dimanche 24 août 2014

L'appel de la forêt, Jack London



Ma note: 7/10

Voici la quatrième de couverture: Enlevé à la douceur de la maison du juge Miller, Buck est confronté aux réalités du Grand Nord où il connaît la rude condition d'un chien de traîneau. Pour Buck, la vie devient une lutte incessante. En butte à la cruauté des hommes et à la rivalité de ses congénères, il subira un apprentissage implacable, effectuera des courses harassantes, livrera de terribles combats de chiens. Mais dans un environnement que dominent la violence et la férocité, il vivra aussi un compagnonnage quasi mystique avec un nouveau maître. Ce n'est qu'à la mort de celui-ci, tué par les Indiens, qu'il cédera définitivement à l'appel de l'instinct et rejoindra ses "frères sauvages", les loups. En écrivant L'Appel de la forêt, Jack London a voulu que le courage et l'amour d'un chien conduisent à la compréhension des hommes. Mais, à travers le symbole d'une vie animale, il exalte aussi, face à la société impitoyable d'une Amérique du début du siècle, une volonté indomptable qui trouve son écho en chacun dans le besoin de liberté et le courage de l'aventure.

Allégorie du retour à la nature, prôné par Jack London et suivi entre autres par Chris McCandless du livre "Into The Wild", ce roman est perçu et lu comme un roman jeunesse. N'ayant aucune culture en roman jeunesse, je ne peux élaborer sur ce sujet et en faire des comparaisons, mais peu importe, j'ai décidé de ne pas tenir compte de ce genre de classement lors de ma lecture. Alors, pour le récit, nous suivons Buck qui connaîtra, selon l'incipit du bouquin, une vie mouvementée : "Buck ne lisait pas les journaux, sinon, il aurait compris que de dures épreuves le guettaient, ainsi que tous les chiens aux muscles forts, au pelage long et chaud, qui vivaient sur la côte du Pacifique, de San Diego au fjord de Puget. Parce qu'une poignée d'hommes, se frayant un chemin dans la pénombre de l'Arctique, venaient de trouver des gisements de métal jaune et que des compagnies de transports maritimes avaient décidé d'exploiter cette découverte, des milliers d'autres hommes commençaient à se ruer vers le Grand Nord." Il vit en Californie : "Buck habitait une spacieuse maison dans la vallée ensoleillée de Santa Clara." Buck est né dans le domaine et il a quatre ans (en année d'homme). Il doit aller à San Francisco : "«Voyez-vous, il a des crises nerveuses», expliqua l'homme en cachant sa main blessée au chef de train que le bruit de la courte lutte avait attiré. «J'l'emmène à San Francisco pour l'compte du patron. Y a là-bas, paraît-il, un vétérinaire de première qui croit pouvoir l'guérir.»" Mais en fait, Buck s'est fait enlever. Il n'y aura plus de douceur pour Buck, il est prisonnier d'une cage et ses bourreaux le surveillent étroitement. Il est maltraité par ses tortionnaires. Jack London fait subir à son personnage principal, et dans le présent roman c'est un chien, ce que l'humain doit traverser pour trouver la liberté intérieure (et même extérieure). Et pour la suite de l'histoire, Buck sera transféré à l'extrême nord du continent, démontrera de fortes habilités, apprendra les règles implicites de la vie sauvage, il entretiendra une rivalité avec le chien de tête, il deviendra tueur par la force des choses et il retrouvera son rôle dans la forêt, sa destinée ultime.

Les contrastes sont importants dans ce roman. Buck connaîtra la vie sauvage du nord, lui qui avait connu la douceur du sud: "Buck avait été arraché à la civilisation et précipité au cœur de la vie primitive. Ici, plus de flâneries au soleil, partagées entre l'ennui et la paresse. Pas de tranquillité, pas de repos, pas un moment de sécurité. Confusion et agitation généralisées. À chaque instant, la vie personnelle était en péril. Il fallait se tenir constamment en alerte, car les hommes et les chiens alentour ne venaient pas de la ville. C'étaient tous des sauvages." Buck éprouve des sentiments humains tout au long du roman, ce qui rajoute à l'expérience allégorique de l'histoire : "Il la flaira avec curiosité, en prit un peu sur sa langue. Un instant, elle brûlait comme du feu, puis...plus rien. Il était intrigué. Il renouvela l'expérience et obtint le même résultat. Des badauds qui l'observaient rirent de bon cœur. Buck eut honte, sans savoir pour quelle raison..., il voyait la neige pour la première fois." Le message que j'ai perçu de ce roman est que l'homme est un animal (bien que raisonnable) et que la nature est plus forte que tout. L'homme doit y retourner, revenir à ses racines libertaires. Jack London était socialiste et voulait donc atteindre la liberté en donnant davantage de liberté aux autres pour en avoir plus lui-même. Selon l'anarchiste Bakounine, plus les autres auront de liberté, plus la nôtre sera grande. On doit à Bakounine le précepte "Ni Dieu ni maître" et même si le roman ne cesse de montrer que la nature fonctionne avec des maîtres et des disciples, je crois que fondamentalement il se rapproche beaucoup plus du ni Dieu ni maître. Buck devra donc se libérer de cette condition.

Comme je le disais, je n'ai pas lu le roman avec un paradigme de roman jeunesse en tête mais tout converge vers cela. Le style est beaucoup trop simple. Jack London n'a pas un grand vocabulaire. Il me fait penser à Hemingway et son "Vieil homme et la mer". D'ailleurs William Faulkner reprochait à Hemingway de ne jamais permettre à ses lecteurs de chercher dans le dictionnaire. C'est un peu la même chose avec Jack London mais en plus, la construction, la forme sont simplistes. La littérature est un plaisir difficile mais qui récompense davantage que les plaisirs faciles que l'on rencontre quotidiennement dans nos vies. Pour cette lecture en particulier, je la rangerais plus dans les plaisirs faciles.

jeudi 14 août 2014

La faim, Knut Hamsun


Ma note: 8/10

Voici la quatrième de couverture:
"La seule chose qui me gênât un peu, c'était, malgré mon dégoût de la nourriture, la faim quand même. Je commençais à me sentir de nouveau un appétit scandaleux, une profonde et féroce envie de manger qui croissait et croissait sans cesse. Elle me rongeait impitoyablement la poitrine ; un travail silencieux, étrange, se faisait là-dedans."
 Knut Hamsun.
"On tourne les feuillets de ce livre étrange. Au bout de peu de temps on a des larmes et du sang plein des doigts, plein le coeur. La faim est le sujet même du livre avec tous les troubles intellectuels qu'entraîne une inanition prolongée. C'est moins un héros de roman qu'un cas de clinique."
 André Gide.

La narration est à la première personne: "C'était au temps où j'errais, la faim au ventre, dans Christiana, cette ville singulière que nul ne quitte avant qu'elle lui ait imprimé sa marque..." Dès le début du roman, on sent que le narrateur est quelque peu effrayé ou à tout le moins angoissé par le présent (ce qui est rare parce que l'angoisse est souvent quelque chose qu'on craint pour l'avenir) : "J'avais été un peu serré dans les derniers temps ; l'un après l'autre, mes effets avaient pris le chemin de «Ma tante», j'étais devenu nerveux et susceptible ; à deux ou trois reprises aussi j'étais resté au lit toute la journée, à cause de vertiges." Dernièrement, j'ai lu un roman où le personnage principal avait un peu les mêmes questionnements, "Les enfants tanner" de Robert Walser. Alors que ce dernier racontait les aventures d'un homme continuellement à la recherche d'un emploi, Hamsun concentre davantage son roman sur les symptômes de la pauvreté plutôt que sur la pauvreté en tant que telle et sur les questionnements métaphysiques que cela peut entraîner comme Walser l'avait fait avec "Les enfants Tanner". Robert Walser, de par son génie, avait réussi à objectiver une théorie de la liberté totale avec la vie de poète que menait Simon Tanner. Avec "La faim", Hamsun décrit surtout les côtés sombres de cette pauvreté matérielle qui elle, peut mener à la maladie. Le narrateur de "La faim" se fait refuser tous les emplois : "Ces multiples refus, ces demi promesses, ces «non» tout secs, ces espoirs tour à tour nourris et déçus, ces nouvelles tentatives qui à chaque fois tournaient à rien, avaient eu raison de mon courage." Il écrit beaucoup : "Tout l'été durant j'avais rôdé dans les cimetières ou dans le parc du Château où je m'asseyais et composais des articles pour les journaux, colonne après colonne, sur les choses les plus diverses : inventions bizarres, lubies, fantaisies de mon cerveau agité." Il essaie tout mais rien ne fonctionne, à l'exception de quelques petits travaux. Il parvient quand même à gagner quelques couronnes et à assouvir sa faim. Mais ensuite, il replonge et commence à perdre la tête, il devient méchant avec les gens vulnérables qu'il rencontre. Il perd le contrôle de sa personne, et l'ambiance créée par Hamsun rend merveilleusement bien la tension interne du narrateur. Son anxiété de départ se change en trouble profond de la personne. Certaines critiques comparent, et avec raison, le personnage de "La faim" avec le Raskolnikov de Dostoïevski qui lui, avait tué sa logeuse et vivait un intense bouillonnement intérieur. Hamsun parvient à décrire le sentiment d'être seul au monde lorsque la perte de contrôle se fait sentir, ce sentiment que le monde poursuit sa course folle joyeusement comme si de rien n'était : "Pas l'ombre de souci dans tous ces yeux que je voyais, pas le moindre fardeau sur ces épaules, peut-être pas une pensée nuageuse, pas une petite peine secrète dans aucune de ces âmes heureuses. Et moi, je marchais à côté de ces gens, jeune, tout frais éclos, et pourtant j'avais oublié déjà la figure du bonheur!" Écrivain du "Traité de la connaissance philosophique", le personnage principal et narrateur erre maintenant sans but, aliéné par un monde obscur. Le lecteur prend rapidement conscience, avec le talent de cet écrivain, que les classes sociales existent, et qu'il n'est pas facile de se retrouver en bas de l'échelle.

Roman biographique, en partie, parce qu'il raconte d'une façon romancée la vie de Knut Hamsun d'avant son succès. Roman psychologique aussi, parce qu'il décrit les tourments d'un être qui commence à éprouver de sérieux problèmes mentaux. Selon ce qu'on peut lire sur Wikipédia, ce bouquin est un précurseur du roman existentialiste du 20e siècle et des romans de Kafka, entre autres. Pour ma part, je crois qu'il est peut-être le premier roman du 20e siècle même s'il a été publié au 19e. Il marque une rupture avec le grand lyrisme hugolien et aussi avec le réalisme d'un Flaubert, d'un Zola. Il est aussi selon moi un précurseur du minimalisme en littérature. De plus, il met la table pour le modernisme qui suivra avec des noms comme James Joyce, Virginia Woolf et Marcel Proust.

Je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la littérature, surtout la littérature post-Don Quichotte, qui est le premier roman moderne, et ainsi, "La faim" de Knut Hamsun a rassasié cette passion parce qu'il représente une période charnière et qu'il est un chaînon important qui relie deux grandes époques. Conséquemment, j'ai trouvé ce roman fort intéressant. Il constitue une lecture importante, essentielle. L'histoire, le style d'écriture, la construction du roman sont simples mais d'une efficacité rare.

lundi 4 août 2014

Le loup des steppes, Hermann Hesse


Ma note: 8,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Expérience spirituelle, récit initiatique, délire de psychopathe, Le Loup des steppes multiplie les registres. Salué à sa parution en 1927 (entre autres par Thomas Mann, qui déclare : « Ce livre m’a réappris à lire »), interdit sous le régime nazi, roman culte des années 1960 et 1970, c’est une des œuvres phares de la littérature universelle du xxe siècle. Il méritait une nouvelle traduction. Le voici enfin rendu avec tout l’éclat de ses fulgurances, la troublante obscurité de ses zones d’ombre. Nouvelle traduction de l’allemand par Alexandra Cade.

Le roman s'ouvre sur une "fausse" préface de l'éditeur (qui elle, sera suivie des carnets d'Harry Haller de même qu'un traité sur le loup des steppes reçu par Harry) : "Cet ouvrage contient les carnets laissés par un homme que nous appelions "le Loup des steppes", surnom qu'il employait lui-même fréquemment. La question de savoir si son manuscrit requiert un avant-propos reste ouverte. Pour ma part en tout cas, je tiens à y ajouter quelques pages où je tenterai de retracer le souvenir que je garde de lui. Je sais bien peu de chose à son sujet; j'ignore notamment tout ce qui a trait à son passé et à ses origines. Cependant, sa personnalité m'a laissé une impression forte et, je dois dire, malgré tout positive." L'homme est d'une extrême solitude, même si ce fait ne sera pas très apparent dans ses carnets parce qu'il semble avoir une vie sociale. La première réaction des gens face à la solitude est d'être craintif et de s'en méfier. Tout ce qui est différent fait peur. Et dans cette préface d'une trentaine de pages, qui pourrait en elle-même servir de nouvelle littéraire, comme le traité sur le loup des steppes, démontre bien cette étrangeté que ressentait l'éditeur face au loup des steppes et à sa solitude, mais de plus, la préface démontre que cette crainte s'est estompée devant l'aura mystique du solitaire et que l'éditeur a fini par apprécier le loup et sa compagnie. Sa solitude, au sens allégorique et un peu au sens propre, prend toute la place, celle qui se réfère à cette citation d'Aristote : "Ainsi donc, il est évident que la cité existe par nature et qu'elle est antérieure à chaque individu ; en effet, si chacun isolément ne peut se suffire à lui-même, il sera dans le même état qu'en général une partie à l'égard du tout ; l'homme qui ne peut pas vivre en communauté ou qui n'en a nul besoin, parce qu'il se suffit à lui-même, ne fait point partie de la cité : dès lors, c'est un monstre ou un dieu." (Aussi il y a la citation de Schopenhauer que j'ai placé à la fin de ma chronique.) Lorsque l'éditeur rencontre le loup, il a une cinquantaine d'années, il vient louer une chambre chez sa tante : "De façon générale, on avait l'impression que cet homme venait d'un monde différent, peut-être de contrées situées au-delà des mers [...]".

Lorsque nous découvrons les carnets du loup des steppes, les choses deviennent plus subtiles que la préface de l'éditeur. Cette préface était le résultat de quelque chose, ce que le loup projette, alors qu'avec ses carnets nous voyons ce qu'il est, ce qu'il pense, d'un point de vue subjectif. Voici la définition que Harry Haller donne du loup des steppes, soit de sa propre condition : "Et de fait, si la majorité a raison, si cette musique dans les cafés, ces divertissements de masse, ces êtres américanisés aux désirs tellement vite assouvis représentent le bien, alors, je suis dans l'erreur, je suis fou, je suis vraiment un loup des steppes, comme je me suis souvent surnommé moi-même ; un animal égaré dans un monde qui lui est étranger et incompréhensible ; un animal qui ne trouve plus ni foyer, ni oxygène, ni nourriture." Il raconte ce qu'il lui arrive, la relation qu'il a avec les autres personnes et ainsi, nous ne voyons pas vraiment sa solitude, même si elle est là quand même. Le loup est un nouveau Nietzsche, comme lui, il a un corps qui souffre, il s'est retiré pour cristalliser sa pensée et ridiculiser les croyances contraires à la sienne. Toutefois, je le rapprocherais davantage de Schopenhauer parce qu'il fait pénétrer la philosophie orientale dans le monde occidental. Et contrairement à Nietzsche, Harry Haller est pessimiste et retourne sa pensée contre lui-même : "[...] il était lui-même toujours le premier à être la cible de ses sarcasmes, le premier à être l'objet de sa haine et de son désaveu..." L'esprit du loup des steppes est anarchique, en ce sens qu'il détruit tout pour mieux reconstruire et comme Nietzsche le disait lorsqu'il parlait des Grecs de l'antiquité, l'important c'est d'être "superficiel par profondeur !"

La forme du roman est calquée sur le modèle des "Souffrances du jeune Werther" de Goethe où un mystérieux manuscrit nous est présenté par l'éditeur. Le vocabulaire de ce roman dans l'ensemble est simple mais cela débouche quand même sur une forte esthétique remplie d'intelligence, de sagacité, etc. Kundera disait que l'esthétique d'un roman n'est pas limitée au style d'écriture. C'est plutôt un "tout", et sur cette base, "Le loup des steppes" est magnifique. Je ne m'attendais pas à un roman aussi proche de ce que procure la solitude, et Hesse parvient à éviter les clichés sur ce style de vie. Il nous présente un être rempli de paradoxes intérieurs, et sa pensée anarchique se mêle avec son style de vie bohème et cet être se rapproche, le plus qu'on puisse le faire, de ce que signifie la liberté totale. De plus, l'auteur réussit à mettre en mots ce que le solitaire ressent lorsqu'il retourne en société.

Je vous laisse sur cette citation de Schopenhauer, qui en rebutera plusieurs, par son radicalisme, mais aussi, selon moi, par sa clairvoyance. Elle est tirée de son livre si important pour moi, "Aphorismes sur la sagesse dans la vie", et qui représente bien certaines parties de ce roman, en tout cas c'est à cette citation que je pensais lorsque je le lisais, surtout dans sa première moitié :
La solitude offre à l'homme intellectuellement haut placé un double avantage : le premier, d'être avec soi-même, et le second de n'être pas avec les autres. On appréciera hautement ce dernier si l'on réfléchit à tout ce que le commerce du monde apporte avec soi de contrainte, de peine et même de dangers. " Tout notre mal vient de ne pouvoir être seuls ", a dit La Bruyère. La sociabilité appartient aux penchants dangereux et pernicieux, car elle nous met en contact avec des êtres qui en grande majorité sont moralement mauvais et intellectuellement bornés ou détraqués. L'homme insociable est celui qui n'a pas besoin de tous ces gens-là. Avoir suffisamment en soi pour pouvoir se passer de société est déjà un grand bonheur, par là même que presque tous nos maux dérivent de la société, et que la tranquillité d'esprit qui, après la santé, forme l'élément le plus essentiel de notre bonheur, y est mise en péril et ne peut exister sans de longs moments de solitude.