mardi 25 juin 2013

Monsieur Pain, Roberto Bolaño



Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: Paris, avril 1938. Tandis que sévissent le fascisme et la guerre civile espagnole, le poète Vallejo se meurt, possédé d'un hoquet incurable. Surgit alors un homme étrange aux poumons brûlés, acupuncteur féru de sciences occultes, Pierre Pain, qui eût pu arracher Vallejo à la mort mais qui s'abîme dans l'angoisse d'un labyrinthe psychique, vaincu par des forces démoniaques, impuissant à juguler l'agonie de Vallejo qui accomplit une fonction rituelle effroyable.

Roberto Bolaño est mon écrivain préféré. Il est l'écrivain le plus complet selon moi, et je crois qu'il faut remonter à Dostoïevski pour trouver son équivalent. Les deux ont un style d'écriture où la fluidité, la profondeur et la puissance d'écriture (et de vivre) font des ravages. Toute la littérature mondiale (et de tout temps) se retrouve dans l'écrivain Bolaño. J'ai lu un nombre incalculable de fois "2666" et "Les détectives sauvages". Ce sont les deux meilleurs romans que j'ai lus dans ma vie. Au fil des années, "Les détectives sauvages" sont devenus mon roman préféré, de par ses multiples voix et surtout son côté "underground". Je découvre le reste de son oeuvre petit à petit, je prends mon temps, en sachant fort bien que ses autres romans occupent davantage une place de soutien à ces deux grandes oeuvres et en ayant une attente modérée à leur égard.

Contrairement à ces deux romans de 1300 et 900 pages, "Monsieur Pain" n'en fait que 160 pages. Il fait donc partie de ses très courts romans (Bolaño l'appelle même une nouvelle dans sa préface) et il est écrit à la première personne, le narrateur étant monsieur Pain lui-même, un homme inquiet, qui ne cesse, au début du récit, de regarder constamment autour de lui. On rentre dans l'histoire facilement, par l'écriture toujours juste de l'auteur, et son psychisme nous est dévoilé dans une histoire sans échappatoire pour le lecteur de même que pour les personnages.

Revenons au début du roman. Comme je le disais Monsieur Pain est inquiet. Il se sent suivi. Une rencontre mystérieuse lui fait ensuite découvrir les raisons de son inquiétude qui elle, était bien fondée. Des hommes qu'il semble avoir croisés plus tôt lui demandent d'oublier Vallejo, d'oublier la clinique, etc. De ne plus s'occuper de son patient. Le médecin l'avait auparavant traité de charlatan (n'oublions pas que monsieur Pain est acupuncteur). Pierre Pain accepte donc la demande, accompagné d'un pot-de-vin mais en même temps, il n'en revient pas de cette situation parce qu'il vient juste de connaître Vallejo et n'est pas attaché à lui (en fait il ne le considère même pas comme son patient). Et c'est là que les choses commencent à déraper. La réalité fait place à une absurdité peu commune (on n'est pas loin du "Procès" de Kafka), et l'on se demande si monsieur Pain est en proie au délire ou si une autre réalité prend vraiment place. La suite de l'histoire est par moments reliée à la science, la radioactivité, Marie Curie, etc.

J'ai bien aimé ma lecture, même si je ne suis pas certain d'avoir très bien compris. Jusqu'au milieu du récit, les choses sont bien mises en place mais la deuxième moitié et surtout la chute sont un peu précipitées (oui je sais qu'une chute doit être précipitée). Mais n'empêche, l'histoire est plaisante même si je crois que Bolaño aurait dû fournir un peu plus d'éclaircissement. Et je pense même que ce roman aurait dû être beaucoup plus long parce qu'on sent quelque chose de grand qui tombe un peu à plat.

jeudi 20 juin 2013

V., Thomas Pynchon



Ma note: 4/10

Voici la quatrième de couverture: Que signifie V.? Victoire, vol d'oiseaux, ou encore Vheissu, un pays imaginaire et mystérieux? C'est la question que se pose Herbert Stencil depuis qu'il a repéré le fameux signe dans le journal intime de son père défunt. Très vite, V. devient une énigme aux nombreuses significations, une figure féminine aux multiples visages, la clé de voûte de la vaste réalité. Un récit vertigineux, dans le sillage de Kerouac et Joyce.

J'aime la littérature postmoderne. Les lecteurs de mon blog ne seront pas surpris de l'apprendre. Je reviens sans cesse à ce courant littéraire qui a une façon bien particulière de raconter une histoire. La forme de ses romans est éclatée, la métafiction est souvent présente, ses personnages (et surtout l'identité de ceux-ci) sont oubliés dans une histoire plus grande qu'eux et souvent présentés sous forme de simulacres, et ses sujets sont contemporains. Les écrivains ont une vision décalée de la société, à tout le moins ils nous présentent leurs points de vue en retrait d'une société sclérosée. Et parmi eux, Pynchon est celui qui, le premier, a poussé l'éclatement du récit le plus loin possible. Et ce "V." est la référence du postmodernisme. Il l'a tellement poussé loin que l'action devient vite absurde.

Un des nombreux problèmes de ce roman est que sa quatrième de couverture est meilleure que le roman en tant que tel. Notamment parce qu'il n'est pas du tout cohérent. C'est probablement le roman le plus difficile que j'ai lu. Il part dans tous les sens, l'écriture est parfois illisible, il n'y a aucun repère où l'on peut s'accrocher. Je pense que c'est la première fois, en toute humilité, que je lisais un auteur trop intelligent pour moi (même si j'avais déjà lu Pynchon). Je ne parviens pas vraiment à saisir la signification de sa structure romanesque. J'avais adoré "Contre-jour" même si lui aussi était difficile à comprendre, mais j'avais détesté "Vice caché" qui était mal traduit.

Encore une fois, pour "V.", la traduction cause problème. Pynchon écrit des romans à peu près intraduisibles. Je ne peux même pas dire que j'ai réellement lu ce livre, parce qu'il use d'une langue très américaine, à la limite du slang, parfois incompréhensible. En ajoutant une action incompréhensible pour moi, tout y était pour que je déteste. Par exemple, voici quelques situations (action) qu'on retrouve dans le roman "V.": en plus d'Herbert Stencil qui tente de trouver la signification de V, on a Berny Profane, l'autre personnage principal du roman, qui part à la chasse aux alligators dans les égouts de New York, on a aussi un prêtre qui est dans ces mêmes égouts et qui tente de convertir des rats, une ratte s'appelle Véronica (il y a un "V", vous avez vu?), il y a l'intrigue qui semble se diriger vers le Venezuela comme étant "V", une danseuse de ballet qui meurt sur scène, etc. Bref c'est un peu du n'importe quoi ce roman et en plus, les scènes ne sont pas cohérentes entre elles. Et que dire de la narration qui nous échappe complètement dans une foule de digressions fumeuses, inintéressantes, bancales, illogiques.

En terminant, il faut savoir que Pynchon est un auteur culte qui a sa légion de fans derrière lui. Je m'inscris, non en faux contre eux, parce que cela serait beaucoup trop prémédité, mais davantage en attente de voir s'il a un réel génie. Du courant postmoderniste j'apprécie plus un Paul Auster qui, même s'il se répète de livre en livre, parvient à rester dans le domaine du compréhensible, de la littérature intelligente et profonde. Don DeLillo que j'ai lu récemment est un autre bel exemple d'auteur postmoderniste qui réussit à me convaincre. Avec Pynchon, et surtout avec "V.", tout est trop gonflé, déjanté, hallucinatoire. Je n'ai rien retenu de ma lecture, c'est décevant.

jeudi 13 juin 2013

La dure loi du karma, Mo Yan



Ma note: 8/10

Voici la présentation de l'éditeur: Selon la dure loi du karma, Ximen Nao est condamné à être réincarné en animal. Âne, puis boeuf, cochon, chien ou singe : il revient dans son village, partageant le quotidien de ses descendants. Témoin discret et acteur décalé, comique et déguisé, il suit cinquante ans durant le destin d'une communauté de paysans. Et justement, dans le village, vit un petit drôle mal élevé et terriblement bavard : Mo Yan.

Quand je lis Mo Yan (et Haruki Murakami) il m'est frappant de constater les nombreux liens à faire entre ces deux auteurs mondialement célèbres. Murakami est le meilleur écrivain japonais, favoris du prix Nobel de littérature à chaque année, tandis que Mo Yan est le meilleur écrivain chinois, récipiendaire du dernier Nobel. Les deux écorchent une réalité qui semblait inaliénable au départ, et ainsi, Murakami passe très souvent à la "science-fiction" (ce n'est pas un hasard si je l'ai placé entre guillemets) alors que Mo Yan nous offre un réalisme hallucinatoire (comme l'a décrit le comité du Nobel), hystérique, tellement impatient que la réalité devient vite absurde, charcutée, éclatée. Contrairement à Mo Yan, les romans de Murakami souffrent selon moi d'un rythme beaucoup trop lent. Je reconnais la grande qualité de ses livres (j'en ai lu plusieurs que je n'ai pas critiqués sur ce site) et sa prose est parfois poétique, mais selon mes préférences, Mo Yan contrôle mieux le rythme qui est si essentiel en littérature. De plus, il use d'un vocabulaire recherché, ne rentre pas dans un genre de roman en particulier (il n'est pas moderniste, postmoderniste, réaliste, etc.), nous fait découvrir une culture loin de nos médias et de notre propre réalité (contrairement au Japon de Murakami qui lui, a épousé sur plusieurs aspects la vie américaine-occidentale). J'avais lu de Mo Yan son "Supplice du Santal" qui était extraordinaire. Je commençais donc avec fébrilité "La dure loi du karma", souvent reconnu comme son meilleur roman, du moins son plus complet, avec ses 1000 pages de prose.

"La dure loi du karma" est un roman difficile d'approche, contrairement au "Supplice du Santal" qui était certes aussi recherché, mais avec une lecture davantage plaisante. J'avais remarqué dans le "Supplice du Santal" que l'auteur avait le souci d'incorporer, à la forme, à l'esthétique du roman, des éléments originaux, par exemple, les différents narrateurs et cela se confirme avec "La dure loi du karma". En plus de faire parler (et surtout penser) plusieurs animaux (les différentes réincarnations du personnage principal), nous retrouvons d'autres narrateurs qui sont proches de l'histoire et de ce personnage. Aussi, Mo Yan se met en scène, comme l'écrivain qui a déjà abordé les sujets traités dans ce roman. Mais la plupart du temps cela est complètement faux et Mo Yan fait référence à des livres qui n'existent même pas. Mo Yan, le personnage du roman, est présenté comme une canaille, un petit drôle, un petit bavard, alors qu'en réalité le nom "Mo Yan" en est un de plume que l'écrivain a choisi parce qu'on peut le traduire par "celui qui ne parle pas", la véritable personnalité de l'auteur, dans la vraie vie. Mo Yan, contrairement au personnage du même nom qu'il met en scène, était quelqu'un de discret, qui ne parlait jamais. Cela ajoute à l'absurdité qu'il tente de nous transmettre.

Je ne résumerai pas le roman étant donné l'ampleur de la chose. Comme je le disais, il fait 1000 pages et il aborde dans une large mesure les années Mao Zedong. Ayant un intérêt marqué pour l'histoire du communisme, je peux dire que le roman m'a grandement plu. La scène du début, la réincarnation du narrateur et personnage principal en âne est très bien rendue ce qui démarre parfaitement une histoire assez complexe. Par contre, cette histoire est un peu trop longue pour ce qu'il nous en reste en terminant notre lecture. Je reproche à Mo Yan d'avoir trop étiré la sauce, sur cet interminable cycle de réincarnations, en détaillant la vie de chaque animal qui reçoit l'âme de l'humain qu'est Ximen Nao. L'aspect historique est fort intéressant (en plus d'être appuyé par une traductrice exceptionnelle), mais les interminables descriptions des sentiments de chaque animal m'ont ennuyé.

En terminant, il est facile de voir que Mo Yan est très critique de Mao Zedong et du parti communiste, contrairement à ce que disent ses détracteurs qui affirment qu'il fait partie de ce système en étant le président de l'association des écrivains de Chine. Bien sûr qu'il ne peut pousser sa critique jusqu'au bout (notamment par les médias) tout comme nous ne voyons pas d'écrivains anticapitalistes à CNN (de toutes façons nous ne voyons pas d'écrivains tout court à CNN, ce qui est encore pire). Et quant à la fin de "La dure loi du karma", son explication se retrouve peut-être au début lorsque Mo Yan cite un adage bouddhique : " La dure loi du karma trouve son origine dans la convoitise. Restreignez vos désirs, pratiquez le non-agir et vous vous sentirez libre dans votre corps comme dans votre esprit ". Ximen Nao ne comprenait pas pourquoi il était sans cesse réincarné dans des espèces inférieures. Voilà la réponse.

jeudi 6 juin 2013

Le brigand, Robert Walser




Ma note : 9/10

Voici la présentation de l'éditeur: Retrouvé dans les manuscrits difficilement déchiffrables (les «microgrammes») laissés par l'auteur, ce «roman» écrit en quelques semaines pendant l'été 1925 résume tout l'art et toute la personnalité de Walser. Le «brigand» qui en est le héros n'est autre que l'auteur lui-même, ce marginal inoffensif sévèrement jugé par la société, et qu'un narrateur faussement naïf tente de voir de l'extérieur. Les amateurs de ses autres romans adoreront ce roman qui refuse d'en être un, et qui est sans doute la plus belle réussite de Robert Walser. Il est né en 1878, à Bienne, dans le canton de Berne. Il avait sept frères et sœurs. Il publie son premier roman, Les enfants Tanner, en 1907. Son deuxième roman, Le commis, paraît en 1908, et en 1909 L'Institut Benjamenta (Jakob von Gunten). Il écrit ensuite des poèmes et des nouvelles, dont La promenade, qui date de 1917. Son dernier livre, La rose, paraît en 1925. En 1929, il entre dans une clinique qu'il ne devait plus quitter. Il meurt en 1956, le jour de Noël.

Court roman de 200 pages, "Le brigand" de Robert Walser, lequel a été retrouvé longtemps après la mort de l'auteur, n'avait pas même un titre. Il a été écrit en 1925, et le nom "brigand" que l'on retrouve tout au long du récit, est en fait une métaphore du personnage principal. Avec ce livre, nous ne sommes vraiment pas dans le polar comme le titre le laisse présager.

Kafka est souvent vu - et avec raison - comme celui qui révolutionna le genre romanesque, en ajoutant, entre autres, un élément de suffocation au récit, une absurdité où l'imaginaire sans limite n'était dépassé que par l'impossibilité du héros de sortir de son piège (je parle particulièrement du "Procès"). Robert Walser va encore plus loin selon moi - et il le fait à la même époque que Kafka, ce qui démontre sa grande précocité - en jouant avec le narrateur. Ainsi, avec "Le brigand", le narrateur est extérieur au héros mais il voit le brigand de l'intérieur. Par moments, il se prend même pour lui, et malgré un ton où la certitude prédomine, ce "je" extérieur se confond avec le brigand qui lui, est le personnage principal de l'histoire. On peut donc dire que le narrateur est le brigand, mais aussi, par sa forte présence autobiographique, il est Walser lui-même. De plus, le narrateur est omniscient, et donc, il est dieu. Je ne crois pas qu'un auteur a joué autant avec le narrateur avant l'époque de Walser. C'est extraordinaire ce qu'il a fait subir au roman. Walser est le romancier préféré d'Elfriede Jelinek qui le compare à Thomas Bernhard et ce même Kafka. J'ai remarqué qu'avec Walser on a un peu le même flux de pensées que dans l'oeuvre de Jelinek, en plus ramassé et concis. On entend cette voix, cette oralité si difficile à atteindre en littérature.

Et pour "Le brigand" en particulier, nous ne sommes pas dans l'histoire linéaire qui a un début, un milieu et une fin (de toute façon on ne sait pas si Walser avait terminé son roman ou s'il l'avait même commencé à la bonne place). Le brigand, et le narrateur, et Walser, est un être désespéré qui vagabonde d'un endroit à l'autre, d'une pensée à l'autre. Les sujets abordés (et la mince intrigue pour ne pas dire l'intrigue inexistante) sont, selon moi, secondaires par rapport à ce que j'ai dit plus haut. On est dans le premier quart du vingtième siècle et avec ses romans, je crois que Robert Walser a complètement transformé la littérature. Pour reprendre Jelinek, je dirais qu'il n'est plus nécessaire d'écrire après lui. Il est le génie qui a donné une forme nouvelle au roman, une esthétique où l'on pénètre dans la tête du "je" extérieur, qui contient tous les "je" pour analyser par l'intérieur un être à part de la société qui n'a d'échappatoire que ses pensées. Cela est écrit d'une façon majestueuse et dès les premières lignes on est accroché jusqu'à la fin.

En terminant, "Le brigand" est le genre de roman que l'on aime ou pas. Il ne peut y avoir d'équivoque. Robert Walser est, selon moi, un grand de la littérature !