samedi 17 mai 2014
Quasi objets, José Saramago
Ma note: 7,5/10
Voici la quatrième de couverture: Quasi objets réunit des textes à la prose sèche et sobre, mais à la charge poétique intense, où nous retrouvons les paysages, les attitudes, les gestes, les mots empruntés à notre univers mais que José Saramago détourne sous la forme de fantaisies qui sont le prolongement de notre réel. Ces récits allégoriques illustrent les grands thèmes de l'œuvre de José Saramago, qui lui ont valu d'être reconnu et traduit dans le monde entier : l'obsession de la fuite du temps, la question de l'identité, le voyage comme parcours, expérience et apprentissage, et enfin la complexité des rapports entre la vérité et la fiction, entre l'être et son désir, entre la nature et le fantastique.
La chaise : 30 pages : Une chaise tombe, ce qui permet à Saramago de nous donner une leçon sur la langue, le style, la poétique. Il nous parle en détail de cette chaise, ce qui en fait, oh surprise, un sujet intéressant. L'auteur nous démontre qu'avec la banalité on peut en faire quelque chose d'extraordinaire comme lorsqu'il avait écrit son chef-d'oeuvre, "L'évangile selon Jésus-Christ", avec de l'encre et du papier selon ses propres mots. La chaise s'apprête à tomber, et l'Anobium continue de ronger...
Embargo : 20 pages : Un homme se réveille lors d'une journée comme les autres, une journée qui commence bien. Il apprend dans le journal que l'embargo est maintenu. C'est l'embargo sur l'essence par les Arabes. L'homme ne cesse d'aller faire le plein, au lieu de travailler. Sa voiture réagit drôlement depuis ce matin. On dirait qu'elle commence à décider par elle-même. Et nous apprenons qu'elle le retient prisonnier... C'est une allégorie sur la débilité qui nous entoure, le quotidien d'un ennui mortel, le fait que les objets, telle l'automobile, nous possèdent alors que nous croyons les posséder.
Reflux : 25 pages : "Plus on était avancé en âge, plus l'impôt était élevé". La construction d'un cimetière est au centre de ce récit, de même que la royauté qui décide de tout dans ce pays. "Mais celui qui craignait les révolutions se mit à redouter le chaos". Nos gouvernements ont une peur bleue de la révolution, et cette nouvelle aborde, entre autres, ce sujet. Même si la mégalomanie en est le thème prédominant. Les morts sont déterrés pour être envoyés au nouveau cimetière. Cette mégalomanie dans sa plus pure folie ! Ainsi, dans une courte nouvelle, Saramago parvient à aborder des thèmes de plusieurs de ses grands romans, comme ses romans (quasi) historiques ("Le roi manchot" entre autres) et ses dystopies comme "Les intermittences de la mort".
Les choses : 60 pages : La plus longue nouvelle du recueil en est une sur le temps, sur les objets qui se dérèglent, et c'est une nouvelle d'anticipation comme "1984" de George Orwell et "La servante écarlate" de Margaret Atwood. Le récit est centré sur un fonctionnaire aliéné par la société dans laquelle il vit, par la bureaucratie, sous un régime totalitaire. C'est une allégorie sur le néolibéralisme qui envahit chaque parcelle de notre vie. Elle traite surtout des classes sociales, où celles-ci sont moins hypocrites que celles de nos sociétés. Elle traite aussi des objets qui deviennent humains, qui prennent une place disproportionnée dans nos vies. Ce récit est d'un genre kafkaïen, absurde. Il représente très bien l'ambiance générale du recueil, son titre, ses thèmes. C'est un croisement entre l'œuvre de Philip K. Dick, de Franz Kafka et de Jorge Luis Borges.
Le centaure : 30 pages : Avec ce texte, nous retrouvons le style d'écriture de Saramago, rempli de beauté, sauvage, organique. Nous suivons un homme et son cheval dans la nature difficile. Mais nous apprenons, au tiers de la nouvelle, de l'existence d'un mystérieux centaure "C'était le dernier survivant de la grande et antique espèce des hommes-chevaux". L'homme, le cheval et le centaure sont trois entités... Une péripétie extraordinaire vient y faire son tour avec l'apparition surprise d'un grand personnage littéraire. Je préfère ne pas en dire trop sur cette nouvelle. Pour le sujet, le fond, contrairement au reste du recueil, ce récit est un peu éloigné de ses œuvres romanesques.
La revanche : 5 pages : Quant à cette dernière nouvelle du recueil, je pourrais presque la recopier au complet tellement elle est courte. "Petite prose" est un meilleur qualificatif pour cette forme. Mais pour résumer en quelques mots, disons qu'un garçon est sur le bord d'une rivière et qu'ensuite il assiste, impuissant, à un étrange rituel sur un porc. Un court exercice de style comme l'a souvent fait Robert Walser.
Commentaire général : On connaît José Saramago pour ses grands romans, mais beaucoup moins pour ses nouvelles. Contrairement à Borges, nous sommes ici dans le fantastique "organique", où la plume sérieuse de Saramago devient vite ironique. Comme Platon qui regardait au ciel (avec "l'idée") et Aristote qui regardait au sol (avec "la nature"), on pourrait dire que Borges (et son "imaginaire") prend la place de Platon et Saramago celle d'Aristote. Quoique j'aie apprécié l'ensemble du recueil, Saramago, contrairement à Borges, est meilleur dans le roman que dans la nouvelle. On le sent quelque peu emprisonné.
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