mercredi 11 juin 2014

Le gaucho insupportable, Roberto Bolaño


Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture: L'univers inquiétant et fantaisiste de ces cinq nouvelles est du meilleur Bolaño. Des lapins sauvages et féroces investissent la pampa ; des rats s'entretuent ; des poètes tristes errent dans la nuit tandis qu'un écrivain argentin plagié se rend à Paris sur les traces du coupable, qui est aussi son meilleur lecteur. Dans cet univers entre onirisme, humour noir et violence latente, des doubles et des triples de l'auteur se combattent dans des jeux de miroirs déformés. Figurent aussi deux conférences où Bolaño parle de lui, de sa mort, de son amour violent de la littérature et de la vie : deux textes magnifiques et émouvants, " Littérature + Maladie = Maladie " et " Les mythes de Chtulhu", où il cingle la littérature récente, les écrivains qui déshonorent leur art. Drôle, cruel, polémique et émouvant, ce recueil, remis à son éditeur quelques jours avant sa mort, nous montre Bolaño au sommet de son art.

Les deux conférences qui se retrouvent à la fin de ce recueil de cinq nouvelles sont d'une pertinence certaine même si je m'abstiendrai d'en parler. Il vaut mieux que vous les découvriez vous-même (si vous n'avez pas lu "Entre parenthèses"). Entre autres, il parle de la proximité des écrivains et du pouvoir, comme Gabriel Garcia Marquez qui était ami avec Fidel Castro et Bill Clinton en même temps (il faut le faire). Bolaño n'est pas tendre à son endroit...

Jim : Dans ce court premier texte du recueil de quatre pages seulement, le narrateur nous présente Jim, son ami Nord-Américain. Jim est triste, ses voyages à l'étranger sont même plus courts que prévus. "La poésie, en quoi elle consiste, Jim ? lui demandaient les enfants mendiants de Mexico. Jim les écoutait en regardant les nuages puis se mettait à vomir." Jim est un ancien combattant qui est devenu poète. Il veut d'une poésie courant et banale. En guise de clin d'œil, je crois que Bolaño aurait pu appeler cette intéressante nouvelle "Le poète sauvage".

Le gaucho insupportable : Hector Pereda est avocat. Selon ses proches, il fut un père attentif et affectueux. Il accéda au titre de juge mais fut déçu et se consacra pendant quelques années aux voyages et à la lecture. Arrivé à la retraite, il change peu à peu : "Buenos Aires est en train de sombrer, répondit Pereda." Cette prédiction lui donna raison. En effet, quelques jours plus tard, l'économie de l'Argentine s'effondra. Il part vivre à la campagne, rencontre les "gauchos", mais les lapins commencent à se faire plus nombreux et cela l'inquiète...La force de cette nouvelle est surtout dans son style d'écriture et l'ambiance que Bolaño réussit à créer.

Le policier des souris : Le narrateur s'appelle José (pepe le flic), il est évidemment un policier (peut-être pas comme vous le pensez par contre) et il est aussi le neveu de Joséphine la cantatrice. La nouvelle prend un tournant fantastique très tôt au cours du récit, ou plutôt, on se rend compte que les protagonistes sont des souris, des rats, qui vivent dans un monde qui ressemble au nôtre et que le flic enquêtera sur la mort de souris, ce qu'il est lui-même : "De temps en temps apparaît une souris qui peint, disons, ou une souris qui écrit des poèmes et qui se met en tête de les réciter." Ce recueil de nouvelles nous offre des textes déjantés, mais le thème de la poésie n'est jamais bien loin. C'est pour cette raison, entre autres, que Roberto Bolaño est mon écrivain préféré. Donc, cette nouvelle en particulier est inquiétante, parfois terrifiante et elle est, dans son ensemble, une allégorie de notre monde en dérive, où les poètes sont trop peu nombreux. La nouvelle "Jim" se rapprochait des "Détectives sauvages" alors que celle-ci à des accointances avec "2666" parce que les cadavres des souris jonchent les égouts comme ceux de "2666" jonchaient les rues.  Cette nouvelle est adressée à Robert Amutio, le très excellent traducteur de Bolaño en français.

Le voyage d'Alvaro Rousselot : Le narrateur décrit Rousselot comme "un agréable prosateur, prodigue en sujets originaux, usant d'un castillan bien construit [...]" Rousselot est plus compliqué que ses fans le pensent. Comme les autres grands lecteurs (et écrivains), il devient une victime de la littérature. Il est plagié par un cinéaste français, où son livre, comme partout ailleurs, avait passé presque inaperçu. Le plagiat s'étend sur plusieurs de ses œuvres, toujours par le même cinéaste. Rousselot s'en va rencontrer Morini, le cinéaste fautif. Ce dernier a une étrange réaction lorsque la rencontre survient...Nous voici en face de thèmes borgésiens avec cette nouvelle : la littérature en relation avec la réalité et tout cela dans un paradigme de l'imaginaire. Donc : littérature, réalité, imaginaire. Notamment, elle est très proche de "Pierre Ménard, auteur de Quichotte" de Borges. Elle a aussi quelques liens avec "2666" de Bolaño, surtout le sujet de cet écrivain qui est vénéré par quelques lecteurs très enthousiastes, le fameux auteur culte...

Deux contes catholiques : Le premier conte de cette partie se nomme "La vocation" et raconte la vie d'un être angoissé, qui vit dans la peur et qui raconte sa vie sous forme de journal intime (ou quelque chose qui s'en rapproche) par le prisme du catholicisme parce qu'il veut devenir curé. Il fera une rencontre pour le moins mystérieuse...Alors que le deuxième conte, "Hasard", nous offre la même forme que le premier conte et le narrateur parle d'un asile d'aliénés qu'il fréquentait, de ses tourments psychiques, et nous finissons par découvrir que les deux contes sont peut-être liés, ou bien que tout ceci est un pur...hasard ?

La nouvelle est un genre que j'apprécie de plus en plus, et je ne crois pas que ce soit par accident. J'ai souvent entendu des lecteurs plus âgés qui disaient que plus on avance en âge, plus les courts textes nous satisfont, plus on les comprend, et moins on a besoin de longues phrases, de plusieurs pages pour bien saisir et apprécier un texte. Le roman est souvent "artifice", même si le genre romanesque reste mon préféré entre tous. Inévitablement, il y a des parties moins importantes dans un roman. Cela est intrinsèque à ce genre. Et pour le présent recueil, j'ai adoré. Avant de commencer la lecture, l'éditeur nous avertit que ces nouvelles sont tardives dans l'œuvre de Bolaño. Je ne suis aucunement surpris de l'apprendre, parce qu'il avait atteint un tel niveau de maturité et d'excellence stylistique, que ces nouvelles semblent se démarquer de ses premiers romans. Quoique cet auteur soit un peu meilleur en roman qu'en nouvelle (et qu'en poésie), ce recueil est à lire absolument pour les fans de Roberto Bolaño.

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