dimanche 27 janvier 2013

La chambre aux échos, Richard Powers




Ma note : 8/10

Voici la quatrième de couverture : Par une nuit d'hiver, sur une petite route du Nebraska, Mark Schluter est victime d'un grave accident de voiture. Sa soeur aînée, Karin, revient dans sa ville natale pour être à son chevet. Mais lorsque Mark sort du coma, il semble ne plus la reconnaître. Karin fait alors appel à Gerald Weber, un célèbre neurologue, spécialiste des troubles singuliers du cerveau. Alors que Weber étudie son cas, Mark essaye de reconstituer peu à peu ce qui s'est passé la fameuse nuit de son inexplicable accident et d'identifier le témoin anonyme qui lui a sauvé la vie avant de disparaître en laissant une étrange note. Ce qu'il va découvrir changera à jamais sa vie, celle de sa soeur et celle de Weber. Après le succès du Temps ou nous chantions, élu meilleur livre étranger 2006 par Lire, Richard Powers réussit le tour de force de nous donner avec La Chambre aux échos, National Book Award 2007, un roman qui aborde la question de l'identité et de la condition humaine, sans jamais se départir d'un remarquable sens du récit et de l'intrigue.

Je trouve quelque peu paresseux les écrivains qui ouvrent le DSM-xx (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), découvrent un syndrome quelconque et écrivent un roman qui tourne autour de ce problème psychologique. Ici, le point de départ est exactement sur ce modèle. Powers traite du syndrome de Capgras qui amène les patients à prendre leurs proches pour des sosies (sous forme d'extraterrestres, de simulacres, de robots, etc.) mais pas les étrangers. (Wikipedia décrit le syndrome en ces termes : "[...] le patient, tout en étant parfaitement capable d'identifier la physionomie des visages, affirme envers et contre tout que les personnes de son entourage ont été remplacées par des sosies qui leur ressemblent parfaitement.") C'est donc "l'Affect" qui est en jeu ici. Un jeune d'Angleterre a même déjà tué son père pour ensuite l'ouvrir pour démontrer qu'il était fait de fils, qu'il était un androïde, tellement convaincu que son père était en réalité une chose qui se faisait passer pour son parent. C'est de ce syndrome de Capgras que Richard Powers nous parlera pendant tout le récit, ou presque.

Ayant gagné le prestigieux National Book Award, je me demandais ce que ce prix avait à récompenser un thriller. Je me suis dit que peut-être ils voulaient racheter leur erreur de n'avoir pas récompensé cet écrivain pour son précédent roman "Le temps où nous chantions", une énorme saga familiale parfaitement réussie. Eh bien, je dois dire que "La chambre aux échos" réserve tout de même des surprises, quoique le genre "thriller" soit très présent tout au long du bouquin. En plus de ce genre, le postmodernisme vient appuyer le roman en général (et je dirais même le post-postmodernisme) et l'on pense tout de suite à un auteur comme Paul Auster. Dans une moindre mesure, il y a aussi un léger soupçon de Philip K. Dick et en plus, le tout est recouvert du voile de la théorie psychologique.

Mais surtout, ce qui m'a le plus enchanté, ce sont les connaissances scientifiques (et médicales) qui font partie intégrante du livre de Richard Powers. J'en ai rarement autant appris en lisant un roman. Il va au-delà du simple thriller. On navigue dans des eaux troubles, les questionnements sont nombreux et l'écriture de l'écrivain, son style, se prête mieux à ce genre de thriller qu'à une saga familiale comme "Le temps où nous chantions". Je ne sais pas s'il méritait ce genre de prix (très prestigieux), mais une chose est sûre, c'est que Powers amène le thriller dans des contrées trop peu exploitées, celles de l'intellectualité et des connaissances.

dimanche 20 janvier 2013

Le temps où nous chantions, Richard Powers



Ma note: 8/10

Voici la présentation de l'éditeur: En 1939, lors d'un concert de Marian Anderson, David Strom, un physicien juif allemand émigré aux États-Unis pour fuir les persécutions nazies, rencontre une jeune femme noire, Delia Daley. Ils se marient et élèvent leurs trois enfants dans le culte exclusif de la musique, de l'art, de la science et de l'amour universel, préférant ignorer la violence du monde autour d'eux. Cette éducation va avoir des conséquences diverses sur les trois enfants. Jonah devient un ténor de renommée mondiale, Ruth va rejeter les valeurs de sa famille pour adhérer au mouvement de Black Panthers, leur frère Joseph tentera de garder le cap entre l'aveuglement des uns et le débordement des autres, afin de préserver l'unité de sa famille en dépit des aléas de l'histoire. Avec des personnages d'une humanité rare, Richard Powers couvre dans cet éblouissant roman polyphonique un demi-siècle d'histoire américaine, nous offrant, au passage, des pages inoubliables sur la musique. Le Temps où nous chantions a été élu meilleur livre de l'année par The NewYork Times et TheWashington Post.

Je me joins au concert de critiques pour ennoblir ce roman. Mais en même temps, je ne serai pas aussi dithyrambique que la plupart de ces critiques. Oui, c'est un bon roman, pour ne pas dire excellent, mais je ne crois pas que ce soit le roman parfait comme semblait le dire le chroniqueur qui m'a amené à ce livre.

En effet, lors d'une émission culturelle, le chroniqueur (et écrivain et éditeur) Jean Barbe disait qu'il était le meilleur roman qu'il avait lu lors des dix dernières années (au moins). Étant donné que je suis souvent d'accord avec lui (même si je trouve qu'il est un écrivain très ordinaire) je plongeais dans "Le temps où nous chantions" avec beaucoup d'attente. J'ai découvert une histoire merveilleuse qui fait un peu la synthèse entre le roman sur l'identité (dans ce cas-ci les noirs américains de l'après-guerre), la révolution vers quoi tout converge et surtout, sur la musique (et le chant), qui elle, traverse tout le roman pour la plus grande joie de nos oreilles, de nos yeux, de notre imagination. Ceci est amené par le genre du roman familial américain.

Ce livre est arrivé quelques années seulement après "Pastorale américaine" et "La tache" de Philip Roth. On sent l'influence à plein nez. Non seulement reprend-il les mêmes thèmes que ces deux romans (à l'exception de la musique) mais il reprend aussi une forme de l'intrigue en ajoutant un revirement aux deux tiers de son corpus. Dans "Pastorale américaine" on apprenait l'extrémisme de la fille du Suédois, dans "La tache" on apprenait l'identité réelle de Coleman Sick alors qu'ici, les liens entre David (le père du narrateur) et la science nous serons dévoilés sous une forme qu'on ne s'attendait pas.

En plus du grand roman familial américain, on est en présence d'un roman du genre réaliste. La science y joue un grand rôle, notamment la relativité générale et la physique quantique. La structure est la force du bouquin, on passe à travers les années pour revenir en arrière, pour revenir dans le présent, pour retourner loin en arrière, etc., et ainsi, tout s'emmêle, tout se rejoint. C'est un roman du tout, de la complétude, du général et du particulier.

Aussi, un autre rapprochement que je pourrais faire est celui avec l'oeuvre de Jonathan Franzen. C'est le même genre de roman familial mais davantage historique. Powers a un peu le même style que Franzen, où l'action se déplace lentement et où les aphorismes sont rares. Je n'ai pas été happé par la plume de Powers, les métaphores sont souvent insipides de même que les dialogues. Mais par-dessus tout, ma plus grande déception c'est l'attente que j'avais. Sa réputation est gonflée par les nombreuses critiques élogieuses. Pour ma part, si cela était possible, je dirais que le roman est meilleur que son auteur...

vendredi 11 janvier 2013

Le rapport de Brodie, Jorge Luis Borges



Ma note: 6/10

Voici la quatrième de couverture: « En 1885 Kipling avait commencé, à Lahore, une série de brefs récits, écrits de façon simple, dont il allait faire un recueil en 1890. Beaucoup d'entre eux - In the House of Sudhoo, Beyond the Pale, The gate of the Hundred Sorrows - sont de laconiques chefs-d'œuvre ; je me suis dit un jour que ce qu'avait imaginé et réussi un jeune homme de génie pouvait, sans outrecuidance, être imité par un homme au seuil de la vieillesse et qui a du métier. Cette pensée a eu pour résultat le présent volume que mes lecteurs jugeront. » J. L. Borges.

Petit recueil de 150 pages qui compte 11 nouvelles, "Le rapport de Brodie" est décevant, surtout si l'on a déjà lu Borges. Contrairement au "Livre de sable" et à "Fictions", entre autres, on est ici sur le terrain du réalisme. Selon moi, cela ne fait pas à Luis Borges, parce que sa force, à l'exception de son style impeccable, se situe plutôt dans l'imaginaire, le merveilleux, le fantastique. Dans le présent livre, il y a certes quelques nouvelles qui appellent au mystère, mais dans l'ensemble, le réalisme prend le dessus et les récits deviennent vite banals.

La plupart des nouvelles commencent avec une mise en abyme, un peu comme le fait Paul Auster pour ses romans. Le narrateur devient l'intermédiaire d'une histoire qu'il s'est fait raconter par une connaissance. La nouvelle qui m'a le plus marqué (et que j'ai aimé) est celle sur Bolivar, le Libertador de l'Amérique du sud. On y discute de lettres retrouvées et cela débouche sur une impressionnante discussion (et même une allégorie) sur le rôle de l'écrivain. La pensée de Schopenhauer vient y faire son tour, notamment sur le rôle de la volonté par opposition à celui de la dialectique. Borges est très influencé par le philosophe de Dantzig et son spectre traverse donc l'oeuvre de Borges au complet.

Une autre nouvelle intéressante est celle qui a pour titre "Histoire de Rosendo Juarez" et où Borges nous tend un piège, en ce sens qu'il nous force à nous questionner sur la lâcheté, son origine, sa définition, etc. Ainsi, il pose la question à savoir s'il vaut mieux affronter le grand danger quand il se présente ou plutôt, comme le fait le personnage principal de la nouvelle, plier bagage et partir.

Mais pour le reste du bouquin, je me suis ennuyé. Avec le réalisme, comme c'est le cas ici, je crois qu'un développement plus long s'impose. Souvent, les meilleurs livres de ce genre en particulier sont les plus longs (les romans-fleuves). Parce qu'il n'est pas facile de faire une peinture de la société, de ses citoyens, de ses histoires, etc., en seulement quelques pages.

samedi 5 janvier 2013

Fictions, Jorge Luis Borges



Ma note : 7,5/10

Voici la quatrième de couverture : «Des nombreux problèmes qui exercèrent la téméraire perspicacité de Lönnrot, aucun ne fut aussi étrange - aussi rigoureusement étrange, dirons-nous - que la série périodique de meurtres qui culminèrent dans la propriété de Triste-Le-Roy, parmi l'interminable odeur des eucalyptus. Il est vrai qu'Eric Lönnrot ne réussit pas à empêcher le dernier crime, mais il est indiscutable qu'il l'avait prévu...» Jorge Luis Borges est l'un des dix, peut-être des cinq, auteurs modernes qu'il est essentiel d'avoir lus. Après l'avoir approché, nous ne sommes plus les mêmes. Notre vision des êtres et des choses a changé. Nous sommes plus intelligents. Sans doute même avons-nous plus de coeur.

Alors que "Le livre de sable" de Borges m'habitait encore, même si cela fait très longtemps que je l'ai lu, j'entamais "Fictions" avec le souvenir d'un géant des lettres qui sait manier la nouvelle littéraire comme pas un. Borges est le nouvelliste que je préfère et "Fictions" fait même partie des 100 plus grands livres de tous les temps, selon 100 écrivains de partout dans le monde. C'est ce qui frappe d'emblée avec cet écrivain, son internationalité, et dans celui-ci, c'est un peu la même chose, à l'exception de la dernière nouvelle du recueil où l'on sent bien l'Argentine, le pays de Jorge Luis Borges.

La deuxième partie du recueil m'a par contre déçu et globalement ennuyé. Il n'y a pas vraiment de nouvelles qui ressortent du lot et mon souvenir de ces nouvelles s'est déjà estompé après quelques heures seulement, ce qui est mauvais signe (entre autres parce que c'est le contraire qui se produisit avec "Le livre de sable". Il y a plusieurs nouvelles que je me rappelle encore, notamment celle où un protagoniste rencontre un double de lui-même (plus vieux) sur un banc de parc. Aussi, il y a celle du pays, dans un autre espace et temps, où il n'y a plus de gouvernements, plus de guerres, plus de livres, etc. Avec "Le livre de sable" il y avait un thème qui reliait chaque nouvelle, celui du temps, alors que c'est moins intéressant avec "Fictions" où l'on retrouve bien entendu le thème de la fiction au travers des âges de même que celui du livre et de son histoire (par moments encyclopédique)).

Par contre, dans la première partie, il y a des nouvelles qui m'ont marqué. En premier lieu, celle où un auteur essaie de réécrire le Don quichotte de Cervantes mais sans écrire une suite ni même de le réécrire avec un oeil contemporain. Il essaie plutôt de se replonger dans le siècle de Cervantes en étant encore plus Cervantes que Cervantes lui-même, en oubliant volontairement l'histoire du monde depuis l'écriture de ce roman, etc. Bref, j'ai trouvé Borges très malin avec celle-ci. Aussi, il y a la première nouvelle du recueil où l'auteur place l'idéalisme philosophique comme idée centrale appuyée par le thème de l'encyclopédie. De plus, il y a celle de la loterie à Babylone où l'on pourrait dire qu'elle est une métaphore sur l'absurdité de notre monde contemporain écrit avec le prisme du passé, de la société perdue. En terminant, comme je le disais, cette première partie est très réussie, mais dans la deuxième partie du recueil, les nouvelles sont moins marquantes, mais plus subtiles (et mieux écrites et plus littéraires aussi). Donc, en général, j'ai préféré "Le livre de sable", mais ce qui serait préférable, c'est une imbrication des meilleures nouvelles des deux recueils.