jeudi 23 janvier 2014

La littérature nazie en Amérique, Roberto Bolaño


Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: Ce roman est constitué d'une trentaine de biographies traitant d'auteurs du XXe siècle ayant en commun leur fascination pour le fascisme ou le nazisme. On trouvera ainsi la biographie d'une famille d'admirateurs argentins d'Adolf Hitler, celle d'un prédicateur poète nord-américain, celle d'un Guatémaltèque absolument inculte qui écrit de la science-fiction " aryenne ", celle d'un Chilien d'origine allemande dont l'œuvre gravite autour des plans de camps de concentration, celle d'un Cubain, cryptographe, anticastriste et pronazi... Mais cette parodie grinçante s'en prend aussi à certaines réalités sud-américaines, et ne constitue pas un simple exercice de vertige littéraire.

Contrairement à ce que laisse entendre le titre et même la quatrième de couverture, ce recueil de nouvelles de Bolaño est totalement fictionnel et donc, les biographies présentées sont fausses. Par contre, on sait que plusieurs sympathisants nazis se trouvaient en Amérique du sud et de plus, plusieurs bourreaux nazis s'y sont réfugiés. Il y a quelques biographies d'écrivains d'Amérique du nord aussi.

Parmi les biographies marquantes, il y a celle de Ignacio Zubieta et de Jesus Fernandez-Gomez qui sont présentes sous le titre "Les héros mobiles ou la fragilité des miroirs". Le premier (et le deuxième aussi) est Colombien, jeune homme parfait qui part vivre en Espagne (comme Bolaño lui-même l'avait fait) après avoir écrit un recueil de vers congoriens. Tout lui réussit. Il parcourt l'Europe et le nord de l'Afrique. Fernandez-Gomez le rejoint finalement à Paris. Ils visitent le club de polo et les soirées antiques. Mais à la surprise de tous, ils s'engagent dans l'armée franquiste et encore là, tout sourit à Zubieta. Les deux amis Colombiens mènent donc une vie de militaires et d'écrivains ratés. En fait, même si tout sourit à Zubieta, il demeure un écrivain raté. Quant à Fernandez-Gomez le titre d'écrivain raté s'accompagne d'un anonymat jusqu'à trente ans après sa mort. Bref, je crois que Bolaño a voulu montrer, à travers ces deux hommes, que parfois nos choix ne répondent pas d'actes sensés, qu'ils sont conditionnés par l'extérieur, par une sorte de force qu'on ne maîtrise pas.

Voici donc un livre intéressant pour les très grands fans de Bolaño, notamment pour le placer en contexte dans son œuvre global mais aussi, pour voir un exercice de style de Bolaño, comment il parvient à écrire de courtes biographies et les glisser dans ses romans. Alors oui, nous sommes face à un pur exercice de style qui rebutera les non-initiés de Bolaño, ceux qui ont été attiré par le titre un peu trompeur. Pour lire Roberto Bolaño, on doit impérativement commencer par "2666" et certainement pas par celui-ci. Le recueil semble être un peu inspiré par Borges, en ce sens qu'il est principalement de la littérature sur la littérature et ainsi, l'imaginaire prend le pas sur tout et la réalité tronquée ne devient qu'une pauvre victime. Les biographies, regroupées par thème, donne un résultat expérimental, et à ma connaissance c'est la première et seule fois que ce thème (le nazisme) est traité de cette façon avec cette forme (et formule) littéraire. Ces biographies rappellent un peu la profusion de détails sur les assassinats de jeunes femmes à Ciudad Juarez dont traite l'écrivain dans "2666". Le style est le même. Mais ici, Roberto Bolaño, marxiste, s'en prend à la tendance fasciste et la recherche de pouvoir de certains de ses collègues écrivains. De plus, il a une haine pour les écrivains qui terminent leur carrière en se couchant devant le pouvoir corrompu, et "La littérature nazie en Amérique" en est une bonne allégorie.

Patti Smith, la vedette et rockeuse punk, a déjà dit que la littérature de Roberto Bolaño était liée avec elle par les liens du sang, tellement elle était en admiration devant cette littérature éternelle. C'est un peu la même chose pour moi, il est mon écrivain préféré depuis le tout début, dès les premières phrases que j'aie lues de lui. Dans l'histoire, je le place sur un pied d'égalité avec Cervantes, Goethe, Dostoïevski et Beckett (pour choisir un écrivain par siècle). La plupart des lecteurs trouveront cette lecture inutile mais comme le disait Schopenhauer, les plus beaux arbres ne sont pas nécessairement ceux qui donnent des fruits...

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