jeudi 25 avril 2013

Le nom de la rose, Umberto Eco



Ma note : 7/10

Voici la quatrième de couverture: Rien ne va plus dans la chrétienté. Rebelles à toute autorité, des bandes d'hérétiques sillonnent les royaumes et servent à leur insu le jeu impitoyable des pouvoirs. En arrivant dans le havre de sérénité et de neutralité qu'est l'abbaye située entre Provence et Ligurie, en l'an de grâce et de disgrâce 1327, l'ex-inquisiteur Guillaume de Baskerville, accompagné de son secrétaire, se voit prié par l'abbé de découvrir qui a poussé un des moines à se fracasser les os au pied des vénérables murailles. Crimes, stupre, vice, hérésie, tout va alors advenir en l'espace de sept jours. Le Nom de la rose, c'est d'abord un grand roman policier pour amateurs de criminels hors pair qui ne se découvrent qu'à l'ultime rebondissement d'une enquête allant un train d'enfer entre humour et cruauté, malice et séductions érotiques. C'est aussi une épopée de nos crimes quotidiens qu'un triste savoir nourrit.

Le film tiré de ce roman m'avait marqué. Je m'en rappelais avec précision. Une enquête solide, avec de bons acteurs et une ambiance très bien rendue. Le livre, que je lis pour la première fois, me donnait l'espoir d'être encore meilleur, comme c'est souvent le cas pour des adaptations. Eh bien non, je ne sais pas si c'est le fait que je connaissais l'intrigue et le dénouement final, mais ce roman d'Umberto Eco m'a laissé froid.

Il y a pourtant de l'érudition, un souffle certain accompagné par un style d'écriture où  la fluidité épate (même si tout cela reste dans le domaine du "tape-à-l'oeil"). Le roman offre davantage que le film, parce qu'on apprend une foule de choses, mais pour ma part, ce ne sont pas des sujets qui m'intéressent beaucoup a priori. La forme du roman est par contre intéressante. Il se déroule en sept jours et chaque partie est séparée selon l'horaire de l'époque. Il y a deux narrateurs, un premier qui écrit à notre époque (enfin presque) et trouve un livre du Moyen Âge qui lui, sera écrit par le narrateur principal, le deuxième, qui suit Guillaume qui est chargé de l'enquête. On se retrouve donc dans un policier à la sauce moyenâgeuse, où le genre du page-turner est appliqué par l'auteur. On veut en savoir plus à chaque page, le mystère plane, et pour faire court, je dirais que c'est un peu le précurseur du Da vinci code. Les deux protagonistes sont à la recherche du meurtrier et surtout de son motif. C'est surtout cela qui marque l'histoire du "Nom de la rose", le pourquoi de l'histoire sous-jacente.

"Le cimetière de Prague", seul autre roman de Eco que j'ai lu, m'avait lui aussi déçu. Cet écrivain n'écrit pas si bien que certains critiques le disent. Par contre, il prend sept ans pour écrire chacun de ses romans, et on voit la grande recherche et le grand savoir qu'il nous transmet. J'aime quand un auteur prend son temps pour écrire parce qu'on lit trop souvent des romans écrits avec empressement, sans recherche.

Finalement, une fois que l'on enlève la couche d'érudition, il n'en reste qu'un thriller médiéval qu'on pourrait qualifier de moyen (et je sais que la plupart d'entre vous ne serez pas d'accord, c'est votre roman préféré à vie, une révélation, et tout le tralala). Même si l'histoire tourne autour de la philosophie et de sa guerre contre la religion, on est en présence d'un best-seller, ce qui est bien pour faire connaître la philosophie au plus grand nombre. Mais pour ce qui est de ses qualités littéraires, on reste sur notre faim.

mercredi 17 avril 2013

Bartleby le scribe, Herman Melville



Ma note: 8/10


Voici la citation qui tient lieu de quatrième de couverture : "Une fois dans la bibliothèque, il me fallut environ deux secondes pour mettre la main sur le Bartleby de Melville. Bartleby ! Herman Melville, Bartleby, parfaitement. Qui a lu cette longue nouvelle sait de quelle terreur peut se charger le mode conditionnel. Qui la lira le saura." Daniel Pennac.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette novella d'une centaine de pages, c'est le récit d'un scribe, nouvellement embauché, et qui devient vite un employé modèle par sa compétence et sa méticulosité, entre autres. Mais après quelque temps, lorsque son supérieur lui donne une directive, il refuse en utilisant systématiquement cette courte phrase : "Je préférerais pas". Il revient encore et toujours avec cette phrase : "Je préférerais pas" qui devient "Je préférerais ne pas", qui redevient "Je préférerais pas" et ainsi de suite. Il dit cette phrase à chaque fois que son patron lui demande quelque chose, aussi minime cette demande soit-elle. Cela débouche sur un questionnement profond de ce même patron.

De Melville, j'avais lu son chef-d'oeuvre, "Moby Dick", où le style d'écriture parfait côtoyait une histoire intéressante avec des personnages d'une profondeur rare en littérature. Ici, on est dans la novella, un genre à mi-chemin entre le roman et la nouvelle. Cette novella fait une centaine de pages, ce qui est difficilement comparable avec "Moby Dick", un roman-fleuve. Mais malgré sa brièveté, cet ouvrage fut analysé par de nombreux penseurs du 20e siècle, notamment par les théoriciens de la French Théorie. Lors de ces analyses, à peu près toutes les hypothèses furent étudiées. Mais ce qui m'a particulièrement intéressé (même si je ne les ai pas lues au complet) c'est l'hypothèse de la négation du langage ou même, et c'est ce qui m'intéressera ici, de la négation de la vie par le héros de la novella. Il répète la même phrase "Je préférerais pas", ce qui place une volonté, un désir au début de la phrase, pour finir par une négation. Une négation comme la vie du héros, Bartleby. C'est comme si Melville démontrait, par cette seule phrase, l'affirmation de la vie, pour ensuite la rejeter, tout comme le fait Bartleby.

Écrit au "Je", du point de vue du supérieur de Bartleby (comme je l'ai déjà dit sur ce blog j'adore les narrations faites par des personnages secondaires ou davantage observateurs comme le fait souvent un Dostoïevsky) et donc, ce narrateur commence dès la première page à parler de Bartleby en écartant, d'une certaine façon, tous les autres scribes ou copistes qu'il a connus dans sa vie (il reviendra un peu sur les autres scribes mais pas longtemps). On est donc averti dès le départ que Bartleby est un personnage hors norme. Et personnellement, je rajouterai qu'il est un rebelle, un insoumis qui, par la négation de la vie et de l'autorité, fait passer les autres humains pour un troupeau optimiste et soumis. Et comme Moby Dick, il est seul contre tous !

En conclusion, je dois dire qu'il y a plusieurs autres angles d'analyses. En quatrième de couverture, Pennac semble attacher beaucoup d'importance au conditionnel de cette histoire (et surtout de cette phrase). Aussi, on peut prendre cette novella avec plus de légèreté, parce que c'est un bouquin parfois drôle, sur le refus de l'autorité, sur la différence, sur la solitude, sur la maladie mentale. Raconté d'une main de maître, ce fut un plaisir de retrouver le talent de Melville avec "Bartleby le scribe".  C'est une novella à part dans le paysage littéraire...et elle est remarquable !

mercredi 10 avril 2013

La peau de chagrin, Balzac



Ma note: 8/10


Voici la quatrième de couverture: Un jeune homme veut mourir. Il entre par hasard chez un antiquaire et ce dernier lui fait cadeau d'une peau de chagrin couverte de signes mystérieux. Attention, la peau réalise tous les désirs, mais la réalisation de chacun d'eux la fait se rétrécir et raccourcit d'autant la vie de son possesseur. Ce jeune homme va être comblé de richesses et d'amour, seulement, il prendra peur de tous ses désirs et sera incapable de supporter le destin qu'il a choisi en acceptant le terrible talisman... "La peau de chagrin" est l'un des plus célèbres romans de Balzac : il a passionné tous les âges et tous les publics.

Voici le roman qui me réconcilie avec Balzac. Il était temps ! J'avais lu au Cégep, lors d'une lecture obligatoire, un ennuyeux roman de cet auteur dont je ne me rappelle même pas le titre et ensuite, plusieurs années plus tard, je lisais et critiquais sur ce site le très décevant "Le père Goriot", présenté comme son supposé chef-d'oeuvre. Eh bien non, il m'a fallu "La peau de chagrin" pour bien me faire apprécier le talent exceptionnel de cet auteur. Cela grâce au blogueur Nomic qui me l'avait judicieusement conseillé lors de sa critique.

Balzac use de son procédé descriptif habituel. Avant d'entrer dans l'action, il place ses longues descriptions, tout le contraire d'un Tolstoï qui lui, entre dans l'action avec sa "caméra" en décrivant le décor au fur et à mesure qu'il nous est dévoilé par l'action des personnages. Cela conduit en une lecture plus difficile pour Balzac alors que Tolstoï est davantage facile pour notre époque.

Avec "La peau de chagrin", Balzac mêle le fantastique et le réalisme. Il est de toute évidence influencé par le "Faust" de Goethe et par la suite il semble avoir fortement influencé Oscar Wilde et son "Portrait de Dorian Gray". De très grandes similitudes rapprochent ces oeuvres et particulièrement le fait que les personnages vendent leur âme au diable. Avec celui qui nous intéresse ici, on est, en plus du fantastique et du réalisme, proche de la philosophie parce que c'est un roman sur le désir et ses conséquences, sur sa brutalité, etc. Le personnage principal obtient ce qu'il veut mais finit par perdre peu à peu son âme, son esprit, son corps. Le roman est très bien écrit, la plume de l'écrivain coule d'une façon extraordinaire, inatteignable pour la plupart des écrivains. Il y a plein de poésie dans ce roman, notamment lors des descriptions où Balzac est à son meilleur. C'est un des romans fantastiques les plus puissants qu'il m'ait été donné de lire. Le début m'a particulièrement accroché lorsque Raphaël perd tout au jeu, veut se suicider mais se fait donné par hasard (ou pas) une seconde chance avec la peau de chagrin (chez un anticaire).

En conclusion, même si le roman est considéré par les uns comme étant du genre fantastique et par les autres du genre réaliste, c'est ce mélange qui rend ce livre si spécial. De plus, il s'inscrit dans ce vaste projet littéraire, le premier du genre, qu'est la "Comédie humaine". On y rencontre même Rastignac, le héros balzacien par excellence.

mercredi 3 avril 2013

La montagne magique, Thomas Mann



Ma note: 6,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Un jeune homme, Hans Castorp, se rend de Hambourg, sa ville natale, à Davos, en Suisse, pour passer trois semaines auprès de son cousin en traitement dans un sanatorium. Pris dans l'engrenage étrange de la vie des "gens de là-haut" et subissant l'atmosphère envoûtante du sanatorium, Hans y séjournera sept ans, jusqu'au jour où la Grande Guerre, l'exorcisant, va le précipiter sur les champs de bataille. Chef-d'oeuvre de Thomas Mann, l'un des plus célèbres écrivains allemands de ce siècle, La Montagne magique est un roman miroir où l'on peut déchiffrer tous les grands thèmes de notre époque. Et c'est en même temps une admirable histoire aux personnages inoubliables que la lumière de la haute montagne éclaire jusqu'au fond d'eux-mêmes.

Voici un roman initiatique dans la plus pure tradition de ce terme. Avec "La Montagne magique" on pourrait presque dire que c'est le roman initiatique qui influença la littérature moderne. Vraisemblablement, il servit de référence à tous les grands auteurs subséquents du genre. Par contre, on se rend compte assez rapidement que ce livre ne fut pas écrit à notre époque. Tout d'abord, les digressions font référence à des questions bien propres à l'époque de Thomas Mann. La relativité, le temps, par exemple. Aussi, et ce n'est pas péjoratif, au contraire, c'est le style de l'auteur qui ne frappe pas par sa contemporanéité. En effet, chaque mot est judicieusement choisi, le roman est très littéraire sans même un soupçon cinématographique (comme on le retrouve trop souvent de nos jours). Le roman aurait pu facilement être linéaire, parce que ce genre en particulier nous offre souvent ce défaut, mais il ne l'est vraiment pas. Tout est nuancé, tout est beau.

En plus de l'oeuvre de Murakami, je vois "La Montagne magique" un peu comme le précurseur du roman de Gao Xingjian "La montagne de l'âme". Non seulement ont-ils un titre semblable où la montagne joue le rôle de métaphore, mais aussi, on découvre un personnage qui poursuit son exploration du monde des idées, de l'âme, de la philosophie. La narration est par contre différente de "La montagne de l'âme" parce que Thomas Mann utilise une narration plus classique, et aussi, le personnage principal traverse un peu malgré lui sa conscience (et son inconscient) alors que dans "La montagne de l'âme" le héros y allait d'une traversée plus physique de la vie.

Les digressions sont partout dans ce roman. La médecine, la science, la philosophie, la spiritualité, la psychanalyse, la métaphysique et bien d'autres sujets y sont traités. Il n'y a pas vraiment de thèmes principaux dans ce roman, tout est mélangé, les idées sont présentées de façons diverses. Et même s'il y a de nombreuses digressions, cela reste tout de même un roman. On n'est pas dans l'essai déguisé en roman.

Cependant, pour conclure, je dois dire que "La Montagne magique" m'a ennuyée plus souvent qu'elle m'a émerveillée. Je n'ai pas retenu beaucoup de ma lecture. Je croyais au départ que j'aurais un roman dans le style et du calibre de "L'homme sans qualités" de Robert Musil (deux auteurs souvent rapprochés), mais c'est incomparable tellement "L'homme sans qualités" est supérieur à celui-ci. Par contre, dans la deuxième moitié, les questionnements deviennent plus importants et cela sauve une première moitié ennuyeuse sur tous les plans. Elle m'a réconciliée avec ce roman, ce qui m'a permis de lui placer une note respectable.

mardi 26 mars 2013

La princesse des glaces, Camilla Läckberg



Ma note: 5,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Erica Falck, trente-cinq ans, auteur de biographies installée dans une petite ville paisible de la côte ouest suédoise, découvre le cadavre aux poignets tailladés d’une amie d’enfance, Alexandra Wijkner, nue dans une baignoire d’eau gelée. Impliquée malgré elle dans l’enquête (à moins qu’une certaine tendance naturelle à fouiller la vie des autres ne soit ici à l’oeuvre), Erica se convainc très vite qu’il ne s’agit pas d’un suicide. Sur ce point – et sur beaucoup d’autres –, l’inspecteur Patrik Hedström, amoureux transi, la rejoint. A la conquête de la vérité, stimulée par un amour naissant, Erica, enquêtrice au foyer façon Desperate Housewives, plonge dans les strates d’une petite société provinciale qu’elle croyait bien connaître et découvre ses secrets, d’autant plus sombres que sera bientôt trouvé le corps d’un peintre clochard – autre mise en scène de suicide. Au-delà d’une maîtrise évidente des règles de l’enquête et de ses rebondissements, Camilla Läckberg sait à merveille croquer des personnages complexes et – tout à fait dans la ligne de créateurs comme Simenon ou Chabrol – disséquer une petite communauté dont la surface tranquille cache des eaux bien plus troubles qu’on ne le pense. Camilla Läckberg, née le 30 août 1974, est à ce jour l’auteur de cinq polars ayant pour héroïne Erica Falck et dont l’intrigue se situe toujours à Fjällbacka, port de pêche de la côte ouest en Suède, qui eut son heure de gloire mais désormais végète. En Suède, tous ses ouvrages se sont classés parmi les meilleures ventes de ces dernières années, au coude à coude avec Millénium de Stieg Larsson.

J'arrive avec ma critique cinq ans en retard sur à peu près tout le monde. Ce roman marqua fortement les palmarès de ventes, en français, en grande partie à cause de sa couverture, très belle, qui rappelait la série Millénium de Stieg Larsson. Par contre, je dois dire qu'il est, de loin, moins bon que ce dernier, moins bien écrit, avec une histoire beaucoup moins intéressante et globalement, Camilla Läckberg a moins de talents que Larsson, sans aucun doute. De plus, Millénium apportait quelque chose de nouveau au genre thriller-policier avec une sociologie des pays scandinaves très étoffée. Cela faisait de Millénium quasiment un roman littéraire à part entière, alors qu'ici, avec "La princesse des glaces", premier d'une série de plusieurs volumes, on est tout simplement dans le policier et rien d'autre.

J'ai trouvé le roman assez décevant, même si je ne m'attendais pas à grand-chose. La narration et l'action du récit se déroulent d'une façon linéaire, on peut même découvrir le plan de l'auteure en le lisant, ce qui est mauvais signe. De plus, il y a une saveur "Chick lit" (pour ne pas dire "Shit lit") qui me lève le coeur. Ses descriptions de mascara, de vêtements, etc., sont pénibles à lire. Ces nombreuses descriptions sont superficielles, n'apportent rien à l'histoire. Le roman est trop long, comme à peu près tous les policiers contemporains.

Cependant, l'originalité du bouquin repose sur "l'enquêteuse". En effet, le personnage principal est un biographe d'écrivaines suédoises et forcé d'admettre que sur ce point c'est réussi parce que cela permet au roman de sortir un peu des sentiers battus, lui qui en avait bien besoin. C'est ce qui le démarque des autres romans policiers sur le marché littéraire. Un autre point intéressant (et on le retrouve aussi dans Millénium) est le drame familial qui se dévoile petit à petit au cours de notre lecture.

En conclusion, la fin réchappe un roman ennuyant au possible. Elle est bien ficelée, le fond de l'enquête tient la route, mais là où j'en ai le plus à redire c'est sur la forme. La plume de l'auteure est très ordinaire, convenue, prévisible. Les longueurs sont légion, et la structure repose uniquement sur des clichés que l'on retrouve dans le genre du thriller. L'auteure n'est pas très intéressante dans ses propos, dans ses descriptions, dans ses métaphores, etc. Bref, voici un roman policier que l'on peut facilement éviter !

mardi 19 mars 2013

Toute une histoire, Günter Grass



Ma note : 5,5/10


Voici la présentation de l'éditeur: Berlin, de 1989 à 1991, au moment de la réunification, observée par un couple digne de Cervantès : le grand et maigre Fonty, le petit et trapu Hoftaller. Le premier est né en 1919, a fait la guerre dans l'aviation de Goering comme journaliste correspondant de guerre, ensuite Il a été instituteur, puis conférencier littéraire en RDA enfin appariteur dans les ministères : un témoin. Mais il est aussi la réincarnation de Theodor Fontane, le grand romancier né un siècle plus tôt, dont il connaît par coeur les romans, les chroniques et la vie, et auquel il s'identifie jusque dans les détails de son existence privée. Hoftaller son " vieux compagnons " qui l'espionne sans désemparer, est sans âge et aussi vieux que la police politique : il traquait déjà le jeune Marx, il a connu la révolution de 1848, l'unification de 1871. la république de Weimar, il a travaillé avec la Gestapo, avec la Stasi : toujours au service de l'ordre. Il " tient " Fonty-Fontane, dont le libéralisme gauchisant a été suspect à tous les régimes, et qui a quelques peccadilles à se reprocher. Ce vieux couple infernal de l'intellectuel et de l'espion permet une vision stéréoscopique de l'histoire, récente et moins récente : un tableau cocasse et effarant, mais aussi nuancé, poétique et profond. Avec sa verve prodigieuse, doublée d'une minutie acerbe, l'auteur du Tambour donne ici le livre monumental qu'on attendait sur le grand tournant de cette fin de siècle. Il a valu à Günter Grass un extraordinaire déchaînement de critiques haineuses. C'est qu'il ne s'agit pas seulement de la réunification allemande, mais de l'effondrement des " socialismes réels " et du triomphe mondial du capitalisme libéral. Toute une histoire ! Toute notre histoire évoquée par un romancier de génie.

C'est peut-être toute une histoire, mais le résultat est très décevant. Pourtant cette histoire avait tout pour me plaire, je n'avais jamais lu de livres sur la réunification des deux Allemagnes, le sujet m'intéresse et je sortais d'une autre lecture de Günter Grass, "Les années de chien", que j'avais bien apprécié. "Toute une histoire" est écrit dans un style un peu plus conservateur et classique que "Les années de chien", mais on retrouve la forme satirique que l'auteur semble souvent utiliser. C'est une farce, une dénonciation politico-économique et en apparence, le roman est simple alors qu'il est d'une complexité extrême. J'étais perdu dans les méandres des chapitres la plupart du temps.

Günter Grass est très critique du capitalisme et il le démontre bien ici. Il critique les marques, les idioties du capitalisme. Ce roman nous montre le triomphe du néolibéralisme sur le communisme. Par contre, on ne peut pas dire que Grass encense le communisme, bien au contraire, mais il est davantage nuancé que les essayistes de la question. Grass est de toute évidence à gauche du spectre politique mais il ne tombe pas dans les extrêmes.

Ce roman est étrange. Certains passages rappellent le genre du réalisme, mais rien ne semble vraiment sérieux, parce qu'il glisse constamment vers l'allégorie, la satire. Les personnages sont tout aussi étranges, avec Hoftaller qui n'existe pas réellement, parce qu'il est davantage un fantôme à moitié réel et moitié imaginaire (si l'on peut qualifier un fantôme de réel). Il est une sorte de double miniature du personnage principal, Fonty, et il se fond en lui, en plus de le surveiller, de le suivre. Ces personnages nous échappent, le roman en entier nous fuit. La narration est à la première personne mais on la confond souvent avec la narration plus classique, celle de la troisième personne du singulier. Dostoïevski emploie souvent ce genre de narration, où le narrateur est effacé derrière un voile de mystère. Au fur et à mesure que le récit avance, on perçoit un peu plus clairement ce narrateur. L'arrière-plan du récit est la réunification des deux Allemagnes mais l'écrivain choisit plutôt de se tenir un peu à l'écart du sujet, de compliquer notre lecture, etc. Certains passages font penser aux contes de Dickens.

Donc, en conclusion, ce livre m'a laissé de glace mais je me suis amusé avec le narrateur, en jouant avec lui, en essayant de le découvrir. C'est, selon moi, la plus grande force du bouquin. Pour le reste, c'est relativement raté.

mardi 12 mars 2013

Les années de chien, Günter Grass




Ma note: 8/10


Voici la présentation de l'éditeur: Il était une fois... un chien. Il s'appelait Perkun et appartenait à un compagnon meunier de Lituanie qui avait trouvé du travail à l'embouchure de la Vistule. Perkun survécut et engendra Senta. Senta engendra Harras. Harras couvrit la chienne Thekla qui engendra Prinz. Et Prinz, offert pour son anniversaire au Führer et Chancelier du Reich, parut aux actualités. Quand trois hommes, deux femmes, et une lignée de chiens survivent à une avant-guerre, une guerre et une après-guerre, la chronique de leurs expériences prend une allure d'épopée.

Günter Grass est le prix Nobel de littérature de 1999 entre José Saramago et Gao Xingjian. C'est la première fois que je le lisais, je découvre donc un grand écrivain admiré des plus grands. Sa plume m'a frappée tout de suite, dès les premières pages. Elle est foisonnante, hermétique, érudite, parfois poétique et aussi, cruelle pour le lecteur. Elle est dense comme la plupart des écrivains allemands, parce que, notamment, cela fait partie intrinsèque de la langue allemande. Une cascade de mots. Son style, bien qu'éloigné du réalisme magique, m'a fait penser à Gabriel Garcia Marquez. Son style éclaté, sa poésie. Et comme Garcia Marquez, ce livre de Günter Grass est extrêmement difficile d'approche.

En effet, c'est un des romans les plus difficiles à saisir que j'ai lu. Il est divisé en trois parties. Dans la première, la plus difficile à lire, l'auteur fait un emploi fréquent de métaphores. Elle traite d'épouvantails, de chiens. On est dans l'avant-guerre, on sent une tension monter, l'ambiance est inquiétante. Dans la deuxième partie, le roman devient beaucoup plus intéressant. Cette partie est écrite sous forme de lettres, pour la cousine Tulla, la prose commence à nous éclairer sur l'horreur du nazisme. Cette partie est la plus facile, la mieux écrite, surtout pour un lecteur contemporain. Dans la troisième partie, on est dans l'après-guerre et Grass revient avec une forme un peu plus classique au début pour ensuite recommencer à jouer avec elle, à se jouer de nous. Si l'on a lu sur cette époque et sur ce thème (l'histoire du nazisme, Hitler, etc.) on peut saisir un peu mieux le propos, qui lui, est enveloppé d'un voile littéraire difficilement pénétrable.

L'auteur semble avoir une obsession pour les animaux, il s'en sert pour les métaphores, les allégories, les analogies, etc. Prenant une place tellement importante, on croirait par moments qu'ils remplacent les humains. Et avec le thème du nazisme comme point central, cela s'imbrique tout seul, en toute logique. Et à la fin de tout cela, ce qui reste, c'est que le chien du Führer est plus important à ses yeux que son peuple. Normalement, l'épouvantail chasse les oiseaux, mais ici, c'est le nazisme qu'il semble éloigner.

En conclusion, malgré les grandes qualités de ce roman, l'auteur reste tellement en périphérie du sujet que l'on en vient par lâcher prise, ou à tout le moins par s'ennuyer pendant de longs moments. C'est un énorme défaut qui porte ombrage sur ses qualités indéniables. La deuxième partie est de loin, selon moi, supérieure aux deux autres. Elle constitue un bon roman à elle seule. De  plus, les points de repère historiques sont nombreux et l'on est en plein dans la Deuxième Guerre mondiale. Dans la troisième partie, la paix revient et avec elle, les questionnements sur la philosophie, la métaphysique, l'étant, l'être, le non-être et Heidegger. Finalement, dans l'ensemble, je peux dire que c'est un bon drame en trois actes, écrit sous une forme littéraire éclatée au possible.

lundi 4 mars 2013

Le ravin, Joyce Carol Oates



Ma note: 5,5/10


Voici la présentation de l'éditeur: Weymouth, New Jersey. Agent immobilier le jour et photographe la nuit, Matt McBride semble heureux. Qui se douterait qu'il n'a pas oublié le cadavre atrocement mutilé de Marcey Mason, découvert jadis dans un ravin ? Aujourd'hui encore, il est certain c ce meurtre aurait pu être évité s'il avait été moins indifférent au charme de la jeune fille. Aussi, quand il apprend que son amie Diana Zwolle a récemment disparu, impossible ne pas lier les deux affaires. A croire que Matt porte malheur et qu'il a raison de se sentir coupable. Même s'il est innocent. Ce qui n'est pas évident à prouver. Surtout à la police, qui le soupçonne d'être le tueur qu'elle recherche. Comme expliquer que culpabilité et innocence sont parfois affaire de nuances ?

Joyce Carol Oates est une auteure américaine très réputée qui a remporté nombre de prix littéraires parmi les plus prestigieux. Mais elle n'écrit pas que des romans "littéraires". Parfois, sous le nom de Rosamond Smith elle écrit des thrillers. Et pour mes premiers pas avec cette auteure, j'ai décidé de commencer par un de ces thrillers. Je crois avoir fait une erreur. Elle n'impressionne pas vraiment, non plus par sa qualité stylistique, même si "Le ravin" est quelque peu supérieur à la moyenne des thrillers sur ce point. Comme tous les romans de ce genre, elle place l'écriture au service de l'histoire et de la mécanique du thriller.

Mais comme je le disais, le style d'écriture est un peu supérieur à ce qui se fait dans le thriller. Son écriture est un peu recherchée, avec de fréquentes références au grand poète William Blake et le tout devient assez noir et ténébreux. L'objectif de Joyce Carol Oates semble être d'introduire la poésie dans le policier, mais ce n'est pas très réussi. C'est un "page-turner" sans réel substance. Il y a un grand nombre de clichés dans ce roman. Par exemple, le livre est entrecoupé de chapitres où l'on suit un mystérieux personnage qui a toute apparence du meurtrier. En plus, celui qui nous est présenté comme étant NOM INCONNU était la risée de sa classe et il a eu une enfance difficile. C'est un artiste raté, il considère les femmes comme des objets, etc. Bref, c'est du déjà vu en littérature.

Le roman fait parfois penser à un scénario de film. Un peu comme James Patterson le fait. Comme avec les romans de Patterson, les personnages sont d'une minceur certaine, le roman est superficiel, même si au début on croit lire un thriller psychologique profond, pour se rendre compte ensuite que l'histoire devient une enquête comme la plupart des autres policiers. Aussi, l'enquête est menée par celui qui est soupçonné au départ et cela n'est pas très original non plus.

En conclusion, je ne peux dire que c'est un mauvais roman. Il souffre seulement des mêmes défauts que la grande majorité des autres thrillers. Un bon roman nous permet de saisir la musicalité de la prose, son rythme, etc., mais ici, comme tous les thrillers (ou presque), c'est l'histoire qui prime et donc, le style a pour objectif de raconter une histoire sans la beauté pour elle-même, sans avoir une démarche a priori esthétique. Pour le contenu, la quatrième de couverture le décrit assez bien. Et la fin, est-elle surprenante? Eh bien, le méchant meurt et le bon survit. C'est américain, est-ce que je vous l'avais dit?

samedi 2 mars 2013

Molloy, Samuel Beckett




Ma note: 9/10


Voici la quatrième de couverture: " Je suis dans la chambre de ma mère ". Ainsi commençait la première page d'un roman publié à Paris en janvier 1951. L'auteur était un Irlandais inconnu qui écrivait en français. La presse saluait aussitôt l'apparition d'un grand écrivain : " Si l'on peut parler d'événement en littérature, voilà sans conteste un livre événement " (Jean Blanzat, le Figaro littéraire). L'avenir allait confirmer ce jugement. Dès l'année suivante paraissait, du même auteur, En attendant Godot, une pièce qui allait faire le tour du monde et même éclipser quelquefois ce premier roman. Et pourtant, Molloy reste un livre majeur dans l'oeuvre de Samuel Beckett.

"Watt" m'avait déçu mais il en fut tout autrement pour "Molloy". C'est un chef-d'oeuvre. L'intrigue est simple. Dans la première partie, un homme, Molloy, qui est d'un pessimisme sans égal, s'enfonce, cherche sa mère sans trop en savoir plus, et décide de partir en forêt, se cacher de l'humanité sur sa bicyclette. Et dans la deuxième partie, un autre homme, Moran, est chargé de le suivre, de le surveiller. Deux chapitres, deux parties, écrites à la première personne, avec deux personnages sombres, qui, bien qu'ayant des rôles différents, sont en même temps semblables.

Le début du roman a de fortes ressemblances avec "L'étranger" de Camus. Le narrateur est perdu, fait référence à sa mère, et semble être pris dans un maelstrom psychologique. Ensuite, cela devient beaucoup plus ténébreux que "L'étranger". Ayant un style d'écriture proche de Camus, avec de petites phrases sèches, Beckett installe un climat angoissant où l'on pénètre dans la tête de Molloy et après, dans celle de Moran. Et c'est la plus grande force du roman. Malgré un style minimaliste et difficile d'approche, le climat de terreur nous parvient au plus profond de notre être. C'est un tour de force et en plus, Beckett n'écrit même pas dans sa langue maternelle ("Molloy" est écrit en français). Ce n'est pas pour rien qu'il a gagné le Prix Nobel de littérature en 1969 et il était considéré comme le plus grand écrivain vivant par le Pr Harold Bloom (dans les années 80).

Écrit sous forme de flux de pensées, tout se défait dans ce roman. Tout tombe en morceaux, surtout le langage, et cela est un exercice de style souvent employé par Beckett. C'est rare qu'un auteur n'écrive pas dans sa langue maternelle. Kundera s'est essayé avec plus ou moins de succès et Cioran, le grand nihiliste, l'a fait avec brio. Quant à Beckett, c'est réussi sur toute la ligne. Ce "Molloy" est le livre le plus ténébreux que j'ai lu après "Enfants de morts" de Jelinek. Un des mieux écrit aussi. C'est un peu l'écrivain qui met en fiction "De l'inconvénient d'être né" de Cioran. Beckett s'inscrit dans le courant de l'absurde (surtout son théâtre) mais ici je dirais qu'il est bien ancré dans la mouvance "nihiliste" théorisée en philosophie par Schopenhauer comme l'a bien décrit Nancy Huston dans son "Professeurs de désespoir". Les derniers écrivains de ce courant sont Michel Houellebecq et Linda Lê. Mais pour débuter avec ce genre bien précis, je vous conseillerais plutôt "Molloy".

dimanche 24 février 2013

L'homme ralenti, J.M. Coetzee



Ma note: 7/10

Voici la quatrième de couverture: Vol plané au ralenti après le choc initial et retombée brutale sur le bitume d'un carrefour d'Adélaïde : mis à bas de son vélo par un jeune chauffard puis amputé d'une jambe, le sexagénaire Paul Rayment reprend connaissance d'un moi diminué sur son lit d'hôpital. Il refuse l'équilibre factice d'une prothèse, s'empêtre dans ses béquilles. Il lui faut désormais une auxiliaire de vie pour veiller au ménage et soigner le moignon. Marijana Jokic, l'immigrée croate, s'acquitte au mieux de sa tâche, mais ranime, à son corps défendant, le coeur en souffrance de Paul Rayment. Il va jusqu'à offrir de prendre tous les Jokic sous son aile. A la réalité inerte d'un membre artificiel, Paul substitue la chimère d'une famille fantôme qui prolongerait son monde rétréci. C'est alors qu'Elizabeth Costello frappe à sa porte. Prompt à le rappeler à l'ordre, ce double féminin bavard, intempestif et omniprésent s'acharne sans relâche à élaborer une fiction d'un homme amoindri et indûment épris qui aborde la vieillesse. La vie passée du jeune garçon transplanté d'Europe en Australie et le progrès difficile vers l'âge d'homme, entre deux langues et deux cultures, font place, dans la dignité précairement conservée et avec un humour résigné, à un questionnement sur le crépuscule qui nous attend.

Prix Nobel de littérature 2003, Coetzee est l'auteur sud-africain le plus reconnu dans le monde. Actuellement professeur de littérature dans une université américaine, cet écrivain, considéré comme génial par la plupart des critiques, traîne derrière lui nombre de cultures et ainsi, en plus de l'Afrique et des États-Unis, il y a en lui une culture australienne et anglaise. C'est un peu pour cette raison que l'on retrouve dans ce roman plusieurs cultures différentes à travers une foule de personnages très différents les uns des autres.

"L'homme ralenti" m'a rappelé, entre autres, des romans de Philip Roth ("Un homme" et "Exit le fantôme") et de Victor-Levy Beaulieu ("Bibi"). Comme ces derniers, c'est un roman sur la vieillesse, sur la perte de la santé, etc. Mais contrairement à eux, "L'homme ralenti" réserve quelques surprises, notamment un événement qui vient chambarder la vie du héros, et c'est à ce moment que l'on passe à la deuxième comparaison, soit celle avec "Le double" de Dostoïevski. En effet, comme pour le roman de Dostoïevski, un double du personnage principal arrive à l'improviste dans sa vie. Cela est amené d'une façon différente de Dostoïevski, mais il n'en demeure pas moins que cet événement impromptu bouleverse le réalisme du roman pour lui donner une touche ludique. On se demande d'où vient cette énergumène qui cherche à construire un récit à travers l'homme ralenti, Paul Rayment. Est-elle réelle ou est-elle tout droit sortie de l'imagination de Paul? Cela débouche sur une troisième analogie, soit celle avec Paul Auster. Eh oui, le postmodernisme vient faire une légère apparition dans le roman par le personnage de Costello, ce "double" à la recherche d'inspiration. Le roman nous offre par le fait même une leçon sur l'écriture, la fiction, l'imaginaire qui côtoie et s'imbrique même dans la réalité. Auster nous offre souvent l'hypothèse que l'écrivain doit s'enfermer pour écrire, pour trouver l'imagination, alors qu'ici, c'est un peu la thèse inverse, où Coetzee nous invite à réfléchir sur l'expérience de la vie qui donne matière à écrire.

En conclusion, j'ai trouvé le style de l'auteur correct mais sans plus. On n'est pas dans le grand lyrisme. Aussi, on le compare souvent à Philip Roth mais je préfère le souffle littéraire de Roth ainsi que le rythme qui parcourt ses romans. "L'homme ralenti" est un roman d'apprentissage pour adulte (je dirais même de réapprentissage) et la traduction rend mal un contenu qui avait tout pour plaire. Par moments, on croirait lire une pièce de théâtre parce que les personnages et l'action du récit semblent figés sur place. Et l'on en vient par se rendre compte que finalement, c'est un conte pour adultes, parfois bancal, parfois réussi, et qui devient plus complexe plus l'intrigue avance. Cependant il n'y a rien dans ce roman d'essentiel et de totalement intéressant.

mercredi 20 février 2013

L'homme sans qualités, Robert Musil



Ma note: 10/10

Voici la quatrième de couverture : tome 1 Ce livre étincelant, qui maintient de la façon la plus exquise le difficile équilibre entre l'essai et la comédie épique, n'est plus, Dieu soit loué, un “roman” au sens habituel du terme : il ne l'est plus parce que, comme l'a dit Goethe, “tout ce qui est parfait dans son genre transcende ce genre pour devenir quelque chose d'autre, d'incomparable. Son ironie, son intelligence, sa spiritualité relèvent du domaine le plus religieux, le plus enfantin, celui de la poésie. tome 2 Dans ce roman, qui comporte jusqu'ici 1800 pages, Musil a pour principe de choisir de minces coupes de vie qu'il modèle en profondeur et donne à sa description du monde une ampleur universelle. Le livre a été salué dès sa parution comme une des grandes oeuvres du roman européen. Sous prétexte de décrire la dernière année de l'Autriche, on soulève les questions essentielles de l'existence de l'homme moderne pour y répondre d'une manière absolument nouvelle, pleine à la fois de légèreté ironique et de profondeur philosophique. Narration et réflexion s'équilibrent parfaitement, de même que l'architecture de l'immense ensemble et la plénitude vivante des détails. Texte de présentation par Robet Musil en 1938.

Il n'est pas facile de critiquer un roman parfait, qui plus est, un classique. Je me suis fait un devoir (et surtout un plaisir) de lire ce volumineux livre de 1800 pages au complet. Sa structure paraît simple même si elle est d'une extrême complexité. L'intrigue est simple, l'histoire aussi, et ce qui ressort, ce sont les digressions. En fait, le récit se fond dans les digressions, le résultat devient donc très nuancé. De plus, le roman (et l'auteur) pose plus de questions qu'il ne donne de réponses. En général, la première comparaison que je peux faire est celle avec l'oeuvre de Kundera. C'est même ce dernier qui m'a fait connaître Musil dans un de ses essais sur la littérature. Musil est le précurseur de Kundera. Les deux ont Nietzsche et Goethe comme source principale et les deux nous offrent des romans où la digression devient l'élément central de l'histoire. Par contre, Kundera use surtout de digressions à l'extérieur du récit (à l'intérieur de chapitres différents) en plaçant son histoire sur pause alors que Musil les intègre dans le texte, ce qui donne davantage de profondeur au récit (selon moi). Un autre rapprochement avec un auteur contemporain est celui avec Philippe Sollers et surtout avec son roman sur Nietzsche "Une vie divine". Il s'est grandement inspiré de Musil dans son rapprochement de Nietzsche avec le Christ. Il y a même des passages presque semblables.

Les thèmes de "L'homme sans qualités" sont variés et nombreux. Il y a la science qui prend une place prépondérante (il ne faut pas oublier que Robert Musil est avant tout un scientifique), la philosophie, le désir, l'âme, la psychanalyse, l'économie politique où le personnage d'Arnheim prend un rôle important. D'ailleurs ce personnage est inspiré de Walther Rathenau, un industriel partisan de la social-démocratie. Ce roman de Musil est aussi une analyse sociologique efficace sur son époque. C'est le livre parfait que je rêverais d'écrire. C'est un roman moderne, un pionnier même, bien meilleur que le "Ulysse" de Joyce. Il se lit comme une agonie, notamment parce que l'éditeur a placé les ébauches, les brouillons, les plans, etc., dans la deuxième moitié du dernier tome, et ainsi, on avance vers la fin en sachant que Musil approchait lui aussi de sa mort. C'est saisissant.

La plume de l'auteur est elle aussi parfaite. Son style, bien que froid et chirurgical, rend à la perfection le propos et les aventures des personnages principaux (peu nombreux). Je crois que le premier tome est meilleur que le deuxième parce que le roman est tellement long que notre surprise de découvrir un grand auteur est effacée lors de la lecture du dernier tome. Pour le contenu, je m'attendais à plus de Schopenhauer (son nom n'apparaît que deux fois) que de Nietzsche parce que Musil semble avoir une conscience plus proche de Schopenhauer. Il se dit influencé par Nietzsche et les personnages du roman ne cessent de le citer. Pourtant, ce genre de roman, un peu nihiliste et mélancolique, se prête en général mieux avec la philosophie de Schopenhauer. Aussi, Musil déconstruit la psychanalyse en s'attaquant à Freud comme le démontre très bien ce texte sur ces deux auteurs : Musil et la psychanalyse. En conclusion, je dirai que les auteurs autrichiens ne cessent de me surprendre, entre autres par leur qualité stylistique du roman, leur esthétique. Le trio Musil-Bernhard-Jelinek contient peut-être les trois meilleurs écrivains du 20e siècle.

mardi 12 février 2013

Mon nom est rouge, Orhan Pamuk



Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Istanbul, en cet hiver 1591, est sous la neige. Mais un cadavre, le crâne fracassé, nous parle depuis le puits où il a été jeté. Il connaît son assassin, de même que les raisons du meurtre dont il a été victime : un complot contre l'Empire ottoman, sa culture, ses traditions et sa peinture. Car les miniaturistes de l'atelier du Sultan, dont il faisait partie, sont chargés d'illustrer un livre à la manière italienne... Mon nom est Rouge, roman polyphonique et foisonnant, nous plonge dans l'univers fascinant de l'Empire ottoman de la fin du XVIe siècle, et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page par un extraordinaire suspense. Une subtile réflexion sur la confrontation entre Occident et Orient sous-tend cette trame policière, elle-même doublée d'une intrigue amoureuse, dans un récit parfaitement maîtrisé. Un roman d'une force et d'une qualité rares.

Et cette présentation de l'éditeur est tout à fait juste. Mais avant, parlons un peu des nobélisés. Je dois dire que j'ai lu une foule d'auteurs ayant reçu le prix Nobel de littérature et plus particulièrement ceux l'ayant reçu après les années 80. Et chaque récipiendaire le méritait pleinement. Bien sûr qu'il y a des oubliés, parce que c'est un prix tellement rare et difficile à remporter que le contraire serait invraisemblable. Sur les milliers d'auteurs (sinon les millions) dans le monde, il y a seulement un gagnant par année. Certains choix sont critiqués à cause de leur caractère politique. Pour ma part, ceux que j'ai lus sont tous excellents. Ainsi, pour moi, le comité du Nobel a toujours raison.

Orhan Pamuk, quant à lui, a reçu le prix en 2006 et encore une fois (et c'est la première fois que je le lisais) je découvre un auteur extraordinaire. Qui plus est, il me fait découvrir une culture qui m'est inconnue dans un siècle tout aussi rarement discuté dans les sources d'information de masse. Je pourrais passer la journée à vous dire tout le bien que j'ai pensé de ce roman mais parlons seulement de sa forme. C'est un roman historique, et ce qui frappe ici, c'est la structure de l'oeuvre. Elle est éclatée. Les chapitres sont cours (et donc très nombreux étant donné l'aspect volumineux du roman), écrits à la première personne et avec des narrateurs différents à chaque changement de chapitre où certains de ces narrateurs reviennent. En plus, ce n'est pas seulement des humains qui parlent, il y aussi une couleur (d'où le titre de l'ouvrage), un animal, la mort, le diable, un arbre, l'argent, etc. Dès le départ, les narrateurs s'adressent au lecteur sans "l'hypocrisie" littéraire.

C'est un roman contemporain écrit dans un style puissant. C'est aussi un roman policier où l'intrigue nous rappelle même un écrivain comme Agatha Christie. Il n'y a pas vraiment de défauts dans ce roman, tout est à peu près parfait et les rapprochements avec les grands auteurs peuvent être nombreux sans tomber dans l'esbroufe, dans le plagiat, etc. Par moments je pensais à Shakespeare mais dans l'ensemble, Pamuk a son propre style. Les personnages sont tous attachants, et il vient un moment où les bons et les méchants se fondent les uns dans les autres. La subtilité de l'oeuvre l'emporte sur tout et la beauté de l'écriture est éclairante. En fait, tout est là pour nous donner un grand roman !