Ma note: 8,5/10
Voici la quatrième de couverture: Un dramaturge chinois en exil et une jeune juive allemande se découvrent au gré des cicatrices qui dessinent leurs corps. De la profondeur des silences et des tabous, dans la chaleur des corps amoureux, jaillit le récit d'une vie de terreur. Le héros raconte les purges et la barbarie du régime de Mao, mais aussi la fuite et l'espoir...
Gao Xingjian n'est pas le Prix Nobel le plus connu et reconnu. J'avais grandement apprécié « La montagne de l'Âme » mais son œuvre romanesque étant relativement assez mince, je préfère les Philip Roth et les Don DeLillo de ce monde. Il sera toujours dans l'ombre de ceux qui ont reçu ce prix quelques années avant lui comme José Saramago et Günter Grass, de même que ceux qui l'ont reçu après lui comme J.M. Coetzee et Mo Yan. Trouvez-moi une seule personne qui n'aime pas Saramago et Coetzee ? J'aimerais bien savoir si cela existe. Mais malgré ce fait, (si l'on peut parler de fait dans l'appréciation littéraire), Gao Xingjian a réussi avec son œuvre à intégrer la culture chinoise dans la culture occidentale, notamment en devenant citoyen français (on sait que l'académie suédoise voue un culte aux écrivains français) et en nous offrant des romans traitant de la culture de la Chine mais pouvant être analysés avec des théories occidentales. Ainsi, « La montagne de l'Âme » pouvait être compris, entre autres, avec une analyse freudienne de la chose littéraire. Mo Yan est l'écrivain de la Chine, bien perçu par le pouvoir communiste, alors que l'on pourrait classer Gao Xingjian avec les dissidents ayant encore un grand attachement à ses origines.
Il disait que « c'est la littérature qui permet à l'homme de conserver sa conscience d'homme. » Ce roman quasi-autobiographique le démontre bien. Le personnage principal rappelle celui de « La montagne de l'Âme », et la narration est parfois au « tu », lorsque le présent est évoqué alors qu'elle est au « il » lorsque c'est le passé qui parle. Nous saurons aussi que tout cela est enveloppé d'une mystérieuse narration au « je » lorsque notre imagination travaille en ce sens. Xingjian, en incorporant des éléments de la théorie littéraire (il a aussi déjà écrit dans ce genre) permet au lecteur de se plonger au cœur de la littérature, de la forme, et cela débouche sur une conscience de soi ultime lorsqu'on lit ce roman. Voici l'incipit, où l'on voit se déployer la narration à la troisième personne du singulier : « Il n'a pas oublié qu'il a eu une autre vie. Le souvenir d'une vieille photographie jaunie, restée à son domicile, épargnée par le feu, éveille en lui la tristesse, mais elle est trop lointaine, comme si cette vie s'était écoulée, comme si elle avait disparu à jamais. Dans son logement de Pékin, où la police a posé les scellés, se trouvait encore une photo de la famille réunie, que lui avait laissée son père à présent décédé, la photo la plus complète de sa nombreuse famille. » Ce sera un roman de l'exil, par moments proustiens en ce sens que la mémoire du narrateur servira de base à l'histoire. Le personnage principal, par le truchement de ce faux « il », se rappelle son enfance lorsqu'il vivait en Chine avec sa famille : « C'était une famille sur le déclin, trop douce, trop fragile, substituer à une telle époque était trop difficile pour elle et elle était vouée à disparaître. Après la mort de son grand-père, son père avait très vite perdu son poste de direction au sein de la banque et la famille avait périclité. Seul son deuxième oncle, celui qui aimait fredonner l'opéra de Pékin, avait collaboré avec le nouveau pouvoir politique comme personnalité démocrate, avant d'être taxé de droitisme et de sombrer dès lors dans un mutisme total, s'assoupissant dès qu'il s'asseyait quelque part, se transformant rapidement en un vieillard ratatiné totalement amorphe qui finit par s'éteindre au bout de quelques années. » Son enfance sous la révolution culturelle de Mao hantera plus de 500 pages de prose à la limite de la perfection. La narration remonte jusqu'à son enfance : « Mais le jour de l'anniversaire de ses dix ans, en fait de ses neuf ans puisque l'on suivait l'ancien calendrier lunaire, la famille était encore florissante, l'anniversaire avait été très animé ; le matin dès son lever, il avait revêtu des vêtements neufs et de nouvelles chaussures de cuir, luxe inouï à cette époque pour un petit garçon. » Lors de cette enfance chinoise, l'emprise du gouvernement est totale : « En revanche, la mort de sa mère l'avait empli d'effroi, elle s'était noyée dans une rivière près d'une ferme et c'était un paysan parti tôt le matin faire paître ses canards qui l'avait découverte, le cadavre déjà gonflé flottait au fil de l'eau. Sa mère avait répondu à l'appel du Parti et s'était rendue dans une ferme pour la rééducation idéologique. » Le personnage principal, comme dans presque tous les grands romans, changera, évoluera, oubliera : « Plusieurs années plus tard, il s'était remis à s'intéresser au bouddhisme zen et l'éveil qu'il avait connu à la lecture des gong'an venait peut-être de cette première ouverture à la vie que le vieux moine lui avait donnée. Il avait bien connu une autre vie, mais par la suite il avait fini par l'oublier. » Des éclairs du passé ressurgissent au présent avec la narration au « tu » : « Tu dis encore que la vie parfois ressemble à un miracle, tu te félicites d'être encore vivant. Tu dis que tout n'est que le fruit du hasard, que ce n'est pas un rêve, mais bien la réalité. »
Ce livre épouse la forme du roman initiatique mais l'écrivain a quand même eu le souci de l'originalité en transformant les standards du genre pour lui donner une identité propre. Les chapitres alternent entre la Chine de l'époque maoïste et le présent dans une chambre d'hôtel. La partie au « tu » donne une apparence impersonnelle à la prose, à la narration, tandis que la partie au « il » démontre que cette vie douloureuse sous le communisme était la même pour tous. « Il » était « un » parmi tant d'autres. J'ai retrouvé dans ce roman écrit entre 1996 et 1998 le style sublime de « La montagne de l'Âme » lequel j'avais lu il y a quelques années et cela m'a permis, à mon tour, de retrouver le souvenir de cette écriture splendide que j'avais gardé au fond de moi. Alors que « La montagne de l'Âme » est le pendant spirituel d'une même pièce qu'il forme avec « Le livre d'un homme seul », ce dernier est davantage lié à l'organique, à la chair, à la souffrance. Une souffrance qui pourra être guérie en partie par la littérature. Étant donné le parcours singulier de cet auteur, surtout pour un romancier occidental, on ne peut pas parfaitement rapprocher Gao Xingjian avec un autre écrivain. Par contre, Mo Yan et lui ont tous les deux la volonté de jouer avec la forme, de prendre des risques, en imbriquant la forme au contenu. Avec ces deux romanciers, les personnages ne sont pas seulement des noms écrits sur une feuille, ils vivent, ils respirent. Ainsi, en évoquant le passé du personnage principal, la narration ajoute de la profondeur à ce même personnage : « Quand il était encore à l'université, il était amoureux d'une étudiante de la même classe que lui. Le visage allongé et la voix pleine de douceur, cette adorable jeune fille en quête de progrès avait fait un rapport idéologique au secrétaire du Parti où elle notait les propos sarcastiques qu'il avait tenus au sujet du roman révolutionnaire "Le chant de la jeunesse", préconisé comme lecture obligatoire par la Ligue de la jeunesse communiste. » Et pour terminer je citerai Victor Hugo sur la forme du récit: « La forme c'est le fond qui remonte à la surface. » Je n'ai rien d'autres à rajouter !
Je n'ai lu que la Montagne de l'âme, mais j'ai une pièce de théâtre de lui qui m'avait plu, même si je suis incapable d'en dire quelque chose de concret. C'est un auteur très intéressant, mais qui ne séduit pas facilement c'est sûr.
RépondreEffacerJe ne pense pas aborder son théâtre parce que j'aime rarement lire ce genre littéraire, à part Shakespeare, les tragédies grecs et quelques autres. Alors, je pense bien en avoir fini avec Xingjian. ;)
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