dimanche 24 février 2013

L'homme ralenti, J.M. Coetzee



Ma note: 7/10

Voici la quatrième de couverture: Vol plané au ralenti après le choc initial et retombée brutale sur le bitume d'un carrefour d'Adélaïde : mis à bas de son vélo par un jeune chauffard puis amputé d'une jambe, le sexagénaire Paul Rayment reprend connaissance d'un moi diminué sur son lit d'hôpital. Il refuse l'équilibre factice d'une prothèse, s'empêtre dans ses béquilles. Il lui faut désormais une auxiliaire de vie pour veiller au ménage et soigner le moignon. Marijana Jokic, l'immigrée croate, s'acquitte au mieux de sa tâche, mais ranime, à son corps défendant, le coeur en souffrance de Paul Rayment. Il va jusqu'à offrir de prendre tous les Jokic sous son aile. A la réalité inerte d'un membre artificiel, Paul substitue la chimère d'une famille fantôme qui prolongerait son monde rétréci. C'est alors qu'Elizabeth Costello frappe à sa porte. Prompt à le rappeler à l'ordre, ce double féminin bavard, intempestif et omniprésent s'acharne sans relâche à élaborer une fiction d'un homme amoindri et indûment épris qui aborde la vieillesse. La vie passée du jeune garçon transplanté d'Europe en Australie et le progrès difficile vers l'âge d'homme, entre deux langues et deux cultures, font place, dans la dignité précairement conservée et avec un humour résigné, à un questionnement sur le crépuscule qui nous attend.

Prix Nobel de littérature 2003, Coetzee est l'auteur sud-africain le plus reconnu dans le monde. Actuellement professeur de littérature dans une université américaine, cet écrivain, considéré comme génial par la plupart des critiques, traîne derrière lui nombre de cultures et ainsi, en plus de l'Afrique et des États-Unis, il y a en lui une culture australienne et anglaise. C'est un peu pour cette raison que l'on retrouve dans ce roman plusieurs cultures différentes à travers une foule de personnages très différents les uns des autres.

"L'homme ralenti" m'a rappelé, entre autres, des romans de Philip Roth ("Un homme" et "Exit le fantôme") et de Victor-Levy Beaulieu ("Bibi"). Comme ces derniers, c'est un roman sur la vieillesse, sur la perte de la santé, etc. Mais contrairement à eux, "L'homme ralenti" réserve quelques surprises, notamment un événement qui vient chambarder la vie du héros, et c'est à ce moment que l'on passe à la deuxième comparaison, soit celle avec "Le double" de Dostoïevski. En effet, comme pour le roman de Dostoïevski, un double du personnage principal arrive à l'improviste dans sa vie. Cela est amené d'une façon différente de Dostoïevski, mais il n'en demeure pas moins que cet événement impromptu bouleverse le réalisme du roman pour lui donner une touche ludique. On se demande d'où vient cette énergumène qui cherche à construire un récit à travers l'homme ralenti, Paul Rayment. Est-elle réelle ou est-elle tout droit sortie de l'imagination de Paul? Cela débouche sur une troisième analogie, soit celle avec Paul Auster. Eh oui, le postmodernisme vient faire une légère apparition dans le roman par le personnage de Costello, ce "double" à la recherche d'inspiration. Le roman nous offre par le fait même une leçon sur l'écriture, la fiction, l'imaginaire qui côtoie et s'imbrique même dans la réalité. Auster nous offre souvent l'hypothèse que l'écrivain doit s'enfermer pour écrire, pour trouver l'imagination, alors qu'ici, c'est un peu la thèse inverse, où Coetzee nous invite à réfléchir sur l'expérience de la vie qui donne matière à écrire.

En conclusion, j'ai trouvé le style de l'auteur correct mais sans plus. On n'est pas dans le grand lyrisme. Aussi, on le compare souvent à Philip Roth mais je préfère le souffle littéraire de Roth ainsi que le rythme qui parcourt ses romans. "L'homme ralenti" est un roman d'apprentissage pour adulte (je dirais même de réapprentissage) et la traduction rend mal un contenu qui avait tout pour plaire. Par moments, on croirait lire une pièce de théâtre parce que les personnages et l'action du récit semblent figés sur place. Et l'on en vient par se rendre compte que finalement, c'est un conte pour adultes, parfois bancal, parfois réussi, et qui devient plus complexe plus l'intrigue avance. Cependant il n'y a rien dans ce roman d'essentiel et de totalement intéressant.

mercredi 20 février 2013

L'homme sans qualités, Robert Musil



Ma note: 10/10

Voici la quatrième de couverture : tome 1 Ce livre étincelant, qui maintient de la façon la plus exquise le difficile équilibre entre l'essai et la comédie épique, n'est plus, Dieu soit loué, un “roman” au sens habituel du terme : il ne l'est plus parce que, comme l'a dit Goethe, “tout ce qui est parfait dans son genre transcende ce genre pour devenir quelque chose d'autre, d'incomparable. Son ironie, son intelligence, sa spiritualité relèvent du domaine le plus religieux, le plus enfantin, celui de la poésie. tome 2 Dans ce roman, qui comporte jusqu'ici 1800 pages, Musil a pour principe de choisir de minces coupes de vie qu'il modèle en profondeur et donne à sa description du monde une ampleur universelle. Le livre a été salué dès sa parution comme une des grandes oeuvres du roman européen. Sous prétexte de décrire la dernière année de l'Autriche, on soulève les questions essentielles de l'existence de l'homme moderne pour y répondre d'une manière absolument nouvelle, pleine à la fois de légèreté ironique et de profondeur philosophique. Narration et réflexion s'équilibrent parfaitement, de même que l'architecture de l'immense ensemble et la plénitude vivante des détails. Texte de présentation par Robet Musil en 1938.

Il n'est pas facile de critiquer un roman parfait, qui plus est, un classique. Je me suis fait un devoir (et surtout un plaisir) de lire ce volumineux livre de 1800 pages au complet. Sa structure paraît simple même si elle est d'une extrême complexité. L'intrigue est simple, l'histoire aussi, et ce qui ressort, ce sont les digressions. En fait, le récit se fond dans les digressions, le résultat devient donc très nuancé. De plus, le roman (et l'auteur) pose plus de questions qu'il ne donne de réponses. En général, la première comparaison que je peux faire est celle avec l'oeuvre de Kundera. C'est même ce dernier qui m'a fait connaître Musil dans un de ses essais sur la littérature. Musil est le précurseur de Kundera. Les deux ont Nietzsche et Goethe comme source principale et les deux nous offrent des romans où la digression devient l'élément central de l'histoire. Par contre, Kundera use surtout de digressions à l'extérieur du récit (à l'intérieur de chapitres différents) en plaçant son histoire sur pause alors que Musil les intègre dans le texte, ce qui donne davantage de profondeur au récit (selon moi). Un autre rapprochement avec un auteur contemporain est celui avec Philippe Sollers et surtout avec son roman sur Nietzsche "Une vie divine". Il s'est grandement inspiré de Musil dans son rapprochement de Nietzsche avec le Christ. Il y a même des passages presque semblables.

Les thèmes de "L'homme sans qualités" sont variés et nombreux. Il y a la science qui prend une place prépondérante (il ne faut pas oublier que Robert Musil est avant tout un scientifique), la philosophie, le désir, l'âme, la psychanalyse, l'économie politique où le personnage d'Arnheim prend un rôle important. D'ailleurs ce personnage est inspiré de Walther Rathenau, un industriel partisan de la social-démocratie. Ce roman de Musil est aussi une analyse sociologique efficace sur son époque. C'est le livre parfait que je rêverais d'écrire. C'est un roman moderne, un pionnier même, bien meilleur que le "Ulysse" de Joyce. Il se lit comme une agonie, notamment parce que l'éditeur a placé les ébauches, les brouillons, les plans, etc., dans la deuxième moitié du dernier tome, et ainsi, on avance vers la fin en sachant que Musil approchait lui aussi de sa mort. C'est saisissant.

La plume de l'auteur est elle aussi parfaite. Son style, bien que froid et chirurgical, rend à la perfection le propos et les aventures des personnages principaux (peu nombreux). Je crois que le premier tome est meilleur que le deuxième parce que le roman est tellement long que notre surprise de découvrir un grand auteur est effacée lors de la lecture du dernier tome. Pour le contenu, je m'attendais à plus de Schopenhauer (son nom n'apparaît que deux fois) que de Nietzsche parce que Musil semble avoir une conscience plus proche de Schopenhauer. Il se dit influencé par Nietzsche et les personnages du roman ne cessent de le citer. Pourtant, ce genre de roman, un peu nihiliste et mélancolique, se prête en général mieux avec la philosophie de Schopenhauer. Aussi, Musil déconstruit la psychanalyse en s'attaquant à Freud comme le démontre très bien ce texte sur ces deux auteurs : Musil et la psychanalyse. En conclusion, je dirai que les auteurs autrichiens ne cessent de me surprendre, entre autres par leur qualité stylistique du roman, leur esthétique. Le trio Musil-Bernhard-Jelinek contient peut-être les trois meilleurs écrivains du 20e siècle.

mardi 12 février 2013

Mon nom est rouge, Orhan Pamuk



Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Istanbul, en cet hiver 1591, est sous la neige. Mais un cadavre, le crâne fracassé, nous parle depuis le puits où il a été jeté. Il connaît son assassin, de même que les raisons du meurtre dont il a été victime : un complot contre l'Empire ottoman, sa culture, ses traditions et sa peinture. Car les miniaturistes de l'atelier du Sultan, dont il faisait partie, sont chargés d'illustrer un livre à la manière italienne... Mon nom est Rouge, roman polyphonique et foisonnant, nous plonge dans l'univers fascinant de l'Empire ottoman de la fin du XVIe siècle, et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page par un extraordinaire suspense. Une subtile réflexion sur la confrontation entre Occident et Orient sous-tend cette trame policière, elle-même doublée d'une intrigue amoureuse, dans un récit parfaitement maîtrisé. Un roman d'une force et d'une qualité rares.

Et cette présentation de l'éditeur est tout à fait juste. Mais avant, parlons un peu des nobélisés. Je dois dire que j'ai lu une foule d'auteurs ayant reçu le prix Nobel de littérature et plus particulièrement ceux l'ayant reçu après les années 80. Et chaque récipiendaire le méritait pleinement. Bien sûr qu'il y a des oubliés, parce que c'est un prix tellement rare et difficile à remporter que le contraire serait invraisemblable. Sur les milliers d'auteurs (sinon les millions) dans le monde, il y a seulement un gagnant par année. Certains choix sont critiqués à cause de leur caractère politique. Pour ma part, ceux que j'ai lus sont tous excellents. Ainsi, pour moi, le comité du Nobel a toujours raison.

Orhan Pamuk, quant à lui, a reçu le prix en 2006 et encore une fois (et c'est la première fois que je le lisais) je découvre un auteur extraordinaire. Qui plus est, il me fait découvrir une culture qui m'est inconnue dans un siècle tout aussi rarement discuté dans les sources d'information de masse. Je pourrais passer la journée à vous dire tout le bien que j'ai pensé de ce roman mais parlons seulement de sa forme. C'est un roman historique, et ce qui frappe ici, c'est la structure de l'oeuvre. Elle est éclatée. Les chapitres sont cours (et donc très nombreux étant donné l'aspect volumineux du roman), écrits à la première personne et avec des narrateurs différents à chaque changement de chapitre où certains de ces narrateurs reviennent. En plus, ce n'est pas seulement des humains qui parlent, il y aussi une couleur (d'où le titre de l'ouvrage), un animal, la mort, le diable, un arbre, l'argent, etc. Dès le départ, les narrateurs s'adressent au lecteur sans "l'hypocrisie" littéraire.

C'est un roman contemporain écrit dans un style puissant. C'est aussi un roman policier où l'intrigue nous rappelle même un écrivain comme Agatha Christie. Il n'y a pas vraiment de défauts dans ce roman, tout est à peu près parfait et les rapprochements avec les grands auteurs peuvent être nombreux sans tomber dans l'esbroufe, dans le plagiat, etc. Par moments je pensais à Shakespeare mais dans l'ensemble, Pamuk a son propre style. Les personnages sont tous attachants, et il vient un moment où les bons et les méchants se fondent les uns dans les autres. La subtilité de l'oeuvre l'emporte sur tout et la beauté de l'écriture est éclairante. En fait, tout est là pour nous donner un grand roman !

dimanche 3 février 2013

L'ombre en fuite, Richard Powers




Ma note : 5,5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Washington. Adie Klarpol, une jeune artiste désillusionnée, est engagée par une compagnie d'informatique pour travailler sur un système expérimental, " la Caverne ". Ce simulateur d'univers virtuels en 3D permet de revisiter, entre quatre murs, les chefs-d'œuvre de l'art. Beyrouth. Taimur Martin, professeur d'anglais, est pris en otage par des fondamentalistes islamistes. Seul dans un cachot, il n'a que sa mémoire et son imagination pour s'évader. Un simulateur d'univers virtuels, un cachot: deux pièces dissemblables, toutes deux ouvertes à toutes les transformations, l'une par la magie de l'informatique, l'autre par la ténacité de l'esprit humain. Deux univers a priori inconciliables dont Richard Powers, avec son sens renversant du romanesque, tire une polyphonie grandiose. Le romancier explore le destin de l'art à l'époque du virtuel, celui de la mémoire à l'époque de l'informatique et questionne une fois de plus les rapports entre science, histoire et imagination.

Il est très hasardeux d'écrire un roman sur l'univers de l'informatique en général. C'est un sujet qui vieillit mal, c'est le moins que l'on puisse dire, et en quelques années seulement, le roman peut devenir obsolète. La technologie change, de même que ses termes, ses références, son propos, etc. Ici, on fait face un peu à ce genre de problème. On est dans la réalité virtuelle.

Et c'est raté selon moi. Autant "La chambre aux échos" et "Le temps où nous chantions" frappaient dans le mille avec des sujets et des récits extraordinaires, autant "L'ombre en fuite" est d'une inutilité presque totale. On ne sait pas trop où l'auteur veut nous amener, et cela perdure tout le roman, hormis à la fin où un léger développement se pointe à l'horizon. Aussi, c'est un roman qui n'a pas vraiment d'ancrage de genre. C'est un thriller raté, un roman contemporain sans qualités littéraires et par moments, on se croirait dans le genre de la science-fiction.

L'écriture de Powers est aussi décevante que le reste (sinon plus). L'histoire en parallèle, la deuxième intrigue où l'on suit un otage dans un pays musulman, est écrite au "Vous" et cela donne un résultat plus qu'ordinaire. Je hais ce genre d'exercice stylistique écrit au "Tu", au "Nous" et comme dans le présent, au "Vous". L'esthétique qui s'en dégage est repoussante et la difficulté de notre lecture s'en retrouve augmentée sans rien apporter en retour.

En conclusion, d'une façon objective, je ne dirais pas que c'est le pire roman que j'ai lu (d'où ma note). Certains trouveront probablement leur compte, notamment, parce que je ne suis pas le meilleur chroniqueur pour ce genre de livre, étant donné que je deviens embarrassé assez rapidement dans ces univers virtuels. Pour un vrai un roman de science-fiction, avec de vraies chutes, de la grandiloquence simple et efficace, je vous conseille beaucoup plus Philip K. Dick et ses romans "Coulez mes larmes, dit le policier", "Ubik" et "Le temps désarticulé". Avec "L'ombre en fuite", on est peut-être davantage dans la science, le réel augmenté, mais l'aspect littéraire (dans son sens large) est plutôt......diminué !