Ma note:
8,5/10
Voici la quatrième de couverture: «De tous les endroits où j'ai été, poursuivit le jeune homme, je suis parti très vite, parce que je n'ai pas eu envie de croupir à mon âge dans une étroite et stupide vie de bureau, même si les bureaux en question étaient de l'avis de tout le monde ce qu'il y avait de plus relevé dans le genre, des bureaux de banque par exemple. Cela dit, on ne m'a jamais chassé de nulle part, c'est toujours moi qui suis parti, par pur plaisir de partir, en quittant des emplois et des postes où l'on pouvait faire carrière, et le diable sait quoi, mais qui m'auraient tué si j'étais resté. Partout où je suis passé, on a toujours regretté mon départ, blâmé ma décision, on m'a aussi prédit un sombre avenir, mais toujours on a eu le geste de me souhaiter bonne chance pour le reste de ma carrière.» Robert Walser est né en 1878, à Bienne, dans le canton de Berne. Il avait sept frères et sœurs. Il publie son premier roman, Les enfants Tanner, en 1907. Son deuxième roman, Le commis, paraît en 1908, et en 1909 L'Institut Benjamenta (Jakob von Gunten). Il écrit ensuite des poèmes et des nouvelles, dont La promenade, qui date de 1917. Son dernier livre, La rose, paraît en 1925. En 1929, il entre dans une clinique qu'il ne devait plus quitter. Il meurt en 1956, le jour de Noël.
On commence par suivre un jeune homme qui veut être libraire. Il, (on pourrait dire Robert Walser parce que ce premier roman est très autobiographique, comme l'était "L'institut Benjamenta" et dans une moindre mesure "Le brigand"), donc, il décide de jouer franc-jeu lors de sa rencontre avec l'employeur : il avoue avoir été destiné à la vie de bureau pour se rendre compte que son destin était tout autre. Cette vie austère n'est pas faite pour un poète comme Walser. L'honnêteté du jeune homme plaît à l'employeur et il obtient un essai de huit jours. On apprendra plus tard qu'il quittera après ces huit jours. Ensuite, la narration nous dévoile le nom du personnage de Walser : Simon. Et l'on peut supposer que son patronyme soit Tanner. Simon Tanner. Pendant ce temps, un des frères de Simon se fait du souci pour lui. Il lui souhaitait un bon emploi, de la stabilité, bref ce qui faisait son malheur. Le frère de Simon est un homme honorable, le docteur Klaus. Mais là où ce roman est intéressant, comme tout ce que fait Walser, est que l'on sent la présence du narrateur supposément neutre. Il prend position, subtilement, comme s'il arrivait au-dessous du texte, pour critiquer le style de vie du docteur Klaus, qu'il considère comme une prison, alors qu'avec Simon, il est tendre, comme s'ils étaient la même personne, ce qu'ils sont en réalité. "Le docteur Klaus, s'obligeait bien de temps en temps à une certaine forme d'insouciance, très mesurée, mais il réintégrait bien vite ses devoirs gris et tristes comme une prison." Le questionnement sur la liberté du poète contre la prison du carriériste parcourt tout le roman et fut, en somme, ce qui conduit Robert Walser à se retirer du monde, en plongeant dans le tumulte de la création. C'est le carriériste malheureux qui s'en fait pour le poète, qui lui, recherche une certaine paix intérieure. L'un, le carriériste, le fait pour l'honneur, la gloire, l'extérieur alors que l'autre le fait pour le bonheur en tant que tel mais aussi pour sa propre conscience et non celle des autres. Le docteur Klaus est en réalité perdu sans qu'il le sache tout à fait, et Walser le décrit comme l'esclave de la société. Même s'il se sait malheureux, le docteur Klaus pense avoir une conscience de soi tellement haute pour pouvoir dicter la vie de son frère Simon. Le roman prend la forme d'une recherche d'espérance pour Simon. Ce dernier recherche des emplois seulement pour le maintenir en vie et sa recherche est vraisemblablement beaucoup plus profonde. C'est une recherche de son être. Simon est un factotum qui attend le bon moment pour tout arrêter.
Le roman abordera aussi la relation entre les trois frères, de leur sœur, et de son copain le jeune poète Sébastien. Ils auraient aussi un mystérieux quatrième frère. Donc, en plus de Klaus, nous suivrons Kaspar qui n'est peut-être pas aussi insignifiant que le docteur Klaus, bien qu'il n'ait pas l'esprit libre de Simon. La sœur de Simon est davantage en symbiose avec lui, et ces deux personnages, Simon et sa sœur, rejoignent la pensée de Walser, alors que Sébastien est là pour représenter le métier de Walser. Ces trois personnages, de même que Walser lui-même, ont un amour indéfectible pour la liberté, la poésie. Kaspar est sur la bonne voie de les rattraper, et même de les dépasser (par son métier), mais Klaus le carriériste, l'esclave, est complètement dans les limbes. Alors que les frères Karamazov de Dostoïevski avaient tous une métaphysique différente, les frères Tanner ont tous un style de vie qui leur est propre et cela, indubitablement, finit par les distancer les uns des autres, comme ce fut le cas dans le roman de Dostoïevski.
Avec ce livre, Walser parvient à résumer parfaitement la vie de la plupart des écrivains. Ce n'est pas surprenant qu'il soit l'idole de plusieurs d'entre eux, et qu'on pourrait dire qu'il est l'écrivain des écrivains. C'est une passion qui demande beaucoup de temps et elle est, dans une large mesure, incompatible avec la vie normale en société, avec le quotidien banal, d'une insignifiance crasse. Nietzsche disait : "Veux-tu avoir la vie facile ? Reste toujours près du troupeau, et oublie-toi en lui." Le poète doit en quelque sorte se distancer de ce troupeau le plus possible. Emily Dickinson, quant à elle, disait que "Le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots.". Les textes de Walser, et encore plus sa vie réelle, fondamentalement, tourne tous autour de ce questionnement. Finalement, j'ai grandement aimé ce roman, notamment parce que Walser se pose au-dessus de la critique - éculée - du capitalisme. La critique de Walser est de loin plus profonde parce que c'en est une de l'être en tant qu'être. Par contre, il ne parvient pas, comme "L'intitut Benjamenta" n'était pas parvenu à le faire, à rejoindre, sur le plan de la puissance romanesque, son chef-d'oeuvre ultime, et un de mes romans préférés à vie, "Le brigand".
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