dimanche 21 février 2016

Des villes dans la plaine, Cormac McCarthy


Ma note : 6/10

 Voici la quatrième de couverture : John Grady Cole et Billy Parham se retrouvent dans un ranch du Nouveau-Mexique. Toujours en quête du mythique Far West d'autrefois, ils arpentent les grands espaces encore vierges de l'Ouest sauvage. Mais quand John Grady décide de passer la frontière pour aller kidnapper la jeune prostituée mexicaine dont il s'est épris, ses rêves d'amour et de liberté se heurtent aux forces inéluctables de la réalité...

 Harold Bloom avait des sentiments partagés sur McCarthy avant de découvrir Blood Meridian :

 « I think I had read some earlier McCarthy, and had mixed feelings about it—it seemed to me to be Faulknerian in a way that was not really integrated in a way that made it McCarthy’s own. It may have been Suttree, in fact, a book that I haven’t read since. It was a strong book, but you had the feeling at times that it was written by William Faulkner and not by Cormac McCarthy. He tends to carry his influences on the surface, quite honestly. »

 Et pour Des villes dans la plaine, Bloom a été déçu : 

 « I wish that the rest of McCarthy, both before and after, was that good. I think the Border Trilogy has its moments, especially the first volume [All The Pretty Horses], but the second [The Crossing] and third [Cities Of The Plain]—especially the third—were disappointments. »

 Je suis parfaitement d'accord avec lui. Des villes dans la plaine n'offrent pas un "grand" moment de lecture. Le problème avec cette trilogie, c'est le début, qui était ce qu'on peut voir de mieux en littérature et petit à petit cela se détériore, surtout d'un point de vue stylistique (mais pas seulement), pour aboutir ici avec un troisième roman beaucoup moins travaillé. Avec cette seule trilogie, on peut voir que McCarthy doit s'appliquer et travailler très fort pour écrire des chefs-d'oeuvre. Je ne crois pas que ce soit un parfait naturel, (comme la plupart des bons écrivains ne le sont pas non plus). Plus ses textes sont écrits lentement et plus ils semblent toucher au sublime. Manifestement, Des villes dans la plaine furent écrits rapidement. Et son esthétique est même affectée si l'on regarde uniquement son récit. Ainsi, dans le présent roman, les scènes sont au mieux banales, si l'on compare avec les deux précédents, l'action est étirée en longueur pour remplir des pages. C'est un roman plus faible que les deux précédents à tout point de vue. Bloom a raison de dire qu'il a de la difficulté avec les deux derniers, et particulièrement le dernier. Avec les héros des deux précédents romans qui se retrouvaient, nous étions en droit de nous attendre au meilleur de cet écrivain alors qu'on a eu le pire d'un génie (ce qui est par contre mieux que bien d'autres auteurs).

 Voyons voir le récit. John Grady Cole et Billy Parham, les deux personnages principaux des deux premiers romans sont enfin réunis, proche du Mexique, et ils travaillent sur les terres de McGovern. Cole rencontrera au Mexique une prostitué épileptique du nom de Magdalena. Il veut la faire passer aux États-Unis et pour cela, Parham essaie de convaincre le patron de celle-ci. N'obtenant pas de succès dans cette entreprise, John Grady Cole décide de le faire quand même et met sur pied un plan de kidnapping. Malheureusement pour lui, Eduardo, le patron de Magdalena, déjoue le complot et décide de faire tuer sa prostitué. Et c'est à partir de là que l'action débute réellement, que le duel à mort pourra commencer entre John Grady Cole et Eduardo, à la manière de Cormac McCarthy : comme un western, avec une confrontation.

 En plus d'une prose moins éclatante pour cet ultime tome de la trilogie des confins, McCarthy y va de quelques clichés :

 « Les putains assises sur les canapés miteux dans leurs déshabillés miteux levèrent la tête. Le local était pratiquement vide. Encore une fois ils tapèrent des pieds dans leurs bottes et allèrent au comptoir et se plantèrent devant et rabattirent leurs chapeaux en arrière avec le pouce et calèrent leurs bottes sur la barre au-dessus de la rigole carrelée pendant que le barman servait leurs whiskies. Dans la lumière rouge sang du bar et les volutes de fumée ils gardèrent leurs verres un instant levés et inclinèrent la tête comme pour saluer un quatrième compagnon désormais perdu pour eux et avalèrent cul sec leurs whiskies et reposèrent les verres vides sur le comptoir et s'essuyèrent la bouche du revers de la main. Troy pointa le menton vers le barman, désignant les verres vides d'un mouvement circulaire du doigt. Le barman opina. »

 On voit dès le début, avec la profusion de dialogues (plus ou moins ratés) que l'on est loin du vrai Cormac McCarthy, l'écrivain des longs passages poétique, même s'il en reste quelques-uns:

 « Dans les montagnes ils virent des cerfs dans l'éclat des phares et dans l'éclat des phares les cerfs étaient pâles comme des fantômes et pareillement silencieux. Ils tournaient leurs yeux rouges vers ce soleil inexpliqué et s'écartaient et se serraient et bondissaient et sautaient par-dessus le fossé seuls et par deux. Une petite biche perdit l'équilibre sur le macadam ses sabots affolés cherchant une prise et se laissa tomber sur sa croupe et se releva et repartit avec les autres et disparut dans la broussaille de l'autre côté de la route. Troy tendit la bouteille de whisky devant les cadrans du tableau de bord pour vérifier le niveau et il dévissa le bouchon et but et revissa le bouchon et passa la bouteille à Billy. Ça m'a l'air d'un bon coin pour chasser le cerf. »

 « Un gros hibou gisait en croix sur le pare-brise du côté du chauffeur. Le verre laminé s'était enfoncé doucement pour le retenir et ses ailes étaient grandes ouvertes étalées sur le pare-brise et il gisait dans les cercles et les rayons concentriques du verre éclaté tel un énorme papillon dans une toile d'araignée. Billy coupa le moteur. Ils contemplaient cette chose. Une des pattes du hibou frémit et se replia en griffe puis se détendit lentement et le hibou remua un peu la tête comme pour mieux les voir puis il expira. Troy ouvrit la portière et descendit. Billy restait sur le siège, les yeux rivés sur le hibou. Puis il éteignit les phares et descendit à son tour. Le hibou était doux et duveteux. Sa tête retombait et roulait. Il était moelleux et chaud au toucher et semblait désarticulé à l'intérieur de ses plumes. Billy le souleva pour le dégager et alla l'accrocher à la clôture et revint. Il remonta dans le camion et alluma les phares pour voir s'il pourrait conduire avec le pare-brise dans cet état ou s'il faudrait finir de le casser et l'enlever. Il restait du verre à peu près intact en bas dans le coin droit et il se dit qu'il y verrait suffisamment en se penchant et en regardant par là. Troy était un peu plus loin sur la route, en train de pisser. »

 McCarthy est ici beaucoup plus dans la superficialité insipide que dans le génie (ce qu'il est en réalité). Par contre, est-ce un roman complètement raté ? En fait, je ne crois pas qu'un grand génie des lettres puisse complètement rater un roman, il sera toujours meilleur que la moyenne :

 « Il alluma la cigarette avec un briquet Zippo de la 3e division d'infanterie posa le briquet sur son paquet de cigarettes et souffla la fumée de haut en bas le long du bois verni du comptoir et regarda John Grady. La putain était retournée sur le canapé et John Grady examinait quelque chose dans la glace du buffet derrière le comptoir. Troy se retourna et suivit son regard. Une fille toute jeune qui pouvait avoir dix-sept au plus et peut-être moins était assise sur le bras du canapé les mains jointes sur les genoux et les yeux baissés. Elle tripotait comme une écolière l'ourlet de sa robe criarde. Elle releva la tête et regarda de leur côté. Sa longue chevelure noire tombait sur son épaule et elle l'écarta lentement du revers de la main. »

 L'ambiance est encore une fois bien créée par l'auteur : le sentiment que l'on se retrouve bien dans le sud, dans les grands espaces, dans le vide d'une certaine beauté :

 « Ils mangèrent des steaks et burent du café et écoutèrent les histoires de guerre de Troy et fumèrent et regardèrent les antiques taxis jaunes passer à gué l'eau des rues. Ils reprirent l'avenue Juarez en direction du pont. Le service des trams était terminé et les rues étaient à peu près vides de tout trafic et de toute circulation. Les rails qui scintillaient sous la lueur mouillée des lampes filaient vers la guérite de la douane et continuaient encastrés dans le tablier du pont pareils à de grandes agrafes chirurgicales reliant ces mondes disparates et fragiles et la couverture nuageuse avait quitté les crêtes des Franklins et s'éloignait au sud vers les sombres silhouettes des montagnes du Mexique découpées sur le ciel étoilé. Ils traversèrent le pont et poussèrent tour à tour le tourniquet, un peu gris, le chapeau un peu de travers, et ils prirent la rue D'El Paso-Sud. »

 C'est un roman qui se rapproche davantage de No Country for old men que des deux premiers de la trilogie (et que de l'ensemble de son oeuvre). Il partage avec No Country for old men une intrigue qui est placée au premier plan, au détriment d'une prose riche et recherchée. No Country for old men était à l'origine un scénario de film refusé de McCarthy et celui-ci avait décidé d'écrire un roman avec le plan initial. C'est un peu la même chose avec Des Villes dans la plaine (et même pire) : il se lit comme un scénario, ce qui est le contraire de ce que devrait être la littérature selon moi. 

 Même si tout n'est pas raté dans ce roman, il a plusieurs problèmes. Et d'importants problèmes. Premièrement, et d'une façon globale, il suivait deux grands chefs-d'oeuvre et ainsi, c'est plus qu'une déception qui nous frappe. C'est le sentiment de s'être fait avoir. La prose, (malgré quelques passages) est, et de loin, beaucoup moins travaillée et riche et puissante que ce que McCarthy nous donne habituellement. Les dialogues, autre problème important, n'ont pas l'épuration sublime de La route et le génie de ceux que l'on retrouve dans Suttree. Plusieurs scènes sont inintéressantes, inutiles, répétitives, surtout après les deux tomes précédents. 

 McCarthy dit qu'il ne serait pas capable d'écrire un roman comme À la recherche du temps perdu de Marcel Proust parce qu'il est seulement capable d'écrire sur la mort et que pour lui, en tant qu'écrivain, la littérature a cette fonction (Proust aborde un peu le thème de la mort mais en général ce n'est pas ce qui ressort de ses livres). Sur ce plan, c'est réussi. Et pour le reste ? Eh bien, vous devrez le lire si vous doutez de mon opinion !

2 commentaires:

  1. De Mc Carthy, je n'ai lu que La route, qui m'a tellement déçue que je n'ai jamais renouvelé l'expérience... j'étais passée complètement à côté de ce roman dont je n'avais lu par ailleurs que des avis dithyrambiques..
    Je viens de lire tes trois derniers billets, et serais peut-être tentée par la lecture de "De si jolis chevaux" : est-ce gênant de ne lire que le premier volet (voire le 2e, si je suis convaincue) ?!

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  2. Non, pas gênant du tout, c'est ça que je te conseille d'ailleurs, pour commencer avec McCarthy, même si t'as déjà lu La route, je crois que De si jolis chevaux est le mieux.

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