lundi 25 novembre 2013

L'homme qui tombe, Don DeLillo


Ma note: 6/10

Voici la quatrième de couverture: En cette matinée du 11 septembre 2001, il y a, dans la main de Keith, masqué de cendres, criblé d'éclats de verre et revenu d'entre les morts dans l'appartement de son ex-femme, Lianne, une mallette qui ne lui appartient pas et que sa main de rescapé serre, mécaniquement, de toutes ses forces. Tandis que Keith se rapproche et s'éloigne d'une autre femme rencontrée dans l'enfer des tours, avant de décider de finir sa vie assis devant une table de jeu dans le désert de Las Vegas, Lianne dérive entre l'inquiétude que lui causent l'attitude farouche et réticente de son propre fils, l'atelier d'écriture pour malades d'alzheimer dont elle a la charge, l'Homme qui Tombe, ce performeur que la police traque, la santé de sa mère qui vit depuis des années une incompréhensible liaison avec un mystérieux Européen, marchand d'art toujours entre deux avions, entre deux univers... Affrontant, avec les seules armes de son art, un monde en morceaux dont la représentation s'est perdue avec les attentats du 11 Septembre, Don DeLillo donne à voir les ressorts brisés de la belle machine humaine - psychisme, langage et corps impuissant confondus. Voyage au cœur de l'ADN de notre histoire commune, exploration magistrale des effets et des causes d'une catastrophe, ce roman fraye le chemin d'une catharsis qui autorise à regarder en face le Mal dans tous ses inévitables et fulgurants avènements.

La scène du début est un cliché. On a vu mille fois cet homme pris dans les cendres du World Trade Center, son attaché-case à la main, son veston, son air égaré de la fin des temps. Ensuite, on a droit aux journées post-11 septembre, aux deuils, un autre cliché qu'on a vu mille fois à la télévision, les médias insinuant qu'un millier de morts aux USA est plus important qu'un million de morts dans un pays moins riche. Mais peut-on en vouloir à DeLillo de nous ressasser ces clichés ? Je ne crois pas, il est Newyorkais et cet acte de terrorisme a bouleversé ses habitants. Et DeLillo amène quand même son roman plus loin que ces clichés et plus loin aussi que la littérature qui a suivi le 11 septembre 2011. Entre autres, il traite des traumatismes psychologiques qui ont suivi les attentats. Étant écrivain, il a la chance de pouvoir canaliser ses propres souffrances par écrit (qui eux seront lus, de surcroît). Ce roman passe aussi, avec quelques parties, du côté des terroristes mais on sent un DeLillo moins en confiance dans la description de la psychologie des personnages, n'ayant pas vécu cette partie de l'histoire.

Voici donc un roman qui joue sur la mémoire, sur la reconstruction après le drame, reconstruction autant physique que psychologique, sur l'existence de Dieu et de son rôle lors de ces événements. Le traumatisme est tellement grand, pour DeLillo et ses personnages, qu'il nomme cet événement "Les avions" et non pas "L'attentat du World Trade Center". C'est un livre qui ne prend pas de risque, où l'on sent la maturité de l'auteur mais où son génie habituellement frappant s'efface derrière une prose moins habile de ce qu'il nous a habitué par le passé. Comme Philip Roth, Cormac McCarthy et une foule d'autres auteurs, DeLillo a atteint son plein potentiel au milieu de son œuvre avec "Mao II" et "Outremonde". Ces grands génies écrivent des romans moins vivants, plus courts, plus simples, lorsqu'ils se rapprochent de la fin de leur carrière.

Il est intéressant de voir qu'avec "Libra", l'auteur traitait de la mort de JFK comme un complot, alors qu'ici, il prend la version officielle du gouvernement pour acquis. Plus un événement est éloigné dans le temps, plus les gens ont tendance à pencher pour la théorie du complot. L'homme qui tombe, c'est cet artiste, qui pourrait être n'importe qui, et qui hante les rues de New York. Il sert de symbole pour montrer le déclin de la civilisation, le thème central de l'œuvre de DeLillo. Et c'est l'art qui sert de rempart à tout cela, comme DeLillo l'avait fait avec "Mao II" en plaçant le terrorisme en relation avec l'art. Ici, c'est le terrorisme qui a gagné mais l'art, comme toujours, n'a pas dit son dernier mot, et cela, pour notre plus grand bonheur.

lundi 11 novembre 2013

Body art, Don DeLillo



Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: Après la mort de son mari Rey Robres, Lauren Hartke, artiste, découvre bientôt qu'elle n'est pas seule avec son deuil, son corps à discipliner et son temps à organiser. II y a un intrus dans la maison, un squatter d'origine inconnue, un être étrange et comme "inachevé". De sa physionomie, de son destin, de la plupart de ses propos, Lauren ne décrypte rien mais, dans sa voix, peu à peu, elle croit entendre non seulement la sienne, mais celle de Rey, puis leurs voix conjuguées leurs dernières conversations peut-être... Dans cette éblouissante variation beckettienne sur le corps, sur l'art et sur la mort, Don DeLillo explore les abîmes de la conscience, du langage, de l'espace et du temps. Un voyage philosophique en forme de descente aux enfers, au coeur de la condition humaine.

Exercice de style très proche de la poésie, "Body art" débute en laissant le lecteur dans la brume, et DeLillo exploite à merveille son génie stylistique où il décrit le quotidien de Lauren Hartke enfermée avec un homme au nom inconnu (son mari?). Il n'y a rien de clair dans les pensées de la femme. Elle semble vivre à la limite de l'absurde et de la maladie mentale, très reculée du monde réel, très éloignée tant physiquement que psychologiquement. DeLillo a pour habitude d'avoir un style qui allie la prose poétique et cinématographique, ce qu'il tente ici, tant bien que mal parce que sa poésie jaillie davantage que la cinématographie, étant donné la difficulté de la chose. De plus, la prose poétique de l'écrivain se marie parfaitement avec un très court roman comme celui-ci. Ensuite, une courte partie nous apprend la mort de Rey, son mari. Il était réalisateur de films, et son corps a été retrouvé dans l'appartement de sa première femme. Et surtout, nous apprenons que Lauren Hartke était sa troisième femme, qu'elle pratique le body art et qu'elle vivait avec un alcoolique maniaco-dépressif. La suite du bouquin est la rencontre de Lauren avec son "double" intérieur, et cela devient extrêmement proche de la trilogie de Samuel Beckett composée de "Molloy", "Malone meurt" et "L'innommable".

En effet, cette influence n'est pas seulement présente mais elle est un peu trop grande. Cela s'explique d'abord par le grand enthousiasme que porte l'écrivain à Beckett mais aussi, selon moi, par le fait que tout a été tenté et "essayé" en littérature et que justement, Beckett est peut-être le dernier superbe inventeur que le domaine des lettres ait connu. Parce que depuis ce temps, tout est une question de référence, d'influence et de plagiat dans les cas extrêmes. Et ce, dans tous les genres de romans. Malgré les grandes qualités de Don DeLillo, celui-ci ne peut échapper à ce piège inéluctable.

Aussi, "Body art" manque un peu d'originalité parce que ce genre de récit, celui de retrouver le personnage principal seul et à l'écart de la société après un décès, a maintes fois été écrit. DeLillo joue sur le thème du double inexistant, de l'ombre intérieure théorisée en psychanalyse par Carl Jung. On peut retrouver le thème du double dans la littérature classique, moderne et contemporaine. Notamment, il y a "Le double" de Dostoïevski, "Opération Shylock" de Philip Roth et "L'autre comme moi" de José Saramago. Chacun traite le thème à sa façon et Don DeLillo a choisi un être extérieur à Lauren, et malgré sa grande différence physique, il reflète son ombre intérieure et son côté inachevé. "Body art" se démarque en ayant un deuxième angle d'analyse, soit le retour de Rey sous une forme différente, et même un troisième angle avec la possibilité d'analyser le roman strictement avec le sujet de l'art et plus particulièrement des possibilités infinies du body art.

dimanche 3 novembre 2013

Mao II, Don DeLillo


Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Moon, Khomeiny, Mao – vu par Andy Warhol –, le terrorisme et le fanatisme, l’écrivain et son éditeur, une photographe, une téléphage, un archiviste monomane : Mao II prend thèmes et personnages au piège d’une illusion romanesque impitoyable, où la fin du XXe siècle peut se contempler, fascinée et inquiète. Avec la virtuosité qu’on lui connaît, DeLillo métamorphose en une fiction vertigineuse des problématiques aussi fondatrices que la politique à l’échelle internationale, le rôle des médias, la prégnance de l’image, son statut et sa multiplication dans les sociétés contemporaines.

Le début de "Mao II" m'a laissé perplexe parce que la première partie se déroule au Yankees Stadium et comme j'avais lu "Outremonde" dernièrement, j'ai retrouvé la même sensation et de plus, l'ambiance de cette scène est exactement la même, à un point tel où l'on croit relire "Outremonde". Par contre, on s'aperçoit rapidement que ce n'est pas la même chose parce qu'ici, ce n'est pas un match de baseball qui se joue, mais un mariage de masse, pour certains sectaires. Et cette scène du début commence à rappeler quelque peu la scène totalitaire de "1984" où les gens criaient leur haine à l'ennemi, même si les deux événements ont des buts opposés. DeLillo réussit à recréer l'angoisse des célébrations de masses où l'unification devient la monstruosité, la barbarie. Cette scène religieuse renvoie au piège de la foi aveugle où de nombreux croyants sont emprisonnés. Ensuite dans la deuxième partie (appelée "partie 1" dans le roman) le roman commence réellement. On est dans une librairie à New York, et nous découvrons le personnage de Scott Martineau et surtout de Brita, une photographe d'écrivains, qui s'est concentrée sur ces écrivains depuis son dégoût de photographier New York. Sur ce point, DeLillo a peut-être voulu montrer l'obsession de l'image, en prenant comme modèle des figures de l'écrit, en faisant d'eux des images immortalisées. Une autre facette du totalitarisme de la surface ! Et cette fois-ci elle veut prendre Bill Gray en photo, et Scott la conduira à Bill, qui lui, est le J.D. Salinger du roman. Comme lui, il se cache en haut d'une montagne. Aussi, la mariée du Yankees Stadium réapparaît dans cette partie. (Le roman est séparé en 4 parties). La troisième partie traitera d'un écrivain qui est fait prisonnier de terroristes mais reprendra surtout le récit de la deuxième partie, celui de Bill, Karen, Scott et Brita. Et finalement, la dernière partie nous conduira à Beyrouth.

On retrouve dans ce roman, et avec le plus grand des bonheurs, la poésie dans la prose de Don DeLillo qu'il avait abandonné dans "Libra". De plus, "Mao II" contient des dialogues extraordinairement biens écrits et les conversations ont souvent pour sujets les éléments perturbateurs de la société, ce qui gangrène le politique. Il est fascinant de lire DeLillo et de constater à quel point il est un écrivain de talent.

Alors, pour conclure, il est important de mentionner que "Mao II" est un livre sur l'écrivain et son rapport à la célébrité, sur l'art et son rapport à la réalité. C'est aussi un livre sur le danger de l'écriture qui aboutira sur un sujet stupéfiant, celui de la relation entre le terrorisme et l'art. C'est un peu la thèse de Roberto Bolaño qui est prouvée dans ce roman, thèse selon laquelle l'écriture consiste à se jeter dans le vide, à vivre dangereusement. On pourrait dire que "Mao II" est une pratique pour "Outremonde", son réel chef-d'oeuvre. "Mao II" est de beaucoup plus court (275 pages), les personnages sont plus attachants, plus humains, et les récits sont construits de la même façon, et certains thèmes sont les mêmes.