Ma note:
8,5/10
Voici la quatrième de couverture: Voici l’un des plus grands romans de Thomas Mann, celui qu’il a composé aux Etats-Unis de 1943 à 1947. L’intrigue, comme un écho flamboyant et tragique de l’histoire contemporaine, traite sur le mode romanesque de la crise spirituelle qui secoue l’Europe au sortir de la guerre. Brassant les mythes, renouant avec le démoniaque, livrant son véritable testament spirituel, Thomas Mann compose la biographie imaginaire d’un artiste qui, comme Nietzsche, braverait la folie pour porter la souffrance d’une époque dans son orgueil de créateur et, comme Schönberg, serait l’inventeur de la musique sérielle.
« Jamais, disait-il, je n’ai autant aimé un personnage imaginaire. »
L'essence de cette quatrième de couverture est assez représentative du roman, notamment parce qu'elle laisse une grande place pour le personnage principal. "La montagne magique" de Thomas Mann m'avait laissé froid, mais "Le docteur Faustus", avec sa chaleur diabolique, m'a plutôt convaincu que cet auteur mérite sa place parmi les grands (soulignions au passage qu'un de mes écrivains préférés, Vladimir Nabokov, déteste les romans de Thomas Mann alors que mon idole, le critique littéraire Harold Bloom, le place dans les hauteurs de sa liste des plus grands génies). Sur Wikipédia, le roman est bien résumé avec cette phrase : "Le roman est une biographie fictive d'un musicien, Adrian Leverkühn (1885- 1940), racontée par son ami de longue date Serenus Zeitblom : celui-ci commence la rédaction du récit le 23 mai 1943 soit 3 ans après la mort du compositeur et la termine en 1945." Avec cette période de l'histoire et l'origine de Thomas Mann, et le thème du Faust qui lui sert de titre, vous aurez compris que l'allégorie sur le nazisme sera quelque peu présente. Contrairement à l'idée reçue, Goethe n'est pas le créateur du savant Faust qui vendit son âme au diable. C'est un conte populaire allemand qui remonte quelques siècles avant. Ainsi, Thomas Mann poursuit une tradition et le titre de son bouquin reprend le titre d'une œuvre d'Adrian Leverkühn, son personnage imaginaire.
Ce dernier est un artiste dans l'âme, avec tout ce que cela comporte d'égoïsme morbide : "Si grande était son indifférence qu'il remarquait à peine les contingences extérieures, ni dans quelle société il se trouvait ; et s'il interpellait très rarement par son nom l'interlocuteur occasionnel, j'en induis que le plus souvent il ignorait ce nom, quand l'autre se croyait fondé à croire le contraire. Je comparerai son isolement à un abîme où tous les sentiments qu'on lui offrait sombraient silencieusement sans laisser de traces. Un halo de froideur l'environnait - et quelle est mon émotion en employant ce mot que lui aussi traça jadis, dans un contexte effroyable, extra-naturel." Les digressions du narrateur lui permettent de réfléchir sur la condition de l'artiste (réflexion que j'avais déjà lue chez Schopenhauer à propos du génie) : "[...] car l'artiste, il est vrai, demeure toujours plus près de son enfance, ou peut-être plus fidèle à son enfance que l'homme cantonné dans la réalité pratique ; et l'on peut dire que différent de celui-ci, il s'attarde éternellement dans l'état rêveur d'une humanité pure et les jeux de l'enfant." Adrian a une vision opposée au narrateur sur l'artiste : "Sur l'art et l'état de l'artiste, il émettait des opinions rassises à l'extrême, tranchantes par réaction, et il répugnait au "verbiage romantique" dont le monde les avait naguère entourés. Les mots "art" et "artiste" sonnaient désagréablement à son oreille ainsi que le trahissait sa mine lorsqu'on les prononçait devant lui. De même le mot haïssable d'"inspiration" qu'il fallait éviter en sa présence et remplacer à la rigueur par "idée subite"". Le génie d'Adrian est redevable à sa mère selon le narrateur Serenus : "Toujours est-il que jamais dans la vie femme ne me parut plus attrayante qu'Elsbeth Leverkühn ; et de sa personne simple, complètement dépourvue de prétentions à l'intellectualité, je parle avec un respect né de la conviction que le génie du fils devait beaucoup à l'heure eurythmie vitale de la mère." Adrian est le cadet de la famille et dès son adolescence, il est perçu comme un futur savant : "Notons pourtant que de bonne heure, dans l'esprit des siens comme dans le nôtre, la conviction s'ancra qu'Adrien serait un savant." Comme si le génie était génétique (ce que nous sommes plusieurs à penser), ou comme si l'on ne peut pas apprendre à être un génie. En plus de sa biographie, plusieurs digressions parcourent le roman et sa grande érudition, proche du "Loup des Steppes" d'Herman Hesse, est amenée par un narrateur qui a une grande "conscience de soi", qui a "pris conscience" de lui-même, qui a acquis une grande sagesse.
Ensuite, pour ce qui est de ce narrateur (on pourrait dire qu'il occupe la place du réel personnage principal), il est docteur en philosophie, il veut laisser toute la place à Adrien Leverkühn mais il ne peut s'empêcher d'intervenir, d'incorporer quelques éléments de sa vie. Il aime son sujet, mais cela ne le retient pas de se complimenter : "D'une nature modérée à l'extrême, et j'ose dire, saine, tempérée d'humanité, tournée vers l'harmonieux et le rationnel, je suis un savant et conjuratus de la "légion latine", non sans commerce avec les beaux-arts (je joue de la viole d'amour) mais un fils des Muses au sens académique du mot." Par contre, il doute de pouvoir accomplir ce qu'il veut, écrire cette biographie : "suis-je qualifié pour la mission que je m'assigne ?" et "ai-je les affinités requises pour mener à bien mon entreprise ?" Ensuite, le narrateur dit les choses clairement : "Il m'a été donné de passer plusieurs années de ma vie dans l'intimité d'un homme de génie, le héros de ces pages." Ce n'est donc pas une véritable biographie, non plus une biographie fictive mais bien le récit d'un homme qui écrit une biographie, ce qui ajoute un niveau de lecture à cette forme romanesque et Thomas Mann lui fait honneur.
Je suis un grand amateur de cette forme en particulier, et conséquemment ce roman m'a plu. Contrairement au style d'écriture bancal qu'avait offert la lecture de "La montagne magique", celui du "Docteur Faustus" est recherché et s'imbrique parfaitement dans la mélancolie qui se dégage de ce personnage hors norme. Voici une dernière citation qui nous montre le talent de l'auteur : "La vie et l'expérience peuvent donner à des vocables isolés un accent qui les dépouille complètement de leur signification usuelle et les nimbe d'un effroi incompréhensible à qui n'a pas appris à les connaître dans leur plus terrible acception." Par contre, en terminant, je dois absolument dire que je ne conseillerais à personne ce roman, même si je l'ai apprécié, entre autres parce qu'il comporte de longs passages ennuyeux, qu'il est extrêmement difficile d'approche et en somme, l'on se doit d'aimer les biographies fictives et l'on se doit d'aimer les romans qui jouissent d'une érudition gigantesque, parce que la masse d'informations en tout genre qui nous est transmise est extrêmement grande. C'est un roman de 600 pages et ma chronique est en lien avec seulement une petite partie du livre.
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