vendredi 21 mars 2014

La dame blanche, Christian Bobin


Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture : «Derrière la porte fermée à clé de sa chambre, Emily écrit des textes dont la grâce saccadée n'a d'égale que celle des proses cristallines de Rimbaud. Comme une couturière céleste, elle regroupe ses poèmes par paquets de vingt, puis elle les coud et les rassemble en cahiers qu'elle enterre dans un tiroir. "Disparaître est un mieux." À la même époque où elle revêt sa robe blanche, Rimbaud, avec la négligence furieuse de la jeunesse, abandonne son livre féerique dans la cave d'un imprimeur et fuit vers l'Orient hébété. Sous le soleil clouté d'Arabie et dans la chambre interdite d'Amherst, les deux ascétiques amants de la beauté travaillent à se faire oublier.» Christian Bobin.

Emily Dickinson est, avec Walt Whitman, le plus grand poète américain de l'histoire. Elle se démarque de la poésie de son époque en utilisant le moins de mots possible, en épurant à l'extrême ses vers et ainsi, en disant beaucoup en peu de mots. Cela est son génie. Et le thème central de son œuvre (œuvre que j'ai déjà lue au complet, environ 1800 poèmes), et de sa vie, est la solitude. À l'âge d'environ 30 ans (environ, parce qu'on en connaît très peu sur sa vie), elle commença à vivre reclus dans sa chambre jusqu'à sa mort, et composa dans l'anonymat ce qui allait marquer l'histoire de la poésie mondiale. Elle ne fut jamais publiée de son vivant, à part quelques petits poèmes, et elle ne força pas la note. Elle ne voulait pas vraiment publier, parce que rester "personne" l'importait davantage.

Et comme point de départ, Christian Bobin fixe la mort d'Emily, avec sa plume poétique qui sert de pilier : "Emily vient de tourner brutalement son visage vers l'invisible soleil qui, depuis deux ans, consume son âme comme un papier d'Arménie. La mort remplit d'un coup toute la chambre." Elle meurt à 55 ans. Cette biographie romancée de Bobin n'aurait pu avoir d'autres formes étant donné le très peu de renseignements que l'on connaît sur elle. L'œuvre de Dickinson devient donc centrale, non seulement en tant que telle, mais aussi pour connaître son être et son immense sensibilité. Bobin poursuit en précisant que Susan, belle sœur d'Emily, personnage très important dans sa vie, ne pourra assister à l'enterrement parce que le frère de Dickinson a plutôt décidé d'amener sa maîtresse. Le blanc sert de symbole au roman, le blanc de la pureté d'Emily, et celle-ci s'habillait, et ceci est reconnu, que de blanc. Ce blanc est partout : "On la dépose précautionneusement dans un cercueil blanc" ; "Vinnie, sœur d'Emily, met entre les mains croisées de la morte deux héliotropes à fleurs blanches odorantes(...)". Le poème "No Coward Soul Is Mine" d'Emily Brontë sera lu à ses funérailles (à la demande de Dickinson). Elle sera enterrée dans la cour, là où elle vit recluse la majeure partie de sa vie. Pour avoir lu beaucoup de livres sur Dickinson, Christian Bobin reste fidèle à sa vie, malgré la prose poétique qui le sert bien, et le romantisme qui se dégage du récit. Bobin utilise tout au long du roman une sorte d'aphorisme, de courts paragraphes plus ou moins indépendants les uns des autres, mais toujours d'une beauté renversante. Et cette beauté, d'une façon allégorique, devient un hommage à la plus grande poétesse de tous les temps. La suite du bouquin aborde, entre autres, l'enfance d'Emily (alors qu'elle a deux ans), la relation ambiguë qu'elle a avec sa mère, la puissance de son père. Voici le passage du roman qui résume tout: "(...) soit on adore le monde (l'argent, la gloire, le bruit), soit on adore la vie (la pensée errante, la sauvagerie des âmes, la bravoure des rouges-gorges)." Heureusement, Emily Dickinson, contrairement au commun des mortels, a choisi la deuxième option.

J'ai déjà lu quelque part que l'on avait questionné Emily Dickinson sur ses raisons d'écrire, le pourquoi de toute cette entreprise connue seulement par les membres de sa famille. Elle avait répondu qu'elle écrivait pour la même raison que les oiseaux chantent. Je crois qu'elle voulait dire que c'était pour se rendre la vie supportable, et pour la beauté en tant que telle. Elle avait ÇA en elle, l'écriture. Aussi, ce livre de Christian Bobin démontre bien la réponse de Dickinson.

Les écrivains français de notre époque sont, pour la grande majorité, dépourvus de talent et écrivent sur des thèmes régionaux qui ne touchent pas l'universel que la littérature devrait apporter. Mais Christian Bobin n'est pas de ceux-là. Je le range parmi mes préférés, aux côtés de Le Clézio, Carrère et Houellebecq. Paul Auster a beaucoup écrit allégoriquement sur la vie d'Emily Dickinson, en plaçant presque chacun de ses romans sur le thème de la chambre, de la solitude, etc. Ici, Christian Bobin nous offre plutôt ses impressions poétiques sur la vie réelle de la poétesse et le livre (de 120 pages) dans l'ensemble, est parfaitement réussi et m'a fortement convaincu.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire