuilles... Je trébuche sur une pierre, je gratte la cavité découverte, une </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">énorme araignée aux cheveux rouges me regarde de ses yeux fixes, immobile, grosse comme une écrevisse... Un carabe doré me crache son effluve méphitique tandis que disparaît comme un éclair son radieux arc-en-ciel... Poursuivant, je traverse un bois de fougères beaucoup plus grands que moi : celles-ci laissent choir de leurs yeux verts et froids soixante larmes sur mon visage et font frémir longtemps encore derrière moi leurs éventails... Un tronc pourri : ô quel trésor !... Des champignons noirs et bleus lui ont donné des oreilles, de rouges plantes parasites l'ont couvert de rubis, d'autres plantes paresseuses lui ont prêté leurs barbes et, rapide, un serpent jaillit de ses entrailles putréfiées, telle une émanation, comme si s'échappait l'âme de ce tronc mort... Plus loin, chaque arbre s'est séparé de ses semblables... Ils se dressent sur le tapis de la forêt secrète, et chaque feuillage, linéaire, frisé, branchu, lancéolé, a un style différent, comme coupé par des ciseaux aux mouvements infinis... Une ravine ; sous l'eau transparente elle glisse sur le jaspe et le granit... Un papillon pur comme un citron vole en dansant entre l'eau et la lumière... A mon côté, des myriades de calcéolaires me saluent de leurs petites têtes jaunes... Là-haut, gouttes artérielles de la forêt magique, ondulent les copihues rouges (Lapageria rosea)... Le copidue rouge est la fleur du sang, le copihue blanc est la fleur de la neige. Dans un frisson de feuilles la vélocité d'un renard a traversé le silence, mais le silence est la loi de ces feuillages... a peine le cri lointain d'un vague animal... L'intersection pénétrante d'un oiseau caché... L'univers végétal susurre à peine jusqu'au moment où une tempête déclenche toute la musique terrestre. Qui ne connaît pas la forêt chilienne ne connaît pas cette planète. C'est de ces terres, de cette boue, de ce silence que je suis parti cheminer et chanter à travers le monde. »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Lorsqu'on lit Neruda, autant en prose qu'en vers, la qualité de son style est tellement grande que la littérature pour moi peut devenir mystique. Ici, il effectue une brillante et subtile analyse de sa vie, de sa conscience, avec les matériaux qu'il connaît le mieux : les mots, la beauté, l’élégance, le bon goût. Il entremêle quelques-uns des plus puissants thèmes de la poésie : l'espace, le temps, la vie et la mort. Tel un Marcel Proust chilien, Neruda réussit à nous éblouir par la force de ses souvenirs et une prose digne des plus grands classiques qui l'ont précédé. Maestro de l'écriture, Neruda à travers ces pages, devient le "moi" de l'Amérique du sud. En se rapprochant de leur "moi", les grands écrivains comme Amos Oz, Alice Munro et Neruda parviennent à toucher au sublime, à la perfection littéraire par leur propre vécu souvent grandiose. Au début du bouquin, nous sommes informés que ces mémoires ont été interrompues par la mort de Neruda. Mathilde Neruda et Miguel Otero Silva se sont chargés de la contexture définitive de l'original. Malgré cet avertissement du début, nous ressortons grandi de cette lecture, où il y a parfois, malgré la douceur, des déferlements de vagues. Contrairement à plusieurs autres lecteurs, je préfère les biographies écrites par le sujet lui-même, surtout lorsqu'il est poète, parce que j'ai le sentiment que l'on est plus proche d'une certaine vérité, en tout cas plus proche de la vérité "subjective", de la vérité de l'âme.</span>..</div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En terminant, voici un extrait d'une entrevue avec Roberto Bolano, un de mes écrivains préférés. Je pensais aussi à tort que Neruda pourrait être un de ses précurseur.... :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">«</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Q. Which authors would you number among your precursors? Borges? Cortázar? Nicanor Parra? Neruda? Kafka? In Tres you write: “I dreamt that Earth was finished. And the only human being to contemplate the end was Franz Kafka. In heaven, the Titans were fighting to the death. From a wrought-iron seat in Central Park, Kafka was watching the world burn.” </span></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">A. I never liked Neruda. At any rate, I would never call him my one of precursors. Anyone who was capable of writing odes to Stalin while shutting his eyes to the Stalinist terror doesn’t deserve my respect. Borges, Cortázar, Sábato, Bioy Casares, Nicanor Parra: yes, I’m fond of them. Obviously I’ve read all of their books. I had some problems with Kafka, whom I consider the greatest writer of the twentieth century. It wasn’t that I hadn’t discovered his humor; there’s plenty of that in his books. Heaps. But his humor was so highly taut that I couldn’t bear it. That’s something that never happened to me with Musil or Döblin or Hesse. Not with Lichtenberg either, an author I read frequently who fortifies me without fail.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Musil, Döblin, Hesse wrote from the rim of the abyss. And that is commendable, since almost nobody wagers to write from there. But Kafka writes from out of the abyss itself. To be more precise: as he’s falling. When I finally understood that those had been the stakes, I began to read Kafka from a different perspective. Now I can read him with a certain composure and even laugh thereby. Though no one with a book by Kafka in his hands can remain composed for very long. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">»</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-35527904785420878132016-08-01T07:09:00.000-04:002016-08-02T11:07:42.957-04:00Mort à crédit, Céline<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-SGGVbIKuWH4/V54ikrrl_mI/AAAAAAAAD0o/sjHQvcgAVlsCJ6ZP8qyRXC_kQWtZQMpPQCLcB/s1600/9782070376926-fr-300.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://1.bp.blogspot.com/-SGGVbIKuWH4/V54ikrrl_mI/AAAAAAAAD0o/sjHQvcgAVlsCJ6ZP8qyRXC_kQWtZQMpPQCLcB/s320/9782070376926-fr-300.jpg" width="191" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Voici la quatrième de couverture: Un roman foisonnant où Céline raconte son enfance et sa jeunesse :
« C'est sur ce quai-là, au 18, que mes bons parents firent de bien tristes affaires pendant l'hiver 92, ça nous remet loin.
C'était un magasin de "Modes, fleurs et plumes". Y avait en tout comme modèles que trois chapeaux, dans une seule vitrine, on me l'a souvent raconté. La Seine a gelé cette année-là. Je suis né en mai. C'est moi le printemps. »</span></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Dans son excellente biographie, Yves Buin résume bien Céline au tout début du bouquin :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Pour beaucoup Céline demeure définitivement infréquentable, rebutés qu'ils sont par les pamphlets, souvent évoqués, vilipendés et non lus, qui focalisent la passion. Pour ceux-là qui passent à côté d'une oeuvre considérable, les autres livres disparaissent ainsi, annulés par ce qu'on fantasme des comportements conjoncturels de leur auteur en une période de l'Histoire (1937-1945) fort troublée et dramatique. Abhorré, le personnage Céline invalide alors l'écrivain. À l'opposé, les inconditionnels absolus du texte célinien, au pire, gomment le parcours chaotique de l'homme ou, au mieux, l'annexent à l'oeuvre comme une de ses sources indéniables pour le neutraliser dans « du littéraire », une fatalité devenant par la transe du verbe une positivité. Dans ces deux occurrences quelque chose est manqué d'une éclatante et insoluble contradiction existentielle : un homme s'est débattu avec son irrationnel, ses hantises, ses démons et a eu la témérité de les rendre publics, s'exposant à la vindicte. Médecin humaniste (eh oui !), imprécateur féroce et provocateur, obsédé par la figure écrasante du Peuple du Livre, inventeur d'une langue inimitable, perdu dans une déréliction totale, la fièvre d'écrire diffère sa mort psychique et, un temps, sa destruction physique. Telle est l'équation célinienne. L'accepter sans prétendre la résoudre permet de sortir de l'impasse d'un vieux débat moralisant. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Céline est l'écrivain français préféré de Philip Roth. Avec son humour, ce dernier dit que Céline est son "Marcel Proust" français. Comme il disait que son "Marcel Proust" américain était Henry James. Imaginez si Roth parlait le français à quel point il serait subjugué par la qualité de l'oeuvre de Céline. Celui-ci est le seul écrivain francophone à écrire un langage parlé qui se tient ! Il a, de mon point de vue, totalement réinventé une langue écrite tellement la qualité de sa prose est grande. Mais pour s'en rendre compte clairement, on doit le lire et le relire à de nombreuses reprises. De plus, ses meilleures œuvres sont les premiers romans (avec en tête de liste <i>Voyage au bout de la nuit</i>, contrairement à ce que dit le biographe Yves Buin) parce que ses œuvres tardives souffrent d'une désinvolture alarmante, d'une presque schizophrénie littéraire. Les phrases (trop courtes) sont étrangement construites avec les points de suspension un peu partout (et surtout là où ils ne devraient pas être) et malgré le fait que l'on rentre quand même dans la tête de Céline, que c'est intéressant à lire par moments, le tout donne un résultat bâclé selon moi, même si Céline se donnait corps et âme pour les écrire. En tout cas, une chose est certaine, c'est qu'ils sont extrêmement difficiles à lire, contrairement à ses deux premiers.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Céline aurait pu être l'écrivain d'un seul roman et il n'aurait quand même pas perdu de son lustre. Bien au contraire ! <i>Voyage</i> est le meilleur, bien que j'apprécie aussi celui-ci, étant donné qu'ici sa prose n'a pas perdu encore tout à fait de sa puissance. C'est cela le problème avec les romans subséquents de Céline. Sa puissance est <i>fausse </i> alors que les deux premiers, en plus de se lire plus facilement, ont une <i>vraie </i>puissance ! Ici, notre plaisir de lecture est intact si on le lit tout de suite après <i>Voyage</i>. Par contre, les thèmes abordés sont peut-être moins importants que son premier, notamment parce que ceux-ci gravitent autour du thème de l'enfance, de la jeunesse. <i>Voyage au bout de la nuit</i> l'amenait à parler de la guerre, des usines Ford américaines (la dénonciation du capitalisme) et du colonialisme. Dans <i>Mort à Crédit</i>, les thèmes abordés sont l'enfance et la souffrance. Ils servent de piliers, et à cela se greffent plusieurs autres thèmes, comme entre autres la violence, la saleté, la mort. Le personnage s'appelle Ferdinand, contrairement à <i>Voyage</i>, ce qui porte à croire que Céline voulait commencer à se rapprocher de ses romans (on reverra très peu Bardamu par la suite).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il était médecin des pauvres et le début de <i>Mort à Crédit</i> traite de cela pour revenir à son enfance assez rapidement. Il nous amène dans le Ferdinand plus âgé. En plus d'être le meilleur pour s'approcher de la prose "parlée", Céline est l'un des meilleurs pour écrire à la première personne du singulier : « Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste... Bientôt je serai vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m'ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde. Hier à huit heures Madame Bérenge, la concierge, est morte. Une grande tempête s'élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C'était une douce et gentille fidèle amie. Demain on l'enterre rue des Saules. Elle était vraiment vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : «Ne vous allongez pas surtout !... Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà... Et puis tant pis. Je n'ai pas toujours pratiqué la médecine, cette merde. Je vais leur écrire qu'elle est morte Madame Bérenge à ceux qui m'ont connu, qui l'ont connue. Où sont-ils ? Je voudrais que la tempête fasse encore bien plus de boucan, que les toits s'écroulent, que le printemps ne revienne plus, que notre maison disparaisse. Elle savait Madame Bérenge que tous les chagrins viennent dans les lettres. Je ne sais plus à qui écrire... Tous ces gens sont loin... Ils ont changé d'âme pour mieux trahir, mieux oublier, parler toujours d'autre chose... Vieille Madame Bérenge, son chien qui louche on le prendra , on l'emmènera...» Le titre laisse présager des ténèbres sans nom et encore une fois, c'est bien ce que nous offre Céline du début à la fin. Le titre peut laisser penser que nous ne pouvons même pas acheter notre mort comptant. Et naître, c'est acheter sa mort à crédit ! Le message est le suivant : vivre est tellement difficile que nous devons acheter la mort à crédit, difficilement. Je ne crois pas que les romans de Céline soient à classer dans un nihilisme abstrait et métaphysique, comme celui de Schopenhauer et surtout de Cioran. Ce n'est pas du nihilisme dont il est question ici mais bel et bien du pessimisme "vécu", de l'expérience, de la sueur, du sang. Il se rapproche, en ce sens, de la pièce <i>Richard III</i> de Shakespeare.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> L'éditeur avait présenté ce roman de cette façon :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Après Voyage au bout de la nuit, publié en 1932, Mort à Crédit, en 1936, est le deuxième grand roman de Céline, qui nous ramène au temps de son enfance : « Le siècle dernier je peux en parler, je l'ai vu finir... » Nous suivons d'un chapitre à l'autre les avatars du jeune Ferdinand aux prises avec son époque - la France et l'Angleterre d'avant 1914 - et son éducation - une suite d'expériences familiales, touristiques, scolaires, laborieuses, érotiques, etc. Ferdinand grandit au fond d'une impasse, entre une mère mercière et un père correspondancier qui s'empoisonnent littéralement l'existence et accablent leur fils unique de reproches amers et douloureux. Il ne trouve dans sa famille besogneuse et mesquine qu'une atmosphère étouffante, fébrile, odieuse, de laquelle deux personnalités seulement filtrent comme des rayons de soleil : celles de sa grand-mère Caroline et de son oncle Édouard qui le tire sans cesse d'embarras avec confiance et bonhomie. En sus de leur travail principal, ses parents se livrent à des besognes variées auxquelles Ferdinand doit participer, puis il fait son apprentissage comme garçon de courses, emballeur, représentant, ouvrier, secrétaire... Il y a aussi l'inoubliable séjour en Angleterre, au Meanwell College de Rochester. En l'épouse du directeur, Nora Merrywin, Ferdinand découvre « un sortilège de douceur ». Leurs relations s'achèvent sur quelques minutes de volupté aveugle, et sur l'étrange suicide de Nora. L'élève doit regagner Paris. Ici encore, l'oncle Édouard se montre providentiel. Il introduit Ferdinand chez Courtial des Pereires, une sorte de Léonard de Vinci de la fumisterie scientifique, qui d'abord subjugue son secrétaire-assistant-trésorier pour le décevoir ensuite comme tout le monde. Au service du directeur du «Genitron», Ferdinand connaît simultanément la gêne et la liberté, le labeur intense et le loisir, le vagabondage et l'instruction. Mais un scandale oblige l'aéronaute-inventeur-escroc à fuir la capitale pour faire oublier dans la banlieue, presque en province, où il ouvre un pensionnat, le « Familistère Rénové de la Race Nouvelle », et procède à des essais de cultures scientifiques par la « radio-tellurie ». La nouvelle aventure devient le drame ultime de Courtial, qui se tire un coup de fusil dans la tête. Ferdinand semble désormais refuser l'aide et l'hospitalité de son oncle et veut s'engager à l'armée : à la « reine des batailles » ? à la cavalerie ? parmi les « matafs » ? La suite de l'histoire apparaît dans d'autres livres, sous de nouveaux masques et déguisements. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour bien apprécier Céline (et surtout <i>Voyage au bout de la nuit</i> et <i>Mort à crédit</i>), deux conditions s'imposent : avoir le français comme langue maternelle et avoir le temps de le relire plusieurs fois. Sinon, l'opinion du lecteur est de moindre valeur. Pour bien apprécier le langage parlé en prose, il faut avoir la langue française en soi, dans le corps, sous la peau. J'aime surnommer <i>Voyage au bout de la nuit</i> mon roman de <i>l'infini </i> parce que je peux le relire autant de fois que le temps me le permet, sans qu'il devienne ennuyeux. C'est même le contraire, il devient meilleur à chaque lecture. Je ne crois pas que <i>Mort à Crédit</i> m'apportera cela, encore moins <i>Nord</i> et <i>D'un château l'autre</i>. Trotski adorait Céline mais il le trouvait trop pessimiste pour lui, pour la gauche. Il disait que son constat anticapitaliste était le bon, mais qu'il n'offrait pas d'espoir. Quant à Céline, il se décrivait comme un anarchiste : « Je suis anarchiste jusqu'aux poils. Je l'ai toujours été et ne serai jamais rien d'autre. » Imre Kertesz disait que ce qu'il écrivait (lui, Kertesz) n'était pas du pessimisme, mais plutôt ce qu'il avait vécu. C'est un peu la même chose je pense pour Céline même s'il romance encore plus que Kertesz. Les romans de Céline sont toujours autobiographiques, mais il en rajoute beaucoup. Trotski faisait l'erreur, selon moi, de ramener trop férocement la littérature dans la réalité. Une oeuvre, même si elle puise dans la réalité, comme celle de Céline, peut rester indépendante, se suffire à elle-même. Céline est un grand écrivain, point à la ligne. Était-il trop ou pas assez pessimiste ? Peu importe, l'important c'est le texte. Mes quatre romanciers préférés du 20e siècle (à ce jour) sont : Beckett, Woolf, Nabokov et Bolano, et Céline est très proche d'eux et d'un point de vue objectif, je dois dire qu'il a sa place parmi ces quatre meilleurs. Il a changé la façon d'écrire des romans, et de ce que j'ai lu dans sa biographie, il en était parfaitement conscient. Il se disait supérieur à Sartre, à Camus, à Beckett. Au 20e siècle littéraire francophone, deux génies s'affrontent : Marcel Proust et Louis-Ferdinand Céline. Notamment parce qu'on ne peut trouver deux écrivains aussi différents. Charles Dantzig disait dans une radio québécoise que Céline n'était pas capable d'accomplir la moitié de ce que pouvait faire Marcel Proust. Bien qu'à l'époque j'étais d'accord avec cela, mon opinion a changé et je crois maintenant que Céline est de valeur égal à Proust, mais bien sûr, il est complètement différent.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour terminer, voici deux citations qui donnent une bonne vue d'ensemble du style célinien. On aime ou pas son style, et cela m'a pris plusieurs années avant d'en devenir un véritable fanatique :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le siècle dernier je peux en parler, je l'ai vu finir... Il est parti sur la route après Orly... Choisy-le-Roi... C'était du côté d'Armide où elle demeurait aux Rungis, la tante, l'aïeule de la famille... Elle parlait de quantité de choses dont personne se souvenait plus. On choisissait à l'automne un dimanche pour aller la voir, avant les mois les plus durs. On reviendrait plus qu'au printemps s'étonner qu'elle vive encore... Les souvenirs anciens c'est tenace... mais c'est cassant, c'est fragile... Je suis sûr toujours qu'on prenait le « tram » devant le Châtelet, la voiture à chevaux... On grimpait avec nos cousins sur les bancs de l'impériale. Mon père restait à la maison. Les cousins ils plaisantaient, ils disaients qu'on la retrouverait plus la tante Armide, aux Rungis. Qu'en ayant pas de bonne, et seule dans un pavillon elle se ferait sûrement assassiner qu'à cause des inondations on serait peut-être avertis trop tard... Comme ça on cahotait tout le long jusqu'à Choisy à travers des berges. Ça durait des heures. Ça me faisait prendre l'air. On devait revenir par le train. Arrivés au terminus fallait faire alors vinaigre ! Enjamber les gros pavés, ma mère me tirait par le bras pour que je la suive à la cadence... On rencontrait d'autres parents qui allaient voir aussi la vieille. Elle avait du mal ma mère avec son chignon, sa voilette, son canotier, ses épingles... Quand sa voilette était mouillée elle la mâchait d'énervement. Les avenues avant chez la tante c'était plein de marrons. Je pouvais pas m'en ramasser, on n'avait pas une minute... Plus loin que la route, c'est les arbres, les champs, le remblai, des mottes et puis la campagne... plus loin encore c'est les pays inconnus... la Chine... Et puis rien du tout. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Grand-mère, elle se rendait bien compte que j'avais besoin de m'amuser, que c'était pas sain de rester toujours dans la boutique. D'entendre mon père l'énergumène beugler ses sottises, ça lui donnait mal au cœur. Elle s'est acheté un petit chien pour que je puisse un peu me distraire en attendant les clients. J'ai voulu lui faire comme mon père. Je lui foutais des vaches coups de pompes quand on était seuls. Il partait gémir sous un meuble. Il se couchait pour demander pardon. Il faisait comme moi exactement. Ça me donnait pas de plaisir de le battre, l'embrasse je préférais ça encore. Je finissais par le peloter. Alors il bandait. Il venait avec nous partout, même au Cinéma, au Robert Houdin, en matinée du jeudi. Grand-mère me payait ça aussi. On restait trois séances de suite. C'était le même prix, un franc toutes les places, du silencieux cent pour cent, sans phrases, sans musique, sans lettres, juste le ronron du moulin. On y reviendra, on se fatigue de tout sauf de dormir et de rêvasser. Ça reviendra le « Voyage dans la Lune »... Je le connais encore par coeur. Souvent l'été y avait que nous deux, Caroline et moi dans la grande salle au premier. A la fin l'ouvreuse nous faisait signe qu'il fallait qu'on évacue. C'est moi qui les réveillais le chien et Grand-mère. On se grouillait ensuite à travers la foule, les boulevards et la cohue. A chaque coup nous avions du retard. On arrivait essoufflés. »</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-61017763368515594742016-07-21T07:55:00.000-04:002016-08-02T11:15:07.998-04:00Quatrevingt-treize, Victor Hugo<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-e_tft4GZwIQ/V4-z9LuDbuI/AAAAAAAAD0Y/arY28G06gF0fc0dwEkkG1lrTxetR7HOlACLcB/s1600/A41823.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://3.bp.blogspot.com/-e_tft4GZwIQ/V4-z9LuDbuI/AAAAAAAAD0Y/arY28G06gF0fc0dwEkkG1lrTxetR7HOlACLcB/s320/A41823.jpg" width="194" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note: <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : 93 conclut le dialogue que Hugo a poursuivi toute sa vie avec la Révolution. 93, c'est la Convention, «assemblée qui a eu un duel avec la royauté comme Cromwell et un duel avec l'univers comme Annibal» et qui a «tranché le nœud gordien de l'histoire».
Immense fresque épique, 93 est aussi l'histoire de trois hommes. Lantenac, l'homme du roi et de tout l'honneur de l'ancienne France. Cimourdain, le génie austère et implacable de la Révolution. Entre eux Gauvain, neveu de Lantenac et fils spirituel de Cimourdain, aristocrate passé au peuple, que Cimourdain fera guillotiner pour avoir permis la fuite de Lantenac et qu'il suit aussitôt dans la mort. «Au moment où la tête de Gauvain roulait dans le panier, Cimourdain se traversait le cœur d'une balle... Ces deux âmes s'envolèrent ensemble, l'ombre de l'une mêlée à la lumière de l'autre.»</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Comme introduction à ma chronique, voici ce que pense Harold Bloom de Victor Hugo : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Confronted by the genius of Victor Hugo, a man who accurately believed himself to be Victor Hugo, a critic trying to apprehend genius hardly knows how or where to begin. Balzac's energetic assault upon literary immortality seems a rugged but auxiliary onrush when juxtaposed to Victor Hugo's, though Hugo, three years younger than Balzac, survived him by thirty-five years, so the comparison may be unjust. Given another third of a century, Balzac's <i>Human Comedy</i> would have at least doubled in size, so that we would have about one hundred and eighty linked novels, novellas, and stories. And yet Victor Hugo is virtually infinite : has anyone read all of him ? There are more than 155,000 lines of poetry, not counting verse dramas, and there are seven novels, twenty-one plays, and an astonishing amount of more-or-less fugitive prose, only now available. Hugo may have been the last of the universal authors, like Cervantes, Shakespeare, and Dickens. I can think of no twentieth-century equivalent and doubt that one will appear in the twenty-first century. <i>Les Misérables</i>, wich is to us a musical, was read by everyone in France who could read when it first appeared (1862). At seventy-one, I wonder what will not be made into a musical. Will we yet have Hamlet : A Musical or, still better, King Lear : A Musical Extravaganza ? Not that Victor Hugo would be other than delighted by his musical, since he wanted to touch as many fellow human beings (women in particular) as he could reach. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Comme Harold Bloom, je place la poésie de Hugo encore plus haut dans les sommets de l'esprit humain que ses romans (ceux-ci sont souvent classés dans le grotesque en littérature). Par contre, pour moi, sa contribution la plus importante au monde littéraire est son essai sur la littérature, qui m'a enchanté du début à la fin. Il porte le nom de <i>William Shakespeare</i> mais le titre du bouquin aurait pu ressembler à quelque chose de plus général, parce que ce texte renvoie surtout aux génies des lettres avec un fort penchant de Hugo pour Eschyle et Shakespeare. Dante et quelques autres en font aussi partie. De plus, Hugo semble insinuer qu'il fait partie lui-même de ce canon des lettres occidentales. Ainsi, j'en suis venu à voir les romans de Hugo comme quelque chose de presque secondaire, à tout le moins plus secondaire que son essai et sa poésie (celle-ci est "abondante"). Selon moi, Victor Hugo est le meilleur pour parler de littérature parce qu'il s'attarde au général et non aux détails. Contrairement à ce qui est enseigné dans les universités, je préfère les essais et les textes qui traitent de la littérature d'un point de vue globale, général, et qui ne se perdent pas inutilement dans les détails pendant des centaines de pages (les plus dignes descendants sur ce point sont Harold Bloom et George Steiner). Les commentateurs qui rentrent trop profondément dans les détails d'un texte (en expliquant des paragraphes, des phrases, sur de nombreuses pages) m'ennuient totalement.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Contrairement à ce qu'on pourrait penser d'un premier abord, Hugo n'a pas beaucoup écrit de fiction basée sur des faits historiques. Ses romans comme <i>Notre-dame de Paris</i> et <i>Les Misérables</i> se déroulent dans des périodes fortes de l'histoire, mais ils ne sont pas complètement "historiques", ou très proche de l'histoire, la vraie, comme <i>Quatrevingt-treize</i>. Je crois que son style ne s'y prête guère. Même s'il est malgré tout un extraordinaire romancier, Victor Hugo est surtout un poète et cela se ressent dans sa prose romanesque. L'histoire avec un grand H n'est pas de la poésie et ainsi, il est périlleux de mélanger les deux. Je préfère lorsque les faits historiques servent d'arrière-plan comme dans <i>Pastorale Américaine </i>de Philip Roth. Globalement,<i> Les Misérables</i> sont un roman humaniste. On est quand même loin du roman historique en tant que tel. Même chose pour <i>Notre-dame de Paris</i> (gothique et grotesque), <i>Les travailleurs de la mer </i>(drame amoureux) et L'homme qui rit.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Comme dans la plupart des romans historiques, Hugo commence ici par placer le décor, les dates, etc., avec l'incipit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Dans les derniers jours de mai 1793, un des bataillons parisiens amenés en Bretagne par Santerre fouillait le redoutable bois de la Saudraie en Astillé. On n'était pas plus de trois cents, car le bataillon était décimé par cette rude guerre. C'était l'époque où, après l'Argonne, Jemmapes et Valmy, du premier bataillon de Paris, qui était de six cents volontaires, il restait vingt-sept hommes, du deuxième trente-trois, et du troisième cinquante-sept. Temps des luttes épiques. Les bataillons envoyés de Paris en Vendée comptaient neuf cent douze hommes. Chaque bataillon avait trois pièces de canon. Ils avaient été rapidement mis sur pied. Le 25 avril, Gohier étant ministre de la justice et Bouchotte étant ministre de la guerre, la section du BOn-Conseil avait proposé d'envoyer des bataillons de volontaires en Vendée ; le membre de la commune Lubin avait fait le rapport ; le 1er mai, Santerre était prêt à faire partir douze mille soldats, trente pièces de campagne et un bataillon de canonniers. Ces bataillons, faits si vite, furent si bien faits, qu'ils servent aujourd'hui de modèle ; c'est d'après leur mode de composition qu'on forme les compagnies de ligne ; ils ont changé l'ancienne proportion entre le nombre des soldats et le nombre des sous-officiers. Le 28 avril, la commune de Paris avait donné aux volontaires de Santerre cette consigne : Point de grâce, point de quartier. A la fin de mai, sur les douze mille partis de Paris, huit mille étaient morts. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>Quatrevingt-treize</i> est le dernier roman de Hugo, publié en 1874, 11 ans avant sa mort (<i>Les Misérables</i> avaient quant à eux paru en 1862 et <i>Bug Jargal</i>, son premier roman, en 1818). Dans <i>Quatrevingt-treize</i>, le dernier d'une trilogie amorcé avec <i>L'homme qui rit</i> mais dont le second volume n'a jamais été écrit, nous retrouvons l'histoire de la fin de la Révolution française et comme son titre l'indique, il se passe dans les environs de l'année 1793. On y voit Gauvin et les révolutionnaires affronter les contre-révolutionnaires de Vendée, ceux-ci étant les royalistes voulant (bien sûr) conserver la monarchie. (On sait que Hugo était à droite dans sa jeunesse mais qu'il a rapidement bifurqué à gauche (républicain)). Ce n'est pas un roman historique "à thèse" où Hugo critiquerait la partie adverse, les monarchistes. Il est autant critique de la révolte, des révolutionnaires. Et un aspect intéressant de ce roman est la figure de Cimourdain, un personnage aveuglé par la révolution et qui ne conçoit pas la concession d'un seul pouce de terrain à l'ennemi. Même si les descriptions que l'on retrouve dans ce roman sont de loin inférieures à celles de <i>Notre-dame de Paris</i>, la force des personnages rivalise avec ses autres romans. Hugo est le roi pour la construction de personnages immortels comme Jean Valjean. Le génie "énergique" de Victor Hugo lui permet d'avoir beaucoup écrit et de maintenir une qualité d'écriture exceptionnelle. Et cela se ressent même lorsque le sujet traité nous intéresse moins. Il est probablement l'auteur que je lis qui a le meilleur vocabulaire. Selon George Steiner celui de Shakespeare est de plus de 20 000 mots différents alors que selon le même Steiner, Racine n'a besoin que d'un peu plus de 2000 mots. Je ne connais pas celui de Hugo mais je suis persuadé qu'il est de loin supérieur à cela.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On peut voir dans la prochaine citation le croisement que l'on retrouve dans ce roman entre le style poétique de Hugo et le genre du roman historique :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le bois de la Saudraie était tragique. C'était dans ce taillis que, dès le mois de novembre 1792, la guerre civile avait commencé ses crimes ; Mousqueton, le boiteux féroce, était sorti de ces épaisseurs funestes ; la quantité de meurtres qui s'étaient commis là faisait dresser les cheveux. Pas de lieu plus épouvantable. Les soldats s'y enfonçaient avec précaution. Tout était plein de fleurs ; on avait autour de soi une tremblante muraille de branches d'où tombait la charmante fraîcheur des feuilles ; des rayons de soleil trouaient ça et là ces ténèbres vertes ; à terre, le glaïeul, la flambe des marais, le narcisse des prés, la gênotte, cette petite fleur qui annonce le beau temps, le safran printanier, brodaient et passementaient un profond tapis de végétation où fourmillaient toutes les formes de la mousse, depuis celle qui ressemble à la chenille jusqu'à celle qui ressemble à l'étoile. Les soldats avançaient pas à pas, en silence, en écartant doucement les broussailles. Les oiseaux gazouillaient au-dessus des bayonnettes. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Kundera a déjà dit que <i>Guerre et paix</i> de Tolstoï était supérieur, d'un point de vue esthétique, aux <i>Misérables,</i> et qu'il ne comprenait pas pourquoi les grands lecteurs francophones préféraient <i>Les Misérables</i>, si ce n'est que pour l'importance sociale qu'ils reflétaient dans la société française. Je crois qu'il sous-entendait que Tolstoï était un meilleur romancier que Hugo. Personnellement, je ne suis pas prêt à dire qu'il est tellement supérieur à Hugo. Kundera n'a pas le français comme langue maternelle (même s'il écrit maintenant ses romans directement en français) et cela explique peut-être son opinion du grand Victor. Je suis incapable de détester un écrit de Victor Hugo. Il est trop gigantesque. Flaubert, qui lui vouait une grande admiration (il l'a déjà rencontré et lui regardait seulement les mains, il ne pouvait faire autre chose) l'appelait "Le grand crocodile". Cela lui va bien parce qu'il est véritablement le "monstre" littéraire qu'il faut avoir (tout) lu. Parmi les grands génies des lettres il est peut-être celui qui a écrit le plus, et ainsi, il est le parfait opposé de Flaubert, qui avait un génie complètement différent.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>Quatrevingt-treize</i> n'est certainement pas le meilleur de Victor Hugo mais comme tout ce qu'il touche, le voyage est aussi intéressant que la destination. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour finir, on peut admirer encore une fois le style de Hugo avec ces deux passages : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « On vivait en public, on mangeait sur des tables dressées devant les portes, les femmes assises sur les perrons des églises faisaient de la charpie en chantant la Marseillaise, le parc Monceaux et le Luxembourg étaient des champs de manoeuvre, il y avait dans tous les carrefours des armureries en plein travail, on fabriquait des fusils sous les yeux des passants qui battaient des mains ; on n'entendait que ce mot dans toutes les bouches : Patience. Nous sommes en révolution. On souriait héroïquement. On allait au spectacle comme à Athènes pendant la guerre du Péloponèse ; on voyait affichés au coin des rues : Le Siège de Thionville. - La mère de famille sauvée des flammes. - Le Club ses Sans-Soucis. - L'Aînée des papesses Jeanne. - Les philosophes soldats. - L'Art d'aimer au village. - Les Allemands étaient aux portes ; le bruit courait que le roi de Prusse avait fait retenir des loges à l'Opéra. Tout était effrayant et personne n'était effrayé. La ténébreuse loi des suspects, qui est le crime de Merlin de Douai, faisait la guillotine visible au-dessus de toutes les têtes. Un procureur, nommé Séran, dénoncé, attendait qu'on vînt l'arrêter, en robe de chambre et en pantoufles, et en jouant de la flûte à sa fenêtre. Personne ne semblait avoir le temps. Tout le monde se hâtait. Pas un chapeau qui n'eût une cocarde. Les femmes disaient : Nous sommes jolies sous le bonnet rouge. Paris semblait plein d'un déménagement. Les marchands de bric-à-brac étaient encombrés de couronnes, de mitres, de sceptres en bois doré et de fleurs de lys, défroques des maisons royales ; c'était la démolition de la monarchie qui passait. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Ces statues avaient pour piédestaux de simples dés, posés sur une longue corniche saillante qui faisait le tour de la salle et séparait le peuple de l'assemblée. Les spectateurs s'accoudaient à cette corniche. Le cadre de bois noir du placard des Droits de l'Homme montait jusqu'à la corniche et entamait le dessin de l'entablement, effraction de la ligne droite qui faisait murmurer Chabot. - C'est laid, disait-il à Vadier. Sur les têtes des statues, alternaient des couronnes de chêne et de laurier. Une draperie verte, où étaient peintes en vert plus foncé les mêmes couronnes, descendait à gros plis droits de la corniche de pourtour et tapissait tout le rez-de-chaussée de la salle occupée par l'assemblée. Au-dessus de cette draperie la muraille était blanche et froide. Dans cette muraille se creusaient, coupés comme à l'emporte-pièce, sans moulure ni rinceau, deux étages de tribunes publiques, les carrées en bas, les rondes en haut ; selon la règle, car Vitruve n'était pas détrôné, les archivoltes étaient superposées aux architraves. Il y avait dix tribune sur chacun des grands côtés de la salle, et à chacune des deux extrémités deux loges démesurées ; en tout vingt-quatre. Là s'entassaient les foules. Les spectateurs des tribunes inférieurs débordaient sur tous les plats-bords et se groupaient sur tous les reliefs de l'architecture. Une longue barre de fer, solidement scellée à hauteur d'appui, servait de garde-fou aux tribunes hautes, et garantissait les spectateurs contre la pression des cohues montant les escaliers. Une fois pourtant un homme fut précipité dans l'Assemblée, il tomba un peu sur Massieu, évêque de Beauvais, ne se tua pas, et dit : Tiens ! c'est donc bon à quelque chose, un évêque ! »</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-36789693017278660232016-07-11T07:14:00.001-04:002016-07-24T09:40:08.995-04:00Les cavaliers, Joseph Kessel<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-Xsjn3RE4se0/V4JV2dTIpaI/AAAAAAAAD0I/iTnZhZv-PuAy8WvADnXPPsKs1_QV7iWMACLcB/s1600/kessel10.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="320" src="https://4.bp.blogspot.com/-Xsjn3RE4se0/V4JV2dTIpaI/AAAAAAAAD0I/iTnZhZv-PuAy8WvADnXPPsKs1_QV7iWMACLcB/s320/kessel10.jpg" width="189" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la présentation de l'éditeur : Kessel a situé en Afghanistan une des aventures les plus belles et les plus féroces qu'il nous ait contées. Les personnages atteignent une dimension épique : Ouroz et sa longue marche au bout de l'enfer... Le grand Toursène fidèle à sa légende de tchopendoz toujours victorieux... Mokkhi, le bon sais, au destin inversé par la haine et la découverte de la femme... Zéré qui dans l'humiliation efface les souillures d'une misère qui date de l'origine des temps... Et puis l'inoubliable Guardi Guedj, le conteur centenaire à qui son peuple a donné le plus beau des noms : «Aïeul de tout le monde»... Enfin, Jehol «le Cheval Fou», dont la présence tutélaire et «humaine» plane sur cette chanson de geste... Ils sont de chair les héros des Cavaliers, avec leurs sentiments abrupts et du mythe les anime et nourrit le roman.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans la biographie de Flaubert de Michel Winock, on peut y lire que Flaubert considérait l'unité comme le bien ultime de la littérature :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « [...] "quand j'écris quelque chose de mes entrailles, ça va vite. Cependant, voilà le péril. Lorsqu'on écrit quelque chose de soi, la phrase peut être bonne par jets (et les esprits lyriques arrivent à l'effet facilement et en suivant leur pente naturelle), mais l'ensemble manque, les répétitions abondent, les redites, les lieux communs, les locutions banales". À ce travail sur la phrase s'ajoute l'impératif de la composition ; point de hasard ! Il trace des plans minutieux du roman à écrire, en quête de l'unité. "L'unité, l'unité, tout est là", explique-t-il à Louise Colet. Il a parlé d'un "mysticisme esthétique", et c'est bien en mystique de l'art, en "homme-plume" qu'il a vécu, en quête du Beau comme un saint, de l'extase divine. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Flaubert mettait un temps fou à écrire ses romans (5 ans à temps plein en moyenne) et c'est à peu près impossible que Kessel fasse la même chose parce que sa bibliographie est colossale. Par contre, je crois qu'il avait un souci impérieux de l'unité dont parle Flaubert dans la composition, parce que le résultat est probant à cet effet. <i>Les Cavaliers</i> forment un véritable "tout" et cet élément, très important en littérature, ne se fait pas avec Kessel aux dépens de la grandeur de l'histoire. Nous y reviendrons.</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Joseph Kessel est né en Argentine même s'il est considéré comme un écrivain français. Il étudia en France, devient militaire et suite à cela, il commence un travail d'écrivain en touchant un peu à tout (notamment au journalisme). Il est né en 1898, il a donc 41 ans lorsque débute la Seconde Guerre mondiale et en hommage aux résistants, il publie <i>L'armée des ombres</i> en 1943. Il devient académicien à l'âge de 64 ans. Il meurt en 1979.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> C'est un lecteur de mon blogue qui m'avait recommandé <i>Les Cavaliers</i>. Et lorsqu'il l'a fait, ce qui est intéressant, c'est qu'il l'a comparé à <i>Désert</i> de Le Clézio en disant que celui de Kessel était meilleur et que Le Clézio avait écrit un roman trop semblable à celui de Kessel. <i>Désert</i> a paru en 1980, alors que <i>Les Cavaliers</i> datent de 1967. Le comité du Nobel avait donné le prix à Le Clézio en tant qu’« écrivain de nouveaux départs, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, explorateur d’une humanité au-delà et en dessous de la civilisation régnante. » Et la question que je me posais en lisant <i>Les Cavaliers</i> c'est : Est-ce que Kessel est plus subtil que Le Clézio dans cette oeuvre ? Sa prose était-elle d'un plus haut niveau esthétique ? Son récit dépasse-t-il en tension celui de Le Clézio ? Je répondrai un peu plus loin mais disons que le roman de Le Clézio était somme toute assez simple. Aussi, il reposait sur une esthétique proche de la poésie alors que celui de Kessel est ancré dans le classicisme de la prose, il suit les codes que la prose a établis au fil des années de l'écriture romanesque. <i>Les Cavaliers</i> sont plus complexes, il y a plus de personnages importants et ces personnages ont des questionnements shakespeariens. En fait, pour ces deux romans, une chose est sûre, c'est que mon désir d'inconnu est parfaitement rassasié. Je lis pour me plonger dans ce que je ne connais pas et c'est pour cette raison, entre autres, que je lis très peu de romans québécois (je reçois plusieurs questions à ce sujet). Ces deux romans sont aussi des valeurs sûres même s'il est vrai que Le Clézio a écrit un roman très proche de celui de Kessel, treize années plus tard, (même si l'histoire est bien entendu différente de celle de son prédécesseur). Parmi les ressemblances entre ces deux romans, il y a le début, l'incipit. Voici celui de Kessel : « Les camions n'avançaient guère plus vite que les chameaux des caravanes et l'homme à cheval que le piéton. L'état de la chaussée les obligeait au même pas : on arrivait aux approches du Chibar, seule trouée dans le massif auguste et monstrueux de l'Hindou Kouch, par où, à 3500 mètres d'altitude, se faisait tout le trafic et tout le charroi entre l'Afghanistan du Sud et l'Afghanistan du Nord. D'un côté, la falaise en dents de scie. De l'autre, un vide sans fond. Des ornières énormes, des quartiers de roc éboulé coupaient la voie. Les côtes, les lacets, les tournants devenaient toujours plus raides, plus difficiles et dangereux à négocier. Pour les caravaniers, les muletiers, les bergers et leurs bêtes, la fatigue, certes, était grande à cause du froid intense et de l'air raréfié. De moins, collés comme des files de fourmis contre la paroi de la montagne, cheminaient-ils sans risque. Pas les camions. La route, souvent, était si mince qu'ils en occupaient toute la surface et que leurs roues, alors, le long de l'abîme, mordaient sur le bord ébréché, croulant. Une maladresse, une distraction du conducteur, une défaillance du moteur ou des freins menaçait de précipiter dans le gouffre les véhicules mal entretenus, décrépits avant l'âge. Leur fret, qui dépassait toujours et de beaucoup les normes permises, les rendait encore moins maniables sur les pentes abruptes. Et l'excès des colis, caisses, couffins, sacs et ballots n'était pas la seule ni la pire surcharge. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>Les Cavaliers</i>, aux dires de plusieurs, sont sans contredit le chef-d'oeuvre romanesque de Joseph Kessel. Dans le prologue, Guardi Guerdj, un des personnages, nous permet de commencer à admirer la force du roman. Le cadre est l’Afghanistan. Un des chevaux, Jehol, est sans aucun doute l'un des plus importants personnages. Dès le début on assiste au même mouvement "vers l'avant" que </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><i>Désert</i></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> de Le Clézio et comme ce dernier, le paysage est ancré dans un décor sablonneux, un décor du sud. C'est l’Afghanistan : « Au-delà du paysage d'astre mort, son regard intérieur découvrait des vallées enchantées, des villes tumultueuses, de brûlants déserts, des steppes immenses. Et c'était l'Afghanistan. Il en connaissait toutes les provinces et les pistes et les sentes. Il avait cheminé le long de toutes ses frontières : la persane et la russe, la tibétaine et l'hindoue. A chaque instant il pouvait tirer ces images de sa mémoire. Vivre, pour lui, était maintenant se rappeler. Et il faisait tourner ses souvenirs selon la rose des vents. » Et plus loin dans le roman, nous pouvons encore bien admirer ce décor du sud : « On trouvait la halte de l'autre côté du col, en contrebas, sur le premier palier du versant Nord. C'était une vaste table rocheuse, murée à l'ouest par la montagne, coupée à l'est par une gorge où grondait un torrent. En cet endroit prédestiné, faisaient étape tous les convois qui assuraient les échanges entre les deux moitiés de l'Afghanistan, que séparait l'Hindou Kouch. Il y avait toujours là des dizaines de véhicules à l'arrêt, dans chaque sens. Ceux qui venaient du sud étaient rangés le long du torrent, les autres, contre le roc. Sur les deux côtés de la plate-forme s'étirait une très longue file d'auberges rudimentaires. Parce que l'on y consommait principalement du thé, noir ou vert, elles portaient le nom de Tchaïkhanas. Les bâtisses en torchis ne contenaient, à l'intérieur, qu'une pièce obscure. Dehors, il y avait une terrasse sous auvent. C'était là que se rassemblaient les voyageurs. Le froid y était plus vif et la bise plus cruelle. Mais quel homme dans son bon sens eût voulu, pour si peu, renoncer à un spectacle comme celui que donnaient l'arrivée des camions, le débarquement des passagers, les retrouvailles des amis qui voyageaient en sens inverse. Où, dans tout l'Afghanistan, sinon à la halte du Chibar, pouvait-on voir réunis dans un espace si restreint des hommes de Kaboul [...] »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il est difficile, voire impossible, de dégager l'intrigue principale de ce roman. Disons qu'elle tourne autour de Ouroz, fils d'un grand homme, qui participera à un bouzkachi (jeu traditionnel afghan) à Kaboul devant le roi. Toursène, le père de Ouroz, donnera le meilleur cheval à son fils. Et ce cheval est nul autre que Jehol, le "cheval fou". Mais l'histoire se transformera en une sorte d'épopée et Ouroz fera tout pour éviter le déshonneur d'un père trop grand pour lui. Le roman devient intrinsèquement le destin d'Ouroz, son voyage, malgré ses blessures et ses souffrances, tant extérieurs qu'intérieurs.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ce roman est aussi assez mystérieux. Dès le début, en plus de prendre conscience de l'ampleur de la chose littéraire qui nous attend, en plus de cet émerveillement, il y a une dose de mystère qui transperce dans cette prose toujours éblouissante : « Quel âge avait le vieillard émacié, creusé, parcheminé à l'extrême et sur qui tombait en grands plis lâches une houppelande sans forme, de la même couleur que la haute branche noueuse à laquelle il s'appuyait ? Personne au monde ne le savait. Son origine, sa tribu ? On ne pouvait affirmer que ceci: il n'était pas de sang mongol. Pour le reste, il pouvait aussi bien venir des sables du Saïstan, des marches de la Perse, du seuil de l'Inde ou du Beloutchistan sauvage... Il pouvait être Hazara, Pachtou, Tadjik, Nouristani. Ses traits étaient si desséchés, délavés, effacés par le temps que les signes de la race et les marques du sang ne pouvaient plus d'y lire. Et il parlait la langue, les dialectes, les idiomes de toutes les provinces. Il n'était pas derviche, ni gourou, ni chamane. Pourtant, comme ces initiés, il allait par les routes, chemins, pistes et sentiers de la grande terre afghane. Il avait suivi ses vallées où bouillonnent et chantent les cours glacés des rivières. Il connaissait les berges de l'Amou Daria. Il avait touché les neiges éternelles du Pamir au fond de cette entaille qui affleure le Toit du Monde, où, sans les yaks velus, l'homme ne pourrait pas survivre. Et le sol des brûlants déserts avait calciné ses pieds nus. Depuis quand marchait-il ? Autant le demander à ses empreintes effacées. Quelle force le conduisait ? Quel rêve ? La sagesse ? La fantaisie ? Une inquiétude éternelle ? La soif insatiable de savoir ? Il arrivait, s'en allait, reparaissait des années plus tard. A chacune de ses haltes, il faisait un nouveau récit merveilleux. D'où puisait-il sa science ? On ne l'avait jamais vu lire. Pourtant, des événements et des hommes qui, pendant les siècles et les siècles, avaient marqué les monts, les passes et les steppes d'Afghanistan, il semblait avoir gardé la mémoire. Il parlait de Zarathoustra comme s'il avait été son disciple, d'Iskander, comme s'il l'avait suivi de conquête en conquête, de Balkh, la mère des villes, comme s'il en avait été citoyen, et des carnages de Gengis Khan, comme s'il avait été trempé dans le sang des peuples massacrés et enseveli sous les cendres et les ruines des forteresses. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>Les Cavaliers</i> sont un roman qui nous sort de notre zone de confort et qui permet à un lecteur occidental de découvrir, grâce à un écrivain qui s'y connaît, un écrivain aventureux, (et qui plus est, occidental), un pays qui nous est à toute fin pratique inconnu. Ce roman, selon moi, est à placer parmi ceux qui parviennent le mieux à réunir sous un même toit un récit époustouflant, grandiose, avec un style d'une grande qualité esthétique. En le lisant, on se croirait réellement transporté en Afghanistan pour suivre les aventures d'Ouroz et de Toursène. Comme pour <i>Désert</i> de Le Clézio, les références à la terre, à la chaleur, sont omniprésentes. En plus de <i>Désert</i>, il y aurait des comparaisons à faire avec <i>Le grand passage</i> de Cormac McCarthy. Pour écrire ces trois romans, l'on doit impérativement avoir une belle plume (et ces trois livres sont réussis sur ce point) et savoir la placer au service d'une histoire quand même intéressante. Et pour ce dernier point en particulier, <i>Les Cavaliers</i> ont nettement l'avantage sur les deux autres, et surtout sur <i>Désert</i>. Kessel n'atteint peut-être pas l'extrême beauté poétique de <i>Désert</i> (et du <i>Grand passage</i>), mais l'histoire des <i>Cavaliers</i> est tellement plus grandiose et épique et originale que <i>Désert,</i> qu'il a réussi à me convaincre de son excellence, de sa "totalité" littéraire qu'il réunit en lui-même. C'est pour cela, entre autres, que j'ai repensé à la citation de Flaubert sur l'unité en lisant <i>Les Cavaliers</i>. Ce roman semble faire l'unanimité des grands lecteurs et ce n'est pas pour rien. C'est déjà un classique. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En terminant, il est possible d'admirer la beauté de la prose de Kessel avec cette seule citation : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « L'état où les images avaient leur propre volonté, leur propre vie, au-delà, en dehors de la raison et, dans le même temps, étaient par elle approuvées, où rêve et réel avaient le même sens, les mêmes lois, cet état magique, Ouroz ne le connaissait plus. Il était lucide. S'il ne faisait pas un mouvement, si, malgré la soif qui lui enflammait jusqu'à la brûlure bouche et gorge, il n'appelait point pour avoir du thé, c'est qu'il redoutait de porter la moindre atteinte à la quiétude lisse, moelleuse, comme tissée d'une soie au grain précieux dont jouissait et son corps et son esprit. On n'entendait plus les chiens. Le silence avait le goût du soleil qui, à présent, inondait l'alcôve de roc. Sa chaleur et sa lumière empêchaient de savoir si le feu brûlait encore. Guardi Guej jeta dans le foyer une pincée de touffes sèches. Il y eut un léger crépitement. Pour parler au vieillard, il ne fallait ni bouger ni relever les paupières. »
</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-9510945084009256572016-07-01T06:50:00.000-04:002016-07-01T07:02:15.867-04:00Mes lectures des trois derniers mois <div style="text-align: left;">
</div>
<div style="text-align: left;">
<b><u><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></u></b></div>
<div style="text-align: left;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <u style="font-weight: bold;">Avril</u></span></div>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- La course au mouton sauvage - Haruki Murakami <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Danse, Danse, Danse - Haruki Murakami <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- Pays de neige - Yasunari Kawabata <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- La nouvelle Héloïse - Jean-Jacques Rousseau <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- De la littérature - Umberto Eco <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- Qu'est-ce que la philosophie américaine - Stanley Cavell <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- Oeuvres T.01 (folio) - Walter Benjamin <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- La barque silencieuse - Pascal Quignard <b>7,5/10</b> (un livre original mais sans plus)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Figures II - Gérard Genette <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- Introduction à la psychanalyse - Freud <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- Toute personne qui tombe a des ailes - Ingeborg Bachmann <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- Sagesse d'hier - Luc Ferry <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">13- 2666 - Roberto Bolano <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b><u>Mai</u></b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Le dernier homme - Mary Shelley <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- Le chevalier inexistant - Italo Calvino <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- Guerre et guerre - </span><span style="background-color: white; line-height: 18.2px;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">László Krasznahorkai</span></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- Le paradis, un peu plus loin - Mario Vargas Llosa <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- Avidité - Elfriede Jelinek <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- Mon Michaël - Amos Oz <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- Création littéraire et connaissance - Hermann Broch <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Insomnie et autres poèmes - Marina Tsvetaïeva <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- Maîtres anciens - Thomas Bernhard <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- Les rêveries du promeneur solitaire - Jean-Jacques Rousseau <b>9/10 </b>(il faut beaucoup aimer Rousseau pour aimer ce livre)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- La guerre n'a pas un visage de femme - Svetlana Alexievitch <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">13- Essais esthétiques - David Hume <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b><u>Juin</u></b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- Les gommes - Alain Robbe-Grillet <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Le tour d'écrou - Henry James <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- La mort de Virgile - Hermann Broch <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- Le petit monde la rue Krochmalna - Isaac Singer <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- L'homme précaire et la littérature - André Malraux <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- La rose et autres poèmes - William Butler Yeats <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- Les cahiers de don Rigoberto - Mario Vargas Llosa <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- L'apprentissage de Duddy Kravitz - Mordecai Richler <b>5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Emile ou de l'éducation - Jean-Jacques Rousseau <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- La traversée des apparences -Virginia Woolf <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- La débâcle - Zola <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- Hedda Gabler - Ibsen <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><b><br /></b></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><b><br /></b></span>jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com11tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-48315334692238169552016-06-22T07:18:00.000-04:002016-06-26T09:35:56.011-04:00La mort de Virgile, Hermann Broch<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-b-k_wWPuYMw/V2laTxtqEJI/AAAAAAAADz4/LtZf6XOdr-UnyFAQS-PjKdHXm6XgnvuKwCLcB/s1600/product_9782070221530_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://1.bp.blogspot.com/-b-k_wWPuYMw/V2laTxtqEJI/AAAAAAAADz4/LtZf6XOdr-UnyFAQS-PjKdHXm6XgnvuKwCLcB/s320/product_9782070221530_195x320.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture :
Virgile est mort à l'âge de cinquante et un ans, à Brindisi, le 21 septembre 19 av. J. -C ; au retour d'un voyage en Grèce où il avait contracté la malaria. Déçu par son temps, il avait voulu, au cours de ses derniers jours, détruire le manuscrit de L'<i>Enéide</i>. Tels sont les faits historiques qui ont servi de point de départ à l'ouvrage d'Hermann Broch, vaste méditation lyrique où les rêves du poète à l'approche de la mort se mêlent, dans le flux d'un monologue intérieur, aux ultimes conversations qu'il a avec ses amis. Le livre s'ouvre sur la vision de la flotte romaine entrant dans le port de Brindisi. Le poète, déjà moribond, se trouve à bord d'un des vaisseaux. Porté à travers les rues misérables de la ville, Virgile arrive au palais impérial où il va lutter une nuit et un jour contre la mort. C'est là le premier " mouvement " du livre, " l'Eau ", comparable à celui d'une symphonie. Le second mouvement, intitulé " le Feu ", nous entraîne dans les régions de l'horreur et de la peur où s'abîme l'esprit du poète. Nous vivons la grande tentation qui s'offre à lui : brûler L'<i>Enéide</i>. Avec le jour se lève le troisième mouvement, " la Terre " : Virgile reçoit ses amis, l'empereur Auguste notamment, qui obtient que L'<i>Enéide</i> soit sauvée. Le dernier mouvement, " l'Air ", nous plonge dans les affres de l'agonie du poète. La Mort De Virgile, par sa facture poétique et sa conception symphonique, évoque La Tentation de Saint Antoine ou encore Moby Dick, mais c'est aux grands écrivains de l'Antiquité, à l'auteur de L'<i>Enéide</i> lui-même qu'il met en scène, à Platon à la fois philosophe et poète, que l'écrivain allemand a voulu se mesurer.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans le recueil d'essais <i>Création littéraire et connaissance</i> de Hermann Broch, on retrouve un mystérieux texte qui a trait à <i>La mort de Virgile</i>, écrit à la troisième personne, et qui serait un texte de Broch lui-même pour une préface. Il écrit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le livre de Broch est un monologue intérieur et il doit donc être considéré comme une oeuvre lyrique. Cela correspond d'ailleurs aux desseins de l'auteur. Le lyrisme appréhende les réalités psychiques les plus profondes. Celles-ci comprennent les sphères irrationnelles du sentiment et les sphères rationnelles de l'entendement le plus clair et l'une des réalisations particulières de cet ouvrage est de dévoiler l'alternance incessante du rationnel et de l'irrationnel à chaque instant, c'est-à-dire à la fois à chaque instant de vie du héros et dans chaque phrase du livre. Il s'agit donc là de l'unité de la rationalité et de l’irrationalité, dont l'antinomie - apparente - se résout précisément dans la réalité psychique plus profonde. C'est la grande unité par laquelle toute vie humaine est déterminée. Celui qui contemple sa vie dans son ensemble la voit comme une unité sans faille en dépit de tous les antagonismes irrésolubles dont elle a été remplie. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Herman Broch est un grand lecteur et admirateur de Franz Kafka et de James Joyce. Pour le présent roman, <i>La mort de Virgile</i>, on peut dire sans se tromper qu'il est résolument un roman joycien. Avec ses longues phrases notamment, mais aussi lorsqu'on considère qu'il décrit une courte période de la vie de Virgile (la fin de sa vie) en plusieurs pages. <i>Ulysse</i> de Joyce avait cette forme mais il traitait d'un sujet complètement différent. 1200 pages étaient consacrées à une journée banale d'un homme tout aussi banal (Leopold Bloom) et cela nous était raconté par le truchement de plusieurs techniques d'écriture (surtout par le <i>stream of consciousness</i>) et nous y retrouvions même un monologue de sa femme (Molly Bloom). Dans <i>La mort de Virgile</i>, cette banalité du sujet est complètement absente. Et pour cause ! Virgile est un grand poète romain, précurseur et modèle de celui qui changera la littérature à tout jamais (selon l'auteur de <i>Mimésis</i> Erich Auerbach) et j'ai nommé Dante Alighieri. De plus, les thèmes secondaires, que l'on rencontre à chaque page de notre lecture, s'adressent toujours à ce qu'il y a de plus haut dans notre intellect, dans notre esprit. Cela en fait, selon moi, un roman beaucoup plus intéressant (mais certes moins original pour l'époque) que le <i>Ulysse</i> de James Joyce.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">On comprend à la lecture de ce roman le pourquoi de la réputation d'Hermann Broch. Il signe ici un de ces trop rares moments dans l'histoire de la littérature où l'on se dit que l'on vit véritablement une "expérience" et que cela ne se reproduira pas de sitôt. Ce roman, <i>La mort de Virgile</i>, est supérieur à son autre grand livre, <i>Les somnambules</i>, et cela à tous les points de vue. Premièrement, pour sa structure. Le récit est d'une courte durée sur plusieurs pages. J'ai tendance à penser qu'en littérature, le talent "dans la forme" s'explique en deux points. Il s'agit dans un premier temps de ceux qui sont capables d'en dire beaucoup en peu de mots. Et d'un autre côté, il y a ceux, comme Broch dans ce bouquin, qui peuvent, sur la courte période que dure leur histoire, en dire assez peu mais en plusieurs mots. Donc en usant d'un style poétique. Ensuite, la langue de Broch (celle de la traduction française) est de loin supérieure à celle des <i>Somnambules</i>. Le style est irréprochable ou presque. Nous en verrons des exemples dans les citations à la fin de ma chronique. Non seulement a-t-il dépassé Joyce, de mon point de vue et de mes goûts personnels, mais aussi, il ne fait pas honte aux poètes classiques, à commencer par Virgile lui-même, ce qui n'est pas peu dire. Cependant, pour poursuivre dans la comparaison que j'avais amorcée dans ma chronique des <a href="http://jimmymorneau.blogspot.ca/2016/03/les-somnambules-hermann-broch.html"><span style="color: #cc0000;">Somnambules</span></a>, je continue à penser que <i>L'homme</i> <i>sans qualités</i> de Robert Musil lui est supérieur parce que ce dernier englobe le "tout-monde", poursuit un plus grand but (rendre compte d'une façon globale de la vie au XXe siècle, la vie post-nietzschéenne) et <i>L'homme sans qualités</i> est à la recherche d'une totalité dans la connaissance de l'humain, de l'humanité. <i>La mort de Virgile</i> est l'exemple parfait d'un propos relativement "petit" (et anecdotique, la mort d'un poète) mais transposé dans ce qu'il y a de plus grand en littérature : la fureur de l'écriture, le maelstrom d'une humanité dépassée par la littérature elle-même. En le lisant, j'avais cette question qui me tiraillait : Est-ce que la mort de Virgile est plus importante transposée en littérature, en livre ? Sa mort réelle, matérielle, veut-elle encore dire quelque chose et qu'est-ce qu'elle signifie par rapport à sa mort littéraire traitée par Broch ?</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Sans parvenir à l'ultime grandeur, au "roman-monde" de <i>L'homme sans qualités</i> de son compatriote Musil, Broch était manifestement à la recherche d'une certaine totalité parce qu'il a intitulé ses quatre parties par les quatre éléments que sont l'eau, le feu, la terre, l'éther. Personnellement, j'ai vu dans ce roman une allégorie sur le pouvoir de la littérature parce que Virgile conservera finalement intact son texte, il a pu se rendre jusqu'à nous alors que l'humain derrière ce texte est bel et bien décédé depuis longtemps. La grande littérature ne meurt pas, ses écrivains oui. Le texte, (l'écriture), est immortel alors que la chair est mortelle. Broch, selon moi, rend hommage à cela dans son livre. Et en cela il rend hommage aux grands poètes classiques même si nous lisons leurs textes d'une façon différente aujourd'hui. Un peu comme l’<i>Iliade</i> d'Homère et <i>Paradise Lost </i>de John Milton, les <i>Énéides</i> se lisent aujourd'hui comme un roman et sans atteindre cette perfection, Broch rend hommage par le biais de Virgile à tous ces livres, à tous ces poètes. C'est donc un livre fascinant, bouleversant. Il y un côté pessimiste avec Virgile qui veut détruire son chef-d'oeuvre (les <i>Énéides</i>) mais l'on voit avec le temps la force que peut avoir un manuscrit. Peut-être, en fin de compte, que la littérature a triomphé des quatre éléments qui composent les parties. Ce livre avait des ambitions démesurées mais il tient ses promesses. Rarement ai-je lu un roman qui avait une idée de départ aussi géniale : celle de raconter les derniers moments de la vie d'un poète, et cela d'une façon épique et lyrique. Virgile, dans ce livre, a traversé un peu les mêmes aventures que Eschyle dans l'Antiquité grecque et tous les deux se sont rendus jusqu'à nous dans une force qui ne se dément pas. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici maintenant quatre citations qui montrent bien ce que ce livre a à nous offrir. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On peut voir dès l'incipit la grandeur de ce qui nous attend. Cette grandeur est double. Tout d'abord il y a le style de Broch qui atteint par moments la perfection. Et il y a aussi le sujet traité, celui du grand poète devant la mort : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Bleu d'acier et légères, agitées par un imperceptible vent debout, les vagues de l'Adriatique avaient déferlé à la rencontre de l'escadre impériale lorsque celle-ci, ayant à sa gauche les collines aplaties de la côte de Calabre qui se rapprochaient peu à peu, cinglait vers le port de Brundusium, et maintenant que la solitude ensoleillée et pourtant si funèbre de la mer faisait place à la joie pacifique de l'activité humaine, maintenant que les flots doucement transfiguré par l'approche de la présence et de la demeure humaines la peuplaient de nombreux bateaux, - de ceux qui faisaient route également vers le port et de ceux qui venaient d'appareiller, - maintenant que les barques de pêche aux voiles brunes venaient de quitter, pour leur expédition nocturne, les petites jetées des nombreux villages et hameaux étendus le long des blanches plages, la mer était devenue presque aussi lisse qu'un miroir. Sur l'eau s'ouvrait la conque nacrée du ciel, le soir descendait et l'on sentait l'odeur des feux de bois, chaque fois que les bruits de la vie, le son d'un marteau ou un appel étaient apportés du rivage par la brise. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dès le début Virgile est présenté comme un homme malade près de la mort : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Des sept bâtiments de haut bord qui se suivaient en ligne de file, seuls le premier et le dernier, deux Pentères élancées, armées d'éperon, appartenaient à la flotte de guerre : les cinq autres, plus lourds et plus imposants, à dix et douze rangées de rames, étaient d'une construction pompeuse, digne de la cour d'Auguste, et celui du milieu, le plus somptueux, brillant de sa proue dorée armée de bronze, brillant des têtes de lion dorées, porteuses d'anneaux, fixées sous les rambardes, les haubans pavoisés de pavillons multicolores, celui du milieu portait sous des voiles de pourpre, grande et solennelle, la tente de César. Mais sur le navire qui suivait immédiatement se trouvait le poète de l'Énéide et le signe de la mort était marqué sur son front. En proie au mal de mer, tenu en alerte par la menace perpétuelle d'un nouvel accès, il n'avait pas osé bouger de toute la journée. Toutefois, bien que rivé à la couche installée pour lui au milieu du navire, lui ou plutôt son corps et sa vie corporelle, que depuis déjà bien des années il avait peine à considérer comme lui appartenant, n'étaient plus qu'un unique souvenir, un effort pour retrouver et savourer à nouveau l'apaisement qui l'avait brusquement envahi, lorsqu'on avait atteint la zone côtière plus calme, et cette fatigue envahissante, à la fois reposée et reposante eût peut-être été une félicité presque parfaite si, en dépit de l'air vif et salubre de la mer, ne s'étaient manifestées à nouveau la toux obsédante, la fièvre déprimante et les angoisses du soir. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il arrive que l'auteur rentre dans les souvenirs d'enfance et cette citation nous permet de voir les répétitions de mots qui caractérisent cet écrivain, et ces répétitions, en quelque sorte, sculptent son style d'écriture : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Combien de fois, ah ! combien de fois il avait été attentif aux phénomènes du repos allongé ! Oui, c'en était presque honteux, de ne pouvoir se défaire de cette habitude puérile ! Il se rappelait avec précision cette nuit très mémorable pour lui, où à huit ans, il s'était aperçu pour la première fois que le seul fait d'être couché donnait matière à l'observation ; c'était à Crémone, en hiver ; il s'était couché dans sa chambre ; la porte qui donnait sur la cour silencieuse du péristyle était fendillée, fermait mal, bougeait un peu, faisant un bruit inquiétant ; dehors, le vent passait sur les massifs, en froissant la paille dont ils étaient recouverts pour l'hiver, et de quelque part, sans doute de la lanterne qui oscillait sous le porche, entrait en frôlant dans la chambre, avec un balancement rythmique, le faible reflet d'un lumière, il entrait sans cesse, entrait comme un dernier écho d'une marée infinie, comme un dernier écho de périodes infinies, comme un dernier écho d'un regard infiniment loin, si perdu, si éteint, d'un lointain si menaçant, si gros de lointain, qu'il invitait pour ainsi dire à poser la question de l'existence et de la non-existence de son propre moi ; et exactement comme autrefois, avec une conscience plus intense et, il est vrai, plus affinée par l'expérience renouvelée toutes les nuits, posant exactement comme autrefois la question de l'existence et de la non-existence de son être corporel, il sentait aujourd'hui exactement comme alors chacune des places sur lesquelles son corps reposait sur la couche et exactement comme autrefois elles étaient les crêtes des vagues sur lesquelles voguait son navire en plongeant légèrement, tandis qu'entre elles s'ouvraient des vallées d'une profondeur insondable. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Finalement, Hermann Broch prétend que Virgile voulait finir l'<i>Énéide</i> dans les mêmes terres que Homère : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « C'est ainsi qu'il gisait, lui, le poète de l'<i>Énéide</i>, lui, Publius Virgilius Maro, il gisait la conscience amoindrie, presque honteux de son impuissance, presqu'en colère de ce destin, et il fixait des yeux la rondeur nacrée de la coupe céleste. Pourquoi avoir cédé aux instances d'Auguste ? Pourquoi avoir quitté Athènes ? Disparue l'espérance de voir s'achever l'<i>Énéide</i> sous le ciel pur et sacré d'Homère, disparue l'espérance de commencer alors une immense nouveauté, l'espérance d'une vie écartée de l'art, affranchie des travaux poétiques, consacrée à la philosophie et à la science de la ville de Platon, disparue l'espérance de fouler encore une fois la terre d'Ionie, oh, disparue l'espérance du miracle de la connaissance et du salut dans la connaissance ! Pourquoi y avait-il renoncé ? Volontairement ? Non ! »</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-36001415318462690812016-06-12T07:12:00.000-04:002016-06-13T08:11:47.864-04:00Le tour d'écrou, Henry James<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://4.bp.blogspot.com/-J_absudJaXU/V1wqDA8BRCI/AAAAAAAADzo/Y5hW5pzU1-0THBPvmCNkQy77Tlw0eFcewCLcB/s1600/le-tour-d-ecrou-2925552.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://4.bp.blogspot.com/-J_absudJaXU/V1wqDA8BRCI/AAAAAAAADzo/Y5hW5pzU1-0THBPvmCNkQy77Tlw0eFcewCLcB/s320/le-tour-d-ecrou-2925552.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note: <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la présentation de l'éditeur : Le huis clos d’une vieille demeure dans la campagne anglaise. Les lumières et les ombres d’un été basculant vers l’automne. Dans le parc, quatre silhouettes – l’intendante de la maison, deux enfants nimbés de toute la grâce de l’innocence, l’institutrice à qui les a confiés un tuteur désinvolte et lointain. Quatre... ou six ? Que sont Quint et Miss Jessel ? Les fantômes de serviteurs dépravés qui veulent attirer dans leurs rets les chérubins envoûtés ? Ou les fantasmes d’une jeune fille aux rêveries nourries de romanesque désuet ? De la littérature, Borgès disait que c’est « un jardin aux sentiers qui bifurquent ». Le Tour d’écrou n’en a pas fini d’égarer ses lecteurs.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans son livre <i>Genius</i>, Harold Bloom disait de Henry James:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Henry James is the most eminent writer of prose fiction that the United States has brought forth. He has only few peers in his nation's literature : Whitman and Dickinson among the poets, and Ralph Waldo Emerson among the prophets. Hawthorne and Faulkner are the only artists of romance who approach his eminence, but his subtle achievement is more nuanced and more universal than theirs. If I had to answer the desert island question with only one American author, I would have to take Whitman because he is richer. Henry James has an almost Dantesque complexity in his vast temple of language, but he lacks Whitman's pathos and dramatic urgency. And while he seems more challenging than Whitman, he is not ; Whitman is the more difficult and finnaly more demanding writer. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Henry James est pour moi l'auteur moderniste qui se rapproche le plus des classiques du XIXe siècle : <i>Portrait de femme</i> et <i>Les ailes de la colombe</i> reprennent (de mon point de vue) la vision littéraire d'une Jane Austen, entre autres. Ce sont de longs romans, des romans fleuves, qui permettent de voir une femme évoluer dans un monde fait pour les hommes, un monde archi-conservateur, et qui, au final, devient l'héroïne d'un monde sans dieu, donc un monde où l'on ne voit presque pas la main de l'écrivain (même si l'on sent quand même une grande sympathie de James pour ses personnages "femmes"). De plus, la forme des romans de James est souvent la même que les romans du XIXe siècle (contrairement à un Knut Hamsun, à un James Joyce, à une Virginia Woolf). Il alterne entre la narration standard et les très longs dialogues. Les thèmes de James sont souvent aussi les mêmes que le XIXe siècle, à cette différence près qu'il s'attarde davantage à un personnage en particulier et délaisse donc les grands romans familiaux du XIXième. Rappelons cependant que James a beaucoup écrit au XIXe siècle et seule son oeuvre tardive est considérée comme moderniste.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">
<i>Le tour d'écrou</i> est bien différent de tout cela. Le genre est celui du fantastique et la forme est à rapprocher, selon moi, beaucoup plus des romans de notre époque (même s'il a été publié en 1898). C'est une histoire de fantôme appréciée par la critique de partout. Elle fait 200 pages. Le premier narrateur nous fait découvrir l'histoire qui était racontée par un autre personnage, Douglas (donc celui-ci est le deuxième narrateur), qui lit un texte de la gouvernante de sa soeur, décédée depuis. Et ce texte est l'histoire de Flora et Miles, deux orphelins qui se comportent étrangement. La gouvernante, la soeur de Douglas, verra deux fantômes qui tournent autour des enfants : Quint, le serviteur, et la précédente gouvernante, Jessel. Donc, une des particularités de ce roman, est que le point de vue qui arrive jusqu'à nous est celui de la troisième narratrice, la soeur de Douglas qui n'est pas nommée. Disons aussi que le texte fût publié à l'origine en feuilleton, ce qui ajoute généralement un effet de suspense parce que les écrivains voulaient accrocher le lecteur, ce qui est quasiment disparu de nos jours.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Donc, après quelques pages d'introduction, c'est la troisième narratrice qui raconte l'histoire :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Il se retourna vers le feu, donna un coup de pied dans une bûche, la contempla un instant. Puis il nous fit face à nouveau. "Je ne peux pas. Il faut que j'envoie quelqu'un en ville." Il y eut un murmure général et de nombreuses protestations, après quoi, l'air toujours préoccupé, il expliqua : "L'histoire est écrite. Elle est dans un tiroir fermé à clef - elle n'en est pas sortie depuis des années. Je pourrais envoyer un mot à mon valet et y joindre la clef ; il me renverrait le paquet tel qu'il est." C'était pour moi tout spécialement qu'il paraissait faire cette suggestion, il semblait presque me demander de l'aider à ne plus tergiverser. Il avait rompu une épaisseur de glace accumulée durant maints hivers ; il avait eu ses raisons pour ce long silence. Les autres s'irritaient de ce retard, mais c'étaient précisément ses scrupules qui me fascinaient. Je l'adjurai d'écrire par le premier courrier et de convenir avec nous d'une prompte lecture, puis je lui demandai si l'expérience en question avait été la sienne. Sa réponse fut immédiate : "Oh, grâce à Dieu, non !" »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> James est capable de réunir à merveille la profondeur psychologique de ses personnages et les descriptions judicieusement trouvées comme dans l'extrait suivant où il passe de l'un à l'autre en un éclair :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Eu égard à mes préoccupations du moment, qu'elle me tournât ainsi le dos ne constitua pas, heureusement, une rebuffade de nature à entraver la croissance de notre mutuelle estime. Et après le retour du jeune Miles à la maison, ma stupéfaction, ma profonde indignation nous lièrent plus étroitement que jamais : il était tellement monstrueux - j'étais désormais prête à l'affirmer - qu'un enfant comme celui que je venais de découvrir pût être sous le coup d'un anathème ! J'arrivais un peu en retard au lieu prévu et, comme il se tenait à la porte de l'auberge où la diligence l'avait déposé, regardant rêveusement autour de lui, j'eus le sentiment de le percevoir dans sa totalité, nimbé de cette même fraîcheur lumineuse, de ce même indéniable parfum de pureté qui avaient pour moi enveloppé, dès le premier moment, sa petite soeur. Il était incroyablement beau ; et Mrs Grose ne s'était pas trompée : sa présence balayait tout sentiment autre qu'une tendresse passionnée. La raison qui me le fit aimer sur-le-champ fut quelque chose de divin que je n'avais jamais trouvé à un tel degré chez un enfant - cet air ineffable de ne rien connaître d'autre du monde que l'amour. On ne pouvait allier une mauvaise réputation à tant de grâce dans l'innocence, et avant même d'être de retour à Bly avec lui, j'étais simplement confondue - pour ne pas dire outragée - par l'insinuation de l'horrible lettre enfermée dans un des tiroirs de ma chambre. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici maintenant le début du récit de la jeune gouvernante et cette citation peut démontrer l'ampleur de la perfection stylistique de James, ancrée entre deux siècles fabuleux du roman (le XIXe et le XXe) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je me souviens que tout commença par une succession de hauts et de bas, un jeu de balançoire entre émotions légitimes ou injustifiées. Après l'élan qui m'avait fait, à Londres, accéder à sa requête, j'eus bien deux jours très sombres, à nouveau hérissée que j'étais de doutes, absolument sûre de m'être fourvoyée. Ce fut dans cet état d'esprit que je passai de longues heures à cahoter et bringuebaler dans la diligence qui me conduisait à la halte où je devais trouver une voiture à la maison. Cette commodité, m'avait-on dit, avait été prévue, et de fait, je trouvai, vers la fin de cet après-midi de juin, un coupé spacieux qui m'attendait. En traversant à cette heure, par une belle journée, une campagne dont la douceur estivale semblait un signe d'amicale bienvenue, ma force d'âme me revint et, comme nous tournions dans la grande allée, elle prit un essor qui prouvait la profondeur de son précédent naufrage. Je suppose que j'avais attendu, ou redouté, quelque chose de si lugubre que ce qui m'accueillit fut une bonne surprise. Je me souviens de la très agréable impression que me firent la grande façade claire, avec ses fenêtres ouvertes aux rideaux frais, et les deux servantes regardant au-dehors. Je me souviens de la pelouse, des fleurs éclatantes, du crissement des roues sur le gravier, et des cimes des bouquets d'arbres au-dessus desquelles les corneilles décrivaient des cercles et criaient dans le ciel doré. Le décor avait une majesté sans aucune commune mesure avec ma propre demeure étriquée. Puis, sans tarder, apparut à la porte, tenant par la main une petite fille, une personne fort polie qui me fit une révérence aussi cérémonieuse que si j'avais été la maîtresse de maison ou une visiteuse de marque. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Malgré la différence de genre, les descriptions sont typiques de James :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Quand elle se présenta à lui, dans une maison de Harley Street dont les dimensions imposantes l'impressionnèrent, cet employeur éventuel se révéla être un gentleman célibataire, dans la fleur de l'âge, un personnage tel qu'il n'en était jamais apparu, sinon en rêve ou dans un roman, à une tremblante et timide jeune fille venue d'un presbytère du Hampshire. Le type en est facile à décrire : il ne disparaît heureusement jamais totalement. Il était joli garçon, plein d'aisance et courtois, simple, enjoué et très affable. Bien évidemment, ses manières de galant homme et son allure la frappèrent, mais ce qui la fascina le plus et lui donna le courage qu'elle montra ensuite, ce fut qu'il présenta toute la chose comme une sorte de faveur qu'elle lui ferait, une dette qu'il contracterait envers elle, un service dont il lui saurait infiniment gré. Elle le supposa riche mais terriblement prodigue. Elle l'auréolait d'une élégance raffinée, d'une grande séduction physique, d'habitudes dispendieuses, de manières exquises avec les femmes. Il avait comme résidence citadine cette grande maison pleine de butins de voyage et de trophées de chasse, mais c'était dans sa résidence campagnarde, une vieille demeure familiale, qu'il voulait qu'elle se rendît immédiatement. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Tolstoï disait du "Stephen King" de son époque que ce dernier voulait lui faire peur mais qu'il n'avait pas peur. Cette anecdote-citation de Tolstoï résume parfaitement ce genre du fantastique-horreur. Malgré l'ironie de cette citation et son caractère superficiel, elle montre le ridicule de la littérature de genre. Ici aussi, Henry James veut nous faire peur mais lorsqu'on n'a pas peur, comme moi, l'exercice tombe un peu à plat. Même si l'écriture de James est à mille lieues de tous les écrivains de ce genre, qu'il est de loin supérieur, on ressent quand même un effet raté même si, paradoxalement, il est réussi (dans la logique de ce genre en particulier).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Mais il n'y a pas seulement de l'horreur (dans le but de faire peur) dans ce texte. Une inquiétante étrangeté s'en dégage, ce qui est beaucoup plus intéressant. En fait, il n'est pas surprenant que Borges ait adoré ce court roman, lui qui semble y avoir puisé une quantité infinie "d'extase métaphysique" que la fiction et l'imaginaire ont apportée, et Borges, l'homme à l'infini talent selon Nabokov, y a vu ce que plus tard il a transposé dans ses nouvelles : la grâce de la "brève" et l'élégance d'un imaginaire sans limite. (En passant, il faut dire que Nabokov détestait James). De plus, étrangement, on retrouve dans ce roman la même prose que dans ses grands classiques comme </span><i style="font-family: times, "times new roman", serif;">Portrait de femme</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> et </span><i style="font-family: times, "times new roman", serif;">Les ailes de la colombe</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> même si tout le reste est complètement différent. Dans ces romans il n'y a pas de passages purement poétiques (contrairement à Virginia Woolf) mais cette poésie difficile à déceler d'un premier abord est plutôt intégrée dans une prose qui semble un peu banale d'un premier coup d’œil mais qui ne cesse de nous habiter une fois le livre refermé. Le génie et le talent de prosateur de James débordent tellement de partout que ses romans sont en nous à tout jamais. Les meilleurs romans selon moi sont ceux où l'on sort de notre lecture avec la tête remplie de questionnements. On les relit, et de nouveaux questionnements surgissent. On a la tête remplie de questions et non de réponses contrairement à ceux, comme la fiction populaire, les best-sellers, qui offrent des réponses aux lecteurs. Roberto Bola</span><span style="background-color: white; color: #545454; line-height: 18.2px; text-align: left;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">ñ</span></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">o disait que les gens lisent des romans qu'ils comprennent. C'est pour cela que les meilleurs ne vendent pas beaucoup et que bien souvent, la courbe qualité / nombre de ventes est négative. Henry James est pour moi de la première catégorie.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour Philip Roth, Henry James est le Marcel Proust des États-Unis. Et personnellement, je suis plutôt d'accord avec lui (et avec Harold Bloom aussi), c'est le grand auteur américain qui a su percevoir et mettre en mots les sentiments humains, qui connaissait le plus la nature humaine. Même si l'on doit considérer que James est aussi un écrivain européen (il y a longtemps habité), les États-Unis semblent représenter pour lui sa véritable terre intérieure. À l'époque, Henry James n'était que le frère de William James, le philosophe du pragmatisme. Mais aujourd'hui, ce philosophe est un peu tombé dans l'oubli, ou à tout le moins il est beaucoup moins reconnu, et il est maintenant le frère du grand Henry, le véritable génie de la famille. Comme quoi l'histoire fait bien les choses... </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-1972965676459058262016-06-02T07:14:00.000-04:002016-06-03T07:10:44.036-04:00Les gommes, Alain Robbe-Grillet<a href="https://3.bp.blogspot.com/-yHe2-Ky65OQ/V09TG_lBBkI/AAAAAAAADyY/reKYeHgczjoZztqh32aAL6HgDJWFVK98ACLcB/s1600/livre_galerie_9782707321862.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://3.bp.blogspot.com/-yHe2-Ky65OQ/V09TG_lBBkI/AAAAAAAADyY/reKYeHgczjoZztqh32aAL6HgDJWFVK98ACLcB/s320/livre_galerie_9782707321862.jpg" /></a><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : Il s'agit d"un événement précis, concret, essentiel : la mort d’un homme. C’est un événement à caractère policier – c’est-à-dire qu’il y a un assassin, un détective, une victime. En un sens, leurs rôles sont même respectés : l’assassin tire sur la victime, le détective résout la question, le victime meurt. Mais les relations qui les lient ne sont pas aussi simples qu’une fois le dernier chapitre terminé. Car le livre est justement le récit des vingt-quatre heures qui s’écoulent entre ce coup de pistolet et cette mort, le temps que la balle a mis pour parcourir trois ou quatre mètres – vingt-quatre heures « en trop ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Schopenhauer disait que pour écrire, bien écrire, il faut avoir quelque chose à dire. Dans le roman, cela est forcément plus subtil parce que l'on peut avoir un beau style et n'avoir strictement rien à dire. Dans une entrevue donnée à la <i>Paris Review</i>, Robbe-Grillet a déjà abordé cela et d'une façon radicale, parce que pour lui il ne faut pas avoir quelque chose à dire. Il disait :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « When a novelist has “something to say,” they mean a message. It has political connotations, or a religious message, or a moral prescription. It means “commitment,” as used by Sartre and other fellow-travelers. They are saying that the writer has a world view, a sort of truth that he wishes to communicate, and that his writing has an ulterior significance. I am against this. Flaubert described a whole world, but he had nothing to say, in the sense that he had no message to transmit, no remedy to offer for the human condition. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Je pencherais plutôt, sur ce point, du côté de Robbe-Grillet. Comme il le dit, Flaubert n'avait pas de message à faire passer alors que ses romans sont parmi les meilleurs. Virginia Woolf est à son mieux lorsqu'elle n'essaie pas de faire passer son féminisme avant sa prose, son histoire, son monde, son roman. Le roman ne doit pas être un essai (c'est très rare les essais déguisés en roman qui sont excellents) et selon moi, il doit se suffire à lui-même, et lorsqu'il n'a" rien à dire ", il devient plus subtil, plus intrigant, plus "inquiétant".</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Je me suis rarement approché du nouveau roman, à l'exception de Peter Handke, pour lequel j'ai lu quantité de ses livres. Comme plusieurs, par contre, je le placerais davantage dans le roman expérimental. Pour le nouveau roman, on doit, en premier lieu, s'en tenir aux écrivains français : Claude Simon (que je n'ai jamais lu) et Alain Robbe-Grillet sont les plus connus. Ce dernier a notamment déjà écrit un essai sur ce sujet. Mais il y a aussi Nathalie Sarraute, Jean Ricardou et Robert Pinget. Le nouveau roman, courant littéraire qui débuta après 1950, est une forme principalement théorisée par Alain Robbet-Grillet qui se veut une refonte du roman. Avec eux, il n'y a pratiquement plus de personnages, et surtout, il y a un manque dans la psychologie des personnages (les auteurs du XIXème siècle auraient de la difficulté à s'y retrouver). De plus, l'intrigue est inexistante, même si les résumés (synopsis) de ces romans pourraient laisser penser le contraire à ceux qui ne les ont jamais lus. Lorsqu'on les lit, l'intrigue ne se développe pas (ou peu) et l'on se demande ainsi d'où est sorti le synopsis. Comme ici, dans <i>Les Gommes</i>, où les codes du roman policier sont bel et bien présents, mais exploités d'une façon totalement différente.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il est cependant reconnu que le mouvement du nouveau roman n'est pas si "nouveau" que cela. Le modernisme du début du XXe siècle avait commencé à changer la forme du roman : les personnages étaient moins importants qu'au XIXème siècle, et surtout, l'intrigue commençait à s'effacer pour laisser place à la prose en tant que telle, à la prose "elle-même" pourrait-on dire. Conséquemment, les romans se suffisaient à eux-même, notre monde "réel" devenant un peu moins important laissant la place, entre autres, à la subjectivité des personnages, des narrateurs, des écrivains. Le souci de l'art pour l'art triomphait sur le courant naturaliste d'un Zola et le réalisme d'un Flaubert (entre autres).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Nabokov, un excellent critique littéraire et un romancier de génie, n'aimait pas l’appellation "nouveau roman". Pour lui, il y a seulement une école et c'est celle du talent. Par contre, il adore Robbe-Grillet, et plus particulièrement ses trois romans que sont <i>Le Voyeur</i>, <i>La Jalousie</i> et <i>Dans le labyrinthe</i>. Quant aux <i>Gommes</i>, le roman qui nous intéresse ici, il est sans aucun doute son plus connu et il est aussi le premier de son auteur. <i>Les gommes</i> posent en quelque sorte les bases du nouveau roman.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Comme je le disais, le résumé de ce roman ne sert à rien. Lorsqu'on est rendu au moment d'en construire un pour notre critique, comme c'est mon cas présentement, on est piégé. Non pas que l'histoire soit complexe à raconter, mais un des problèmes c'est le prologue qui dévoile un peu tout, et ce qu'il ne dévoile pas, on ne peut en parler sans trop en dire. Le récit, globalement, est celui de l’assassinat de Daniel Dupont dans sa maison. Mais en fait, il n'a pas été tué même si l'inspecteur Wallas tentera de trouver le coupable. L'assassin "maladroit", c'est Garinati. Donc, il n'y a pas de victime, pas de coupable, mais il y a un lecteur et c'est nous qui prenons part à l'action (même si on en sait beaucoup avant les personnages) et c'est nous qui serons enfermés dans cette histoire qui n'en est pas une : « Enfin, du moment que les services centraux veulent prendre entièrement la chose en main, au point de lui enlever même le corps de la victime avant examen, c'est parfait. Qu'on ne s'imagine pas qu'il va s'en plaindre. Pour lui c'est comme s'il n'y avait pas eu de crime. Au fond Dupont se serait suicidé que ça reviendrait exactement au même. Les empreintes sont celles de n'importe qui et, puisque personne de vivant n'a vu l'agresseur...Bien mieux : il ne s'est rien passé du tout ! Un suicide laisse tout de même un cadavre ; or voilà que le cadavre s'en va sans crier gare, et on lui demande en haut lieu de ne pas s'en mêler. Parfait ! Personne n'a rien vu, ni rien entendu. Il n'y a plus de victime. Quant à l'assassin, il est tombé du ciel et il est sûrement déjà loin, en route pour y retourner. » La fonction d'un personnage devient plus importante que son identité propre. Par exemple, avant de connaître leur nom (la plupart du temps) les personnages nous sont présentés par Robbe-Grillet par leur utilité dans le roman : « l'assassin », « la victime », etc. avant de les connaître sous Garinati, Dupont, etc. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On pourrait retrouver certains passages dans un roman policier typique même si avec Robbe-Grillet on est ailleurs (dans un roman comme <i>Les Gommes</i> c'est lorsqu'on place bout à bout tous ces passages typiques que l'on voit que l'auteur s'est joué de nous) : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Drôle de petite tache ; une belle saloperie ce marbre, tout y reste marqué. Ça fait comme du sang. Daniel Dupont hier soir ; à deux pas d'ici. Histoire plutôt louche : un cambrioleur ne serait pas allé exprès dans la chambre éclairée, le type voulait le tuer, c'est sûr. Vengeance personnelle, ou quoi ? Maladroit en tout cas. C'était hier. Voir ça dans le journal tout à l'heure. Ah oui, Jeanette vient plus tard. Lui faire acheter aussi... non, demain. Un coup de chiffon distrait, comme alibi, sur la drôle de tache. Entre deux eaux des masses incertaines passent, hors d'atteinte ; ou bien ce sont des trous tout simplement. Il faudra que Jeanette allume le poêle tout de suite ; le froid commence tôt cette année. L'herboriste dit que c'est toujours comme ça quand il a plu le quatorze juillet; c'est peut-être vrai. Naturellement l'autre crétin d'Antoine, qui a toujours raison, voulait à toute force prouver le contraire. Et l'herboriste qui commençait à se fâcher, quatre ou cinq vins blancs ça lui suffit ; mais il ne voit rien, Antoine. Heureusement le patron était là. C'était hier. Ou dimanche ? C'était dimanche : Antoine avait son chapeau ; ça lui donne l'air malin son chapeau ! Son chapeau et sa cravate rose ! Tiens mais il l'avait hier aussi la cravate. Non. Et puis qu'est-ce que ça peut foutre ? » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Tout semble impersonnel dans ce roman. Les personnages, l'action, l'intrigue, le décor (le nouveau roman peut sembler être un croisement entre le modernisme et postmodernisme) : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Au premier étage, tout au bout d'un couloir, le patron frappe, attend quelques secondes et, comme aucune réponse ne lui parvient, frappe de nouveau, plusieurs coups, un peu plus fort. De l'autre côté de la porte un réveille-matin se met à sonner. La main droite figée dans son geste, le patron reste à l'écoute, guettant avec méchanceté les réactions du dormeur. Mais personne n'arrête la sonnerie. Au bout d'une minute environ elle s'éteint d'elle-même avec étonnement sur quelques sons avortés. Le patron frappe encore une fois : toujours rien. Il entrebâille la porte et passe la tête ; dans le matin misérable on distingue le lit défait, la chambre en désordre. Il entre tout à fait et inspecte les lieux : rien de suspect, seulement le lit vide, un lit à deux personnes, sans oreiller, avec une seule place marquée au milieu du traversin, les couvertures rejetées vers le pied ; sur la table de toilette, la cuvette de tôle émaillée pleine d'eau sale. Bon, l'homme est déjà parti, ça le regarde après tout. Il est sorti sans passer par la salle, il savait qu'il n'y aurait pas encore de café chaud et en somme il n'avait pas à prévenir. Le patron s'en va en haussant les épaules ; il n'aime pas les gens qui se lèvent avant l'heure. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il n'y a pas de grands passages lyriques mais on peut retrouver quand même dans ce roman une prose agréable à lire, une esthétique très respectable : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « La douce Pauline, morte d'étrange façon, il y a bien longtemps. Étrange ? Le patron se penche vers la glace. Que voyez-vous donc là d'étrange ? Une contraction malveillante déforme progressivement son visage. La mort n'est-elle pas toujours étrange ? La grimace s'accentue, se fige en un manque de gargouille, qui reste un moment se contempler. Ensuite un oeil se ferme, la bouche se tord, un côté de la face se crispe, un monstre encore plus ignoble apparaît pour se dissoudre lui-même aussitôt, laissant la place à une image tranquille et presque souriante. Les yeux de Pauline. Étrange ? N'est-ce pas la chose la plus naturelle de toutes ? Voyez ce Dupont, comme il est beaucoup plus étrange qu'il ne soit pas mort. Tout doucement, le patron se met à rire, d'une espèce de rire muet, sans gaîté, comme un rire de somnambule. Autour de lui les spectres familiers l'imitent ; chacun y va de son rictus. Ils forcent même un peu la note, s'esclaffant, se bourrant les côtes à coups de coude et se donnant de grandes tape dans le dos. Comment les faire taire maintenant ? Ils sont en nombre. Et ils sont chez eux. Immobile devant la glace le patron se regarde rire ; de toutes ses forces il essaye de ne pas voir les autres, qui grouillent à travers la salle, la meute hilare, la légion déchaînée des petits pincements de coeur, le rebut de cinquante années d'existence mal digérée. Leur vacarme est devenu intolérable, concert horrible de braiments et de glapissements et tout à coup, dans le silence soudain retombé, le rire clair d'une jeune femme. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> À première vue je trouve le modernisme de loin supérieur à cette période et ce mouvement du nouveau roman (à part Beckett si on le place dans cette catégorie). Avec <i>Les Gommes</i> notre impression est que l'auteur semble vouloir "effacer" ce qu'il écrit après que nous l'ayons lu (à tout le moins dans notre conscience), en ce sens qu'il écrit d'une façon telle que cela permet à notre mémoire d'effacer ce que l'on a lu rapidement. Peter Handke avait déjà écrit un "faux" roman policier, qui a pour nom <i>Le colporteur</i> mais ce dernier était plutôt bâclé si je le compare aux <i>Gommes</i>. Par contre, Jelinek a elle aussi écrit un "faux policier", mais celui-ci était supérieur aux <i>Gommes</i> (bien que très différent) et il s'appelle <i>Avidité</i>.</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com6tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-20242469811517080322016-05-22T07:53:00.000-04:002016-05-26T19:06:49.662-04:00Guerre et guerre, Laszlo Krasznahorkai<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-fPbO6BhCWXY/V0CfsTiMg5I/AAAAAAAADyI/tiCsg1Ale8Y88gL1Y6ofDXvXxWItNvWHwCLcB/s1600/51NUHYhackL._SX310_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://1.bp.blogspot.com/-fPbO6BhCWXY/V0CfsTiMg5I/AAAAAAAADyI/tiCsg1Ale8Y88gL1Y6ofDXvXxWItNvWHwCLcB/s320/51NUHYhackL._SX310_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : Petit historien employé dans un poussiéreux centre d'archives de province, Korim, tenaillé par une mélancolie confinant à la folie, découvre un jour un manuscrit oublié là depuis des décennies. D'une force poétique bouleversante, celui-ci relate l'éternelle errance de quatre figures angéliques poursuivies sur Terre et à travers l'Histoire par l'extension inexorable du règne de la violence. Pénétré par la vulnérabilité de ces personnages, Korim se donne pour but de délivrer à l'humanité le message porté par le mystérieux texte. C'est à New York, au "centre du monde", qu'il décide d'accomplir cette tâche, avant d'entrevoir, au terme de sa course folle, la possibilité d'un refuge pour ses compagnons... Un style virtuose et envoûtant, d'une extrême acuité, embrase ce roman puissant empreint d'un inconsolable chagrin métaphysique.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Les auteurs d'aujourd'hui sont souvent décevants, notamment par leur incapacité à exprimer clairement leurs idées et surtout, dans le roman, à combiner une splendeur de la prose avec une histoire et des personnages bien développés. De plus, tout a été dit en littérature, et plusieurs pensent même que les meilleurs sont encore les trois grands tragédiens grecs (Eschyle, Sophocle, Euripide). Un de nos écrivains contemporains, Paul Auster, parvient à réunir sous un même toit de bonnes histoires et une prose agréable à lire (pour ne pas dire plus), mais on lui reproche souvent son manque de réalisme, particulièrement le réalisme de ses personnages. Il semble être déficient, et le problème est surtout pour les dialogues. Les personnages ont une drôle de façon de s'exprimer, comme si le monde qui les entoure n'évolue pas de la même façon que notre propre monde. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Laszlo Krasznahorkai ne semble pas avoir ce problème, mais ce</span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> n'est pas pour rien que je l'introduis en parlant de Paul Auster, parce que ce sont manifestement deux écrivains qui ont beaucoup en commun (même si l'un est Américain et l'autre est Hongrois).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">
<i>Guerre et guerre</i> a été publié en hongrois en 1999 alors qu'il est arrivé en français en 2013 seulement. Plusieurs s'en désolent, mais pour ma part, je préfère découvrir un auteur (et ses romans) beaucoup plus tard. Lorsque leurs romans sont publiés, le temps n'a pas encore fait son oeuvre. J'ai l'impression que les livres d'un écrivain "mûrissent" avec le temps, pour le meilleur et pour le pire, et que le rôle du lecteur (à tout le moins le rôle du critique) est d'évaluer cette oeuvre après un bon moment, et ainsi, l'on sait avec certitude si le roman a passé l'épreuve du temps (ce qui est le plus difficile dans le merveilleux monde littéraire). Il ne doit pas essayer de se placer dans la peau d'un lecteur du passé, ou encore moins, dans la peau d'un lecteur du futur.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Rentrons maintenant dans le vif du sujet. Dans <i>Guerre et guerre</i>, chaque chapitre est divisé en petite partie numérotée, ce qui amène, à première vue seulement, une absence de texte continu. Cependant, on se rend vite compte que chaque numéro est en fin de compte une seule phrase, et que ces phrases sont très longues. Nous sommes face à un auteur pour qui la forme est un souci constant, autant par le style que par la structure du roman, un peu comme Mo Yan et Paul Auster. Au début du roman, l'écrivain plonge le lecteur en plein mystère : Korim, 44 ans, se fait poursuivre par une bande de voyous et il semble connaître le sens du monde, posséder des pouvoirs, ou à tout le moins des connaissances, un peu surhumaines, que les autres n'ont pas. Il dit aux sept gamins qu'il "allait perdre la tête". Mais cela n'intéresse pas les gamins, pas plus que l'histoire de sa vie qu'il leur raconte, son passé aux archives où tout le monde a arrêté de lui adresser la parole le prenant pour un fou. Le problème avec Korim c'est qu'il pense que sa tête va s'arracher de sa colonne vertébrale. Il part pour New York. Il avait tout plaqué pour arriver dans cette ville, et il y arrive presque en clochard. "Hermès", dit Korim, est le nom qu'il considère comme le véritable point de départ de sa vie, la source profonde de son éveil "intellectuel". Ce Hermès est un dieu grec et Korim le prend pour guide. New York lui donne le vertige, comme il s'y attendait, mais rien ne pourra le faire dévier de son grand projet, le projet de sa vie. Une autre histoire prendra forme avec le manuscrit et les deux évolueront, en quelque sorte, en parallèle.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le style de l'auteur est bien démontré dans cette citation :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Une odeur de goudron flottait dans l'air, une odeur écoeurante, pénétrante, qui s'infiltrait partout, et le vent, bien que soufflant violemment, n'y pouvait rien, car si celui-ci les pénétrait jusqu'à l'os, il ne faisait que propulser et faire tournoyer cette odeur sans pouvoir l'échanger contre une autre, et tout alentour, sur des kilomètres à la ronde, et surtout ici, entre le point d'intersection des voies venant de l'est qui se déployaient en éventail et la gare de marchandises de Rakosrendezo qui apparaissait derrière eux, l'air en était imprégné, était saturé de cette odeur de goudron, dont il était assez difficile de définir ce qui la composait en dehors de l'odeur des résidus de suie et de fumée, déposés par les centaines de milliers de trains qui étaient passés en grondant, celle des traverses crasseuses, du ballast et de l'acier des rails, car il n'y avait pas que cela mais d'autres éléments, des éléments mystérieux, indéfinissables ou tout simplement impossibles à identifier, parmi lesquels probablement l'odeur du poids démesuré de la vacuité humaine, transportée jusqu'ici dans des centaines de milliers de trains, l'odeur écoeurante de millions de volontés stériles, vides de sens, qui, depuis le haut de la passerelle, semblait plus épouvantable encore, une odeur certainement nourrie par l'esprit ambiant de désolation spectrale, de marasme industriel glacial qui s'était lentement, au fil des décennies, abattu sur cet endroit où Korim cherchait maintenant à s'établir, lui qui, dans sa fuite, voulait - imperceptiblement, vite, silencieux - simplement passer de l'autre côté, et poursuivre sa route vers ce qu'il pensait être le centre-ville, avant d'être contraint de se poser sur ce point froid et venté, et de s'accrocher à des détails - rambarde, bord de trottoir, asphalte, métal -, certes fortuits mais qui dans son champ visuel semblaient importants, pour qu'ainsi une passerelle de chemin de fer, à cent mètres devant une gare de marchandises, une tranche non existante du monde devienne existante, marque l'une des premières grandes étapes de sa nouvelle vie, de la "course folle" comme il l'appellerait plus tard, une passerelle qu'il aurait, si on ne l'avait pas retenu, traversée à toute vitesse, aveuglément. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> C'est un roman avec une forte dose de mystère, qui dès les premières pages, semble avoir un projet métaphysique:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « C'était arrivé brutalement, sans le moindre signe avant-coureur, sans aucun préambule, la prise de conscience l'avait frappé et terriblement affligé le jour précis de son quarante-quatrième anniversaire, exactement comme ils lui étaient tombés dessus, tous les sept, au milieu de la passerelle, dit-il, de façon aussi soudaine qu'imprévisible, il était assis au bord d'une rivière - un endroit où il allait de temps en temps -, car il n'avait aucune envie de rentrer dans son appartement vide le jour de son anniversaire, et là, mais vraiment subitement, il s'était aperçu que Dieu du ciel ! il ne comprenait rien, que doux Jésus ! il ne pigeait rien du tout, que nom d'un chien ! il ne comprenait pas le monde, et il fut effaré par cette façon de formuler les choses, par ce niveau de banalité, de cliché, de naïveté, oui, mais le fait est qu'il se trouva horriblement stupide à quarante-quatre ans, un triple idiot qui avait cru pendant quarante-quatre ans comprendre le monde, alors qu'en fait, reconnut-il alors au bord de la rivière, non seulement il ne comprenait pas le monde mais il ne comprenait rien à rien, et le pire dans tout cela était qu'il avait cru, durant quarante-quatre années, le comprendre, ce fut cela le pire en cette soirée d'anniversaire, seul au bord de cette rivière, d'autant plus qu'il ne résultait pas de cette révélation que bon, très bien, maintenant il comprenait tout, non, il ne venait pas d'acquérir un nouveau savoir en échange d'un ancien savoir, mais se trouvait confronté à une épouvantable complexité, et à partir de cet instant, dès qu'il pensa au monde - et ce soir-là, il y pensa intensément et se tortura l'esprit, sans résultat - cette complexité devint de plus en plus opaque, et il pressentit alors que cette complexité incarnait l'essence même de ce monde qu'il tentait si désespérément de comprendre, que le monde ne faisait qu'un avec sa propre complexité, voilà où il aboutit, et il ne baissa pas les bras lorsque, quelques jours plus tard, les problèmes avec sa tête commencèrent. »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Korim semble avoir compris bien des choses mais saurons-nous vraiment si tout cela n'est que folie?:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « [...] il ne fallait pas faire le bon ou le mauvais choix mais admettre que rien ne dépendait de nous, accepter que la justesse d'un raisonnement, aussi remarquable fût-il, ne dépendait pas de son exactitude ou de son inexactitude, puisqu'il n'y avait aucun modèle de référence auquel le mesurer, mais de sa beauté, laquelle nous incitait à croire en sa véracité, voilà ce qui s'était passé entre le soir de son anniversaire et la centième étape de sa réflexion, voilà, fit Korim, ce qui lui était arrivé, il avait compris la force incommensurable de la foi, et donné une nouvelle interprétation à ce que les anciens savaient, à savoir que le monde était et subsistait par la foi en son existence et qu'il périrait avec la perte de cette foi, en conséquence de quoi, bien sûr, dit-il, il avait été submergé par un sentiment paralysant et effrayant de richesse, car il savait désormais que tout ce qui avait existé existait encore, il s'était, en effet, retrouvé par hasard dans une position extrêmement difficile d'où il pouvait clairement voir que, comment dire... soupira Korim, disons, par exemple, que... Zeus était toujours là, que tous les dieux de l'Olympe vivaient encore, que Yahvé et Dieu étaient toujours au ciel, et que tous les fantômes tapis dans les recoins sombres étaient toujours près de nous ; que nous n'avions rien à craindre et tout à craindre, car rien ne disparaissait sans laisser de traces, le non-existant possédait ses propres lois, au même titre que l'existant [...] ». Il poursuit un peu plus loin en disant : « il existait des milliers et des milliers de mondes, dit Korim, chacun - majestueux ou effroyable - suivant ses propres règles, des milliers et des milliers - il éleva la voix - sans le moindre lien entre eux, et c'est en arrivant à ce point de sa réflexion que, tout en savourant cette infinie multitudes d'existences, ses problèmes avec sa tête, problèmes dont il avait précédemment raconté le dénouement prévisible, commencèrent, peut-être était-ce cette richesse, la nature indestructible du passé et des dieux qu'il n'avait pas pu supporter, il n'en savait rien, ce point n'était toujours pas élucidé, [...] »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Laszlo Krasznahorkai est peut-être meilleur que Paul Auster et Don DeLillo mais je devrai en lire davantage pour l'évaluer. Comme je le disais pour Paul Auster au début de ma chronique, Laszlo Krasznahorkai a lui aussi deux grandes qualités : l'histoire est bien construite, elle divertit le lecteur (d'une façon "métaphysique" pourrait-on dire) et il a aussi le souci "esthétique" propre aux grands écrivains, de la phrase bien construite et cela donne aux lecteurs le sentiment de lire un roman parfait, même si habituellement, en relecture, ce genre de roman (ceux de Paul Auster et Laszlo Krasznahorkai) fonctionne généralement moins bien. Nabokov a déjà abordé un sujet proche de celui-ci. Dans ses cours universitaires, il prenait en exemple Dostoïevski en disant que ce dernier s'inspirait de faits divers policiers, qu'il construisait ses romans comme un policier (genre que déteste Nabokov) et conséquemment, en relecture, le voile qui recouvrait ses romans, l'intrigue, disparaissait, et le roman devenait fade. On pourrait dire aussi que cela est vrai avec le postmodernisme (les romans de Paul Auster et Laszlo Krasznahorkai), parce que l'aspect ludique qui s'en dégage, le "jeu", est beaucoup moins intéressant lorsqu'on en connaît les ficelles et de quelles façons elles sont tirées. Mais d'une façon tout à fait personnelle, si je prends en compte seulement mes goûts, je ne suis pas vraiment d'accord avec Nabokov. Pour moi, le résultat final d'un roman importe peu en autant que le voyage pour s'y rendre se fasse dans la grâce. Avec Dostoïevski (et Laszlo Krasznahorkai), il est impossible d'arrêter la lecture tellement ce voyage est grandiose. Nabokov lui-même s'est déjà aventuré sur ces terres avec <i>Feu pâle</i>, un livre qui est très proche de <i>Guerre et guerre</i>. Par contre, le talent de Nabokov est de loin supérieur à </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Paul Auster et Laszlo Krasznahorkai</span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> et <i>Feu pâle</i> permet plusieurs relectures. Il contient même un long poème qui se suffit à lui-même.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Je disais en début de chronique que je lis rarement les auteurs vivants parce qu'ils me déçoivent presque systématiquement mais je dois dire ceci de Laszlo Krasznahorkai : voilà enfin un contemporain qui a les moyens de ses ambitions, qui est à la recherche d'une grandeur et qui peut, par son talent, l'obtenir. Le romancier Jonathan Franzen disait dernièrement que tout n'a pas été fait dans le domaine de la littérature et que certains parviennent à renouveler cette forme. Je ne suis pas d'accord avec lui, surtout s'il parlait de lui-même (il est tellement proche de Dickens qu'il lui vole même ses noms de personnages). Selon moi, tout a été fait en littérature, mais si quelque-uns parviennent quand même à se démarquer, Laszlo Krasznahorkai est certainement de ceux-là. L'histoire est intéressante, le style grandiose, la construction sans failles.</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com8tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-50530940831091416932016-05-12T07:24:00.000-04:002016-05-17T10:46:47.394-04:00Le dernier homme, Mary Shelley<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-BmMd84xqgdE/VzNCbkuq2II/AAAAAAAADx4/ozTyIBBqRh4C26qjcbrATxFbYU5zwUNywCLcB/s1600/9782070402861FS.gif" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://1.bp.blogspot.com/-BmMd84xqgdE/VzNCbkuq2II/AAAAAAAADx4/ozTyIBBqRh4C26qjcbrATxFbYU5zwUNywCLcB/s320/9782070402861FS.gif" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : Lionel Verney est le dernier homme.
Accablé par la mort de son père, ancien ami du roi d'Angleterre, tombé en disgrâce et réduit à la pauvreté, Verney abandonne sa jeunesse à l'esprit de revanche et à la violence, avec, tendrement enfouie, une lueur d'amour pour sa sœur Perdita.
Arrivent dans le voisinage, au château de Windsor, les enfants royaux, Idris et Adrian. Leur rencontre préside au bouleversement de leurs vies, chacun révélant à l'autre sa véritable nature...
Puis, survient la terrible nouvelle : la peste a fait son apparition et progresse. Exacerbant passions et sagesse, le fléau met chaque homme en face de son destin.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Cette écrivaine a eu la chance (ou la malchance) d'être la compagne de vie de Percy Shelley, un des plus grands poètes anglais, décédé très jeune à l'âge de 29 ans en 1822. Je dis malchance, peut-être, parce que les littéraires ont habituellement une grande admiration pour son mari et celle-ci, l'écrivain secondaire du couple, est prise au sérieux par seulement une petite partie de ces universitaires. Et ce roman-ci en particulier est un peu tombé dans l'oubli parce que le <i>Fankenstein</i> de cette auteure balaie tout sur son passage, notamment avec ce nom commun qu'il est devenu, au fil des siècles, dans la culture populaire. Dans sa liste de centaines de titres qu'il a dressée pour désigner le <i>Canon occidental</i>, Harold Bloom y place <i>Frankenstein</i> mais on n'y voit pas <i>Le</i> <i>dernier homme</i>. C'est un roman qui n'a pas réellement traversé les années et cela n'est pas tout à fait sans raison. Nous verrons pourquoi dans cette critique. Mais disons, tout d'abord, qu'il est encore publié de nos jours uniquement parce qu'il est écrit par le même auteur de l'un des plus grands classiques de la littérature de terreur. En fait, j'avais adoré <i>Frankenstein</i>, et plus particulièrement le romantisme qui s'en dégageait malgré un propos et un livre terrifiant. Cette totale réussite cachait un roman de Shelley très peu lu : <i>Le dernier homme</i>.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ainsi, ce bouquin est l'un des plus méconnus du siècle d'or du roman, le XIXème siècle. Lorsqu'un auteur a réussi à accéder à la culture populaire, par le biais du roman, il n'est pas rare que ses autres écrits tombent un peu dans l'oubli. On peut penser aussi à Bram Stoker et <i>Dracula</i>. De plus, <i>Frankenstein </i>n'est pas seulement connu pour ce qu'il est en tant que tel, pour toutes les oeuvres et les produits dérivés, mais aussi pour le contexte dans lequel il a été écrit : c'est Lord Byron qui propose à ses amis (dont Mary Shelley faisait partie) de participer à un intéressant petit concours : celui d'écrire une histoire de fantôme. Seule Mary Shelley a fini par écrire ce genre d'histoire. Conséquemment, <i>Frankenstein </i>est devenu le parfait mythe que la littérature pouvait espérer et un objet de culte. Cela a produit des parodies littéraires sur cette oeuvre au même titre que <i>don Quichotte</i> (qui lui était déjà une parodie) ainsi que des pièces de théâtre, des films, etc. Et <i>Le dernier homme</i> dans tout cela? Eh bien, comme je le disais plus haut, il n'en est pas resté grand-chose à part l'oeuvre elle-même. Seuls les curieux comme nous pourrons s'y intéresser (ce qui est souvent une bonne chose pour les lecteurs sérieux parce que notre perception de l'oeuvre n'en est pas changée par la culture populaire, nous pouvons lire le roman d'une façon parfaitement claire). Pourtant, malgré tout ce que j'ai dit, il faut rajouter que <i>Le dernier homme</i> fût extrêmement populaire à sa sortie. Il fut publié en 1826 alors que Frankenstein date de 1818.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Et fait intéressant, elle commence, avec <i>Le dernier homme</i>, à situer l'action en 1818 et un peu comme dans <i>Souvenirs de la maison des morts</i> de Dostoïevski (mais dans le genre "fantastique"), la narratrice trouve dans un message l'histoire qui nous sera racontée (et par la suite, la nouvelle histoire prendra toute la place). Ce sera celle d'une époque lointaine, en 2073, où une série de guerres se poursuivront pendant plusieurs années pour aboutir en 2100 où l'on retrouve Lionel Verney le narrateur de cette nouvelle histoire et surtout : <i>le dernier homme</i>. Avec la maladie qui court pendant toutes ces années, le monde n'est plus ce qu'il était et Verney semble être devenu le dernier homme vivant. Après l'introduction de la première narratrice, nous plongeons dans le monde de ce Lionel Verney avec ces mots :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je suis originaire d'une île perdue au milieu des nuages. Lorsque je me représente la surface du globe avec son océan sans rivages et ses continents immenses, elle m'apparaît comme un point insignifiant dans l'immensité du tout. Mais si je mets dans la balance l'intelligence de sa population, je m'aperçois qu'elle surpasse de beaucoup des pays plus vastes et plus peuplés. Car c'est l'esprit de l'homme - et lui seul - qui créa tout ce qui est bon et grand pour l'homme ; la Nature ne fut que son intendant. L'Angleterre, perdue loin au nord dans la mer agitée, affleure maintenant dans mes rêves comme un vaste navire bien gouverné qui maîtrisait les vents et voguait fièrement sur les flots tourmentés. Aux jours de mon enfance elle était pour moi l'univers. Lorsque je contemplais du haut de mes collines natales la plaine et la montagne qui s'étendaient jusqu'à l'extrême limite de ma vision, tachetées par les habitations de mes compatriotes et fertilisées par leur labeur, je me croyais au centre même de la terre ; et le reste du monde n'était qu'une fable, dont l'oubli n'aurait rien coûté à mon imagination ni à mon intelligence. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le narrateur est l'aîné de la famille, il devient orphelin et travaille sur une ferme : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « J'étais l'aîné. J'avais cinq ans à la mort de ma mère. Le souvenir des conversations de mes parents, les informations relatives aux amis de mon père, que ma mère s'était efforcée de me transmettre dans l'espoir qu'elles pussent m'être un jour utiles, entretenaient un rêve flou dans mon esprit. Je me pénétrai de la conviction que j'étais différent de mes protecteurs et de mes compagnons - que je leur étais même supérieur -, mais j'ignorais en quoi. Le sentiment d'une injustice, que j'avais associée au nom du roi et des nobles, me serrait la gorge ; mais j'étais incapable tirer de ces impressions quelques conclusion susceptible de guider ma conduite. Somme toute, je n'étais qu'un orphelin livré à lui-même au milieu des vallées et des collines du Cumberland. Je travaillais pour un fermier ; ma houlette à la main et mon chien à mes côtés, je gardais un grand troupeau de moutons dans les montagnes avoisinantes. Je n'eus guère à me louer d'une existence qui me réservait plus de déboires que de plaisirs. J'y trouvais une certaine liberté, une familiarité avec la nature, et une solitude assurée ; mais ces délices romantiques s'accordaient mal avec l'amour de l'action et le désir de chaleur humaine propre à la jeunesse. Ni le soin de mes bêtes ni la succession ne parvenaient à dompter ma nature récalcitrante. Ma vie au grand air et le temps libre dont je disposais étant source de tentations, qui développaient en moi des habitudes de hors-la-loi. Je m'associai à d'autres désœuvrés de mon genre, et les organisai en une bande dont je pris la tête. Nous étions tous bergers et tandis que nos troupeaux étaient aux pâturage, nous concevions et exécutions maintes actions délictueuses, qui attirèrent sur nous la colère et la vengeance des campagnards. J'étais le chef et le protecteur de mes compagnons et comme ma position de dirigeant me mettait en vedette, les paysans en vinrent à m'attribuer tous leurs méfaits. J'endurais à les défendre maints châtiments avec un cœur héroïque, mais j'exigeais en échange qu'ils me témoignent obéissance et respect. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Une des nombreuses questions qui nous traversent l'esprit à la lecture de ce livre est la suivante : Mary Shelley croyait-elle vraiment à cette "anticipation", croyait-elle que notre monde du XXIe siècle serait encore figé dans celui du XIXème, avec des chevaux comme moyen de transport et l'absence de technologie ? Mon opinion est qu'elle s'est fait piéger par le passé en se disant que celui-ci (avant 1800) n'était pas bien différent de son présent (après 1800) et que cela ne devrait pas changer pour le futur (XXIe siècle). Nous pouvons critiquer plusieurs choses dans ce roman, mais la plume de l'auteur est, comme pour <i>Frankenstein</i>, à peu près sans reproche : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Voilà des rêves bien fous. Mais depuis qu'ils se sont imposés à moi, il y a une semaine, du haut de la cathédrale Saint-Pierre, ils règnent sur mon imagination. J'ai choisi mon bateau et j'y ai placé mes maigres provisions. J'ai choisi quelques livres, en particulier Homère et Shakespeare - mais les bibliothèques du monde me sont ouvertes, et dans chaque port je peux renouveler mon stock. Je n'ai guère d'illusions sur mon avenir ; mais la monotonie du présent m'est intolérable. Ni l'espoir ni la joie ne sont mes guides - le désespoir harassant et le désir de changement me conduisent. J'ai hâte d'affronter le danger, de connaître la peur, d'avoir une tâche, minime ou ambitieuse, pour remplir chaque journée. Je serai le témoin de la diversité des éléments - je lirai les bons augures dans l'arc-en-ciel, les menaces dans les nuages. Dans toute chose je déroberai une leçon ou un tendre souvenir. Ainsi, le long des rivages de la terre déserte, le soleil haut dans l'éther ou la lune au firmament, les esprits des morts et l'oeil toujours ouvert de l'Être Suprême veilleront sur la frêle embarcation dirigée par Verney - Le DERNIER HOMME. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En conclusion, il faut en arriver au principal défaut de ce bouquin (et c'en est tout un) : on a l'impression, même s'il se déroule dans notre futur, de lire sur un passé très lointain, dans une langue tout aussi lointaine et ainsi, l'ambiance "générale" du roman ne fonctionne pas, tout comme sa mécanique, son récit et son "réalisme". C'est un roman d'anticipation comme <i>Ravage </i>de René Barjavel et <i>La route</i> de Cormac McCarthy. Par contre, il n'y a rien qui pourra réellement arriver dans notre monde. Elle s'était peut-être gardée une porte de sortie avec les changements de narrateurs du début, ce qui nous fait douter que tout cela se passe réellement dans notre espace-temps. Si elle a voulu anticiper sur trois siècles, elle s'est trompée sur tout. Cela explique pourquoi le roman fut populaire à sa sortie mais qu'il soit tombé dans l'oubli rapidement. Malgré les erreurs de ce roman d'anticipation (et donc de science-fiction) on peut quand même le préférer à ceux d'aujourd'hui (ce qui explique ma note élevée). Ces classiques de l'anticipation sont généralement mieux écrits que ceux d'aujourd'hui (et le mot est faible) et jouissent aussi d'une plus grande érudition littéraire, comme ici, où Shelley est capable de parler de la littérature alors que les écrivains de science-fiction d'aujourd'hui ont la tête remplie de clichés télévisuels. La splendeur esthétique d'un roman comme <i>Le dernier homme</i> est incomparable avec ceux de notre époque (à part peut-être <i>La route</i> de McCarathy) et de plus, la richesse du vocabulaire et de la prose de Shelley se marie à merveille avec un romantisme envoûtant. Depuis quelques années, je préfère <i>Frankenstein</i> à <i>Dracula</i> (pour comparer les deux romans d'horreur les mieux écrits) et surtout depuis quelques relectures, et <i>Le dernier homme</i>, malgré de grandes faiblesses, m'a rappelé pourquoi il en était ainsi. En plus du style qui est supérieur, le romantisme est une période en littérature que j'affectionne particulièrement et elle est, selon moi, d'une plus grande qualité que le style gothique (qui définit mieux <i>Dracula</i> que <i>Frankenstein</i> (de nos jours)). Dans <i>Le dernier homme</i>, le romantisme est ténébreux en plus de sembler terrifiant à certains moments. <i>Frankenstein</i> est la meilleure porte d'entrée dans la grande littérature mais on ne peut pas dire la même chose du <i>Dernier homme</i>. C'est un roman que l'on doit lire beaucoup plus tard, sans attente particulière, comme une lecture secondaire plutôt qu'essentielle. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Parmi ses qualités, il m'a rappelé, à plusieurs endroits, la poésie de Leopardi et la prose de Goethe (alors que je m'attendais à y voir une poétique de science-fiction) : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Je fus incapable de trouver le repos. J'errais dans les collines ; elles étaient battues par un vent d'ouest, et les étoiles scintillaient dans la voûte céleste. Je courrais sans prêter la moindre attention aux objets environnants, en essayant de maîtriser l'agitation de mon esprit par un épuisement physique. "Voilà, songeai-je, la vraie puissance ! Ce n'est pas avoir les membres solides, le coeur dur, être féroce et intrépide, mais c'est être bon, compatissant et doux." J'interrompis mon élan, m'étreignis les mains et avec la ferveur d'un nouveau prosélyte je m'écriai : "Ayez confiance en moi, Adrian. Moi aussi je deviendrai sage et bon !" Puis, bouleversé jusqu'à l'âme, je me laissai aller à pleurer. Je me sentis plus calme après le déferlement de cette vague de passion. Je m'étendis sur le sol, et lâchant la bride à mes réflexions je passai en revue mon existence ; je songeai aux errements de mon coeur et découvris à quel point je m'étais jusqu'alors montré brutal, sauvage, indigne. Je n'éprouvais toutefois aucun remords, car il me semblait que je naissais une seconde fois : mon âme jetait le fardeau de ses fautes passées pour commencer une nouvelle vie empreinte d'amour et d'innocence. Rien de grossier ne subsistait qui fût susceptible d'interférer avec les doux sentiments que cette rencontre m'avait inspirés. J'étais pareil à un enfant répétant ses dévotions après sa mère, et mon âme malléable était remodelée par une main de maître à laquelle je ne désirais ni ne pouvais résister. »
</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-61662427950231182872016-05-02T07:23:00.000-04:002016-05-18T18:39:49.100-04:00L'étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde, Stevenson<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-ADReiVQ6Kck/VyYbPynQ0KI/AAAAAAAADxo/frlTCMd771IzC0c41AdX-MIfe86_WAZhACLcB/s1600/product_9782070424481_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/-ADReiVQ6Kck/VyYbPynQ0KI/AAAAAAAADxo/frlTCMd771IzC0c41AdX-MIfe86_WAZhACLcB/s320/product_9782070424481_195x320.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Voici la quatrième de couverture: Ce célèbre roman ne se réduit pas à une histoire de double, une parodie de Frankenstein. Qu'est-ce qui se cache derrière la porte ? L'intérieur de notre être, où voisinent le civilisé et le sauvage, l'animalité et l'humain, la mort et la vie ? Ou bien un crime secret que nous devrions expier ? Les frontières entre le jour et la nuit s'estompent, comme dans le brouillard ou dans la pluie de Londres. La peur s'insinue en nous, notre identité personnelle vacille.
Stevenson multiplie les points de vue, à travers diverses récits, dont le dernier, celui du docteur Jekyll, laisse ouverte une question : et si M. Hyde courait encore à travers le monde ? Hyde n'est pas seulement le mal que Jekyll a expulsé de lui. C'est plutôt la figure du malheur. Par elle, Stevenson a donné une forme à ses tourments. Par l'art, il a triomphé de ses songes cruels.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour introduire Stevenson, j'aimerais vous présenter un passage du livre "Littératures" de Nabokov que l'on retrouve dans les éditions Robert Laffont :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je tiens tout d'abord à insister sur un point essentiel : si "Jekyll et Hyde" a jamais été dans votre esprit une sorte de roman policier, ou un film, je vous en prie, oubliez complètement, chassez de vos mémoires, effacez, désapprenez, consignez à l'oubli toute idée de ce genre. Il est, bien sûr, tout à fait vrai que le court roman de Stevenson, écrit en 1885, est l'un des ancêtres du roman policier moderne. Mais le policier d'aujourd'hui est la négation même du style, n'étant, au mieux, que de la littérature conventionnelle. Franchement, je ne suis pas de ces professeurs qui se vantent naïvement d'aimer les romans policiers - ils sont trop mal écrits à mon goût et m'ennuient à mourir. Et l'histoire de Stevenson - Dieu bénisse son âme pure - ne tiendrait pas debout en tant qu'histoire policière. Ce n'est pas davantage une parabole ni une allégorie, car ce serait, dans un cas comme dans l'autre, une faute de goût. Elle possède cependant un charme particulier et bien à elle, si nous la considérons comme un phénomène de style. Ce n'est pas seulement une bonne histoire de croquemitaine, comme se l'est exclamé Stevenson au sortir d'un rêve dans lequel il l'avait visualisée, un peu de la même manière, je suppose, que la "célébration magique" avait fourni à Coleridge la vision du plus fameux des poèmes inachevés. C'est aussi, et c'est là le plus important, "une fable qui tient davantage de la poésie que de la prose ordinaire", et par conséquent une oeuvre d'art du même ordre que, par exemple, <i>Madame Bovary</i> ou les <i>Âmes mortes</i>. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Rares sont les écrivains et les romans de ce genre prisés par Nabokov. Pour lui, un roman est plus que son histoire et ils doivent donner des "frissons" entre les "omoplates" à leurs lecteurs. Bref, les mauvais lecteurs prennent les romans au premier degré sans vouer un culte à cet art. Dans le genre du <i>Docteur Jekyll et M. Hyde</i>, il en cite continuellement deux autres pour l'accompagner : <i>La métamorphose</i> de Kafka et <i>Le manteau</i> de Gogol. (Trois oeuvres fantastiques bien que Nabokov rajoute que pour lui tous les romans sont du genre "fantastiques".)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On connaît tous un peu l'histoire de <i>L'étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde</i>. C'est une seule et même personne, le docteur Jekyll qui crée un double "mauvais" de lui-même, M. Hyde. On peut certainement retrouver cette histoire de double intérieur dans une foule de clichés sociaux, dans la culture populaire, dans les théories de toutes sortes. Les romans et la fiction, d'une façon générale, influencent très souvent les penseurs. Freud et Sophocle, pour le complexe d'Oedipe, par exemple. Et de plus, Freud aurait pu appeler (selon Harold Bloom) ce concept le complexe d'Hamlet tellement il se rapproche du prince du Danemark. Mais pour le roman qui nous intéresse ici, ce qui m'est revenu en tête en premier, c'est la théorie de "l'ombre" de Carl Gustav Jung. Voyez ce qu'en disent Elie G. Humbert et Carl Jung (citation via wikipédia) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le point de départ est simple : la plupart des hommes ignorent leur ombre. […] Le plus souvent elle est projetée dans des troubles somatiques, des obsessions, des fantasmes plus ou moins délirants, ou dans l'entourage. Elle est « les gens », auxquels on prête la bêtise, la cruauté, la couardise qu'il serait tragique de se reconnaître. Elle est tout ce qui déclenche la jalousie, le dégoût, la tendresse. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « L’ombre est quelque chose d’inférieur, de primitif, d’inadapté et de malencontreux, mais non d’absolument mauvais. » « Il n’y a pas de lumière sans ombre et pas de totalité psychique sans imperfection. La vie nécessite pour son épanouissement non pas de la perfection mais de la plénitude. Sans imperfection, il n’y a ni progression, ni ascension. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ainsi, nous voyons facilement l'influence considérable qu'a eue Stevenson sur la psychanalyse, même si le M. Hyde de Stevenson semble être davantage "méchant" que le concept de "l'ombre" de Jung. Le point intéressant avec ce roman, au-delà de la satire qu'il semble offrir (il y a notamment une volonté de l'auteur à vouloir réécrire Frankenstein "ironiquement"), au-delà aussi de toutes les explications "allégoriques" que l'on peut évoquer, c'est la forme employée par Stevenson qui nous permet de voir l'histoire (le mystère d'un homme qui est en fait un autre homme) sous plusieurs angles. Et la fin est extraordinaire parce que ce sera l'ultime version qu'on aura, soit celle du docteur Jekyll. On peut ressortir de ce roman avec une infinité de questionnements et analyser le roman de plusieurs façons.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le livre, qui est assez court, 100 pages tout au plus, se divise en 10 parties : dans la première, des personnages voient Hyde piétiner une fillette. Dans la deuxième, c'est du testament du docteur Jekyll dont il sera question : il lègue tout à Hyde et une enquête informelle débutera. Utterson, celui qui enquêtera, parlera du testament avec Jekyll dans la partie suivante et lui fera part de ses craintes de le voir tout léguer à Hyde. Dans la quatrième partie il y aura un autre crime de Hyde. Dans la cinquième partie, Jekyll assure à Utterson que Hyde n'est plus dangereux alors que dans le chapitre suivant Hyde est encore recherché et il semble s'être évaporé. Jekyll se cache aussi. Dans la septième partie, les deux comparses, Utterson et Enfield, rencontre Jekyll et font une découverte stupéfiante. Dans la partie suivante, Jekyll semble s'être fait assassiner. Et finalement, dans les deux dernières parties, nous aurons les versions du docteur Lanyon et de Jekyll.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Nabokov semble avoir une fascination pour la dualité dans le roman. Le seul livre qu'il apprécie de Dostoïevski est <i>Le double</i> et cette histoire est celle d'un homme qui voit sa vie intérieure et extérieure chamboulée lorsque arrive une sorte de double de lui-même mais dont ses proches n'arrivent pas à bien saisir. Nabokov a même déjà écrit un roman semblable. Il avait pour nom <i>La méprise</i>. De plus, il apprécie au plus haut point <i>La métamorphose</i> de Kafka (il le classe parmi les quatre meilleurs livres du siècle) et on pourrait dire que ce roman présente lui aussi une forme de dualité : Gregor Samsa se réveille en insecte. Et selon moi, <i>L'étrange Cas du docteur Jekyll et M. Hyde</i> est proche de <i>La métamorphose</i> parce que pour ces deux romans nous vivrons l'expérience de "l'inquiétante étrangeté" si difficile à atteindre en littérature. Et comme <i>La métamorphose</i>, ici il n'y a pas un mot de trop (et c'en est de même des histoires de Poe). En ce sens (et en d'autres sens aussi) le présent roman est à mille lieues de <i>Frankenstein</i> même si l'histoire est aussi celle d'un docteur qui donne naissance à une étrange créature. <i>Frankenstein</i> est ancré dans la période romantique, avec les effusions de sentiments humains et le grand lyrisme qui le caractérise, alors que le docteur <i>Jekyll et M. Hyde</i> y va d'une précision chirurgicale sans un mot de trop. Je parlais d'Edgar Allan Poe un peu plus haut et je dois dire que j'y ai vu plusieurs liens avec ses enquêtes. Poe est l'inventeur du roman policier et Stevenson semble suivre ses traces et l'ambiance inquiétante qu'il crée se rapproche de celle de Poe. On pourrait, à la limite, placer le présent roman dans cette catégorie du <i>policier</i>, du <i>suspence</i>, et d'une façon plus générale du <i>mystère</i>. Même si Nabokov déteste cela. C'est manifestement un roman écrit avec habileté, il est ingénieux autant dans sa construction que dans son style. Je comprends mieux l'admiration de Nabokov pour Stevenson. Avant ma lecture, je me demandais bien ce qu'un auteur comme Nabokov pouvait trouver de bon à un écrivain comme Stevenson, étant donné que ce dernier semblait écrire des romans de "divertissement" simples, populaires, mais je me suis rendu compte qu'il est capable de créer une ambiance au-delà de ce que le talent peut apporter et dont seul le génie est capable.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">On pourrait tracer une ligne de temps avec les romans suivants qui abordent (certains plus que d'autres) un peu les thèmes de la dualité, du double, de la confrontation avec son «moi»:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> --Le double de Dostoievski (1846)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">--Jekyll et Hyde de Stevenson (1886)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">--La métamorphose de Kafka (1915)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">--La méprise de Nabokov (1934)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">--L'autre comme moi de Saramago (2002)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il y en a plusieurs autres mais ces cinq sont les meilleurs, à tout le moins ceux qui font l'unanimité.
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">En terminant, voici quelques citations tirées du roman et qui sont une bonne démonstration du talent de Stevenson:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « M. Utterson, notaire de son état, était un homme à la mine austère que jamais n'éclairait le moindre sourire ; froid, le verbe rare et embarrassé, conservateur par conviction, maigre, long, poussiéreux, sinistre, et pourtant attachant à sa manière. Lorsqu'il retrouvait ses amis, et si le vin était à son goût, une lueur de profonde humanité s'allumait dans son regard qui, sans jamais trouver le chemin de ses propos, s'exprimait non seulement par ces messages muets de son visage de convive satisfait, mais aussi, plus fréquemment encore et de façon combien plus éloquente, dans les actions de sa vie. Il s'imposait une discipline sévère, buvant du gin lorsqu'il était seul, afin de mortifier son amour des grands crus, et, bien que très amateur de spectacle, n'avait pas franchi les portes d'un théâtre depuis une vingtaine d'années. Envers ses semblables, en revanche, il faisait preuve d'une indulgence sans limites, s'émerveillant même parfois de l'extraordinaire énergie qu'ils dépensaient pour commettre leurs méfaits. Et en toute extrémité, il était tenté de secourir plutôt que de censurer. "J'incline vers l'hérésie de Caïn, disait-il bizarrement : Si mon prochain choisit de se damner, je le laisse libre d'aller son chemin à sa guise." C'est ainsi qu'il lui était advenu à maintes reprises d'être la dernière fréquentation respectable de ceux qui couraient à leur perte, et d'exercer sur eux une influence bénéfique. Tant qu'ils continuaient à lui rendre visite, il ne leur témoignait pas l'ombre d'un changement d'attitude. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Or il arriva qu'au cours de ces flâneries, leurs pas les portèrent dans une ruelle située dans un quartier commerçant de Londres. La ruelle était petite et paisible, mais en semaine s'y déroulait un commerce fructueux. Les riverains étaient tous prospères, visiblement, et rivalisaient pour réussir mieux encore, investissant le surplus de leurs bénéfices dans la coquetterie ; si bien que les devantures des échoppes s'alignaient, le long de cette rue, avec un air d'invite, comme autant de files de vendeuses avenantes. Même le dimanche, alors que ses ornements les plus attrayants étaient voilés, et que la rue était pratiquement déserte, le contraste demeurait frappant avec le voisinage sordide. La ruelle brillait avec l'éclat d'un feu au plus profond d'une forêt ; et avec ses volets fraîchement repeints, ses cuivres soigneusement polis, son air parfaitement propre et pimpant, elle attirait et charmait au premier coup d'oeil les regards du passant. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Il était alors environ neuf heures du matin et le premier brouillard de la saison s'appesantissait sur Londres comme une chape de suie. Mais les assauts répétés du vent ébranlaient la résistance des nuées et tandis que le fiacre avançait péniblement par les rues, M. Utterson eut l'occasion de contempler une gamme infinie de teintes crépusculaires ; ici régnait une obscurité qui évoquait les ténèbres de la nuit ; plus loin, c'était une lueur brune, riche et sanglante, comme produite par une mystérieuse déflagration ; plus loin encore, l'espace d'un instant, le brouillard se déchirait et un rayon hagard de lumière diurne hasardait un regard entre les gerbes tourbillonnantes de la brume. Sous ces aperçus changeants, le sinistre quartier de Soho, avec ses rues boueuses, ses passants crasseux et ses lampadaires qu'on avait oublié d'éteindre, à moins qu'on ne les ait ranimés afin de lutter contre ce nouvel assaut funèbre de l'obscurité, semblait, aux yeux du notaire, un quartier de quelque cité de cauchemar. Les pensées qui emplissaient son esprit, d'ailleurs, étaient des plus sombres ; et lorsqu'il jetait un regard sur son compagnon, il ne pouvait se retenir d'éprouver cette terreur de la loi et de ses représentants qui s'empare parfois des plus honnêtes d'entre nous. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Et voici maintenant la description de M. Hyde (à tout le moins un des points de vue) : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « - Difficile de le décrire. Il y a quelque chose de bizarre dans son apparence ; quelque chose de déplaisant, d'absolument détestable. Jamais je n'ai rencontré d'homme qui m'ait inspiré un tel dégoût, et pourtant je n'arrive pas à dire pourquoi. Je pense qu'il est atteint d'une sorte d'infirmité, mais je serais bien en peine de vous dire laquelle. C'est un homme d'une apparence extraordinaire. Non, mon cher, il n'y a rien à faire ; je suis incapable de vous le décrire. Et ce n'est pas que la mémoire me fasse défaut ; car je vous affirme que je le vois encore comme s'il était devant moi. »
</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-22676627897557713022016-04-21T07:26:00.002-04:002016-04-21T14:53:03.619-04:00Danse, Danse, Danse, Haruki Murakami<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-H4Px_bmUFqU/Vxfs3OHchZI/AAAAAAAADxU/TFyVH01r0KU-6X56NW0DHTUOknnif3hNgCLcB/s1600/danse-danse-danse_couv.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/-H4Px_bmUFqU/Vxfs3OHchZI/AAAAAAAADxU/TFyVH01r0KU-6X56NW0DHTUOknnif3hNgCLcB/s320/danse-danse-danse_couv.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la présentation de l'éditeur : Ce roman est la suite de La Course au mouton sauvage. Le narrateur retourne à Sapporo (Hokkaïdo), à l'Hôtel du Dauphin, à la recherche de Kiki, la call-girl de luxe aux merveilleuses oreilles dont il a entendu en rêve l'appel au secours. L'Hôtel du Dauphin est devenu un immense palace, financé par la spéculation immobiliaire et la corruption. L'un des leitmotive du roman est une scène d'un film de série B, Amour sans espoir, dans lequel tourne l'un de ses anciens condisciples, Gotanda, avec l'énigmatique Kiki. Le narrateur, à Sapporo puis à Tokyo, visionne ce navet de façon obsessionnelle, renoue avec Gotanda et découvre l'existence d'un réseau international de call-girls de luxe. A la fin du livre Gotanda avoue qu'il a tué Kiki, et met fin à ses jours. Entretemps le narrateur aura aimé May, collègue de Kiki, peu après retrouvée étranglée.
Dans une réalité parallèle, l'Homme mouton, déjà messager de l'autre-monde dans La Course au mouton sauvage, rencontré dans les ténèbres paranormales du 15e étage de l'Hôtel du Dauphin, lui aura délivré son injonction: «Danse, continue à danser», qui donne le titre du livre. C'est dans cet hôtel que le narrateur noue une idylle d'abord platonique avec Yumioshi, la jeune fille de la réception, avec laquelle il aura finalement une relation amoureuse, revenant en sa compagnie du monde des ténébres. L'auteur a intercalé une histoire dans le roman: sa pérégrination avec une jeune fille de quinze ans, Yuki («neige») de Sapporo à Hawaï puis à nouveau à Tokyo. Le style d'Haruki Murakami reste d'une extrême simplicité, une limpidité en parfaite communion avec l'impression de transparence que dégage le roman. L'oeuvre de Murakami est absolument moderne, sans référence aucune aux classiques japonais. En enquêtant, en «dansant», le héros déchiffre les arcanes singulières de son accès au réel, sur fond d'esthétique du vide et de lucidité zen. Le narrateur est celui de La course au mouton sauvage, un publicitaire de trente-quatre ans, branché filles, bouffe et scotch, musique pop et vieilles bagnoles. Seul ou en compagnie de filles médiums, le narrateur traverse des états de réalité non ordinaire en certains lieux emblématiques.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour commencer, voici une citation de Nabokov lorsqu'il parle de Flaubert :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Un enfant à qui vous lisez une histoire vous demandera peut-être : est-ce une histoire vraie ? Et si vous lui répondez que non, il en exigera une vraie. Ne persévérons pas dans cette attitude juvénile face au livre que nous lisons. Bien sûr, si quelqu'un vous dit que M. Dupont a vu une soucoupe bleue pilotée par un homme vert passer en sifflant à côté de lui, là, vous demanderez : est-ce vrai ? Car, d'une manière ou d'une autre, le fait que cela soit vrai pourrait affecter toute votre existence, pourrait entraîner pour vous une infinité de conséquence sur le plan pratique. Mais ne demandez pas si un poème, ou un roman, est vrai. Ne nous faisons pas d'illusions. Gardons bien à l'esprit que la littérature n'a aucune espèce de valeur pratique, sauf pour la personne qui présente la particularité très spéciale de vouloir être professeur de lettres. La jeune Emma Bovary n'a jamais existé ; le livre <i>Madame Bovary</i> existera à tout jamais. Un livre vit plus longtemps qu'une jeune femme. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans mes chroniques sur Virginia Woolf, je disais qu'il faut avoir à l'esprit, en lisant ses romans, qu'ils n'ont pas besoin de refléter la réalité, d'être ancrés dans le réel, parce que chaque écrivain crée son propre monde. C'est pour moi très important d'avoir cela à l'esprit lorsqu'on lit les grands auteurs comme Woolf, et dans cette catégorie, je placerais aussi Haruki Murakami. Il n'est pas aussi génial que Woolf, mais ses romans reflètent encore plus ce fait, parce qu'il a véritablement créé un autre monde, à la frontière du rêve et de la réalité. Murakami a plusieurs passages "fantastiques" dans ses romans, mais même ses passages "réels" doivent être interprétés comme faisant partie d'un ensemble plus large qui a pour nom "littérature". Même si <i>La ballade de l'impossible</i> était plus "vrai" que <i>Danse, Danse, Danse,</i> il n'en demeure pas moins que ce dernier fait partie de la littérature, d'un monde imaginaire qui, comme <i>Madame Bovary</i>, a des chances d'exister à tout jamais...On sait que <i>Danse, Danse, Danse</i> n'est pas "réel" mais il faut aussi savoir que les passages "réels" de Murakami ne sont pas réellement "réels".</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Ce qui frappe avant même le début de notre lecture de ce roman, c'est la dimension physique du bouquin : il est deux fois plus volumineux que le premier tome du diptyque, il contient plus que 600 pages (le format poche). Ensuite, il est manifeste pour moi que ce roman est véritablement le premier, dans la chronologie de la bibliographie de Murakami, où l'on peut voir le grand talent de cet auteur (sa subtilité littéraire surtout) même si, de l'aveu même de Murakami, c'est avec <i>La course au mouton sauvage</i> qu'il a pris son envol, qu'il « estime avoir trouvé sa voix ». Dans le dernier tome de ce diptyque, paru en français en 1995 mais en japonais dès 1988, nous retrouvons le narrateur de <i>La course au mouton sauvage</i> et l'hôtel du Dauphin y joue un rôle central. Ce narrateur, (comme dans le premier volume, il n'est jamais nommé), est un auteur à Tokyo qui veut revoir sa girl friend du premier volume, celle qui avait de belles oreilles (rappelons-nous l'emphase qu'avait placée Murakami sur ces oreilles, notamment en la faisant évoluer dans l'univers du mannequinat des "belles oreilles"). De plus, il veut retourner à l’hôtel du Dauphin qui est devenu un hôtel grandiose de 26 étages. Et finalement, nous pourrons remarquer au fil de notre lecture que, étrangement, ce dernier tome obéit davantage aux règles du bildungsromans que le premier tome.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dès la toute première page, nous pouvons admirer le style de Murakami, le Murakami de <i>1Q84</i> et le progrès qu'il avait fait entre le début des années 80 et cette année 1988. Il n'aurait pu écrire cela dans ses premiers romans :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je rêve souvent de l'hôtel du Dauphin. Dans mon rêve je fais partie de l'hôtel. Le bâtiment, déformé, s'allonge interminablement, en une sorte de prolongation de mon être. On dirait un immense pont surmonté d'un toit. Et ce pont qui m'englobe s'étend de la préhistoire aux confins de l'univers. Il y a aussi quelqu'un qui pleure dans mon rêve. Quelque part, quelqu'un verse des larmes pour moi. Je perçois nettement les battements de coeur et la douce chaleur de cet hôtel dont je ne suis qu'une infime partie. Je rêve...
Mais je me réveille et me demande où je suis. Je me pose réellement cette question : "Où suis-je ?" Question totalement inutile, car je connais la réponse depuis le début : je suis dans ma vie, voilà où je suis. Ma vie. Un appendice à ce sentiment d'existence réelle nommé "moi". Un état, des événements, des circonstances qui se sont mis à exister en un rien de temps en tant qu'attributs de "moi", alors que je ne me rappelle même pas m'en être particulièrement rendu compte. Il arrive qu'il y ait une femme endormie à côté de moi. Mais la plupart du temps je suis seul. Seul avec le grondement de l'autoroute sous mes fenêtres, un fond de whisky dans le verre à mon chevet, et des particules de poussière dans la lumière hostile - ou peut-être simplement indifférente - du matin. Parfois il pleut. Quand il pleut, je reste dans mon lit à rêvasser. S'il reste un fond de whisky de la veille dans mon verre, je le bois. Je regarde les gouttes de pluie tomber du rebord du toit, et je pense à l'hôtel du Dauphin. J'étire lentement bras et jambes, pour vérifier que je suis bien moi-même, que je ne fais plus partie de rien. Je ne fais partie de rien. Mais je me rappelle encore la sensation du rêve : je tends un bras, et l'ensemble de l'hôtel se meut en réponse. Comme un délicat mécanisme actionné par de l'eau, tous les rouages se mettent à bouger un à un, dans l'ordre, lentement, précautionneusement, avec un léger bruit à chaque palier. En écoutant bien, je peux même saisir dans quelle direction cela avance. Je tends l'oreille. Et je perçois un bruit lointain et calme de sanglots. Quelque part, au fond des ténèbres, quelqu'un pleure pour moi. Je rêve... »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Après cet excellent début, Murakami nous fait revivre, le temps de quelques paragraphes, le précédent roman, <i>La course au mouton sauvage</i> (même si <i>Danse, Danse, Danse</i> n'est pas totalement une suite de l'autre, qu'il peut se lire individuellement) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « L'hôtel du Dauphin existe réellement, dans un quartier pas très reluisant de la ville de Sapporo. J'y ai séjourné toute une semaine, il y a quelques années de cela. Non, essayons de nous montrer plus précis. Il y a combien d'années ? Quatre ans. Quatre ans et demi exactement. Je n'avais pas encore trente ans. J'ai dormi dans cet hôtel avec une fille. C'est elle qui l'avait choisi. "Allons dormir là", avait-elle dit. Elle avait même dit : "Il faut qu'on aille dormir dans cet hôtel." De toute façon, si elle ne l'avait pas exigé, jamais je n'aurais été dormir dans un endroit pareil. Dans ce petit hôtel minable, nous n'avions pas vu défiler beaucoup de clients en l'espace d'une semaine. Mais il devait bien y en avoir quelques-uns en dehors de nous, puisqu'au panneau de la réception il manquait des clés de temps à autre. Le bon sens me dit qu'un établissement inscrit dans les pages jaunes de l'annuaire, et portant un panneau "hôtel" sur sa devanture, dans une grande ville, ne peut pas ne jamais avoir de clients. En tout cas, ces clients-là étaient incroyablement discrets : on ne les voyait ni ne les entendait jamais, on n'avait même pas l'impression qu'ils existaient. Simplement la disposition des clés sur le panneau différait légèrement chaque jour. Peut-être se faufilaient-ils le long du couloir, rasant les murs comme des ombres évanescentes. De temps en temps, l'ascenseur grinçait au loin, mais quand le bruit cessait, le silence paraissait d'autant plus impénétrable. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le narrateur (jamais nommé) est ce qu'on pourrait appeler l'archétype des personnages principaux dans les romans de Murakami (surtout avec cette description) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Je ne suis pas un type bizarre. Je le pense vraiment. Je ne suis peut-être pas tout à fait dans la moyenne, mais en tout cas je ne suis pas bizarre. Je suis terriblement normal, à ma façon à moi. Complètement straight. Mais straight à la façon d'une flèche. Ma façon d'être est la plus inévitable, la plus naturelle du monde. Pour moi c'est une vérité évidente, si bien que ça m'est un peu égal, ce que les autres peuvent penser de moi. La façon dont les autres me voient, c'est un problème qui ne me concerne pas. C'est leur problème. Il y a toute une catégorie de gens qui me croient plus obtus que je ne suis en réalité, d'autres qui me croient plus calculateur. Mais ça m'est complètement égal. Et en outre, cette expression "plus que je ne suis en réalité" veut seulement dire "plus que je ne le suis par rapport à l'image que je me fais de moi-même". Pour certaines personnes je suis quelqu'un de complètement balourd, ou bien je suis calculateur. Mais moi, ça m'est bien égal, ce n'est pas un problème bien important. Les malentendus n'existent pas en ce monde. Il y a différentes façons de penser, et voilà tout. Ça, c'est ma façon de penser à moi. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Avec Murakami, la maîtrise de la narration n'est jamais un problème (surtout depuis <i>La ballade de l'impossible</i> au milieu des années 80). Au contraire, c'est souvent la force de ses romans, ceux-ci étant écrits avec rigueur, originalité, talent, et avec un certain respect de ce qu'est la littérature, en y consacrant une grande énergie :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Je rangeai mon sac, rassemblai toutes les factures de mon voyage, séparai celles destinées à Makimura de celles que je devais payer de ma poche. Je pouvais sans doute lui faire payer la moitié des notes de restaurants, la location de la voiture, ainsi que les achats personnels de Yuki (sa planche à surf, la radio-cassette, le maillot de bain, etc.). Je rédigeai une petite note détaillée et mis le tout dans une enveloppe, ainsi que ce qui restait des travellers, de façon à pouvoir lui envoyer le tout. Je m'acquitte généralement très vite de ce genre de tâche administrative. Non que j'aime le travail administratif, personne n'aime ça, mais j'aime que les choses soient claires avec l'argent. Ensuite je fis bouillir des épinards, les mélangeai avec du poisson séché, saupoudrai de vinaigre et mangeai le tout accompagné d'une bière Kirin bien fraîche. Puis je relus des nouvelles de Haruo Satô, auteur que je n'avais pas lu depuis longtemps. C'était une agréable soirée printanière. Le bleu du crépuscule s'approfondissait d'instant en instant, se changeant peu à peu, à coups de pinceau invisibles, en bleu nuit. Quand je fus fatigué de lire, j'écoutai le trio numéro cent de Schubert sous la direction de Stan Jose Istomin. C'était une vieille habitude, j'écoutais toujours ce disque au printemps. Le ton de cette musique correspondait pour moi à la mélancolie de cette nuit printanière où les douces ténèbres bleues semblaient teindre jusqu'au fond de mon âme. Dans ces ténèbres se détachait un squelette blanchi. Des ossements blancs, souvenir minéralisé d'une vie qui avait sombré dans le néant, vinrent flotter devant mes yeux. »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">En plus d'une plus grande splendeur stylistique que le premier tome, celui-ci est plus proche de l'art murakanien : celui de nous faire entrevoir un autre monde, en nous le faisant découvrir petit à petit, en tout cas en nous montrant que la possibilité d'un autre monde existe bel et bien, et tout cela en montrant le désir "d'infini" du personnage central. L'action est plus lente aussi que le premier tome, donc, plus en phase avec les fondements du style de cet écrivain. L'oeuvre de Murakami a un pied dans le réel et un autre dans le fantastique, et il semble incapable de se débarrasser d'un certain type de dualité : adolescence / adulte, (pur) divertissement / connaissance. Marcel Proust n'est jamais bien loin avec Murakami : les personnages principaux sont utilisés par leur environnement, "l'extérieur" de leur moi, pour se rappeler les événements passés de leur existence. Dans <i>La ballade de l'impossible,</i> tout le roman avait ce fondement, et le début de <i>La course au mouton sauvage</i> employait ce procédé. Même si l'on peut lire séparément ces deux romans, il est peut-être préférable de les lire à la suite l'un de l'autre surtout ceux qui connaissent Murakami. Alors que <i>La course au mouton sauvage</i> était un roman somme toute assez banal (avec de beaux passages cependant), il aurait pu avoir été écrit par un peu n'importe qui. Avec <i>Danse, Danse, Danse</i> on est dans le "pur" Murakami, ce qu'il est capable de faire de meilleur, même s'il n'est probablement pas son meilleur livre, parce que je continue de lui préférer <i>La ballade de l'impossible</i> et <i>1Q84</i>. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-45347252803239197142016-04-11T07:09:00.000-04:002016-04-11T20:52:37.971-04:00La course au mouton sauvage, Haruki Murakami<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-lDl5L2dF5IE/VwpqbcfGj-I/AAAAAAAADxA/RS9PMilP-5M7M4TErJ3yXxAFcBmzVBjdg/s1600/80903320_o.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://1.bp.blogspot.com/-lDl5L2dF5IE/VwpqbcfGj-I/AAAAAAAADxA/RS9PMilP-5M7M4TErJ3yXxAFcBmzVBjdg/s320/80903320_o.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>7/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la présentation de l'éditeur : Ami d’un jeune homme surnommé le Rat, un publicitaire assez banal, divorcé, vivant avec une femme dotée de très belles oreilles, voit son univers basculer parce qu’il a publié la photo d’un troupeau d’ovins dans un paysage de montagne. Parmi ces moutons, l’un d’eux aurait pris possession d’un homme pour en faire le Maître d’un immense empire politique et financier d’extrême droite. Or, le Maître se meurt. Menacé des pires représailles, le publicitaire doit retrouver le mouton avant un mois. Ce qui le mène de Tokyo à l’hôtel Dauphin de Sapporo, pour finir au fin fond d’une montagne encore plus au nord de Hokkaido. « Qui irait croire une histoire aussi loufoque ? » dit le Rat à son copain. Et pourtant, on y croit parce que c’est Murakami, un auteur qui sait décrire ? comble du style - de manière très naturelle des histoires extraordinaires, introduire des canettes de bière et des morceaux de jazz dans ce qui semble une fantasmagorie, faire sentir le vent ou le silence de la neige qui règnent sur les rêves. Né à Kyoto en 1949, Haruki Murakami a étudié la tragédie grecque à l’Université Waseda, dirigé un club de jazz à Tokyo de 1974 à 1981, traduit Fitzgerald, Irving, Carver et Sallinger avant de se consacrer entièrement à la littérature. Le Seuil a publié <i>La Fin des temps</i> (Prix Tanizaki), <i>Danse, danse, danse</i>, <i>L’Eléphant s’évapore</i>, <i>La Ballade de l’impossible</i> et <i>Chronique de l’oiseau à ressort</i>.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Murakami est l'auteur du livre <i>Autoportrait de l'auteur en coureur de fond</i> et cette analogie entre la course à pied et les romans qu'il écrit, de la façon qu'il écrit et du genre de texte que l'on peut dégager de notre lecture, ne peut être meilleure. Murakami est réellement l'écrivain en coureur de fond. Il parle dans ce livre de l'amour qu'il a pour la course à pied. Voici un petit extrait, où il dit que pour lui, il est important de s'entraîner, de se construire une force physique :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Mais ceux d'entre nous qui espèrent une longue carrière comme auteurs professionnels doivent se construire un système auto-immune, capable de résister aux toxines dangereuses (parfois mortelles) qui résident à l'intérieur d'eux-mêmes. Nous disposerons alors de toxines encore plus fortes, encore plus efficaces. En d'autres termes, en jouant avec elles, nous pourrons créer des récits plus puissants. Mais il nous faut une énergie considérable pour mettre en place ce système immunitaire et pour le conserver sur une longue période. Or il faut bien que nous trouvions cette énergie quelque part. Où, sinon en nous-mêmes, dans notre vigueur physique de base ? Je vous demande, s'il vous plaît, de ne pas vous méprendre. Je ne suis pas en train de prétendre que les écrivains devraient emprunter une seule voie, qui serait le bon chemin. Exactement comme il y a toutes sortes de littérature, il y a toutes sortes d'écrivains, chacun avec sa propre conception du monde. Ils se confrontent tous à quelque chose de différent. Leur visée est différente. Il n'existe donc pas une seule voie juste pour les romanciers. Cela va sans dire. Mais, honnêtement, si je veux écrire une oeuvre de longue haleine, développer mes forces, consolider ma vigueur physique est quelque chose d'indispensable. Je suis convaincu que cela vaut beaucoup mieux que s'en abstenir. Il s'agit certes d'une opinion banale, mais, comme on dit, si quelque chose en vaut la peine, mieux vaut le faire le mieux possible ou, quelquefois, au-delà du possible. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En fait, Murakami n'avait même pas besoin de nous convaincre que ses romans sont écrits sous le modèle de la course de fond (et de toute façon ce livre autobiographique n'avait pas cette fonction mais bien de parler de course à pied), parce que nous pouvons facilement voir qu'ils sont écrits avec une relative lenteur, avec un long développement, de longues périodes étant nécessaires pour l'écrivain. Et d'un autre côté, c'est la même chose pour le lecteur. On ne doit pas lire Murakami en vitesse, et surtout, il ne faut pas s'attendre à ce que le récit se libère et prenne son envol rapidement, qu'il y aura beaucoup d'action, que l'on doit tout comprendre dès les premières pages. Lire Murakami, c'est décrocher d'une certaine réalité et courir lentement vers une fin lointaine où le monde se transformera petit à petit pour aboutir, la plupart du temps, dans des contrées étrangères. Murakami est un écrivain admirable (en tout cas personnellement je l'admire au plus au point) même si je ne suis pas porté à le relire souvent. On dirait qu'une seule fois suffit, et en cela, il diffère de la course de fond. C'est un des rares écrivains qui plaît autant aux littéraires et aux critiques qu'aux lecteurs qui lisent pour le simple divertissement, parce que la télé ne les satisfait pas à un moment précis de la journée. Même si les idées et l'histoire ne sont pas ce qui importe le plus avec Murakami (la narration est sa plus grande force), il a écrit certains romans qui contiennent de très puissantes idées littéraires comme <i>1Q84</i>, <i>Les amants du spoutnik</i> et <i>Le passage de la nuit</i>. <i>La course au mouton sauvage</i> est un roman plutôt moyen de cet auteur, même s'il a lui aussi quelques bonnes idées. C'est seulement le premier volume d'un diptyque qui sera suivi de <i>Danse Danse Danse</i>. Il fait aussi partie d'un cycle de quatre romans avec <i>Danse Danse, Danse,</i> <i>Écoute la chanson du vent</i> et <i>Pinball</i>. D'après Murakami lui-même, le narrateur de ces quatre romans est le même.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>La course au mouton sauvage</i> est perçue par la critique comme faisant partie du courant du réalisme magique mais selon moi le surréalisme n'est pas loin non plus. Le narrateur poursuivra un mouton qui est, selon toute vraisemblance, en contrôle du pouvoir du maître de l'extrême-droite et ce parti veut le retrouver. Le narrateur doit donc absolument retrouver ce mouton et se lance ainsi à sa poursuite dans le Japon. Les années d'université du personnage principal se dérouleront d'une lenteur extrême, sans qu'il ait réellement de but : « J'avais alors vingt et un ans, quelques semaines après j'allais en avoir vingt-deux. Il était douteux que j'obtienne avant longtemps mon diplôme de l'université, mais je n'avais pas pour autant de raison valable d'interrompre mes études. Empêtré dans une situation désespérée, je restais plusieurs mois durant sans avancer d'un pas. Le monde poursuivit sa marche, tandis que moi j'avais l'impression de faire du surplace. Tout, en cet automne soixante-dix, était affreusement triste à mes yeux, tout semblait pâlir si rapidement. Je rêvais souvent d'un train de nuit. C'était toujours le même rêve. Je suffoque dans une atmosphère chargée de fumée, d'odeurs humaines et de relents de cabinets. Ce train de nuit est tellement bondé que je ne sais où mettre les pieds ; de vieilles croûtes de vomi collent à la banquette. N'en pouvant plus, je me lève et descends à je ne sais quelle gare. L'endroit est désolé, je n'y vois pas la moindre lueur qui signalerait l'existence d'une habitation. Pas un seul employé de gare non plus. Il n'y avait rien, ni horloge ni horaire de chemin de fer...Tel était mon rêve. » Le narrateur se remémore ici la relation qu'il avait avec une fille le jour de la mort par suicide de Mishima, le prédécesseur de Murakami, un des plus grands écrivains de sa génération, le génial ami du Prix Nobel Kawabata : « À l'époque, j'ai dû quelquefois me montrer cruel avec elle. Je ne me souviens plus très bien en quoi j'ai pu être ainsi cruel à son égard. D'ailleurs, je n'étais peut-être cruel qu'avec moi-même. Quoi qu'il en soit, elle ne semblait pas s'en soucier le moins du monde. À la limite, elle y trouvait peut-être même du plaisir. Comment cela ? Je ne saurais le dire. Mais sans doute n'était-ce pas la tendresse qu'elle recherchait auprès de moi. Repenser à cela me procure maintenant encore une étrange impression. Cela me rend triste, comme si j'avais tout d'un coup heurté de la main un mur invisible suspendu dans les airs. Je garde toujours un souvenir très précis de ce drôle d'après-midi du 25 novembre 1970. Les feuilles de ginkgo arrachées par les fortes pluies donnaient aux sentiers qui traversaient le bois cette teinte jaunâtre des rivières asséchées. On tournait en rond en suivant ces sentiers, les mains fourrées dans les poches de nos manteaux. Il n'y avait rien, sinon le bruit des feuilles mortes écrasées sous nos chaussures et chant aigu d'un oiseau. »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">L'univers de Murakami est presque toujours sur la frontière de l'onirique et de la réalité et souvent cela est présenté avec le quotidien banal des personnages qui peuplent ses romans. En voici un extrait représentatif : « Après son départ, je bus une autre boîte de Coca, pris une douche bien chaude et me rasai. Savon, shampooing, mousse à raser : tout était sur le point de manquer. Sortant de la douche, je me peignai, me mis une lotion sur le cheveux et me curai les oreilles. Puis j'allais dans la cuisine me réchauffer un reste de café. Plus personne n'était assis de l'autre côté de la table. En regardant la chaise vide en face de moi, je me vis en petit enfant, laissé tout seul au milieu d'une de ces villes mystérieuses, inconnues, que l'on voit dans les toiles de Chirico. Mais je n'étais plus un enfant, bien sûr. Sans plus penser à rien, je sirotai mon café et, quand je l'eus terminé, au bout d'un long moment, je restai à rêvasser et allumai une cigarette. Je n'avais pas fermé l'oeil pendant plus de vingt-quatre heures mais, étrangement, je ne sentais aucune fatigue. Simon corps n'était qu'une masse molle, mon esprit, lui, tournait sans fin dans le dédale des canaux de ma conscience avec l'aisance d'un animal aquatique. À regarder distraitement cette chaise vide, le souvenir me revint d'un roman américain que j'avais lu autrefois. C'était l'histoire d'un mari abandonné par sa femme, qui durant plusieurs mois avait laissé, posée sur la chaise en face de la sienne dans la salle à manger, une combinaison. Après un temps de réflexion, je commençai à me dire que ce n'était pas là une mauvaise idée. Non pas que j'imaginais une quelconque utilité à la chose, mais j'aurais sans aucun doute fait preuve d'à-propos en laissant en place le pot de géranium complètement fané. D'ailleurs, le chat lui-même aurait sans doute été rassuré d'avoir à proximité une chose qui avait été à elle. » Dans ce roman, beaucoup d'emphase est placée dans des choses absurdes et puériles, et particulièrement lorsque Murakami (ou plutôt le narrateur jamais nommé) fait une obsession sur les oreilles de sa <i>girl friend</i> (elle porte ce nom dans le roman) et de plus, celle-ci est reconnue pour ses oreilles, ce qui en fait sa fierté. Dans ce passage, cette absurdité devient quelque chose de normale, de banale : « Elle avait vingt et un ans, un corps splendide, tout élancé, et deux oreilles d'une perfection ensorcelante. Elle avait un job de correctrice dans une modeste maison d'édition, posait comme mannequin spécialisé dans les oreilles pour la publicité, et faisait également partie d'un petit club de call-girls triées sur le volet. Je ne savais laquelle de ces trois activités était son véritable métier. Elle-même ne le savait pas non plus. À la considérer néanmoins du point de vue de sa nature première, c'était à l'évidence le mannequin spécialisé dans les oreilles qui s'imposait. Ce n'était pas seulement mon avis, elle le pensait aussi. Il reste que le champ d'Action d'un mannequin de publicité spécialisé dans les oreilles est extrêmement restreint, et que son rang parmi ses semblables était affreusement faible, au moins autant que ses cachets. Pour les publicistes, photographes, maquilleuses et autres journalistes de périodiques, elle n'était ni plus ni moins qu'une « propriétaire d'oreilles ». Le reste de son corps et son esprit étaient complètement négligés, passés à l'as. « Ce n'est pas comme ça que je suis en réalité, disait-elle. Mes oreilles c'est moi. Et moi je suis mes oreilles. » Sous aucun prétexte la correctrice et la call-girl qu'elle pouvait être n'aurait montré le moindre bout d'oreilles aux autres. « Parce que je ne suis pas vraiment moi-même comme ça », expliquait-elle. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Avec Murakami, on peut rarement dégager des sentences, des aphorismes, parce qu'il semble miser davantage sur un débit et une prose uniforme, fluide. Aussi, il est étrange de voir que les morceaux de prose poétique sont rares avec lui (étrange parce que selon la croyance populaire Murakami est un "poète romancier"). On est loin des <i>Vagues</i> de Virginia Woolf et du <i>Pays de Neige</i> de Kawabata. Cependant, il y a dans <i>La course au mouton sauvage</i> quelques exemples :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Dans un battement d'ailes deux oiseaux prirent leur envol et disparurent, happés par un ciel sans nuage. Nous restâmes un moment silencieux à regarder dans la direction où les oiseaux avaient disparu. Puis, avec une branche morte, elle dessina plusieurs figures incompréhensibles sur le sol. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Quand je rouvris subitement les yeux, elle pleurait en silence. Ses fines épaules tremblotaient sous la couverture. J'allumai le poêle et regardais ma montre. Il était deux heures du matin. Une lune toute blanche flottait au milieu du ciel. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Retenant mon souffle dans le repos des ténèbres, je vis se dissoudre le spectacle de la ville autour de moi. Les maisons tombaient en ruine, la voie ferrée rongée par la rouille n'était plus que l'ombre d'elle-même, les champs étaient envahis par une prolifération de mauvaises herbes. La ville refermait ainsi le siècle de sa brève histoire et sombrait dans les failles du continent. Le temps régressa comme un film défilant à toute vitesse en arrière. Des cerfs, des ours, des loups apparurent sur terre, des nuages géants de sauterelles noircirent le ciel, un océan de petits bambous ondula dans le vent d'automne, une épaisse forêt de conifères masqua le soleil. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« La pluie semblait avoir cessé et j'entendais des cris d'oiseaux de nuit. La flamme du poêle projetait sur les murs de vagues ombres étrangement effilées. Je me levai, appuyai sur l'interrupteur du lampadaire, me dirigeai vers la cuisine où je bus deux verres d'eau fraîche. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Plusieurs styles se regroupent dans les oeuvres de Murakami et ainsi, pour cette raison et pour d'autres, nous pouvons donner à ses romans l'étiquette du genre et du style "Murakami" (ce qui, étrangement, est peu fréquent en littérature). Il avait même abordé ce sujet dans son roman <i>Les amants du Spoutnik</i> où il disait que l'on doit, pour écrire, trouver sa propre voix, son propre style, sans trop imiter ses modèles. Avec Murakami, nous pouvons retrouver de la science-fiction, du surréalisme (du réalisme aussi). La tragédie n'est jamais très loin (et parfois même totalement présente comme pour <i>La balade de l'impossible</i>) et le tout est embrumé dans un univers onirique. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>La course au mouton sauvage</i> a un rythme plus rapide que les autres romans de l'auteur, dès le début on plonge directement dans l'action. Ce roman est donc proche de Philip K. Dick, d'une certaine façon. Murakami est proche de cet auteur mais il a, en plus, des qualités de prosateur, il est plus subtil que le maître, son vocabulaire est plus riche. Il est différent pour sa lenteur à installer l'action aussi. Il est très près des autres écrivains japonais (pour le style), ce qui le démarque des écrivains de science-fiction américains et européens. Les défauts de <i>La course au mouton sauvage</i> peuvent peut-être s'expliquer par le fait banal qu'il est seulement le troisième roman de Murakami (publié en 1982) et comme nous le savons, un écrivain prend généralement de la puissance plus tard dans sa carrière (et cela est encore plus vrai pour Murakami). Pénétrer dans l'oeuvre de Murakami, c'est se diriger vers l'inconnu nommé "imagination" et l'on découvre petit à petit un monde de rêves où la littérature permet à l'homme de s'épanouir pleinement en tant qu'individu et non en tant que "suiveur" de troupeau (pour rester dans le thème du mouton). Bref, lire Murakami, c'est un formidable moment de rêve.</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-51661410272641826772016-04-01T07:13:00.000-04:002016-04-01T07:13:53.828-04:00Mes lectures des trois derniers mois<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">(Étant donné que je relis très souvent Virginia Woolf et Vladimir Nabokov, je n'ai pas placé leurs livres dans cette liste, cela serait beaucoup trop redondant. ;-) Bonne lecture ! </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b><u>Janvier</u></b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- Les ailes de la colombe - Henry James <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Le siècle des lumières - Alejo Carpentier <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- La fête au bouc - Mario Vargas Llosa <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- De si jolis chevaux - Cormac McCarthy <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- Du côté de chez Swann - Marcel Proust <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- Tous les noms - José Saramago <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- Le rideau - Milan Kundera <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- Hypérion - Hölderlin <b>10/10</b> (Un des meilleurs livres que j'aie lus dans ma vie !) (À lire dans la traduction de Jean-Pierre Lefebvre)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Les Démons - Dostoïevski <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- Le cœur des enseignements du Bouddha - Thich Nhât Hanh <b>10/10</b> (la meilleure introduction (sur le bouddhisme) que l'on puisse trouver)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- Biographie Victor Hugo - Sandrine Fillipetti <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- Portrait de femme - Henry James <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">13- Bouvard et Pécuchet - Flaubert <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">14- À l'ombre des jeunes filles en fleurs - Marcel Proust <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b><u>Février</u></b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- Le grand passage - Cormac McCarthy <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Des villes dans la plaine - Cormac McCarthy <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- L'orange mécanique - Anthony Burgess <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- Le côté de Guermantes - Marcel Proust <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- Sodome et Gomorrhe - Marcel Proust <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- Le mauvais Démiurge - Cioran <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- Narcisse et Goldmund - Hermann Hesse <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- Richard II - Shakespeare <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Mystère - Knut Hamsun <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- Robinson Crusoé - Defoe <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- Les Buddenbrook - Thomas Mann <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- Odyssée - Homère <b>8/10</b> (Je n'ai pas aimé la traduction de Victor Bérard)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">13- Iliade - Homère <b>10/10</b> (J'ai adoré la traduction de Mario Meunier)</span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">14- La trilogie new-yorkaise - Paul Auster <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <b><u>Mars</u></b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">1- Les somnambules - Hermann Broch <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">2- Le faiseur de pluie - Saul Bellow <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">3- La pensée chatoyante - Pietro Citati <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">4- Nord - Céline <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">5- Bouddha - Sophie Royer <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">6- Maîtres et disciples - George Steiner <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">7- La musique - Mishima <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">8- Emil Cioran -> Collectif les cahiers de l'herne - <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">9- Les fleurs du mal - Baudelaire <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">10- Boule de suif - Maupassant <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">11- La tentation de Saint-Antoine - Flaubert <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">12- Mimésis - Erich Auerbach <b>9/10</b></span>jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com4tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-21520624112889155862016-03-22T07:17:00.000-04:002016-03-23T09:57:50.035-04:00Le faiseur de pluie, Saul Bellow<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-CwZBLL97Phs/VvAWe_p-RGI/AAAAAAAADwQ/zm1p2qtWniIjcuHylkiFdh4ye_kRLfL3Q/s1600/product_9782070375394_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://3.bp.blogspot.com/-CwZBLL97Phs/VvAWe_p-RGI/AAAAAAAADwQ/zm1p2qtWniIjcuHylkiFdh4ye_kRLfL3Q/s320/product_9782070375394_195x320.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>7,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture: Henderson, milliardaire américain, abandonne tout pour courir l'Afrique. Il se retrouve sacré «roi de la pluie» et compagnon d'un souverain africain qui a étudié la médecine chez les Blancs, mais se voit contraint pourtant de capturer le lion dans le corps duquel l'âme de son père a cherché refuge. Henderson veut l'aider, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Philip Roth a déjà écrit un peu sur <i>Le</i> f<i>aiseur de pluie</i>, pour lequel il disait :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Six ans seulement après <i>Augie</i>, revoilà Bellow qui brise ses chaînes. Sauf qu'avec <i>Augie</i>, il jetait par-dessus les moulins les conventions de ses premiers romans, livres « comme il faut », et qu'avec <i>Le faiseur de pluie</i>, c'est de <i>Augie</i>, roman nullement comme il faut, qu'il se délivre, décor exotique, héros volcanique, désastre comique de sa vie, ébullition intérieure d'une demande permanente, quête magique (reichienne?) de régénération par le jaillissement sublime de toute l'énergie accumulée - tout est nouveau, ici. Si l'on me passe la hardiesse du rapprochement, je dirai que l'Afrique joue pour Henderson le rôle que joue pour K. le village proche du château : l'une comme l'autre offrent au héros étranger le parfait espace inconnu où actualiser le plus profond, le plus irrépressible de ses besoins - tirer son esprit du sommeil, s'il le peut, par un labeur intense autant qu'utile. « Je veux », ce cri du coeur élémentaire et sans objet pourrait être poussé par K. aussi bien que par Henderson. Là s'arrête bien évidemment l'analogie. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> <i>Herzog, La planète de Mr. Sammler et Ravelstein</i> avaient tous les trois un peu la même trame. En premier lieu, ils traitent tous de sujets purement occidentaux, avec l'érudition que l'on retrouvait avec les personnages principaux et la tragédie derrière ces romans était celle d'un homme qui avait accumulé les problèmes toute sa vie (surtout, et encore plus pour <i>Herzog</i>) et qui se retrouvait complètement en perdition face à ses proches et à la société. Ensuite, ces trois romans évoluaient autour de cette prémisse (et comme je le disais cela est surtout vrai pour <i>Herzog</i>). Ce <i>Faiseur de pluie</i> a un peu le même début que ces livres mais il bifurque rapidement dans une autre direction, il est un peu plus éloigné de la vie américaine de Saul Bellow.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Avec cet écrivain, les références à la littérature et à l'histoire de la pensée pullulent généralement pendant tout le récit, même si le présent roman ne verse pas complètement dans l'intellectualité comme d'autres titres. Les exemples sont quand même nombreux. Le narrateur dit à quelque part : « Elle était comme la lune de Shelley, elle errait solitaire » en référence au grand poète anglais. À un autre endroit, il dit : « Je renonçais à pêcher et m'installai sur la plage à lancer des pierres sur des bouteilles. Comme ça, les gens pourraient dire : « Vous voyez ce grand type là-bas, avec un nez énorme et une moustache ? Eh bien, son arrière-grand-père était secrétaire d'État, ses grands-oncles étaient ambassadeurs en Angleterre et en France, et son père était le célèbre érudit Willard Henderson, qui a écrit ce livre sur les Albigeois, un ami de William James et de Henry Adams. » Et un peu plus loin : « Ce ciel splendide, cette affreuse démangeaison et les rasoirs, la Méditerranée, qui est le berceau de l'humanité ; la douceur suprême de l'air ; l'accablante douceur de l'eau où Ulysse s'est perdu, où lui aussi était nu quand les sirènes chantaient. » Il y en a plein. Et voici un autre exemple d'intellectualité peut-être de trop haute voltige pour le narrateur : « J'étais très énervé, non pas par l'expression de cet homme, laquelle devint vite plus amène, mais, entre autres, par le fait qu'il me parlait en anglais. Je ne sais pas pourquoi j'en étais si surpris...déçu est le mot. C'est la grande langue impériale de nos jours, venant après le grec, le latin et d'autres. Les Romains n'étaient pas surpris, je suppose, quand un Parthe ou un Numide se mettait à leur parler en latin ; cela leur paraissait probablement tout naturel. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Revenons à l'histoire. Comme <i>Herzog</i>, le personnage principal et narrateur se sent persécuté par tout ce qui l'entoure (sa chute vers la maladie mentale sera par contre moins abrupte) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Qu'est-ce qui m'a poussé à faire ce voyage en Afrique ? Il n'y a pas d'explication toute prête. Les choses n'ont cessé d'empirer, d'empirer encore, et elles n'ont pas tardé à devenir trop compliquées. Lorsque je pense à l'état dans lequel j'étais à cinquante-cinq ans, quand j'ai pris mon billet, tout n'est que chagrins. Les faits commencent à m'assaillir et bientôt j'ai l'impression d'avoir la poitrine dans un étau. Une cavalcade désordonnée commence : mes parents, mes femmes, mes filles, mes enfants, ma ferme, mes bêtes, mes habitudes, mon argent, mes leçons de musique, mon alcoolisme, mes préjugés, ma brutalité, mes dents, mon visage, mon âme ! J'ai envie de crier : « Non, non, allez-vous-en, maudits, laissez-moi tranquille ! » Mais comment pourraient-ils me laisser tranquille ? Ils m'appartiennent. Ils sont à moi. Et ils me harcèlent de tous côtés. Cela tourne au chaos. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le narrateur s'adresse directement à ses lecteurs :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Pourtant, le monde qui me semblait un si redoutable oppresseur n'est plus en colère contre moi. Mais si je veux que vous me compreniez, vous autres, et si j'entends vous expliquer pourquoi je suis allé en Afrique, il faut bien que je regarde les choses en face. Je pourrais aussi bien commencer par l'argent. Je suis riche. Mon père m'a laissé un héritage de trois millions de dollars, impôts déduits, mais je me considérais comme un clochard et j'avais mes raisons, la principale étant que je me comportais en clochard. Mais dans le privé, quand les choses allaient vraiment mal, je regardais souvent dans les livres pour voir si je ne pourrais pas trouver là des paroles de réconfort, et je lus un jour : « Le pardon des péchés est perpétuel et la vertu n'est pas une condition préalable exigée. » Cela fit sur moi si forte impression que je me le répétais sans cesse. J'oubliai malheureusement de quel livre il s'agissait : c'était un des milliers de ceux que m'avait laissés mon père, qui les avait également numérotés. Je feuilletai donc des douzaines de volumes, mais je ne trouvai que de l'argent, car mon père avait utilisé des billets de banque comme signets : ce qu'il avait dans ses poches, des billets de cinq, de dix ou de vingt dollars. J'en découvris même qui n'avaient plus cours depuis trente ans, les grands billets jaunes. Cela me rappela le bon vieux temps et je fus heureux de les voir : fermant à clef la porte de la bibliothèque pour empêcher les enfants d'entrer, je passai l'après-midi sur une échelle à secouer les livres, et l'argent tomba en pluie sur le sol. Mais jamais je ne retrouvai cette phrase sur le pardon. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Avant de quitter pour l'Afrique, Henderson avait pensé au suicide :
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« - Si tu ne cesses pas, finis-je par lui dire à Chartres, je vais me faire sauter la cervelle. C'était cruel de ma part, car je savais ce que son père avait fait. J'avais beau être ivre, c'était à peine si je pouvais supporter tant de cruauté. Le vieux s'était suicidé à l'issue d'une querelle de famille. C'était un homme charmant, faible, navré, affectueux et sentimental. Il rentrait chez lui imbibé de whisky et chantait des chansons d'autrefois pour Lily et pour la cuisinière ; il racontait des histoires, dansait les claquettes et imitait de vieux numéros de music-hall dans la cuisine, plaisantant la gorge serrée, ce qui n'est pas une chose à faire à son enfant. Lily me raconta tout cela et son père finit par devenir si réel pour moi que j'en arrivai à aimer et à détester à mon tour le vieux mécréant. « Tiens, vieux pataud, vieux briseur de coeurs, pauvre plaisantin...espèce de cloche ! disais-je à son fantôme. Qu'est-ce que ça veut dire de faire ça à ta fille et puis de me la laisser sur les bras ? » Et quand je menaçai de me suicider dans la cathédrale de Chartres, à la face même de cette sainte beauté, Lily retint son souffle. Son visage prit un éclat de perle. Sans rien dire elle me pardonna. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En fait, le narrateur n'a jamais eu une bonne opinion de la vie : </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Quelques mots maintenant sur les raisons de mon départ pour l'Afrique. Lorsque je revins de la guerre, c'était avec l'idée de devenir éleveur de porcs, ce qui illustre peut-être l'opinion que j'avais de la vie en général. On n'aurait jamais dû bombarder le mont Cassin ; certains en rejettent la faute sur la stupidité des généraux. Mais, après ce sanglant massacre, où tant de Texans furent tués, et où ma compagnie en vit de dures par la suite, il ne restait que Nicky Goldstein et moi de la vieille bande, et c'était curieux, car nous étions les deux hommes les plus grands de l'unité et nous offrions donc les meilleures cibles. Plus, je fus blessé à mon tour, par une mine. Mais à cette époque Golstein et moi étions allongés sous les oliviers -certains de ces arbres rabougris s'épanouissent comme de la dentelle et laissent filtrer la lumière - et je lui demandai ce qu'il comptait faire après la guerre. - Ma foi, me dit-il, mon frère et moi, si on s'en tire indemnes, on va monter un élevage de visons dans les Catskill. Je dis alors, ou plutôt mon démon dit pour moi : - J'ai l'intention de me mettre à élever des cochons. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On voit vite avec ce roman que Saul Bellow est moins à son aise avec un sujet et des thèmes plus éloignés de sa personne et de son moi comme dans <i>Le faiseur de pluie</i> qu'avec des romans comme <i>Herzog</i> et <i>Ravelstein</i> (<i>La planète de Mr. Sammler</i> n'était pas tout à fait comme les deux autres parce que le personnage était un Européen et l'auteur traitait de la difficulté d'adaptation de ce dernier dans la société américaine). Bellow est habituellement reconnu pour la profondeur psychologique de ses personnages et l'érudition de son propos, et il ne tombe pas dans l'académisme stérile de certains auteurs universitaires qui ne sortent pas de leur tour d'ivoire (et leur roman non plus n'y sortent pas). C'est une des raisons pourquoi Bellow est aimé, même des non-universitaires. Ici, même si le style est encore une fois pénétrant de clarté, il n'est pas en adéquation parfaite avec le genre développé dans le roman. Ce style clair mais usant d'une abondance de mots, de paroles, convenait mieux à l'érudition et au genre qu'est <i>Herzog</i>. Un intellectuel comme Bellow se doit, selon moi, d'écrire des romans d'intellectuels. C'est le grand défaut du <i>Faiseur de pluie</i> : on y croit moins, notamment parce que le personnage principal est le propriétaire d'une porcherie qui s'envole vers l'Afrique alors que Bellow était professeur de littérature à l'Université de Princeton (entre autres).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Parmi les écrivains juifs du nord de l'Amérique (en tout cas parmi ceux qui écrivent sur la condition juive d'une façon très semblable), trois noms sortent du lot : Saul Bellow, Philip Roth et Mordecai Richler. Et personnellement, je place Roth comme le maître (même si chronologiquement il arrive après Bellow) alors que Richler, bien qu'excellent, est peut-être celui qui n'atteint pas la perfection stylistique des deux autres. Et Philip Roth a déjà dit que Bellow lui avait confié que les universitaires de Harvard ne voulait pas qu'il écrive en anglais :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Bellow m'a confié un jour qu'il se demandait si lui, le fils de Juifs émigrés, pouvait légitimement prétendre à exercer le métier d'écrivain. L'une des causes de ce doute qui lui « coulait dans le sang », c'était, m'a-t-il laissé entendre, que l'establishment WASP, essentiellement représenté par les universitaires de Harvard, lui déniait, du fait de ses origines, le droit d'écrire des livres en anglais. Ces gens-là le mettaient en rage. Il se peut tout à fait que la manne de cette légitime fureur lui ait permis d'ouvrir son troisième roman non pas par la phrase : " Je suis juif, fils d'émigrés ", mais plutôt en accordant à <i>Augie March</i>, dont c'est cependant le cas, de se présenter aux universitaires de Harvard (et à tout le monde) en décrétant tout bonnement, sans s'excuser ni mâcher ses mots : " Je suis américain, natif de Chicago. " ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Finalement, ce roman me laisse comme impression un peu désagréable que Saul Bellow voulait écrire un livre (et surtout un personnage) éloignés de lui, parce que, au final, Henderson combat en quelque sorte sa famille d'érudits en étant plus un homme du commun alors que Bellow lui-même était un savant. Il a passé une grande partie de sa vie dans les livres, dans la connaissance. Pour démontrer cela, Bellow a donné la carrure d'un joueur de football américain à son personnage. (Par contre, Bellow a déjà été un militaire comme son personnage). Donc, ce roman était un très grand risque et, par exemple, un Philip Roth, qui s'en est bien sorti comme écrivain, n'a jamais pris un tel risque. À mon humble avis, Bellow aurait dû faire de même, malgré la satire qu'il semblait vouloir écrire avec <i>Le faiseur de pluie</i>. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-65432481519138341172016-03-12T07:20:00.000-05:002016-04-04T10:13:02.501-04:00Les somnambules, Hermann Broch <div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/-UfFYY0GVmsg/VuLxl-Rr69I/AAAAAAAADwA/OHxUxQ5px4AXKRZ2erqwexS4vjvazf-Qg/s1600/Hermann-Broch-Les-Somnambules.gif" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/-UfFYY0GVmsg/VuLxl-Rr69I/AAAAAAAADwA/OHxUxQ5px4AXKRZ2erqwexS4vjvazf-Qg/s320/Hermann-Broch-Les-Somnambules.gif" /></a></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Voici la quatrième de couverture signée Milan Kundera: À l'encontre de ceux qui voient la modernité du roman dans une subjectivisation extrême, Broch (de même que l'autre grand Viennois Musil) conçoit le roman comme le forme suprême de la connaissance du monde et le charge d'ambitions intellectuelles comme aucun romancier n'a osé le faire avant lui. Broch est un des plus grands démystificateurs des illusions lyriques qui ont obsédé notre siècle. Dans <i>Les Somnambules</i>, son oeuvre la plus importante, l'Histoire des Temps Modernes lui apparaît comme un processus de dégradation des valeurs. Les trois volumes de la trilogie représentent trois degrés de l'escalier du déclin : le premier, le romantisme ; le deuxième, l'anarchie ; le troisième, le réalisme (die Sachlichkeit). Broch a révélé ce grand paradoxe : plus le monde moderne se targue de la Raison, plus il est manipulé par l'Irrationnel. Le théâtre macabre qui se joue de nos jours sur notre planète, il l'a préfiguré dans ses personnages. À travers leurs aventures (l'action se déroule entre 1888 et 1918), il a réussi à dévoiler les « coulisses de l'irrationnel » à partir desquelles sont régies les guerres, le révolutions, les apocalypses. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> (<i>Les Somnambules</i> sont une trilogie et je vais surtout me concentrer dans cette chronique sur le premier livre)</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans <i>Le rideau</i>, Milan Kundera écrit aussi sur Broch :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « [...] Musil me rappelle Franz Kafka qui, dans ses romans, abhorre toute gesticulation émotionnelle (ce qui le distingue radicalement des expressionnistes allemands) et écrit <i>L'Amérique</i>, comme il le dit lui-même, en opposition au « style débordant de sentiments » ; par quoi Kafka me rappelle Hermann Broch, allergique à « l'esprit de l'opéra », particulièrement à l'opéra de Wagner (de ce Wagner si adoré par Baudelaire, par Proust) qu'il tient pour le modèle même du kitsch (un « kitsch génial », comme il disait) ; par quoi Broch me rappelle Witold Gombrowicz qui, dans son fameux texte <i>Contre les poètes</i>, réagit à l'indéracinable romantisme de la littérature polonaise de même qu'à la poésie en tant que déesse intouchable du modernisme occidental. Kafka, Musil, Broch, Gombrowicz... Formaient-ils un groupe, une école, un mouvement ? Non ; c'étaient des solitaires. Plusieurs fois, je les ai appelés « la pléiade des grands romanciers de l'Europe centrale » et, en effet, tels les astres d'une pléiade, ils étaient chacun entourés de vide, chacun loin des autres. Il me paraissait d'autant plus remarquable que leur oeuvre exprime une orientation esthétique semblable : ils étaient tous poètes du roman, c'est-à-dire : passionnés par la forme et par sa nouveauté ; soucieux de l'intensité de chaque mot, de chaque phrase ; séduits par l'imagination qui tente de dépasser les frontières du « réalisme » ; mais en même temps imperméables à toute séduction lyrique ; hostiles à la transformation du roman en confession personnelle ; allergiques à toute ornementalisation de la prose ; entièrement concentrés sur le monde réel. Ils ont tous conçu le roman comme une grande poésie anti-lyrique. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Un peu plus loin dans cet essai, Kundera écrit:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« "Le roman gnoséologique au lieu du roman psychologique", écrit Broch dans une lettre où il explique la poétique des <i>Somnambules</i> (écrits entre 1929 et 1932) ; chaque roman de cette trilogie , <i>1888- Pasenow ou le Romantisme, 1903 - Esch ou l'anarchie, 1918 - Huguenau ou le Réalisme</i> (les dates font partie des titres), se passe quinze ans après le précédent dans un autre milieu, avec un autre protagoniste. Ce qui fait de ces trois romans (on ne les édite jamais séparément!) une seule oeuvre, c'est une même situation, la situation surindividuelle du processus historique que Broch appelle la « dégradation des valeurs », face auquel chacun des protagonistes trouve sa propre attitude : d'abord Pasenow, fidèle aux valeurs qui, sous ses yeux, s'apprêtent à s'en aller ; plus tard Esch, obsédé par le besoin de valeurs mais ne sachant plus comment les reconnaître; enfin Huguenau, qui s'accommode parfaitement du monde déserté par les valeurs. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Robert Musil n'était connu à l'époque que par son roman <i>Les désarrois de l'élève Torless</i> et sa petite notoriété s'était vite estompée de son vivant. Lorsqu'il composait <i>L'homme sans qualités</i>, roman de plus de 1000 pages qu'il n'a jamais fini, il le faisait dans un quasi-anonymat et il était à des années-lumières du succès d'estime dont il jouit aujourd'hui. À sa mort, son service funèbre n'avait attiré que huit personnes. Le grand écrivain de l'époque "Musil" était en fait Hermann Broch et il était connu et reconnu particulièrement pour ses <i>Somnanbules</i> qui régnaient sur le début du 20e siècle littéraire (du moins en Allemagne et dans son pays d'origine). Musil n'était même pas dans l'ombre de Broch, il était presque <i>rien</i>.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Bien que je lui préfère, et de loin, le "roman-monde" qu'est L<i>'homme sans qualités</i>, <i>Les Somnambules</i> ont quand même traversé les décennies pour nous arriver dans un style qui se lit bien, qui se laisse dévorer comme un "page-turner". Donc, dans cette première partie intitulée <i>1888 - Pasenow ou le romantisme</i>, (il contient 175 pages), nous suivrons Joachim von Pasenow, militaire de profession, et l'on assistera entre autres aux promenades de Joachim dans la grande ville, à ses intimes pensées, à ses relations, à ses tourments, à ses joies, à ses peines. On suivra surtout un Joachim tiraillé entre Élizabeth et Ruzena, et pris dans la tourmente de la mort de son frère et du deuil difficile de ses parents.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En cette année 1888, le père de Joachim a 70 ans et il n'inspire pas confiance dans les rues de Berlin. (cet incipit nous permet d'avoir une bonne idée de ce que Broch déploiera comme prose) :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « En 1888, M. von Pasenow avait soixante-dix ans. Certaines gens éprouvaient un inexplicable sentiment d'antipathie dans les rues de Berlin, à son approche, et allaient jusqu'à prétendre, dans leur antipathie, que ce vieillard suait la méchanceté. Petit mais bien proportionné, sans rien du géronte décharné ni du ventripotent, il avait juste la taille qu'il fallait et le chapeau haut-de-forme dont il aimait se coiffer à Berlin ne lui donnait aucun ridicule. Il portait une barbe à la Guillaume Ier mais taillée plus court et ses joues étaient vierges de ce blanc duvet auquel le souverain devait son aspect débonnaire ; même ses cheveux, à peine éclaircis, n'accusaient que quelques fils blancs ; bien que septuagénaire, il avait gardé la blondeur de ses jeunes ans, ce blond roussâtre qui rappelle la paille pourrie et détonne dans la physionomie d'un vieillard qu'on imaginerait plutôt sous une toison plus digne. Mais M. von Pasenow s'en accommodait ainsi que du monocle qui, selon lui, ne devait être aucunement l'apanage de la jeunesse. Consultait-il le miroir, il y reconnaissait sans peine ce visage qui cinquante ans auparavant lui jetait déjà un regard tout semblable. Or, en dépit de ce satisfecit donné à M. von Pasenow par lui-même, il y avait néanmoins des gens qui jugeaient déplaisante l'allure de ce vieillard et s'étonnaient également qu'il ne se fût jamais trouvé une femme pour lui dépêcher un regard allumé de désir et l'étreindre avec ferveur ; [...] ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Les digressions prennent parfois cette forme : au fil du texte, il interrompt le récit et il peut nous entretenir de sujets reliés avec le reste du texte mais quelque peu "indépendants" comme ici avec les uniformes :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Sur le chapitre de l'uniforme, Bertrand pourrait s'exprimer à peu près ainsi. Il fut un temps où l'Eglise seule trônait en juge au-dessus de l'homme et où chacun se savait pécheur. Aujourd'hui il est de nécessité que le pécheur juge le pécheur afin d'empêcher que toutes les valeurs sombrent dans l'anarchie et, au lieu de pleurer avec lui, le frère est dans l'obligation de dire à son frère : "Tu as mal agi." Et si jadis seul l'habit sacerdotal, par son inhumanité, se distinguait des autres, si même sous l'uniforme et la toge céleste, que la société se scindât en hiérarchies et en uniformes et élevât ceux-ci à l'absolu au lieu et place de la foi. Et puisque c'est toujours romantisme que d'élever le terrestre à l'absolu, l'austère et véritable romantisme de notre époque est celui de l'uniforme, semblant impliquer l'existence d'une idée supraterrestre et supratemporelle de l'uniforme, idée qui sans exister possède une telle intensité qu'elle s'empare de l'homme avec beaucoup plus de force que ne le pourrait une quelconque vocation terrestre, idée inexistante et pourtant si intense qu'elle fait du porteur d'uniforme un possédé de l'uniforme, mais jamais un homme de métier au sens civil du mot, peut-être précisément parce que l'homme en uniforme est nourri et gonflé de la conscience de réaliser le propres style de vie de son époque et de réaliser également ainsi la sécurité de sa propre vie. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On voit ici la modernité du roman (sa plus grande force selon moi) et le passage d'une époque religieuse au monde de Freud, de Nietzsche, bref celui de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Peut-être le monde serait-il complètement sorti de ses gonds si, au dernier moment, on n'avait inventé pour les civils le linge empesé qui transforme la chemise en une planche de blancheur et lui ôte son aspect de sous-vêtement. Joachim gardait souvenir de l'ébahissement qu'il avait éprouvé, étant enfant, en devant constater sur le portrait de son grand-père que ce dernier portait non pas une chemise empesée mais un jabot de dentelle. Sans doute les hommes de ce temps possédaient une foi chrétienne plus fervente, plus profonde et n'avaient pas à chercher ailleurs une protection contre l'anarchie. Voilà bien des réflexions absurdes, fort probablement quelque réminiscence des propos saugrenus d'un Bertrand ; Pasenow avait presque honte de nourrir de telles pensées en présence de l'adjudant et quand elles l'assaillaient, il les écartait vigoureusement et prenait, d'une secousse, l'attitude martiale de son état. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Finalement, si l'on peut dégager une intrigue de ce roman "littéraire", elle se définit par une question : est-ce que Joachim choisira finalement Elisabeth?:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le lendemain, en mettant son père au train, Joachim entendit ce discours : "Maintenant que tu vas être chef d'escadron, il faudrait bien songer un peu au mariage. Que te semble d'Elisabeth ? En fin de compte les Baddensen ont quelques centaines d'arpents, là-bas à Lestow, et un jour la jeune personne en héritera." Joachim garda le silence. La veille, son père avait failli lui acheter une fille pour cinquante marks et maintenant il lui négociait une union légitime. Ou bien le vieillard convoitait-il Elisabeth comme la fille dont Joachim sentit derechef la main sur sa nuque. Pourtant il n'était guère concevable qu'un homme portât l'impudence jusqu'à désirer Elisabeth et moins encore que quelqu'un voulût faire violer une sainte par son propre fils sous prétexte qu'il n'y pouvait suffire. Peu s'en fallut qu'il ne demandât pardon à son père de cet horrible soupçon ; mais le vieillard était capable de tout. Il est une menace pour le sexe tout entier, songe Joachim tandis qu'ils arpentent le quai, et il y songe encore tout en saluant le train qui s'éloigne. Mais sitôt le train disparu, il songe à Ruzena. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Malgré le rôle de second qu'il est devenu avec le temps dans la littérature autrichienne, après le grand roman de Musil, on se laisse quand même gagner par ce livre qui se voulait "total" à sa sortie mais qui est devenu un peu plus mince et simple après un siècle. Étrangement, je l'ai perçu comme étant plus proche d'un Thomas Mann que d'un Musil. Je me serais attendu à un langage d'une plus grande splendeur esthétique comme les autres Autrichiens. Il m'a paru plus Allemand (Mann, Hesse, etc.) qu'Autrichien. L'écriture quelque peu vieillie offre très peu de puissants moments de lecture, sa poétique étant presque chirurgicale, sans grande poésie mais avec quand même de longues phrases qui coulent bien. Un peu comme le dit Kundera (mais contrairement à ce dernier), je ne placerais pas Musil parmi ces auteurs anti-lyriques. Par contre, cette limpidité de la prose est assombrie par les répétions. Je ne sais pas si c'est une mauvaise habitude de l'auteur ou du traducteur mais l'on retrouve une foule de répétitions à l'intérieur d'une seule phrase, comme celle-ci : « Ainsi le crépuscule dure très longtemps, si longtemps que les propriétaires de boutiques, [...] ». Le mot "longtemps" revient dans la phrase, il était suivi d'une virgule dans un premier temps, et ce procédé est fait <i>ad nauseam</i>. Une seule fois aurait été acceptable mais ce procédé stylistique est répété dans tout le roman.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> C'est un roman moins "rationnel" que <i>L'homme sans qualités.</i> Broch passe comme un vagabond d'une idée à une autre. Les digressions faisaient partie du roman de Musil mais ici elles sont moins bien rendues. Musil, avec sa prose, parvenait à étirer le temps, à nous laisser dans les méandres de nos pensées lorsqu'on lisait son roman et ainsi, une fois prisonniers de son écriture, en quelque sorte, il parvenait à nous éblouir de la façon qu'il voulait. Aussi, même si plusieurs thèmes sont rattachés à nos sociétés (ou à tout le moins à la société de l'époque), et donc à la réalité, je crois que <i>Les Somnambules,</i> et plus particulièrement cette première partie, prend l'art pour la suprême idole, comme Musil et <i>L'homme sans qualités</i>, qui, malgré un haut degré de scientificité dans le texte, avait, selon moi, beaucoup à offrir pour la formule de « l'Art pour l'Art ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans <i>À la recherche du temps perdu </i>de<i> </i>Marcel Proust, les personnages se voient dans les yeux des autres personnages et tout n'est que reflet, perception d'une autre perception. Ici, c'est un peu le contraire : les personnages ont un "intérieur" très fort et tout passe par cette conscience de soi (même si Kundera dit, avec raison, que les romans de Broch ont moins de "subjectivité" que les autres modernes). Malgré le titre (et en particulier le mot romantisme), les passages pouvant s'apparenter au romantisme sont courts (pour ne pas dire inexistants) et le titre laisse plutôt penser aux "désirs" romantiques qui ne seront jamais atteints. Et ce désir perdu pourrait être le désir d'une époque révolu en littérature, celle du romantisme. Voici la première définition du petit Robert pour le mot "romantisme". Elle commence comme suit: « Mouvement de libération du moi, de l'art, [...] ». La "scientificité" relative des <i>Somnambules</i> se veut ainsi un combat contre « la libération du moi ». C'est à tout le moins la façon dont j'ai perçu le premier livre de la trilogie. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">On voit que Broch s'est inspiré des <i>Affinités électives</i> de Goethe et qu'il voulait en faire un roman moderne, un peu plus "scientifique" (et ensuite il semble avoir inspiré Kundera). Cela s'est fait avec beaucoup de succès, mais avec les années, on est plus à même de voir les nombreux défauts qu'il contient. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-15353439019580638072016-03-02T07:23:00.000-05:002016-03-07T07:16:07.500-05:00L'orange mécanique, Anthony Burgess<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://2.bp.blogspot.com/--4KHVbI2hdE/VtW7-L7ifJI/AAAAAAAADvU/yrVgfTarcu4/s1600/1079998-gf.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://2.bp.blogspot.com/--4KHVbI2hdE/VtW7-L7ifJI/AAAAAAAADvU/yrVgfTarcu4/s320/1079998-gf.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>6/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Voici la quatrième de couverture : "Oeuvre prémonitoire s'il en fut, ce roman d'Anthony Burgess, paru en 1962, a pour cadre un monde futuriste furieusement proche du nôtre. Son héros, le jeune Alex, s'ingénie à commettre le mal sans le moindre remords : en compagnie de ses drougs, il se livre à la bastonnade, au viol et à la torture au son d'une musique classique censée apporter la sérénité de l'âme. Incarcéré à la suite d'un hold-up raté, il subit un traitement chimique qui le rend allergique à toute forme de violence. A sa sortie, devenu doux comme un agneau, il endure les avanies que lui infligent les anciens membres de sa horde dont certains sont passés du côté du service d'ordre, avant d'être recueilli par une de ses victimes.
Tout le génie de Burgess éclate dans ce livre sans équivalent, entre roman d'anticipation et conte philosophique, qui s'interroge avec autant d'humour que de lucidité sur la violence, le mal, et la question du libre arbitre. Burgess, qui fut linguiste et compositeur avant de devenir romancier, réussit en outre le prodige d'inventer une langue, le nasdat, dans laquelle son héros et narrateur Alex raconte sa propre histoire. " Je ne connais aucun écrivain qui soit allé si loin avec le langage ", commentera William S. Burroughs. <i>L'Orange mécanique</i> assurera, avec un petit coup de pouce de Stanley Kubrick, la célébrité mondiale à son auteur.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici maintenant la biographie de Burgess que l'on retrouve à l'intérieur :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Né en 1917 à Manchester, Anthony Burgess a étudié la linguistique et la littérature avant de servir dans l'armée de 1940 à 1946. Enseignant en Angleterre et en Malaisie, Burgess a d'abord été compositeur. Auteur de deux symphonie, de sonates et de concertos, il ne se tourne que tardivement vers l'écriture : en 1956, sa vie en Malaisie lui inspire une trilogie satirique sur le colonialisme. Quand, en 1959, les médecins croient lui découvrir une tumeur au cerveau, la carrière littéraire de Burgess s'accélère : en une année, il publie cinq romans et gardera toujours un rythme d'écriture très soutenu. On lui doit plusieurs volumes de critique littéraire, divers essais sur Joyce et Shakespeare, des articles de journaux et une vingtaine de romans souvent cruels et caustiques comme <i>L'Orange mécanique</i>, son chef-d'oeuvre magistralement adapté au cinéma en 1971 par Stanley Kubrick, ainsi que <i>Le testament de l'orange</i> et <i>L'Homme de Nazareth</i>. Burgess meurt en 1983, laissant une oeuvre originale où contestation violente et conservatisme s'entremêlent avec brio. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Elfriede Jelinek a déjà écrit un roman où les protagonistes s'adonnaient à terroriser les gens par la violence, le crime, l'escalade d'une méchanceté sans nom et presque sans visage, anonyme. Il avait pour nom <i>Les Exclus</i>. <i>L'orange mécanique</i> obéit un peu aux mêmes règles mais il se déroule dans un monde différent du nôtre. Les critiques ont généralement l'habitude de lui donner comme avantage de rendre compte de notre société, et de plus, de lui attribuer le mérite d'aborder la métaphysique en traitant de la condition humaine en tant que telle, ou de l'être en tant qu'être, si vous préférez. Mais pour ma part, surtout si je le compare avec <i>Les exclus</i> de Jelinek (et encore plus avec <i>Enfants des morts</i> de la même écrivaine), je crois plutôt qu'une de ses grandes faiblesses est l'absence d'une critique constructive de l'être humain en tant que tel et d'un confinement dans la superficialité de la violence. Burgess, un très grand écrivain, n'arrive pas à la grandeur de Jelinek et de son ultime talent de prosateur. <i>L'orange mécanique</i> est plus proche d'une violence comme on en retrouve dans certains romans de Bret Easton Ellis et dans les films de Quentin Tarantino. C'est une violence gratuite et facile, la psychologie des personnages est tellement réduite lorsqu'elle arrive à notre conscience qu'il est difficile de lui donner une crédibilité littéraire. Avec Jelinek, les personnages ne sont pas violents pour rien. Elle s'attaque à la vie qu'elle méprise (et souvent aux hommes) par le truchement de ses personnages, ce qui amène un aspect "métaphysique" à ses romans. L'ambiance qu'elle crée est elle aussi davantage réussie que celle de Burgess et de <i>L'orange mécanique</i>, parce que ce dernier a décidé de recouvrir le tout dans une opacité du langage. C'est plutôt une vacuité qui s'en dégage et après quelques pages seulement, on ne prend plus cela totalement au sérieux (même si le roman n'est pas complètement raté comme ma note en fait foi).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On pourrait aussi, d'une certaine manière, rapprocher ce roman du chef-d'oeuvre de George Orwell, <i>1984</i>. À la fin de ce roman, le personnage principal subit une "reconstruction" pour retrouver le droit chemin alors qu'ici, dans <i>L'orange mécanique</i>, le personnage subira le traitement "Ludovico" pour redevenir, ou plutôt devenir, une personne non violente. <i>1984</i> évoluait dans un environnement totalitaire, c'était une dystopie, un genre où les personnages évoluent dans un environnement qui brime leur aspiration au bonheur, et ce n'était pas le héros qui déviait de la bonne trajectoire, mais bien le contraire. Ses bourreaux, la société totalitaire (inspirée de Staline) voulaient qu'il redevienne comme eux. Avec <i>L'orange mécanique</i>, les choses sont un peu différentes. Les autorités veulent encore que le personnage devienne comme eux (c'est toujours le cas, dans la vie comme dans les romans, les gens n'acceptent pas la différence), mais le tout est fait dans un but un peu plus noble (je suis certain par contre que le roman a déjà été analysé d'une façon différente). <i>L'orange mécanique</i> avait le mérite de venir avant Jelinek et ses <i>Exclus</i>, mais il a été publié (en 1962) après celui d'Orwell (<i>1984</i> a été écrit en 1948 et si l'on renverse les deux derniers chiffres cela donne 1984). Burgess, comme Jelinek et Orwell, s'est inspiré du réel pour écrire son roman. Sa femme s'était fait violer par des G.I's.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le problème le plus important avec <i>L'orange mécanique</i> est sa traduction. Elle prend toute la place malgré ce qu'en disent les traducteurs dans leur avertissement du début :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Cette traduction surprendra peut-être d'abord le lecteur par certaines curiosités du vocabulaire. Il faut y voir le souci de respecter la volonté de l'auteur. Le langage de l'Humble Narrateur et Martyr, héros de ce roman, est surprenant à la fois par sa simplicité et par les « infiltrations » qui ont fini par le conditionner. La simplicité appartient à la jeunesse du personnage ; les « infiltrations » relèvent d'une pénétration de la brutalité et d'un viol de la conscience dont nous votons et pouvons mesurer presque chaque jour la croissance et les effets. L'argot (un « méta-argot », souvent, si l'on peut dire), le manouche (le parler romani), le russe (« la propagande », déclare Burgess lui-même) marquent l'intrusion et cet aspect d'une révolution, subie sinon passive, du langage. Cela dit, l'art d'Anthony Burgess est tel, l'emploi des mots « nouveaux » si admirablement calculé et dosé que, la première surprise passée, le lecteur se laissera porter et emporter, nous en sommes certains, sans la moindre difficulté. Mais enfin, pour amuser plutôt que pour éclairer, l'on trouvera à la fin du livre un Glossaire des principaux termes clés. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Nous faisons face à deux problèmes avec cette traduction. Le premier est la langue inventée par Burgess (certains y verront un avantage), le nasdat, difficile (impossible ?) à traduire en français. Et le deuxième problème, (et cela est bien personnel) est cet argot français, en tout cas l'ambiance générale que dégage cet argot français très déplaisant pour un lecteur non-européen. Ces deux traducteurs, Georges Belmont et Hortense Chabrier, sont habituellement excellents, ils l'ont prouvé avec <i>Les puissances des ténèbres</i>, mais il manque manifestement de clarté dans la langue de <i>L'orange mécanique</i>. Il faut lire ce livre en anglais. Je suis d'accord avec Burroughs qui dit que Burgess est allé loin avec le langage mais je me demande si ce n'était pas un peu trop de loin pour ses capacités, son talent. Burgess n'est pas Shakespeare. Le pari était risqué surtout pour les nombreuses traductions qui ont suivi. Selon moi, jamais une traduction n'avait pris une aussi grande place dans un roman. Par contre, malgré tout, je ne dirais pas que la traduction est complètement ratée. Les deux traducteurs avaient été tellement géniaux avec <i>Les puissances des ténèbres</i> qu'ils ne peuvent probablement rien rater d'une façon totale. Je dirais que chaque lecteur se fera sa propre opinion sur la traduction, qu'il se fera son propre roman. Mais j'imagine aussi que cette traduction sera difficile même pour un lecteur français.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Comme c'est le cas pour <i>1984</i>, le roman est parsemé de petites allégories sur l'anti-connaissance, la grande noirceur, etc. : « Le livre sur les cristaux que je tenais avait une reliure duraille et difficile à razrézer en morceaux, vu qu'il était vraiment viokcho et fabriqué à une époque où les choses étaient genre faites pour durer, mais j'ai réussi à déchirer les pages et à les lancer en l'air à poignées, genre flocons de neige quoique un peu gros, et ce vieux veck qui critchait en était tout recouvert. Ensuite, les autres ont fait la même chose avec les leurs, tandis que Momo dansait autour de lui comme l'espèce de clown qu'il était. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour faire suite à mon propos sur la traduction, les citations suivantes montrent le style de l'auteur et l'on peut voir la grande place que prend cette traduction : « Les autres se sont bidonskés à ces paroles, tandis que ce pauvre vieux Momo me regardait sans rire, puis levait de nouveau le nez vers les étoiles et la Luna. Mais enfin, on a descendu la petite rue, entre les rangées de vitres bleutées par leur mondoprogramme. Ce qui nous manquait à présent, c'était une bagnole, donc on a pris à gauche au sortir de la petite rue, et on a deviné tout de suite qu'on était place Priestly, rien qu'à relucher la grande statue en bronze d'un vague viokcho poète avec la lèvre du haut genre gorille et une pipe plantée dans vieille rote ramollo. Direction nord, on est arrivés à cette vieille saloperie de cinédrome, tout pelé et tombant en miettes vuq eu personne n'y allait plus beaucoup sauf les maltchiks comme moi et mes drougs - et encore, rien que pour le coup de gueule ou le razrez, ou pour une petite partie de dedans-dehors dans le noir. À l'affiche, sur la façade du cinédrome braquée par deux projos pleins de chiures de mouches, on n'avait pas de mal à relucher que c'était la routine, genre bagarre entre cowboys, avec les archanges du côté du shérif U S qui tire ses six coups sur les voleurs de bestiaux sortis tout droit des légions infernales - juste le genre de vesche à la con comme en fabriquait alors le Cinéma d'État. Les bagnoles parquées devant le cinoche étaient loin d'être toutes tzarribles ; c'étaient même surtout des viokchas veshes plutôt merdeuses, sauf une Durango 95 assez neuve qui pouvait faire l'affaire, je me suis dit. Jo avait à son porte-clés une polyclé, comme on appelait ça, ce qui fait qu'on a été vite à bord - Momo et Pierrot à l'arrière, tirant comme des seigneurs sur leur cancerette. Moi, j'ai mis le contact et j'ai lancé le moulin et ça s'est mis à ronfler vraiment tzarrible, que ça faisait chouette et chaud vibrato jusque dans la tripouille. Puis j'ai joué du noga et on est sortis marche arrière en beauté, sans que personne nous ait reluchés démarrer. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Il y avait moi, autrement dit Alex, et mes trois drougs, autrement dit Pierrot, Jo et Momo, vraiment momo le Momo, et on était assis au Korova Milkbar à se creuser le rassoudok pour savoir ce qu'on ferait de la soirée, - une putain de soirée d'hiver, branque, noire et glaciale, mais sans eau. Le Korova Milkbar, c'était un de ces messtots où on servait du lait gonflé, et peut-être avez-vous oublié, Ô mes frères, à quoi ressemblait ce genre de messtot, tellement les choses changent zoum par les temps qui courent et tellement on a vite fait d'oublier, vu aussi qu'on ne lit plus guère les journaux. Bref ce qu'on y vendait c'était du lait gonflé à autre chose. Le Korova n'avait pas de licence pour la vente de l'alcool, mais il n'existait pas encore de loi interdisant d'injecter de ces nouvelles vesches qu'on mettait à l'époque dans le moloko des familles, ce qui faisait qu'on pouvait le drinker avec de la vélocette, du synthémesc ou du methcath, ou une ou deux autres vesches, et s'offrir quinze gentilles minutes pépère tzarrible à mirer Gogre et Tous Ses Anges et Ses Saints dans son soulier gauche, le mozg plein à péter de lumières. Ou alors dinker du lait aux couteaux, comme on appelait ça, façon de s'affûter et de se mettre en forme pour une petite partie salingue de vingt contre un, et c'était justement ce qu'on drinkait le soir par où je commence cette histoire. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> La violence est bien sûr omniprésente. En voici un extrait (un peu plus présentable et moins violent que plusieurs autres) : « Et puis on a commencé totonner avec lui. Pierrot lui tenait les roukeurs et jo s'est arrangé pour lui crocheter la rote régul au carré pendant que Momo lui faisait sauter ses fausses zoubies, du haut et du bas. Il les a jetées sur le trottoir et je leur ai fait le vieux coup de l'écrase-merde, non sans mal car c'étaient des dures, les vaches, étant dans une de ces nouvelles matières plastiques tzarribles. Le vieux veck s'est mis à faire des sortes de choums garfouilleux - « bhouf bhaf bhof » -, alors Jo lui a lâché les goubeuses et s'est contenté de lui en mettre un sur la rote vide de dents, de son poing plein de bagouses, et cette fois, le vieux veck a commencé à geindre plein tube, et là-dessus le sang a coulé, une vraie beauté, mes frères. Ensuite tout ce qu'on a fait, ça a été de lui retirer ses platrusques en ne lui laissant que son maillot de corps et son caleçon long ( très viokcho, que Momo s'en bidonskait à se péter la gueule ou presque), après quoi Pierrot lui a filé un ravissant coup de pied dans le pot, et on l'a laissé aller. Il est parti en titubant un peu, vu qu'on ne l,avait vraiment pas toltchocké trop dur, et en faisant « Ah, ah, ah » sans trop savoir réellement ni ou ni quoi, et on s'est payé sa tête et puis on lui a fait les poches pendant que Momo dansait en rond avec le parapluie crado, mais il n'y avait pas grand-chose à rafler. Juste quelques viokchas lettres, dont certaines datant d'aussi loin que 1960 et où c'était écrit : « Mon Gros Loulou Chéri » et autre blabla à la conskov et un trousseau de clés et une viokcho stylo qui fuyait. Ce vieux Momo a arrêté sa danse du pébroc et naturellement il a fallu qu'il se mette à lire tout haut une des lettres, histoire de prouver qux murs qu'il savait lire, vu que la rue était vide. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Il y a un mélange intéressant de références à la culture populaire et à la culture érudite que seul Burgess pouvait écrire : « On a mis nos masquards - des dernières nouveautés, vraiment tzarribles, des vraies merveilles à la ressemblance de personnalités historiques (on vous donnait le nom quand on les achetait) ; moi j'avais Disraeli ; Pierrot, Elvis Presley ; Jo, Henri VIII, et ce pauvre vieux Momo un veck poète du nom de Percebiche Shelley. C'étaient des trucs genre vrai déguisement, cheveux et tout, et faits dans une vesche en plastique très spécial, genre que ça pouvait se rouler quand on avait fini et se cacher dans la botte. Puis on est entrés à trois, Pierrot faisant le chasso dehors, bien qu'il n'y eût pas grand-chose à craindre dans le coin. À peine débarqués dans la boutique on a foncé sur Slouse, le patron un gros veck genre gelée au porto. Tout de suite il a reluché ce qui se préparait et il a filé droit dans l'arrière-boutique , où il y avait le téléphone et sans doute son poushka bien huilé avec six pellos salongues dans le chargeur. » </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Anthony Burgess avait fait beaucoup mieux avec <i>Les puissances des ténèbres</i>. Tous les romans de Burgess ne sont pas traduits en français mais <i>Les puissances des ténèbres</i> l'étaient, et d'une façon merveilleuse. Ici, le glossaire aide à la compréhension du texte mais ce n'est pas assez. Le méta-argot dont parlent les traducteurs en introduction, est, disons-le franchement, à peu près incompréhensible pour les Québécois. Ce roman était prisonnier d'une situation perdant-perdant dès le départ (les Américains disent "catch-22") : il devenait presque illisible en traduction, mais sans cette traduction, sans cette langue, il aurait probablement été aussi insipide que les romans de Bret Easton Ellis. Le "message" philosophique (bien que mince) de ce roman est caché sous un très profond vernis d'un style complètement hors normes et même lorsqu'on parvient à s'en approcher, une autre couche se fait voir, et cela jusqu'à la fin de notre lecture. Donc, lorsqu'un plancher cède, un autre sous-sol apparaît. Mais je ne crois pas que tout cela enlève à Burgess ses qualités, qui elles, sont nombreuses. Il y a des livres plus intelligents que leur auteur et pour d'autres, c'est le contraire. Je placerais <i>L'orange mécanique</i> dans la deuxième catégorie. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-54291256325758747392016-02-21T07:28:00.000-05:002016-02-21T07:28:01.867-05:00Des villes dans la plaine, Cormac McCarthy<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://1.bp.blogspot.com/-hp6JjzybxZY/VsidacjGQPI/AAAAAAAADvE/cXscFhnyX1Q/s1600/433017-gf.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://1.bp.blogspot.com/-hp6JjzybxZY/VsidacjGQPI/AAAAAAAADvE/cXscFhnyX1Q/s320/433017-gf.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>6/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : John Grady Cole et Billy Parham se retrouvent dans un ranch du Nouveau-Mexique. Toujours en quête du mythique Far West d'autrefois, ils arpentent les grands espaces encore vierges de l'Ouest sauvage. Mais quand John Grady décide de passer la frontière pour aller kidnapper la jeune prostituée mexicaine dont il s'est épris, ses rêves d'amour et de liberté se heurtent aux forces inéluctables de la réalité...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Harold Bloom avait des sentiments partagés sur McCarthy avant de découvrir Blood Meridian :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « I think I had read some earlier McCarthy, and had mixed feelings about it—it seemed to me to be Faulknerian in a way that was not really integrated in a way that made it McCarthy’s own. It may have been <i>Suttree</i>, in fact, a book that I haven’t read since. It was a strong book, but you had the feeling at times that it was written by William Faulkner and not by Cormac McCarthy. He tends to carry his influences on the surface, quite honestly. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Et pour <i>Des villes dans la plaine</i>, Bloom a été déçu : </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « I wish that the rest of McCarthy, both before and after, was that good. I think the <i>Border Trilogy</i> has its moments, especially the first volume [<i>All The Pretty Horses</i>], but the second [<i>The Crossing</i>] and third [<i>Cities Of The Plain</i>]—especially the third—were disappointments. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Je suis parfaitement d'accord avec lui. <i>Des villes dans la plaine</i> n'offrent pas un "grand" moment de lecture. Le problème avec cette trilogie, c'est le début, qui était ce qu'on peut voir de mieux en littérature et petit à petit cela se détériore, surtout d'un point de vue stylistique (mais pas seulement), pour aboutir ici avec un troisième roman beaucoup moins travaillé. Avec cette seule trilogie, on peut voir que McCarthy doit s'appliquer et travailler très fort pour écrire des chefs-d'oeuvre. Je ne crois pas que ce soit un parfait naturel, (comme la plupart des bons écrivains ne le sont pas non plus). Plus ses textes sont écrits lentement et plus ils semblent toucher au sublime. Manifestement, <i>Des villes dans la plaine</i> furent écrits rapidement. Et son esthétique est même affectée si l'on regarde uniquement son récit. Ainsi, dans le présent roman, les scènes sont au mieux banales, si l'on compare avec les deux précédents, l'action est étirée en longueur pour remplir des pages. C'est un roman plus faible que les deux précédents à tout point de vue. Bloom a raison de dire qu'il a de la difficulté avec les deux derniers, et particulièrement le dernier. Avec les héros des deux précédents romans qui se retrouvaient, nous étions en droit de nous attendre au meilleur de cet écrivain alors qu'on a eu le pire d'un génie (ce qui est par contre mieux que bien d'autres auteurs).</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voyons voir le récit. John Grady Cole et Billy Parham, les deux personnages principaux des deux premiers romans sont enfin réunis, proche du Mexique, et ils travaillent sur les terres de McGovern. Cole rencontrera au Mexique une prostitué épileptique du nom de Magdalena. Il veut la faire passer aux États-Unis et pour cela, Parham essaie de convaincre le patron de celle-ci. N'obtenant pas de succès dans cette entreprise, John Grady Cole décide de le faire quand même et met sur pied un plan de kidnapping. Malheureusement pour lui, Eduardo, le patron de Magdalena, déjoue le complot et décide de faire tuer sa prostitué. Et c'est à partir de là que l'action débute réellement, que le duel à mort pourra commencer entre John Grady Cole et Eduardo, à la manière de Cormac McCarthy : comme un western, avec une confrontation.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En plus d'une prose moins éclatante pour cet ultime tome de la trilogie des confins, McCarthy y va de quelques clichés :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Les putains assises sur les canapés miteux dans leurs déshabillés miteux levèrent la tête. Le local était pratiquement vide. Encore une fois ils tapèrent des pieds dans leurs bottes et allèrent au comptoir et se plantèrent devant et rabattirent leurs chapeaux en arrière avec le pouce et calèrent leurs bottes sur la barre au-dessus de la rigole carrelée pendant que le barman servait leurs whiskies. Dans la lumière rouge sang du bar et les volutes de fumée ils gardèrent leurs verres un instant levés et inclinèrent la tête comme pour saluer un quatrième compagnon désormais perdu pour eux et avalèrent cul sec leurs whiskies et reposèrent les verres vides sur le comptoir et s'essuyèrent la bouche du revers de la main. Troy pointa le menton vers le barman, désignant les verres vides d'un mouvement circulaire du doigt. Le barman opina. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On voit dès le début, avec la profusion de dialogues (plus ou moins ratés) que l'on est loin du vrai Cormac McCarthy, l'écrivain des longs passages poétique, même s'il en reste quelques-uns:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Dans les montagnes ils virent des cerfs dans l'éclat des phares et dans l'éclat des phares les cerfs étaient pâles comme des fantômes et pareillement silencieux. Ils tournaient leurs yeux rouges vers ce soleil inexpliqué et s'écartaient et se serraient et bondissaient et sautaient par-dessus le fossé seuls et par deux. Une petite biche perdit l'équilibre sur le macadam ses sabots affolés cherchant une prise et se laissa tomber sur sa croupe et se releva et repartit avec les autres et disparut dans la broussaille de l'autre côté de la route. Troy tendit la bouteille de whisky devant les cadrans du tableau de bord pour vérifier le niveau et il dévissa le bouchon et but et revissa le bouchon et passa la bouteille à Billy. Ça m'a l'air d'un bon coin pour chasser le cerf. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Un gros hibou gisait en croix sur le pare-brise du côté du chauffeur. Le verre laminé s'était enfoncé doucement pour le retenir et ses ailes étaient grandes ouvertes étalées sur le pare-brise et il gisait dans les cercles et les rayons concentriques du verre éclaté tel un énorme papillon dans une toile d'araignée. Billy coupa le moteur. Ils contemplaient cette chose. Une des pattes du hibou frémit et se replia en griffe puis se détendit lentement et le hibou remua un peu la tête comme pour mieux les voir puis il expira. Troy ouvrit la portière et descendit. Billy restait sur le siège, les yeux rivés sur le hibou. Puis il éteignit les phares et descendit à son tour. Le hibou était doux et duveteux. Sa tête retombait et roulait. Il était moelleux et chaud au toucher et semblait désarticulé à l'intérieur de ses plumes. Billy le souleva pour le dégager et alla l'accrocher à la clôture et revint. Il remonta dans le camion et alluma les phares pour voir s'il pourrait conduire avec le pare-brise dans cet état ou s'il faudrait finir de le casser et l'enlever. Il restait du verre à peu près intact en bas dans le coin droit et il se dit qu'il y verrait suffisamment en se penchant et en regardant par là. Troy était un peu plus loin sur la route, en train de pisser. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> McCarthy est ici beaucoup plus dans la superficialité insipide que dans le génie (ce qu'il est en réalité). Par contre, est-ce un roman complètement raté ? En fait, je ne crois pas qu'un grand génie des lettres puisse complètement rater un roman, il sera toujours meilleur que la moyenne :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Il alluma la cigarette avec un briquet Zippo de la 3e division d'infanterie posa le briquet sur son paquet de cigarettes et souffla la fumée de haut en bas le long du bois verni du comptoir et regarda John Grady. La putain était retournée sur le canapé et John Grady examinait quelque chose dans la glace du buffet derrière le comptoir. Troy se retourna et suivit son regard. Une fille toute jeune qui pouvait avoir dix-sept au plus et peut-être moins était assise sur le bras du canapé les mains jointes sur les genoux et les yeux baissés. Elle tripotait comme une écolière l'ourlet de sa robe criarde. Elle releva la tête et regarda de leur côté. Sa longue chevelure noire tombait sur son épaule et elle l'écarta lentement du revers de la main. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> L'ambiance est encore une fois bien créée par l'auteur : le sentiment que l'on se retrouve bien dans le sud, dans les grands espaces, dans le vide d'une certaine beauté :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Ils mangèrent des steaks et burent du café et écoutèrent les histoires de guerre de Troy et fumèrent et regardèrent les antiques taxis jaunes passer à gué l'eau des rues. Ils reprirent l'avenue Juarez en direction du pont. Le service des trams était terminé et les rues étaient à peu près vides de tout trafic et de toute circulation. Les rails qui scintillaient sous la lueur mouillée des lampes filaient vers la guérite de la douane et continuaient encastrés dans le tablier du pont pareils à de grandes agrafes chirurgicales reliant ces mondes disparates et fragiles et la couverture nuageuse avait quitté les crêtes des Franklins et s'éloignait au sud vers les sombres silhouettes des montagnes du Mexique découpées sur le ciel étoilé. Ils traversèrent le pont et poussèrent tour à tour le tourniquet, un peu gris, le chapeau un peu de travers, et ils prirent la rue D'El Paso-Sud. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> C'est un roman qui se rapproche davantage de <i>No Country for old men</i> que des deux premiers de la trilogie (et que de l'ensemble de son oeuvre). Il partage avec <i>No Country for old men</i> une intrigue qui est placée au premier plan, au détriment d'une prose riche et recherchée. <i>No Country for old men</i> était à l'origine un scénario de film refusé de McCarthy et celui-ci avait décidé d'écrire un roman avec le plan initial. C'est un peu la même chose avec <i>Des Villes dans la plaine</i> (et même pire) : il se lit comme un scénario, ce qui est le contraire de ce que devrait être la littérature selon moi. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Même si tout n'est pas raté dans ce roman, il a plusieurs problèmes. Et d'importants problèmes. Premièrement, et d'une façon globale, il suivait deux grands chefs-d'oeuvre et ainsi, c'est plus qu'une déception qui nous frappe. C'est le sentiment de s'être fait avoir. La prose, (malgré quelques passages) est, et de loin, beaucoup moins travaillée et riche et puissante que ce que McCarthy nous donne habituellement. Les dialogues, autre problème important, n'ont pas l'épuration sublime de <i>La route</i> et le génie de ceux que l'on retrouve dans <i>Suttree</i>. Plusieurs scènes sont inintéressantes, inutiles, répétitives, surtout après les deux tomes précédents. </span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> McCarthy dit qu'il ne serait pas capable d'écrire un roman comme <i>À la recherche du temps perdu</i> de Marcel Proust parce qu'il est seulement capable d'écrire sur la mort et que pour lui, en tant qu'écrivain, la littérature a cette fonction (Proust aborde un peu le thème de la mort mais en général ce n'est pas ce qui ressort de ses livres). Sur ce plan, c'est réussi. Et pour le reste ? Eh bien, vous devrez le lire si vous doutez de mon opinion !</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-86962819886065771672016-02-11T07:22:00.000-05:002016-03-13T22:33:42.841-04:00Le grand passage, Cormac McCarthy<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://3.bp.blogspot.com/-dhyzEaLWnBU/Vrtgds5Ib5I/AAAAAAAADu0/jVwGtDNOuug/s1600/51FgN5Bn%252B1L._SX302_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://3.bp.blogspot.com/-dhyzEaLWnBU/Vrtgds5Ib5I/AAAAAAAADu0/jVwGtDNOuug/s320/51FgN5Bn%252B1L._SX302_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>8/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : Achever cette louve prisonnière du piège qu'il a posé est au-dessus des forces de Billy. Sa décision est prise : il quittera le ranch familial pour la ramener sur sa terre natale. De l'Arizona au Mexique, la route est longue et périlleuse. Il faut franchir la frontière, le grand passage, et pénétrer dans un monde de hors-la-loi, où la révolution gronde... Le moment est venu de faire face à la sauvagerie des hommes.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Un poète a déjà dit que l'on commence à aimer réellement la poésie lorsqu'on tombe sur un poème qui nous touche d'une façon dont on n'a jamais été touché avant, qui nous fait sentir spécial et qui existe pour que nous tombions sur lui en quelque sorte. Cela m'est arrivé avec Giacomo Leopardi (je pourrais nommer son poème </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">Les souvenances</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">), le plus grand de tous selon moi. Et dans le roman, sans être aussi existentielle et métaphysique, cette expérience peut nous arriver à l'occasion et pour ma part, je citerais Virginia Woolf, Beckett, Bola</span><span style="background-color: white; color: #545454; line-height: 18.2px; text-align: left;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">ñ</span></span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">o et Nabokov, entre autres. Mais ces auteurs sont arrivés beaucoup plus tard pour moi. Au tout début, il y eut Victor Hugo avec </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">Les misérables</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> qui m'avait donné froid dans le dos. Ensuite, le second fut Paul Auster et </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">Le livre des illusions</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> où je découvrais pour la première fois qu'il y avait des écrivains contemporains intéressants, talentueux. Même si à l'époque il m'avait un peu déçu, je voyais le talent littéraire pour l'une des premières fois. Et beaucoup plus tard, je me rappelle fort bien que l'une de ces grandes figures littéraires fût Cormac McCarthy avec </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">No Country for Old Men</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> et surtout </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">La Route</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">. Ensuite, j'ai tout lu de ce maître, notamment </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">La trilogie des confins</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;">. McCarthy, je lui dois tout parce que c'est lui qui m'a fait réaliser qu'un romancier peut nous toucher avec son seul talent de styliste. Que le style est, à quelque part, plus grand que l'histoire parce qu'il est une fin et non un moyen. Rien ne peut être plus grand que le style en littérature parce que rien ne vient après. Si l'on élimine le style, le roman n'est plus </span><i style="font-family: times, 'times new roman', serif;">roman</i><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> mais une feuille de chou avec un récit comme on en retrouve un peu partout. Dans les scénarios de films entre autres. Aussi, les magazines en sont remplis (avec les "histoires de vie") en plus des journaux. Et j'ai réalisé cela en premier grâce à la lecture de McCarthy, ce prosateur hors pair, et l'un des seuls génies encore vivants.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Par contre, dans ce deuxième tome de <i>La trilogie des confins</i>, l'on sent déjà un léger début de "dégradation" de la qualité de l'oeuvre si on la compare avec la précédente, surtout sur le plan stylistique. Et cette "dégradation" aboutira à un roman assez banal avec <i>Des villes dans la plaine</i> comme troisième tome. Dans ce deuxième tome, il commence à y avoir des répétitions de mots dans une même page, des répétitions de toutes sortes aussi. Mais je dois dire ceci : ce livre, <i>Le grand passage</i>, jouit quand même d'une écriture sublime. La trame est ici un peu la même que dans son chef-d'oeuvre <i>De si jolis chevaux</i>. Un homme, très jeune, Billy Parham, qui a 16 ans mais que l'on peut se permettre quand même d'appeler <i>homme,</i> habite le Nouveau-Mexique aux États-Unis. Il devient obsédé par la jeune louve qu'il pourchasse, d'abord avec son père, et ensuite seul en prenant lui-même l'initiative de ses gestes. Il l'attrapera, mais sa proie se blessera sans succomber à ses blessures. Billy décidera de l'amener jusqu'au Mexique. En se rendant là-bas, il se verra confisquer la louve, il finira quand même par l'abattre et reviendra aux États-Unis. Arrivé sur ses terres, il retrouvera le ranch de sa famille, qui a brûlé, et repartira avec son jeune frère au Mexique pour venger sa famille...</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Quelques similitudes et différences d'avec le premier tome m'ont frappé. Dans un premier temps, l'âge des deux héros, John Grady Cole et Billy Parham, est essentiel à la compréhension de l'histoire et ce que l'auteur voulait faire passer comme message : ils sont à la fin de l'adolescence et ils découvrent tous deux la dureté du passage à l'âge adulte. Notamment avec la violence de la nature, de l'humain et des passions. Les deux feront cet apprentissage en voyageant vers le Mexique, ils auront des compagnons comme don Quichotte en avait (Lacey Rawlins, la louve, le frère de Billy) et un dialogue rempli de silence s'installera entre les protagonistes (lorsque cela sera possible bien sûr). McCarthy utilise souvent l'expédition à deux comme dans <i>La route</i>. Et la principale différence sera l'origine de la fuite vers le Mexique. John Grady Cole le faisait dans un but de découverte, donc il faisait le voyage volontairement alors que Billy Parham y va dans un premier temps pour renvoyer la louve dans son pays d'origine et dans un deuxième temps pour venger sa famille.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Pour l'ambiance générale du roman, on retrouve exactement la même que dans <i>De si jolis chevaux</i> :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « L'hiver où Boyd eut quatorze ans les arbres qui poussaient dans le lit à sec de la rivière perdirent très tôt leurs feuilles et jour après jour le ciel était gris et les arbres découpaient leurs pâles silhouettes sur l'horizon. Au pied de ces mâts nus la terre sous un vent froid qui s'était mis à souffler du nord filait vers une échéance dont les comptes ne seraient apurés et datés qu'une fois toute créance depuis longtemps caduque, telle est cette histoire. Parmi les pâles peupliers avec leurs branches pareilles à des ossements et leurs troncs dont tombait l'écorce pâle ou verte ou plus sombre serrés dans une boucle du lit de la rivière au-dessous de la maison se dressaient des arbres si massifs qu'il y avait dans ce peuplement sur l'autre rive une souche sciée sur laquelle les hivers passés des conducteurs de troupeau montaient une tente à provisions de six pieds sur quatre, si large était ce billot. Quand il partait à cheval pour ramener du bois il regardait son ombre et l'ombre du cheval et du travois enjamber ces palissades tronc d'arbre après tronc d'arbre. Boyd montait derrière dans le travois la hache à la main comme s'il avait été chargé de veiller sur le bois qu'ils ramassaient et il regardait vers l'ouest de ses yeux plissés là où le soleil frémissait dans un lac rouge desséché sous les pentes nues des montagnes tandis que les silhouettes des antilopes piétinaient et dodelinaient de la tête parmi les bêtes du troupeau sur la plaine de l'avant-pays. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Cependant, on voyait dès les premières pages qu'avec ce roman-ci McCarthy se rapprochait davantage de la nature et des animaux :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Quand ils arrivèrent au sud après avoir quitté Grant County Boyd n'était guère qu'un nouveau-né et le comté récemment constitué baptisé Hidalgo était lui-même à peine plus âgé que l'enfant. Au pays qu'ils avaient laissé gisaient les ossements d'une soeur et les ossements d'une grand-mère maternelle. Le nouveau pays était riche et sauvage. On pouvait aller à cheval jusqu'au Mexique sans rencontrer une seule clôture en travers du chemin. Il transportait Boyd devant lui dans l'arçon de sa selle et lui décrivait le paysage qu'ils traversaient et lui annonçait les noms des animaux et des oiseaux à la fois en espagnol et en anglais. Dans la nouvelle maison ils couchaient dans la chambre contiguë à la cuisine et la nuit quand il restait éveillé il écoutait son frère respirer dans l'obscurité et il lui racontait tout bas pendant qu'il dormait les projets qu'il avait faits pour eux et la vie qu'ils mèneraient. Par une nuit d'hiver de cette première année il se réveilla aux cris des loups dans les collines basses à l'ouest de la maison et il savait qu'ils allaient débouler sur la plaine dans la neige fraîche pour traquer l'antilope au clair de lune. Il saisit son pantalon suspendu au pied du lit et prit sa chemise et sa veste matelassée et sortit ses bottes de dessous le lit et alla à la cuisine et s'habilla dans le noir à la timide chaleur du fourneau et examina ses bottes à la lueur de la fenêtre pour reconnaître le pied gauche du droit et les enfila et se redressa et alla à la porte de la cuisine et sortit et referma la porte derrière lui. »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">La plupart de mes lectures ont pour but de découvrir la prose poétique que l'auteur peut nous donner (je choisis généralement des valeurs sûres) et c'est encore plus vrai pour McCarthy, comme je l'abordais au début de ma chronique. Les récits de McCarthy, bien que parfois intéressants, font piètre figure devant l'immensité de son talent de prosateur :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Il se réveilla dans la blanche lumière méridienne du désert et se dressa dans ses couvertures puantes. L'ombre du châssis de bois nu de la fenêtre marquée en trompe-l'oeil sur le mur opposé commença à pâlir et à s'effacer sous ses yeux. Comme si un nuage était passé sur le soleil. Il écarta d'un coup de pied les couvertures et enfila ses bottes et mit son chapeau et se leva et sortit. La route était gris pâle dans la lumière du jour et le jour refluait le long des corniches du monde. Les petits oiseaux s'étaient réveillés dans les fougères du désert au bord de la route et commençaient à pépier et à s'égailler et plus loin sur le bitume des colonnes de tarentules qui avaient traversé la route dans la nuit comme des crabes terrestres s'étaient arrêtées, leurs articulations figées dans des poses narquoises de marionnettes, auscultant de leur pas mesuré d'octopode ces ombres d'elles-mêmes suspendues au-dessous d'elles tout à coup. Il regarda la route et regarda la lumière qui faiblissait. Au nord tout le long de la corniche des nuages aux contours de plus en plus sombres. Il avait cessé de pleuvoir pendant la nuit et un arc-en-ciel ou un halo tendait au-dessus du désert un arc pâle de néon et il regarda encore une fois la route qui était comme avant mais plus sombre pourtant et de plus en plus sombre à mesure qu'elle s'éloignait vers l'est là où il n'y avait ni soleil ni aube et quand il regarda encore une fois au nord le jour refluait de plus en plus vite et la lumière de midi dans laquelle il s'était réveillé devenait tantôt un étrange crépuscule et tantôt une étrange ténèbre et les oiseaux qui volaient ça et là s'étaient posés à terre et une fois encore tous s'étaient tus dans les fougères au bord de la route. Il sortit. Un vent rois descendait des montagnes. Il soufflait des pentes occidentales du continent où la neige d'été s'attardait au-dessus de la limite des arbres et le vent passait par les hautes forêts d'épicéas et entre les fûts des trembles et balayait la plaine du désert au-dessous. Il avait cessé de pleuvoir dans la nuit et il s'avança sur la route et appela le chien. Il appelait et appelait. Immobile dans cette inexplicable obscurité. Où il n'y avait aucun bruit nulle part sauf le bruit du vent. Au bout d'un moment il s'assit sur la route. Il enleva son chapeau et le posa sur le bitume devant lui et baissa la tête et prit son visage dans ses mains et pleura. Il resta ssis là longtemps et au bout d'un moment l'orient se teinta de gris et au bout d'un moment le juste soleil de Dieu se leva, une fois encore, pour tous et sans distinction. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">« Il observait le ciel nocturne à travers la vitre de la salle. Les premières étoiles découpées au sud sur la voûte obscure étaient suspendues dans la vannerie morte des arbres le long de la rivière. La lumière de la lune pas encore levée baignait l'orient d'une brume sulfureuse au-dessus de la vallée. Il vit la lumière s'éteindre le long de la prairie du désert et la coupole de la lune sortir de terre blanche et grasse et fibreuse. Puis il descendit de la chaise où il était agenouillé et alla chercher son frère. Billy avait mis de côté un steak et des biscuits et une tasse en fer-blanc remplie de haricots, le tout enveloppé dans un chiffon et caché derrière la vaisselle sur l'étagère du garde-manger près de la porte de la cuisine. Il fit sortir Boyd le premier et resta un moment à écouter puis il le suivit. Le chien se mit à geindre et à gratter contre la porte du fumoir quand ils passèrent devant et il lui dit de se taire et le chien se tint coi. Ils continuèrent le long de la clôture en se baissant et coupèrent ensuite vers les arbres. Quand ils arrivèrent à la rivière la lune était déjà haut dans le ciel et l'Indien était là de nouveau avec le fusil passé comme dans le froid. Il fit demi-tour et ils traversèrent derrière lui la coulée de gravier et ils prirent vers l'aval par la piste du bétail sur l'autre rive à la limite de la prairie. Il y avait de la fumée de bois dans l'air. À un quart de mile en contrebas de la maison ils arrivèrent à son feu de bivouac entre les peupliers et il posa le fusil debout contre un tronc d'arbre et se retourna et les regarda.»</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> En terminant, disons que les personnages de McCarthy vivent à peu près tous en marge de la société et ses lecteurs doivent avoir un peu de cette marginalité en eux s'ils veulent pleinement apprécier ses romans parce qu'ils sont, à quelque part, assez éloignés de ce que notre époque nous offre : des divertissements rapides, insignifiants. Bref, c'est la mort de la conscience qui nous est offerte avec les médias de masse et la société est tombée dans une sorte de débilité insurpassable et cette débilité est exacerbée avec les différentes cultures qui veulent à peu près toutes imiter la culture américaine et ses bouffonneries et son marché qui dicte les règles de l'art. McCarthy est Américain mais son oeuvre ne renvoie pas à ce mauvais goût qui est devenu mondial grâce à la technique. Ce n'est pas difficile de voir que chacune de ses phrases est travaillée jusqu'à plus soif, pour le plus grand bonheur des lecteurs. Il s'est échappé du droit chemin une seule fois et c'est dans le troisième tome de cette trilogie. Celui-ci sera discuté la semaine prochaine sur mon blogue...</span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-72894990475663662242016-02-01T07:17:00.000-05:002016-02-01T10:20:53.401-05:00De si jolis chevaux, Cormac McCarthy<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://4.bp.blogspot.com/-KwqQ9KxxqK0/VqZRLEK6RGI/AAAAAAAADuE/3XGjE2mVgVY/s1600/41lQ9AOpYIL._SX302_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://4.bp.blogspot.com/-KwqQ9KxxqK0/VqZRLEK6RGI/AAAAAAAADuE/3XGjE2mVgVY/s320/41lQ9AOpYIL._SX302_BO1%252C204%252C203%252C200_.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ma note : <b>9/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : 1949. Parce que les choix de l'Amérique moderne condamnent leurs rêves d'aventure, John Grady Cole et Lacey Rawlins quittent le Texas et chevauchent vers le Mexique. Ils iront vivre ailleurs, au royaume des chevaux, pour célébrer avec une nature intacte des noces éternelles. Violente, tourmentée, traversée d'aveuglants moments de bonheur, leur odyssée se transforme pourtant en descente aux enfers. Intransigeant, visionnaire, ce roman bouscule les espoirs et les repères d'une condition humaine à jamais prisonnière de ses passions dans l'indifférence de l'univers. <i>De si jolis chevaux</i> a remporté, en 1992, le National Book Award, la plus haute distinction littéraire des Etats-Unis.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans son recueil de chroniques <i>The</i> <i>Fun Stuff</i>, James Wood critique <i>The Road</i> en en faisant l'apologie sur plusieurs pages. Il écrit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « When McCarthy is writing at his best, he does indeed belong in the compagny of the American masters. In his best pages one can hear Melville and Lawrence, Conrad and Hardy. His novels are full of marvelous depictions of birds in flight [...] » Par contre, Wood n'est pas totalement conquis par cet écrivain. Il a déja dit dans un autre article : « To read Cormac McCarthy is to enter a climate of frustration: a good day is so mysteriously followed by a bad one. McCarthy is a colossally gifted writer, certainly one of the greatest observers of landscape. He is also one of the great hams of American prose, who delights in producing a histrionic rhetoric that brilliantly ventriloquizes the King James Bible, Shakespearean and Jacobean tragedy, Melville, Conrad, and Faulkner. » Comme tout le monde il reconnaît le suprême talent de McCarthy, surtout son talent de styliste : « Surely no one disputes McCarthy’s talent. He has written extraordinarily beautiful prose. He generally disdains the intermediate interference of small-bore punctuation. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Je dirais que mes trois romans préférés de Cormac McCarthy sont (dans l'ordre) : <i>Suttree</i>, <i>La Route</i> et ce premier tome de la trilogie des confins, <i>De si jolis chevaux</i>. Mon idole Harold Bloom, pour sa part, leur préfère <i>Méridien de sang</i>, notamment pour la méchanceté "originale" du personnage Le Juge, inimitable en littérature. Il dit même que ce roman était le meilleur de l'histoire du 20e siècle américain, en tout cas le meilleur depuis <i>Tandis que j'agonise</i> de Faulkner. Dans ce premier tome de la trilogie des confins, John Grady Cole quittera pour le Mexique. Dans le deuxième tome ce sera Billy Parham qui fera de même, alors qu'ils se rencontreront dans un ultime et troisième tome.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Donc, pour cette première partie, nous découvrirons les personnages de Cole et Lacey Rawlins qui fuiront au Mexique à partir du sud des États-Unis, et en chemin ils rencontreront un plus jeune adolescent qu'eux, Jimmy Blevins, qui a treize ans. Il voudra fuir avec les deux comparses. Cole et Rawlins iront habiter dans une hacienda. Ils seront arrêtés par la police pour meurtre, alors que le vrai meurtrier est l'enfant de treize ans Jimmy Blevins. Mais avant cela, Cole vivra une aventure avec la fille d'un propriétaire, un groupe de Mexicains pourchassera Blevins, et le Mexique (et la nature) s’avérera un endroit plus difficile et dangereux qu'ils ne le croyaient. Les deux protagonistes avaient fui le monde moderne, mais à quel prix ? McCarthy nous fera découvrir, par le truchement des actions des personnages, un monde d'une extrême violence qui est raconté avec un langage qui tombe en lambeaux (un peu comme <i>La Route</i>) et étrangement, qui se sert de la poésie (comme dans <i>Suttree</i>). Avec ce roman, il nous prouve qu'il peut retirer le meilleur de ces deux mondes, même si <i>De si jolis chevaux</i> est plus proche de <i>Suttree</i> que de <i>La Route</i>.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On peut voir avec l'incipit que Cormac McCarthy réutilise la prose poétique comme dans <i>Suttree</i>, mais avec <i>De si jolis chevaux</i>, il ne tombera pas complètement dans ces eaux, notamment avec la présence d'une intrigue simple mais efficace :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « La flamme du cierge et l'image de la flamme du cierge captives dans le trumeau vacillèrent puis se relevèrent quand il entra dans le vestibule et de nouveau quand il referma la porte. Il retira son chapeau et s'avança lentement. Les lames du parquet craquaient sous ses bottes. Vêtu de son costume noir il se dressait dans la glace sombre parmi les si pâles lys penchés dans leur vase de cristal à la taille effilée. Il faisait froid dans le couloir où passaient à reculons les portraits d'ancêtres dont il n'avait qu'une vague idée et tous étaient sous verre et vaguement éclairés au-dessus de l'étroit lambris. Il baissa les yeux sur les restes du cierge fondu. Il pressa l'empreinte de son pouce dans la mare de cire tiède sur le chêne verni. Il finit par regarder le visage si creux parmi les plis du drap funéraire, les traits si tirés, la moustache jaunie, les paupières minces comme du papier. Ça ce n'était pas le sommeil. Ce n'était pas le sommeil.
Il faisait sombre dehors et froid et il n'y avait pas de vent. Un veau meuglait au loin. Il restait immobile son chapeau à la main. Tu te coiffais jamais comme ça de ton vivant, dit-il.
Il n'y avait pas d'autre bruit à l'intérieur de la pièce que le battement de la pendule sur la cheminée du salon. Il sortit et referma la porte. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le roman est certainement en lien avec le mythe de l'ouest, du cowboy et de l'indien, etc. :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Le soir venu il sella son cheval et partit vers l'ouest. Le vent avait beaucoup faibli et il faisait très froid et le soleil déclinait rouge sang et elliptique devant lui sous les récifs des nuages rouge sang. Il allait là où il choisissait toujours d'aller quand il partait à cheval, là-bas où l'embranchement ouest de l'ancienne route comanche au sortir du pays kiowa vers le nord traversait la partie la plus occidentale du ranch et l'on pouvait en distinguer au sud la trace à peine perceptible sur les basses prairies entre les bras septentrional et intermédiaire du Concho. A l'heure qu'il choisissait toujours, l'heure où les ombres s'allongeaient et où l'ancienne route se dessinait devant lui dans l'oblique lumière rose comme un rêve de temps révolus où les poneys peints et les cavaliers de cette nation disparue descendaient du nord avec leur visage marqué à la craie et leurs longues nattes tressées et tous armés pour la guerre qui était leur vie et les femmes et les enfants et les femmes avec leurs enfants suspendus à leur sein et tous avec le sang en gage de leur salut pour seule vengeance le sang. Quand le vent était au nord on pouvait les entendre, les chevaux et l'haleine des chevaux et les sabots des chevaux chaussés de cuir brut et le cliquetis des lances et le frottement continuel des barres des travois dans le sable comme le passage d'un énorme serpent et sur les chevaux sauvages les jeunes garçons tout nus folâtres comme des écuyers de cirque et poussant devant eux des chevaux sauvages et les chiens trottinant la langue pendante et la piétaille des esclaves suivant demi-nue derrière eux et cruellement chargée et la sourde mélopée sur tout cela de leurs chants de route que les cavaliers psalmodiaient en chemin, nation et fantôme de nation passant au son d'un vague cantique à travers ce désert minéral pour disparaître dans l'obscurité portant comme un graal étrangère à toute histoire et à tout souvenir la somme de ses vies à la fois séculaires et violentes et transitoires. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> On peut voir dans la citation suivante toute la richesse et la finesse qu'emploie l'auteur pour ancrer son décor, celui du sud des États-Unis :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Ils firent ensemble un dernier tour à cheval un jour au début mars. Le temps commençait à tiédir et les pavots mexicains à fleurs jaunes s'épanouissaient au bord de la route. Ils déchargèrent les chevaux chez McCullough et continuèrent à travers la prairie le long du Grape Creek puis dans les collines basses. La rivières était verte et limpide avec des traînées de mousse tendant leurs nattes sur les banc de gravier. Ils chevauchaient lentement dans le vaste paysage de mesquites et de nopals nains. Ils passèrent du Tom Green County au Coke County. Ils traversèrent la vieille route de Schoonover et continuèrent par des collines déchiquetées piquetées de cèdres où le sol était jonché de pierre volcanique et ils pouvaient voir la neige sur les minces chaînes bleues des montagnes à une centaine de miles au nord. De toute la journée ils échangèrent à peine une parole. Son père était assis légèrement en avant dans la selle, les rênes tenues d'une seule main, à deux pouces environ au-dessus du pommeau. Si mince et fragile, perdu dans ses vêtements. Parcourant le paysage de ses yeux creux comme si le monde là-bas avait été changé ou rendu suspect par ce qu'il en avait vu ailleurs. Comme s'il risquait de ne jamais le revoir tel qu'il était vraiment. Ou pire comme s'il le voyait enfin tel qu'il était. Le voyait tel qu'il avait toujours été, tel qu'il serait toujours. Non seulement le jeune homme qui chevauchait à quelques pas devant lui se tenait à cheval comme s'il avait été mis au monde pour monter à cheval ce qui était vrai mais eût-il par malheur ou malchance vu le jour dans un étrange pays où il n'y avait jamais eu de chevaux il en aurait de toute façon découvert. Il aurait su qu'il y avait quelque chose qui manquait pour que le monde puisse être tel qu'il devait être ou qu'il puisse lui-même y être vraiment et il se serait mis en chemin et serait parti à l'aventure de place en place n'importe où aussi longtemps qu'il aurait fallu jusqu'à ce qu'il en trouve un et il aurait su que c'était bien ce qu'il cherchait et il ne se serait pas trompé. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Les personnages obéissent souvent à la même règle avec McCarthy : c'est la perte de repères qui guident leur choix et nous pouvons voir dans cette conversation l'effritement du langage, de la parole, etc. :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> « Elle est allée à San Antonio, dit le jeune homme. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Dis pas elle en parlant de ta mère. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Maman. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Je le sais. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Ils buvaient leur café. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Qu'est-ce que tu comptes faire ? </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Au sujet de quoi ? </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Au sujet de tout. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Elle peut aller où ça lui plaît. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Le jeune homme l'observait. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">T'as pas besoin de fumer ces trucs-là, dit-il. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Son père pinça les lèvres et tambourina sur la table avec ses doigts et leva les yeux. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Quand je viendrai te demander ce que je suis censé faire tu sauras que t'es assez grand pour me le dire, dit-il. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Oui père. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">T'as besoin d'argent ? </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Non. </span><br />
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Il observait le jeune homme. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Tout va bien se passer pour toi, dit-il. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Les romans de cet auteur se ressemblent à peu près tous parce qu'ils sont construits à la manière d'un western (à l'exception d'<i>Un enfant de Dieu</i>). Pour le style, on peut le comparer à Faulkner (<a href="http://jimmymorneau.blogspot.ca/2015/11/absalon-absalon-william-faulkner.html" target="_blank"><span style="color: #cc0000;">je l'ai déjà fait sur le blogue</span></a>) mais je crois qu'il amène, en plus, un aspect "minimaliste" à la mécanique de sa prose et nous ne retrouvons pas cela avec Faulkner, qui lui, fait dans le plein lyrisme. Sans être dans le "tout" minimaliste comme Hemingway, McCarthy n'emploie pas exactement la même poésie que Faulkner, même si elle en est très proche. Avec McCarthy, chaque mot est important, chaque phrase respire par elle-même et il use d'un vocabulaire extrêmement recherché. Et pour ses récits, McCarthy est probablement un des écrivains les plus "linéaires" que l'on puisse trouver dans la grande littérature. C'est un rare génie qui n'amène pas vraiment de subtilité dans la littérature, dans cette grande littérature qui mérite d'être lue. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-45943824165878239442016-01-21T07:24:00.000-05:002016-01-26T09:43:13.394-05:00La fête au Bouc, Mario Vargas Llosa<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://2.bp.blogspot.com/-uF-f7TUoFuU/Vp-88tEZACI/AAAAAAAADt0/5DvLDm8IED4/s1600/product_9782070760343_195x320.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://2.bp.blogspot.com/-uF-f7TUoFuU/Vp-88tEZACI/AAAAAAAADt0/5DvLDm8IED4/s320/product_9782070760343_195x320.jpg" /></a></div>
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large; text-align: justify;">Ma note : </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large; text-align: justify;"><b>8,5/10</b></span><br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Voici la présentation de l'éditeur : Que vient chercher à Saint-Domingue cette jeune avocate new-yorkaise après tant d'années d'absence ? Les questions qu'Urania Cabral doit poser à son père mourant nous projettent dans le labyrinthe de la dictature de Rafael Leonidas Trujillo, au moment charnière de l'attentat qui lui coûta la vie en 1961. Dans des pages inoubliables - et qui comptent parmi les plus justes que l'auteur nous ait offertes -, le roman met en scène le destin d'un peuple soumis à la terreur et l'héroïsme de quatre jeunes conjurés qui tentent l'impossible : le tyrannicide. Leur geste, longuement mûri, prend peu à peu tout son sens à mesure que nous découvrons les coulisses du pouvoir : la vie quotidienne d'un homme hanté par un rêve obscur et dont l'ambition la plus profonde est de faire de son pays le miroir fidèle de sa folie. Jamais, depuis Conversation à «La Cathédrale», Mario Vargas Llosa n'avait poussé si loin la radiographie d'une société de corruption et de turpitude. Son portrait de la dictature de Trujillo, gravé comme une eau-forte, apparaît, au-delà des contingences dominicaines, comme celui de toutes les tyrannies - ou, comme il aime à le dire, de toutes les «satrapies». Exemplaire à plus d'un titre, passionnant de surcroît, <i>La fête au Bouc</i> est sans conteste l'une des œuvres maîtresses du grand romancier péruvien.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Rafael Leónidas Trujillo Molina fut le dictateur de la République Dominicaine du début des années 30 jusqu'à la fin des années 50. Il est né en 1891 et il est mort en 1961. Durant son règne, il fut soutenu par les États-Unis mais ceux-ci le laissèrent tomber en 1960. Il fut renversé et assassiné en 1961. Avant sa carrière politique, il était un militaire brillant, entraîné par les marines. Il participa au coup d'État contre le président de la République Dominicaine en 1930, et fut élu président quelques mois plus tard. Il remporta les élections avec 95% des voix le 24 mai 1930.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Mario Vargas Llosa est un auteur bien étrange parmi les Nobel de littérature (en tout cas parmi ceux des dernières décennies). Lui-même avait été extrêmement surpris de le recevoir parce qu'il penche à droite sur le spectre politique alors que le comité du Nobel a tendance à récompenser des gens de gauche. (Au 19e siècle et au 20e siècle plusieurs des meilleurs écrivains étaient de droite). Vargas Llosa a même déjà tenté sa chance en politique comme candidat de centre-droit. Personnellement, je partage avec cet écrivain un amour pour l'oeuvre de Roberto Bolano. On voit souvent Vargas Llosa dans les documentaires sur Bolano. <i>Les chiots</i> sont le seul livre que j'avais lu de lui, livre trop court pour que je me fasse une bonne idée de cet écrivain. Avec <i>La fête au Bouc</i>, je m'embarquais dans une oeuvre assez tardive dans le corpus de Vargas Llosa.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Dans cette <i>Fête au Bouc</i>, Urania, la fille du sénateur Augustin Cabral est offerte au dictateur Rafael Leonidas Trujillo. C'est elle, beaucoup plus tard, qui reviendra voir son père sénateur pour avoir des explications. Le début du roman nous présente cette Urania comme un docteur vivant aux États-Unis : « Urania. Drôle de cadeau de la part de ses parents ; son prénom évoquait une planète, un métal radioactif, n'importe quoi, sauf cette femme élancée, aux traits fins, hâlée et aux grands yeux sombres, un peu tristes, que lui renvoyait le miroir. Urania ! Quelle idée ! Heureusement plus personne ne l'appelait ainsi, mais Uri, Miss Cabral, Mrs. Cabral ou docteur Cabral. Autant qu'elle s'en souvienne, depuis qu'elle avait quitté Saint-Domingue ( « Ciudad Trujillo, plutôt », car au moment de son départ on n'avait pas encore rendu son nom à la capitale), personne, ni à Adrian, ni à Boston, ni à Washington D.C., ni à New York, ne l'avait plus appelée Urania, comme autrefois chez elle et au collège Santo Domingo, où les <i>sisters</i> et ses compagnes prononçaient avec la plus grande application le prénom extravagant dont on l'avait affublée à sa naissance. Qui en avait eu l'idée, elle ou lui ? Un peu tard pour le savoir, ma petite ; ta mère était au ciel et ton père mort vivant. tu ne le sauras jamais. Urania ! ».</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Urania avait été relâchée par le dictateur Trujillo. Elle a ensuite été protégée par des religieuses. Lors de son retour en terre natale, elle compare la République Dominicaine avec celle de l'époque du dictateur Trujillo : « Elle prend un second verre d'eau et sort. Il est sept heures du matin. Au rez-de-chaussée du Jaragua elle est assaillie par le bruit, cette atmosphère déjà familière de cris, moteurs, radios tonitruantes, merengues, salsas, danzones et boléros, ou rock et rap mêlés, s'agressant et l'agressant de leur boucan. Chaos animé de ce qui fut ton village, nécessité profonde de t'étourdir pour ne pas penser, voire ne pas sentir, Urania. Explosion aussi de vie sauvage, imperméable aux vagues de la modernisation. Quelque chose chez les Dominicains s'accroche à cette forme prérationnelle, magique : cet appétit de bruit. (« De bruit, non de musique. ») Elle ne se rappelle pas, du temps où elle était petite et que Saint-Domingue s'appelait Ciudad Trujillo, pareil vacarme dans la rue. Peut-être n'y en avait-il pas ; trente-cinq ans plus tôt, quand la ville était trois ou quatre fois plus petite, provinciale, isolée et léthargique de peur et de servilité, l'âme saisie de panique respectueuse envers le Chef, le Généralissime, le Bienfaiteur, le Père de la Nouvelle Patrie, Son Excellence le Docteur Rafael Leonidas Trujillo Molina, peut-être était-elle plus silencieuse, moins frénétique. Aujourd'hui, les bruits de la vie, moteurs de voitures, cassettes, disques, radios, avertisseurs, aboiements, grognements, voix humaines, sont tous diffusés à plein volume, au maximum de leur capacité de bruit vocal, mécanique, digital ou animal (les chiens aboient plus fort et les oiseaux criaillent plus volontiers). Et dire que New York a une réputation de ville bruyante ! Jamais, pendant ces dix années passées à Manhattan, son ouïe n'a rien perçu de pareil à cette symphonie brutale et discordante qui la submerge depuis trois jours. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Le roman de Vargas Llosa aborde surtout les derniers jours du dictateur. Il règne sur la République Dominicaine et l'on verra dans ce livre la dernière révolte qui conduira à sa chute. Chaque chapitre traite d'un personnage central de ce récit, en alternant, en revenant à tel ou tel personnage, etc. <i>La fête au Bouc</i> nous ouvre les portes d'une sanglante dictature et l'on côtoiera surtout le pire de l'humain. Une longue scène du début, sur plusieurs pages, nous permet d'apprécier tout le talent de Vargas Llosa lorsqu'on suit Urania qui retrouve la ville de son enfance, et l'on se dit : une promenade avec la plume de Mario Vargas Llosa n'est pas une promenade comme les autres : « Enfin le feu passe au vert. Urania poursuit son périple, protégée du soleil par l'ombre des arbres de l'avenue Maximo Gomez. Voici une heure qu'elle marche. Il est agréable d'avancer sous les lauriers, de découvrir ces arbustes à petite fleur rouge et pistil doré qu'on appelle cayena ou sang du Christ, absorbée dans ses pensées, bercée par l'anarchie des cris et des musiques, attentive, néanmoins, aux dénivelés, ornières, trous et déformations des trottoirs où elle est sans cesse près de trébucher, ou de mettre un pied dans les ordures que flairent des chiens errants. Étais-tu heureuse, alors ? </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Quand tu es allée avec ce groupe d'élèves du Santo Domingo apporter des fleurs et réciter ton poème, pour la fête des Mères, à la Sublime Matrone, tu l'étais. Encore que, depuis la disparition du toit familial de cette figure protectrice et si belle de son enfance, la notion de bonheur se fût peut-être évaporée aussi de la vie d'Urania. Mais ton père, ton oncle et ta tante - surtout la tante Adelina et l'oncle Anibal, et tes cousines Lucindita et Manolita - ainsi que les fidèles amis avaient fait leur possible pour combler l'absence de ta mère en te dorlotant et te choyant, de façon que tu ne te sentes pas seule et diminuée. Ton père avait été, ces années-là, ton père et ta mère. C'est pour cela que tu l'avais tant aimé. Pour cela aussi qu'il t'avait fait si mal, Urania. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Contrairement à un autre auteur sud-américain que je venais tout juste de lire, (Alejo Carpentier), Vargas Llosa ne prend pas de nombreuses pages pour sa prose poétique, mais souvent, comme ici, il préfère prendre seulement quelques lignes pour ensuite nous replonger dans son action, dans son récit (ce qui en fait selon moi un auteur beaucoup plus "accessible") : « La surface bleu foncé de la mer, émaillée de taches d'écume, va à la rencontre d'un ciel de plomb sur la lointaine ligne d'horizon et, ici, sur la côte, elle se brise en lames sonores et bouillonnantes contre le boulevard du Malecon, dont elle aperçoit par endroits la chaussée entre les palmiers et les amandiers qui le bordent. Autrefois, l'hôtel Jaragua regardait le Malecon de face. </span><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;">Maintenant, il le regarde de côté. La mémoire lui rend cette image - de ce jour-là ? - de la fillette conduite par la main de son père, entrant au restaurant de l'hôtel pour déjeuner seuls tous les deux. On leur avait donné une table près de la fenêtre et, à travers les rideaux, Uranita apercevait le vaste jardin et la piscine avec ses plongeoirs et ses baigneurs. Un orchestre jouait des merengues dans le Patio Espagnol, orné tout autour d'azulejos et de pots d'oeillets. Était-ce ce jour-là ? « Non », dit-elle à haute voix. Le Jaragua d'alors avait été démoli et remplacé par ce volumineux immeuble couleur panthère rose qui l'avait tant surprise en arrivant à Saint-Domingue voici trois jours. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif; font-size: large;"> Acquérir une culture historique avec le roman est chose très secondaire mais lorsque la situation le permet, notamment avec un styliste de grande qualité comme M. V. Llosa, je suis de ceux qui saisissent cette chance et en ressortent grandis par ces connaissances, surtout avec un sujet comme <i>La fête au Bouc</i>, dont je ne connaissais même pas les prémisses. Ensuite, disons que la narration est conventionnelle, à la troisième personne, bien qu'on ne puisse pas dire qu'elle soit complètement neutre. Elle suit des personnages différents et en cours de route, elle rentre parfois dans la tête de ces personnages, elle les appelle par leur petit nom, utilise le "tu", etc. Ainsi, forcément, elle prend position. Aussi, on pourrait dire que le style de Mario Vargas Llosa est "équilibré", à tout point de vue, et cela l'approche de la perfection littéraire. Cependant, d'une façon tout à fait personnelle, je préfère le grand lyrisme alors que, comme je le disais, l'auteur s'applique ici à bien "doser" la prose poétique (notamment avec les métaphores parcimonieusement utilisées). Cela en fait un récit qui bouge, qui ne fait pas du surplace et qui maintient un équilibre constant. Pour un roman historique, nous ne pouvions demander mieux. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-62396709706885727822016-01-11T07:32:00.000-05:002016-01-11T07:45:18.667-05:00Le Siècle des Lumières, Alejo Carpentier<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-lJg-2pZ7YQc/VpKJ-AQeLuI/AAAAAAAADtk/0KCMRba7ASk/s1600/6a00d8345167db69e20192abe8c24b970d-250wi.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-lJg-2pZ7YQc/VpKJ-AQeLuI/AAAAAAAADtk/0KCMRba7ASk/s320/6a00d8345167db69e20192abe8c24b970d-250wi.jpg" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">Ma note: <b>8,5/10</b></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Voici la quatrième de couverture : Les prestigieux paysages des îles et de la mer des Caraïbes sont le décor de ce roman baroque et tragique où le grand écrivain cubain fait revivre des événements peu connus de la Révolution française. Autour du mystérieux personnage de Victor Hugues, qui joue un rôle important à la Guadeloupe en 1791, puis en Guyane où il devra renier son idéal, on voit toute l'Amérique de langue espagnole évoluer vers son émancipation. On revit l'atmosphère coloniale de La Havane, les drames sanglants de la grande Révolution, la guerre contre les Anglais, la guerre de course... Il est difficile de lire ce roman qui évoque le passé avec tant de force sans penser à des événements d'aujourd'hui.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Harold Bloom apprécie au plus haut point Alejo Carpentier. Voici ce qu'il en dit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> « "Magical realism," made famous by Garcia Marquez's <i>One hundred years of solitude</i>, was primarily Carpentier's invention. The idea that Latin Americans, whether in Cuba or Colombia or wherever, necessarily inhabit a reality more magical than, say, Manhattan's, in dubious. The genius of Borges, of Carpentier, of Garcia Marquez may persuade us otherwise, while we are within their narratives, but we emerge to fresh doubts, both metaphysical and psychological. Carpentier's authentic genius was for the historical novel, wich he approached with the paradigm of the Kabbalah as explicitly as possible. Other modern novelists have used Kabbalistic models, including Thomas Pynchon, Malcolm Lowry, and Lawrence Durrell, but Carpentier uniquely discovered how to fuse Kabbalah and history. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Les romanciers de génie sont difficiles à trouver. Ils sont aussi rares, ou presque, que les poètes classiques. Avant de lire Carpentier, et notamment après avoir lu <i>Genius</i> de Bloom (lequel je suis souvent en accord avec ses goûts), je m'attendais à ceci : un rare génie romanesque et peut-être le meilleur latino-américain dans son domaine.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Et parmi les écrivains du sud, la grande majorité partage un peu le même style (si on les compare aux Occidentaux) : leur prose est riche, torrentielle, foisonnante. Une sorte d'émerveillement s'empare de nous et le mystère se creuse dans la tête du lecteur. On se connecte facilement à la conscience de l'écrivain, on rentre dans leur tête de la même façon qu'ils rentrent dans la nôtre (je parle des meilleurs écrivains de cette partie du globe). La nature et l'environnement extérieur jouent habituellement un grand rôle (je pense à <i>Cent ans de solitude</i> et au présent roman). Les personnages ne sont pas construits de la même façon que ceux des écrivains européens : leur psychologie est moins développée, en tout cas elle se développe au fil des pages d'une façon indirecte et les personnages font partie d'un tout (comme dans les romans de Bola</span><span style="background-color: white; color: #545454; line-height: 18.2px; text-align: left;"><span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">ñ</span></span><span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">o) et ne sont pas seulement en dialogue avec leur "moi" (comme <i>Adolphe</i> de Benjamin Constant, <i>Les souffrances du jeune Werther </i>de Goethe, etc.). Les latino-américains sont moins égoïstes que le reste de l'Amérique et de l'Europe (à tout le moins une partie de la grande Europe) et leur littérature est en lien avec ce fait.</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Avec un Cubain comme écrivain et un titre comme <i>Le siècle des lumières</i>, nous étions en droit de nous attendre à un croisement entre ces deux "genres" de roman. Eh bien non, il est pleinement ancré dans la tradition des écrivains du sud de l'Amérique et son titre ne renvoie pas aux "lumières européennes" que nous connaissons. Le résumé de l'histoire peut être fait succinctement étant donné la <i>minceur</i> de l'intrigue : il sera question dans ce roman de l'établissement de la Révolution française dans les Caraïbes. Carpentier lui-même décrivait son livre comme une "symphonie Caraïbes". C'est un roman difficile d'accès et l'intrigue du récit est réduite à un niveau très faible et ainsi, si vous lisez des romans pour les bonnes histoires, il vous est fortement recommandé d'oublier ce bouquin. De toute façon, les bonnes histoires, que l'on retrouve ailleurs dans les magazines et les journaux, ne sont pas le but recherché de la grande littérature. Celle-ci ne doit pas rechercher, d'un premier abord, à divertir, mais plutôt à trouver un style, une esthétique, une beauté pour toucher notre âme, notre esprit. Et Carpentier le fait très bien. Comme Harold Bloom le disait : pourquoi lire si l'on ne veut pas évoluer spirituellement ?</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">Voyons voir cette prose de Carpentier qui nous en mettra plein les yeux pendant 450 pages. Dans une sorte de prologue qui introduit ce roman nous sommes à même de constater le talent stylistique d'Alejo Carpentier qui empoignera notre âme pour le reste du récit :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> « Cette nuit j'ai vu se dresser à nouveau la Machine. C'était, à la proue, comme une porte ouverte sur le vaste ciel, qui déjà nous apportait des odeurs de terre par-dessus un océan si calme, si maître de son rythme, que le vaisseau, légèrement conduit, semblait s'engourdir dans son rhumb, suspendu entre un hier et un demain qui se fussent déplacés en même temps que nous. Temps immobiles entre l'Etoile Polaire, la Grande Ourse et la Croix du Sud. J'ignore, car ce n'est pas mon métier de le savoir, si telles étaient les constellations, si nombreuses que leurs sommets, leurs feux de position sidérale, se confondaient, s'inversaient, mêlant leurs allégories, dans la clarté d'une pleine lune pâlie par la blancheur si prodigieuse, si bien recouvrée en cette seconde, du chemin de Saint-Jacques... Mais la porte-sans-battant était dressée à la proue, réduite au linteau et aux jambages, avec son équerre, son demi-fronton inversé, son noir triangle au biseau acéré et froid, suspendu aux montants. L'armature était là, nue et lisse, à nouveau suspendue sur le sommeil des hommes, comme une présence, un avertissement, qui nous concernait tous également. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Quelques lignes plus loin on voit bien la prose poétique sublime de ce prologue écrit par Carpentier :
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">« Elle n'était plus accompagnée d'étendards, de tambours ni de foules ; elle ne connaissait ni l'émotion, ni la colère, ni les pleurs, ni l'ivresse de ceux qui, là-bas, l'entouraient d'un choeur de tragédie antique, avec le grincement des charrettes allant droit vers le même but, et le roulement cadencé des tambours. Ici la porte était seule, face à la nuit, au-dessus du mascaron tutélaire, éclairée par les reflets de son tranchant en diagonale, avec le bâti en bois qui devenait l'encadrement d'un panorama d'astres. Les vagues se pressaient, s'écartaient, pour frôler les flancs du vaisseau ; elles se refermaient, derrière nous, dans une rumeur si continue, si cadencée, que leur présence devenait semblable au silence que l'homme tient pour du silence quand il n'écoute pas des mots pareils aux siens. silence vivant, palpitant et mesuré, qui n'était pas, pour l'instant, celui des pâles suppliciés... »
</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">La langue de Carpentier nous permet même de sentir les odeurs, d'écouter les sons, etc. Un peu comme dans le roman <i>Le ventre de Paris</i> de Zola:</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> « La voiture eut à peine pris la première rue, faisant gicler la boue à droite et à gauche, que les odeurs du port restèrent en arrière, balayées par la respiration de vastes bâtisses bourrées de peaux, de salaisons, de pains de cire, de cassonade, avec les oignons entreposés depuis longtemps, qui bourgeonnaient dans leurs coins sombres, près du café vert et du cacao répandu sur les balances. Un bruit de grelots emplit l'après-midi, accompagnant la migration habituelle de vaches traites du côté des pâturages situés extra muros. Tout sentait fortement en cette heure proche d'un crépuscule qui embraserait le ciel pendant quelques minutes, avant de se dissoudre en une nuit soudaine : le bois mal allumé et la boue piétinée, la toile mouillée des tendelets, le cuir des bourrelleries et le millet des cages de canaris accrochées aux fenêtres. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Avec un titre comme <i>Le siècle des lumières</i>, je pensais que l'histoire et l'intrigue prendraient toute la place, mais comme je le disais, ce n'est pas du tout le cas et c'est plutôt la poésie, les détails dans le style qui m'ont marqué et l'on en retrouve à chaque page, comme ici :</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> « Par des chemins défoncés, sous une dernière pluie fine qui faisait luire les toiles cirées noires, se glissait en même temps que le vent jusqu'au siège arrière, trempant les vêtements d'Esteban et d'Ogé juchés sur le siège de devant, la voiture roulait, grinçant, sautant, clopinant ; si penchée parfois qu'elle semblait verser ; si enfoncée dans l'eau d'un gué que celle-ci éclaboussait ses lanternes ; si boueuse toujours qu'elle n'échappait à la fange rougeâtre des champs de canne à sucre que pour recevoir la fange grise des terres pauvres, où s'élevaient des croix de cimetières devant lesquelles Remigio, qui venait derrière, monté sur l'un des chevaux de la remonte, se signait. Malgré le temps désagréable, les voyageurs chantaient et riaient, buvaient du malvoisie, mangeait des sandwiches, des sablés, des dragées, étrangement mis en joie par un air nouveau qui apportait des odeurs de verts pâturages, de vaches aux mamelles gonflées, de flambées de bon bois, loin de la saumure, de la cécine, de l'oignon germé, qui orchestraient leurs exhalaisons dans les étroites rues de la ville. »</span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"> Le héros de ce roman est un personnage historique, mais il pourrait être vu comme un antihéros <i>romanesque-stylistique</i> parce que nous le voyons de l'extérieur, par les yeux de l'écrivain ou par ceux des autres personnages : Esteban, Carlos, Sofia. Pour résumer le talent de cet auteur, disons que c'est une prose digne des plus grands classiques (Flaubert, Goethe, etc.) et des plus grands de nos contemporains (citons Saramago et Cormac McCarthy malgré la différence de ton). La vraie littérature n'est pas seulement des mots imprimés sur une feuille. Elle permet, comme Alejo Carpentier en est capable, de nous amener ailleurs, de nous faire ressentir des émotions, de faire vivre des personnages, de nous faire toucher un décor. Selon moi, Carpentier est supérieur, sur ce point et sur d'autres, à Gabriel Garcia Marquez et à plusieurs autres écrivains. </span></div>
jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com2tag:blogger.com,1999:blog-5806937253168752079.post-43271065642329469092016-01-01T07:19:00.000-05:002016-01-01T07:46:13.406-05:00Mes lectures des trois derniers mois<br />
<br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">Voici mon journal intime des derniers mois :-)</span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><b>Octobre</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">1- Le jeu des Perles de verre - Hermann Hesse <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">2- Les vagues - Virginia Woolf <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">3- Le Drapeau Anglais (et autres nouvelles) - Imre Kertész <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">4- L'immortalité - Milan Kundera <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">5- La mort à Venise - Thomas Mann <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">6- L'homme révolté - Albert Camus <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">7- Nihilisme et création, Lectures de Nietzsche, Musil, Kundera, Aquin - Kateri Lemmens <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">8- La littérature contre elle-même - François Ricard <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">9- L'infinie comédie - David Foster Wallace <b>5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">10- Confession d'un masque - Yukio Mishima <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">11- Just kids - Patti Smith <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">12- Béton - Thomas Bernhard <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">13- Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister - Goethe <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">14- La femme sans ombre - Hugo Von Hofmannsthal <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">15- Le carnet d'or - Doris Lessing <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><b>Novembre</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">1- Perturbation - Thomas Bernhard <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">2- Le chant de Salomon - Toni Morrison <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">3- Absalon, Absalon ! - William Faulkner <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">4- Autoportrait de l'auteur en coureur de fond - Haruki Murakami <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">5- Biographie Flaubert - Michel Winock <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">6- Essais de littérature appliquée - Jean Larose <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">7- La guerre du goût - Philippe Sollers <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">8- Fugues - Philippe Sollers <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">9- L'entretien du désespoir - René Lapierre <b>7/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">10- Une bibliothèque idéale - Hermann Hesse <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">11- Nietzsche - Gille Deleuze <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">12- L'art de l’oisiveté - Hermann Hesse <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">13- À rebours - Huysmans - <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">14- Des arbres à abattre - Thomas Bernhard <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">15- Pan - Knut Hamsun <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><b><br /></b></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><b>Décembre</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">1- Goethe se mheurt - Thomas Bernhard <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">2- Une enfance de Jésus - J.M. Coetzee <b>6/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">3- L'âge de fer - J.M. Coetzee <b>8,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">4- Poèmes - Emily Brontë - poésie gallimard - <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">5- Nouvelles - Tchekhov - pochothèque <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">6- Théâtre complet - Racine <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">7- Dans la dèche à Paris et à Londres - George Orwell <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">8- Pour la critique - Sainte-Beuve <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">9- Contre Sainte-Beuve - Marcel Proust <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">10- Biographie Tchekhov - Virgil Tanase <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">11- Hadji Mourat - Tolstoï <b>10/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">12- Biographie Balzac - François Taillandier - <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">13- La littérature en péril - Todorov <b>8/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">14- Robert Musil : tout réinventer - Frédéric Joly <b>7,5/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">15- Un héros de notre temps - Lermontov <b>9/10</b></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><br /></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;">16- Eugène Onéguine - Pouchkine - <b>9/10</b></span><br />
<br />
<br />jimmy morneauhttp://www.blogger.com/profile/13611148597606443594noreply@blogger.com8