Ma note : 7/10
Voici la quatrième de couverture: Un ancien gardien de but se croit licencié de l'entreprise où il travaille et il quitte tout. Son errance finit par se transformer en vraie fuite après qu'il a étranglé une caissière de cinéma. Il va se livrer à de gratuites et dangereuses extravagances, jusqu'au jour où il assiste à un match de football au cours duquel le gardien de but réussit à arrêter un penalty : sa peur va alors être jugulée.Cet itinéraire intérieur, aux fausses allures de roman policier, permet à Peter Handke de démontrer sa maîtrise.
Dans son essai Sous le miroir de l'eau, sous-titré Le récit de Peter Handke sur l'angoisse du gardien de but, W.G. Sebald décrit ce roman comme un classique. Il fait ensuite une analogie entre la réalité et la fiction. Sebald écrit que le roman obéit à la scientificité et à l'art (ce qui peut sembler étrange au premier abord) : « [...] au contraire d'une pratique littéraire qui peut à juste titre apparaître suspecte à la psychiatrie, le texte de Peter Handke ne se fourvoie pas dans l'impasse de l'identification pathétique, mais conduit au dévoilement des formes spécifiques de la fuite schizophrénique devant la réalité. Handke, qui, à l'instar de quelques rares auteurs, est prêt à engager également, au-delà de la sensibilité souvent invoquée, la force de son intelligence, a donné avec le récit dont il est ici question une oeuvre qui satisfait tout autant aux principes de la scientificité qu'à ceux de l'art. »
Sebald met l'accent sur le fait que Handke se garde d'en dire trop sur la vie de son personnage, pour un but bien précis : « Handke renonce à déballer la vie privée de son protagoniste sous les yeux de lecteurs qui sont pourtant toujours très curieux, et ce n'est pas là le moindre mérite de son récit qui, en se concentrant sur l'irruption réfrénée de la crise, fait comprendre que si l'"énigme" de la schizophrénie est encore loin d'être résolue, c'est qu'on a trop rarement tenté de décrire ce qui se passe à l'instant où tout bascule. La fuite de Bloch, qui sous bien des aspects est étirée dans le temps, présentée au ralenti, montre de ce fait très précisément comment, à partir d'une panique indéfinie et d'une multitude de minuscules catastrophes, se développe sans drame et en toute logique un mode d'existence qui n'est plus compatible avec les définitions de la normalité. »
Il est vrai que le personnage démontre de lourds symptômes. Ce n'est peut-être pas pour rien que Handke a coiffé son roman d'un titre aux allures d'essais. Je serais porté à croire que Sebald a raison, que la scientificité et l'art se retrouvent ici sous un masque (et une masse) de fiction. Dès le début, vous conviendrez qu'il y a quelque chose qui cloche avec Joseph Bloch : « Le monteur Joseph Bloch, qui avait été un célèbre gardien de but, fut informé, quand il se présenta le matin à son travail, qu'il était congédié. Du moins Bloch interpréta-t-il ainsi le fait que seul le contremaître leva les yeux de son casse-croûte lorsqu'il ouvrit la porte de l'Abri où les ouvriers faisaient la pause, et Bloch quitta le chantier. Dans la rue, il tendit le bras, mais jamais la voiture qui le dépassa - qu'il ait ou non tendu le bras pour appeler un taxi - n'avait été taxi. Finalement Bloch entendit un coup de frein devant lui ; il pivota : un taxi se trouvait maintenant derrière lui, le chauffeur jurait ; Bloch pivota de nouveau, monta en voiture et se fit conduire au marché couvert. » Il se croit licencié alors qu'il ne l'est pas du tout. Et c'est intéressant de voir que le roman débute de cette façon, dans un accès de débilité et ainsi, cela donne l'impression qu'absolument rien ne s'est déroulé avant cette décision pour le moins ridicule. Aussi, Bloch semble souffrir d'un très grave problème d'interprétation parce que comme on peut le voir ici, ce problème est récurrent : « Sur la place de la gare, il rencontra un ami qui se rendait en banlieue pour servir d'arbitre dans un match de troisième division. Bloch interpréta cette nouvelle comme une plaisanterie et fit semblant d'y croire en déclarant que, dans ces conditions, il pouvait bien l'accompagner comme juge de touche. Ensuite, l'ami eut beau ouvrir son sac de marin pour lui montrer le costume d'arbitre et les citrons qui s'y trouvaient, Bloch réagit de la même façon, de nouveau il ne prit ces objets que pour des sortes d'accessoires de déguisement et, feignant toujours d'y croire, se déclara prêt à porter le sac de son ami puisqu'il allait avec lui. »
L'errance du personnage principal donne l'occasion à l'auteur de faire des références constantes au football (sans que le football devienne un thème) : « Il tua le temps jusqu'à l'arrivée de la femme en introduisant des pièces dans le juke-box et en demandant à d'autres que lui d'appuyer sur les boutons, entre-temps il examinait les photographies et les autographes de footballeurs aux murs. Le restaurant avait été loué quelques années auparavant par un avant-centre du onze national qui était allé outre-Atlantique comme entraîneur d'une équipe autonome de la division d'honneur, et depuis que cette division avait été supprimé, on ignorait ce qu'il était devenu. »
L'absence de finesse, de détails inutiles est manifeste. Voyez lorsqu'il tue la femme, le peu d'espace que prend l'écrivain alors que la majorité de ses collègues auraient étiré cette description sur des pages et des pages : « Soudain il l'étrangla. Il avait immédiatement serré si fort qu'elle n'avait pas eu le temps de croire à une farce. Bloch entendit des voix au-dehors, dans le couloir. Il avait une peur intense. Il s'aperçut que le nez de la fille coulait. Elle râlait. Finalement il entendit comme un craquement. Cela lui fit l'effet d'une pierre qui heurte soudain le dessous de la voiture dans un chemin cahoteux. Des gouttes de salive étaient tombées sur le linoléum. » Ce meurtre est à la base de l'intrigue du roman alors que pour le décrire quelques phrases suffisent.
Voici donc un roman écrit d'un même souffle. Il est étrange, il nous donne sans cesse un malaise de lecture. Il se rapproche selon moi de La faim de Knut Hamsum (ce dernier est décrit par plusieurs critiques comme le premier roman du modernisme, celui qui a jeté les bases d'une nouvelle ère en littérature). L'angoisse du gardien de but a la froideur de Disgrâce de J.M. Coetzee ; l'essentiel prend le dessus sur le superflu. De Peter Handke (en roman) je ne connaissais que L'absence et ce dernier jouait avec la prose poétique, presque sans intrigue, il parvenait à étirer le temps un peu à la manière de Virginia Woolf. L'angoisse du gardien de but est à l'opposé de cela, même si Sebald dit que « [...] la fuite de Bloch, qui sous bien des aspects est étirée dans le temps, présentée au ralenti. » Les petites phrases sans fioritures stylistiques permettent à l'écrivain de rentrer dans la psychologie du personnage principal et ainsi, le roman est parsemé de passages au déroulement «rapide», où l'action abonde en quelques pages seulement. Les longues descriptions sont introuvables dans ce roman. Tout est «ramassé» au strict minimum.
C'est un petit récit d'à peine 150 pages et ce n'est certainement pas un chef-d'oeuvre, malgré mes attentes en ce sens (surtout après avoir lu l'essai de Sebald). Ceux qui recherchaient un roman «populaire» comme son titre le laissait présager seront extrêmement déçus, de même que ceux qui s'attendaient à un essai en tant que tel. On est bel et bien dans la fiction «littéraire» qui ne remplit ses promesses qu'à moitié. Par contre, Handke est un génie. La versatilité de son oeuvre générale est grande et pétillante de magnificence. En plus des romans, il y a les pièces de théâtre, les films, les essais, etc. Mais dans ce roman en particulier, nous avons du mal à trouver son génie.
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