mardi 27 novembre 2012

Le Secret, Philippe Sollers



Ma note: 7,5/10

Voici la quatrième de couverture: «Ce n'est pas tous les jours qu'on peut avoir entre les mains les confessions non trafiquées ou non réécrites d'un agent secret. Au contraire des fictions fantaisistes ou fantastiques qui sont données d'habitude en pâture à la crédulité du public, voici un livre de base, clair, simple, et qu'on espère aussi inquiétant qu'émouvant, aussi instructif que drôle. Le récit porte sur plusieurs points cruciaux de l'envers de l'histoire contemporaine : l'attentat, resté si mystérieux, contre le Pape, en 1981, à Rome ; les raisons profondes de la décomposition et de la recomposition de l'ancien équilibre du Mensonge et de la Terreur ; la redistribution, partout accélérée, des pouvoirs occultes ; la montée générale de la corruption, du crime organisé et du tout-marchandise (à commencer par le marché de la reproduction mécanique des corps humains). Un homme parle : on le voit dans sa vie intime sans cesse menacée ; affronté à ses supérieurs et souvent soupçonné par eux ; tentant de survivre dans la guerre implacable du Renseignement ; dévoilant enfin, avec une conviction étrange, les ressorts du monde violemment antinaturel dans lequel nous sommes désormais jetés.»

Cette quatrième de couverture a été écrite par Philippe Sollers lui-même et je ne crois pas que l'on pourrait faire mieux. Notamment parce qu'il n'y pas vraiment d'histoire dans ce roman et encore moins d'intrigues, donc un résumé est impossible à faire.

En littérature, une digression c'est le récit qui s'égare du sujet principal pour nous entretenir de sujets variés, intellectuels ou non. Ici, on ne peut pas appeler cela des digressions parce qu'il n'y a pas de sujet principal. Tout le roman est une digression et donc, on est davantage dans un flux de pensées, plus ou moins cohérent. Par moments, le bouquin m'a rappelé les romans d'Elfriede Jelinek, mais sans le début d'une histoire. Sollers est aussi beaucoup moins talentueux que la grande écrivaine qu'est Jelinek.

Alors, je ne pense pas qu'on soit dans l'art du roman avec ce livre. C'est plutôt, selon moi, un essai sur l'histoire des idées. Plusieurs thèmes sont abordés mais aucun n'est creusé. L'auteur nous montre sa grande érudition, sa très grande érudition même, mais les amateurs du roman-roman subiront une déception extrême. C'est à mille lieues du thriller et même du roman contemporain. Prenez les digressions dans les romans de Kundera, accordez-les bout à bout et vous aurez une meilleure idée de ce "Secret".

Je me demande si Sollers sera lu dans quelques décennies. Parce que ce roman date de 1993 et on sent déjà qu'il n'a pas très bien vieilli. Alors imaginer sa pertinence dans 20 ou 30 ans n'est pas chose facile ni évidente. J'ai trouvé son style d'écriture beaucoup trop charcuté, interrompu par une ponctuation trop lourde. À chaque deux ou trois mots il y a soit une virgule ou un point. Les énumérations sont nombreuses, c'est le moins qu'on puisse dire, et cela débouche sur un style lourd. Après une centaine de pages on s'y habitue sans être totalement convaincu. Bref, c'est une lecture qui laisse perplexe, et cela me prendra quelques semaines avant de savoir si "Le Secret" de Sollers en valait vraiment la peine, s'il m'en est resté quelque chose. Par contre, en terminant, je dois dire que, malgré tout, je n'ai pas détesté ma lecture et c'est même un bon livre dans l'ensemble. Ce qui explique ma note supérieure à sept sur dix.

jeudi 22 novembre 2012

Contre-jour, Thomas Pynchon



Ma note: 8,5/10

Voici la quatrième de couverture: Avec ce roman planétaire et foisonnant qui débute par l'Exposition universelle de Chicago, en 1893, pour s'achever au lendemain de la Première Guerre mondiale, à Paris, Pynchon réussir son oeuvre la plus ambitieuse et la plus émouvante. S'attachant à dépeindre aussi bien les luttes anarchistes dans l'Ouest américain que la Venise du tournant du siècle, les enjeux ferroviaires d'une Europe sur le point de basculer dans un conflit généralisé, les mystères de l'Orient mythique ou les frasques de la révolution mexicaine, l'auteur déploie une galerie de personnages de roman-feuilleton en perpétuelle expansion - jeunes aéronautes, espions fourbes, savants fous, prestidigitateurs, amateurs de drogues, etc. -, tous embringués dans des mésaventures dignes des Marx Brothers. Au coeur du livre, la famille Traverse : Webb, mineur et as de la dynamite, exécuté sur ordre du ploutocrate Scarsdale Vibe ; ses enfants, tous hantés par la mort de leur père, certains bien décidés à le venger, d'autres déjà avalés par les contradictions du siècle naissant. Et gravitant autour d'eux, tels des astres égarés, quelques figures hautes en couleur, qui toutes ont un compte à régler avec le pouvoir. Veillant sur ce « petit monde », quelque part dans les airs : les Casse-Cou, bande de joyeux aéronautes qui, avec le lecteur, suivent non sans Inquiétude la lente montée des périls. Empruntant avec jubilation à tous les genres - fantastique, espionnage, aventure, western, gaudriole -, rythmé par des Incursions dans des temps et des mondes parallèles, écrit dans une langue tour à tour drolatique et poignante, savante et gourmande, Contre-jour s'impose comme une épopée toute tendue vers la grâce.

Et cette grâce est rendue, en français, par un traducteur extraordinaire. Comme je l'écrivais lors de ma précédente critique - celle de "Vice caché" de ce même Pynchon - la traduction de cet auteur doit être extrêmement difficile à rendre dans une langue nuancée comme le français. Mais ici, avec Claro, ce traducteur que je ne connaissais pas et qui m'a ébloui, tout est parfait, à l'exception de quelques mots d'argot ici et là. Avec 1200 pages à traduire, on peut dire qu'il a fait un travail remarquable.

Ce qui me conduit à parler de l'auteur. Sa plume coule, elle est d'une fluidité digne d'un Dostoïevski mais avec la retenue d'un Tolstoï. Tout en métaphysique, comme Dostoïevski, il touche à plusieurs genres, un peu comme le "2666" de Roberto Bolaño. De plus, il partage plusieurs aspects de la forme de "2666", notamment les divisions de son corpus de même que sa voluminosité. Pynchon nous signe ici un chef-d'oeuvre qui pourrait nous divertir (et nous interroger) sur plusieurs lectures consécutives. Ce qui en fait un des bouquins les plus littéraires qu'il m'ait été donné de lire, avec ses nombreux angles possibles d'analyses.

Son côté historique ressort de l'ensemble de l'oeuvre et d'une lecture plus globale (comme je l'ai approché lors de cette première lecture). L'anarchisme traverse tout le bouquin et le fantastique est davantage présent de ce que j'aurais cru. Les fils conducteurs entre les parties sont tellement minces qu'ils nous échappent la plupart du temps. D'autres relectures s'imposent donc, pour y découvrir le sens de l'oeuvre, de même que ses détails.

C'est du grand art, mais je ne suis pas certain que le livre forme un tout. Le roman est d'une subtilité déstabilisante. Le New Age scientifique, mathématique, vient rajouter une complexité peut-être pas nécessaire. Je ne sais pas trop. Mais une chose est sûre, c'est que ce livre est d'une originalité que j'ai rarement lue et je le relirai certainement. L'histoire en tant que telle nous joue des tours, mais attendons avant de se prononcer pleinement sur le contenu de celle-ci. Oui, attendons.

mardi 6 novembre 2012

Nouvelles histoires du Wyoming, Annie Proulx



Ma note: 5/10

Voici la présentation de l'éditeur: Une fois encore, Annie Proulx nous plonge au coeur de l'Ouest américain, âpre désert de beautés et de dangers, à la rencontre de personnages isolés, tourmentés, qui avancent coûte que coûte sur une route dont ils sont à la fois les héros et les prisonniers. C'est à un voyage jusqu'à l'ultime frontière d'un monde presque disparu, et jusqu'aux dernières franges de l'âme des hommes, qu'elle nous convie, elle qui sait comme personne conjuguer le réalisme et l'intime pour explorer le mythe américain, le confronter à ses contradictions et ses excès, ses violences et ses splendeurs. Annie Proulx est née en 1935 dans le Connecticut. Pour son premier roman, " Cartes postales " (1992), elle reçoit le PEN/Faulkner Award et l'année suivante, avec " Noeuds et dénouements " (Cahiers rouges, 2005), elle obtient le prestigieux prix Pulitzer et le National Book Award. Suivront " Les Crimes de l'accordéon " (Grasset, 2004), " Un as dans la manche " (Grasset, 2005) et la nouvelle " Brokeback Mountain " (Grasset, 2006), qui a inspiré le célèbre film d'Ang Lee. Considérée comme l'un des plus grands écrivains américains, Annie Proulx vit aujourd'hui dans le Wyoming.

Ce n'est certainement pas avec ce recueil que je me réconcilierai avec l'art de la nouvelle. J'ai une extrême difficulté à lire cette forme. C'est complètement différent d'un roman, notamment parce qu'on n'a pas le temps d'embarquer dans l'histoire, la chute arrive sans même nous laisser le temps de reprendre notre souffle. De plus, souvent, les grands écrivains changent quelque peu leur façon d'écrire pour rentrer dans un nombre de pages restreint.

Avec "Nouvelles histoires du Wyoming" c'est le même problème qu'on rencontre. Je venais de lire Annie Proulx pour la première fois avec "Un as dans la manche" et sa plume m'avait enchantée. Je la comparais aux plus grands tellement la fluidité de sa prose était marquante et le vocabulaire recherché. Mais ici, tout cela est effacé derrière cette forme littéraire, la nouvelle, qui enlève, selon moi, la substance des mots, des phrases, de la prose. Il y a Tolstoï qui s'en sort bien dans cet art, entre autres avec "La mort d'Ivan Ilitch" que j'avais adoré. Stephen King n'est pas mal non plus, dans le genre thriller-horreur.

Dans le présent recueil j'ai détesté plusieurs nouvelles et trouvé banal la plupart. Celle avec les Indiens, la deuxième ("Reconstitutions des guerres indiennes") offre de bons moments de lecture, surtout le passage du film disparu (celui de Buffalo Bill) et qu'un personnage dans le récit avait retrouvé plusieurs décennies plus tard. Proulx nous explique que ce fût un des premiers films et qu'il n'avait pas rencontré le succès. Il mettait en scène une reconstitution dans laquelle des Indiens d'Amérique y jouaient leur propre rôle et que certains d'entre eux avaient placé de vraies balles lors de la reconstitution pour se venger. Bref, un film du début du 20e siècle qui semblait magnifique mais qui avait disparu avec le temps.

Je n'ai pas remarqué de thèmes qui relient les histoires entre elles. Alors, le seul sujet qui les relie est l'état du Wyoming et la vie parfois difficile dans les grands espaces.

Enfin, je crois que l'on doit être un grand lecteur (et un passionné) des nouvelles littéraires pour bien apprécier ce recueil. Le style d'écriture se rapproche davantage du journalisme que du grand art lyrique. Et pour ma part, je crois que je prendrai une pause de quelques années avant de relire cette auteure, parce qu'après deux bouquins, cela n'a pas très bien débuté.

lundi 5 novembre 2012

Un as dans la manche, Annie Proulx



Ma note: 7/10

Voici la présentation de l'éditeur : Abandonné par ses parents partis en éclaireurs en Alaska pour n'en jamais revenir, Bob Dollar est élevé par l'oncle Tam, un brocanteur. A vingt-quatre ans, après de nombreux petits boulots, Bob est engagé par une porcherie industrielle, la " Mondiale de la Couenne ", qui l'envoie au fin fond du Texas pour repérer les terrains à racheter à des veuves désespérées par les odeurs pestilentielles, à des fermiers découragés par la pollution des nappes phréatiques, à des héritiers pressés de fuir l'aridité de ces immenses plaines. Face à ces enfants de pionniers, Bob va devoir jouer serré, tricher, amadouer cette Amérique profonde où la brutalité sauvage le dispute à la générosité. Dans un style imagé et puissant, Annie Proulx nous restitue une certaine Amérique menacée de disparition.

Malgré un nom très Québécois, Annie Proulx est bel et bien une Américaine, qui a par contre des origines québécoises. Elle a même fait une partie de ses études à Montréal et à l'instar de Jack Kerouac, elle semble attachée à ses racines. Habituée des prix littéraires américains, et non les moindres comme le National Book award (le plus prestigieux) et le Pulitzer. C'est la première fois que je lisais un de ses livres et elle est une incontournable pour qui s'intéresse à la littérature américaine. Notamment, elle est un des auteurs préférés de Stephen King et bien d'autres.

D'entrée de jeu, je pourrais la comparer à Philip Roth et Cormac McCarthy. Je crois qu'elle est un croisement entre les deux et ce roman est éloquent à ce sujet. Elle a une plume très recherchée, un peu comme McCarthy et elle aussi fait dans la littérature des grands territoires, de la campagne. Et dans une moindre mesure, on pourrait dire qu'elle retire de Roth les portraits qu'elle trace de ses personnages, la forme qu'elle emploie. Elle retrace leur origine un peu à la manière du grand Philip Roth.

Ensuite, à la lecture de ce roman, on pourrait dire que cela paraît qu'elle est une habituée des nouvelles littéraires. Les chapitres dans ce roman sont bien tranchés (presque écrits en "scènes" comme les classiques), et souvent, on a droit à des histoires différentes même si la toile de fond reste la même, avec Bob Dollar comme fil conducteur.

Et pour l'histoire en tant que telle, "Un as dans la manche" m'a rappelé "Les âmes mortes" de Gogol. Un étranger débarque dans une région pour trahir à peu près tout le monde. Sauf que celui de Gogol était beaucoup plus intéressant. Le personnage principal était une sorte de métaphore du diable. Ici, Bob Dollar (quel nom ringard en passant) est quelque peu idiot et le récit de Proulx est amené avec tellement de subtilité qu'on se demande où elle veut bien nous conduire. Elle cherche à traiter plusieurs thèmes sans en approfondir un seul. Par exemple, une critique du capitalisme s'en dégage mais sans réelle conviction, de même que sa prise de position en faveur des régions, du grand territoire.

Pour terminer, voici un roman bien écrit mais sans intérêt. L'histoire est souvent boiteuse, les personnages inintéressants et l'intrigue peine à prendre sa place. Il y a même un léger soupçon de thriller mais il est tellement effacé qu'on le remarque à peine (vers la fin). Par contre, le style de l'auteure est solide et la prose est fluide, ce qui n'en fait pas une lecture déplaisante.