Ma note: 8,5/10
Voici la présentation de l'éditeur: Expérience spirituelle, récit initiatique, délire de psychopathe, Le Loup des steppes multiplie les registres. Salué à sa parution en 1927 (entre autres par Thomas Mann, qui déclare : « Ce livre m’a réappris à lire »), interdit sous le régime nazi, roman culte des années 1960 et 1970, c’est une des œuvres phares de la littérature universelle du xxe siècle. Il méritait une nouvelle traduction. Le voici enfin rendu avec tout l’éclat de ses fulgurances, la troublante obscurité de ses zones d’ombre. Nouvelle traduction de l’allemand par Alexandra Cade.
Le roman s'ouvre sur une "fausse" préface de l'éditeur (qui elle, sera suivie des carnets d'Harry Haller de même qu'un traité sur le loup des steppes reçu par Harry) : "Cet ouvrage contient les carnets laissés par un homme que nous appelions "le Loup des steppes", surnom qu'il employait lui-même fréquemment. La question de savoir si son manuscrit requiert un avant-propos reste ouverte. Pour ma part en tout cas, je tiens à y ajouter quelques pages où je tenterai de retracer le souvenir que je garde de lui. Je sais bien peu de chose à son sujet; j'ignore notamment tout ce qui a trait à son passé et à ses origines. Cependant, sa personnalité m'a laissé une impression forte et, je dois dire, malgré tout positive." L'homme est d'une extrême solitude, même si ce fait ne sera pas très apparent dans ses carnets parce qu'il semble avoir une vie sociale. La première réaction des gens face à la solitude est d'être craintif et de s'en méfier. Tout ce qui est différent fait peur. Et dans cette préface d'une trentaine de pages, qui pourrait en elle-même servir de nouvelle littéraire, comme le traité sur le loup des steppes, démontre bien cette étrangeté que ressentait l'éditeur face au loup des steppes et à sa solitude, mais de plus, la préface démontre que cette crainte s'est estompée devant l'aura mystique du solitaire et que l'éditeur a fini par apprécier le loup et sa compagnie. Sa solitude, au sens allégorique et un peu au sens propre, prend toute la place, celle qui se réfère à cette citation d'Aristote : "Ainsi donc, il est évident que la cité existe par nature et qu'elle est antérieure à chaque individu ; en effet, si chacun isolément ne peut se suffire à lui-même, il sera dans le même état qu'en général une partie à l'égard du tout ; l'homme qui ne peut pas vivre en communauté ou qui n'en a nul besoin, parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait point partie de la cité : dès lors, c'est un monstre ou un dieu." (Aussi il y a la citation de Schopenhauer que j'ai placé à la fin de ma chronique.) Lorsque l'éditeur rencontre le loup, il a une cinquantaine d'années, il vient louer une chambre chez sa tante : "De façon générale, on avait l'impression que cet homme venait d'un monde différent, peut-être de contrées situées au-delà des mers [...]".
Lorsque nous découvrons les carnets du loup des steppes, les choses deviennent plus subtiles que la préface de l'éditeur. Cette préface était le résultat de quelque chose, ce que le loup projette, alors qu'avec ses carnets nous voyons ce qu'il est, ce qu'il pense, d'un point de vue subjectif. Voici la définition que Harry Haller donne du loup des steppes, soit de sa propre condition : "Et de fait, si la majorité a raison, si cette musique dans les cafés, ces divertissements de masse, ces êtres américanisés aux désirs tellement vite assouvis représentent le bien, alors, je suis dans l'erreur, je suis fou, je suis vraiment un loup des steppes, comme je me suis souvent surnommé moi-même ; un animal égaré dans un monde qui lui est étranger et incompréhensible ; un animal qui ne trouve plus ni foyer, ni oxygène, ni nourriture." Il raconte ce qu'il lui arrive, la relation qu'il a avec les autres personnes et ainsi, nous ne voyons pas vraiment sa solitude, même si elle est là quand même. Le loup est un nouveau Nietzsche, comme lui, il a un corps qui souffre, il s'est retiré pour cristalliser sa pensée et ridiculiser les croyances contraires à la sienne. Toutefois, je le rapprocherais davantage de Schopenhauer parce qu'il fait pénétrer la philosophie orientale dans le monde occidental. Et contrairement à Nietzsche, Harry Haller est pessimiste et retourne sa pensée contre lui-même : "[...] il était lui-même toujours le premier à être la cible de ses sarcasmes, le premier à être l'objet de sa haine et de son désaveu..." L'esprit du loup des steppes est anarchique, en ce sens qu'il détruit tout pour mieux reconstruire et comme Nietzsche le disait lorsqu'il parlait des Grecs de l'antiquité, l'important c'est d'être "superficiel par profondeur !"
La forme du roman est calquée sur le modèle des "Souffrances du jeune Werther" de Goethe où un mystérieux manuscrit nous est présenté par l'éditeur. Le vocabulaire de ce roman dans l'ensemble est simple mais cela débouche quand même sur une forte esthétique remplie d'intelligence, de sagacité, etc. Kundera disait que l'esthétique d'un roman n'est pas limitée au style d'écriture. C'est plutôt un "tout", et sur cette base, "Le loup des steppes" est magnifique. Je ne m'attendais pas à un roman aussi proche de ce que procure la solitude, et Hesse parvient à éviter les clichés sur ce style de vie. Il nous présente un être rempli de paradoxes intérieurs, et sa pensée anarchique se mêle avec son style de vie bohème et cet être se rapproche, le plus qu'on puisse le faire, de ce que signifie la liberté totale. De plus, l'auteur réussit à mettre en mots ce que le solitaire ressent lorsqu'il retourne en société.
Je vous laisse sur cette citation de Schopenhauer, qui en rebutera plusieurs, par son radicalisme, mais aussi, selon moi, par sa clairvoyance. Elle est tirée de son livre si important pour moi, "Aphorismes sur la sagesse dans la vie", et qui représente bien certaines parties de ce roman, en tout cas c'est à cette citation que je pensais lorsque je le lisais, surtout dans sa première moitié :
La solitude offre à l'homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d'être avec soi-même, et le second de n'être pas avec les autres. On appréciera hautement ce dernier si l'on réfléchit à tout ce que le commerce du monde apporte avec soi de contrainte, de peine et même de dangers. " Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls ", a dit La Bruyère. La sociabilité appartient aux penchants dangereux et pernicieux, car elle nous met en contact avec des êtres qui en grande majorité sont moralement mauvais et intellectuellement bornés ou détraqués. L'homme insociable est celui qui n'a pas besoin de tous ces gens-là. Avoir suffisamment en soi pour pouvoir se passer de société est déjà un grand bonheur, par là même que presque tous nos maux dérivent de la société, et que la tranquillité d'esprit qui, après la santé, forme l'élément le plus essentiel de notre bonheur, y est mise en péril et ne peut exister sans de longs moments de solitude.
Bonjour Jimmy,
RépondreEffacerJ'ai lu, suite à ton post, le court livre de Schopenhauer que tu as mentionné. Cette lecture m'a été très instructive et m'a, étonnamment, beaucoup fait rire aussi.
Lecteur régulier de tes articles, je te remercie beaucoup pour les découvertes que j'ai pu y faire. Bonne continuation !
Bonjour,
RépondreEffacerMerci ! Oui moi aussi Schopenhauer me fait beaucoup rire. Comme Nietzsche le disait je crois qu'un philosophe doit être drôle ! :)
encore merci et à bientôt...