Dans des hôtels qui avaient l'air d'organismes vivants. Dans des hôtels pareils à l'intérieur d'un chien de laboratoire. Enfoncés dans la cendre. Ce type-là, à moitié nu, mettant la même chanson encore et encore. Et une femme, la projection holographique d'une femme, sortait sur la terrasse contempler le cauchemar ou les éclats. Personne ne comprenait rien. Tout était raté : le son, la perception de l'image. Des cauchemars ou des éclats encastrés dans le ciel à neuf heures du soir. Dans des hôtels qui avaient l'air d'organismes vivants de films de terreur. Comme lorsqu'on rêve qu'on tue quelqu'un qui n'en finit jamais de mourir. Ou comme cet autre rêve : celui du type qui évite une agression ou un viol et cogne sur l'agresseur jusqu'à mettre ce dernier par terre et là il continue à le cogner et une voix (mais quelle voix ?) demande à l'agresseur comment il s'appelle et l'agresseur dit ton nom et tu arrêtes de cogner et dis ce n'est pas possible, c'est mon nom, et la voix (les voix) disent que c'est un hasard, mais toi dans le fond tu n'as jamais cru aux hasards. Tu dis : on doit être parents, tu es le fils de l'un de mes oncles ou de mes cousins. Mais lorsque tu le relèves et que tu le regardes, si maigre, si fragile, Tu comprends que cette histoire aussi est un mensonge. C'est bien toi l'agresseur, le violeur, l'inepte braqueur Qui erre dans les rues inutiles du rêve. Alors tu retournes aux hôtels-coléoptères, aux hôtels-araignées, lire de la poésie au bord de la falaise.
les chiens romantiques (extraits), Roberto Bolaño et Roberto Amutio pour la traduction de l'espagnol (Chili). Christian Bourgois éd.
Poème
Écoutez ! Puisqu'on allume les étoiles, c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires? C'est que quelqu'un désire qu'elles soient? C'est que quelqu'un dit perles ces crachats? Et, forçant la bourrasque à midi des poussières, il fonce jusqu'à Dieu, craint d'arriver trop tard, pleure, baise sa main noueuse, implore il lui faut une étoile! jure qu'il ne peut supporter son martyre sans étoiles.
Ensuite, il promène son angoisse, il fait semblant d'être calme. Il dit à quelqu'un : "Maintenant, tu vas mieux, n'est-ce pas? T'as plus peur ? Dis ? " Écoutez ! Puisqu'on allume les étoiles, c'est qu'elles sont à quelqu'un nécessaires ? c'est qu'il est indispensable, que tous les soirs au-dessus des toits se mette à luire seule au moins une étoile?
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à côté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait!
Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Poème
Non, mon âme n'est pas une lâche, Une qui tremble dans la sphère tourmentée du monde. Je vois briller les splendeurs du Ciel Et la Foi brillant à leur égal m'arme contre la Peur
Ô Dieu en mon sein Toute-puissante, toujours présente Déité Vie, qui en moi a repos Comme en toi, Vie qui ne Meurs, j'ai pouvoir
Vaines sont les mille croyances Qui agitent le coeur humain, indiciblement vaines, Aussi inaptes qu'herbes fanées Ou sur l'océan infini la plus futile écume
A semer le doute en un être Si fort attaché à ton infinité, Si sûrement ancré Au roc immuable de l'immortalité
D'un amour étreingnant l'espace Ton esprit anime les années éternelles Il pénètre et là-haut plane Tranforme, soutient, dissout, crée et fait croître
Si terre et lune étaient disparues Si soleils et univers cessaient d'être Et que toi seul demeures Toute Existence en toi existerait
Il n'y a point place pour la Mort Ni d'atome qu'elle ait force d'annuler Puisque Tu est l'Être et le Souffle Et que ce que tu es, rien jamais ne le peut le détruire
Emily Brontë
Poème
" Brillante étoile ! Que ne suis-je comme toi immuable, Non seul dans la spendeur tout en haut de la nuit, Observant, paupières éternelles ouvertes, De la nature patient ermite sans sommeil, Les eaux mouvantes dans leur tâche rituelle, Purifier les rivages de l'homme sur la terre, Ou fixant le nouveau léger masque jeté, De la neige sur les montagnes et les landes- Non-mais toujours immuable, toujours inchangé, Reposant sur le beau sein mûri de mon amour, Sentir toujours son lent soulèvement, Toujours en éveil dans un trouble exquis, Encore son souffle entendre, tendrement repris, Et vivre ainsi toujours-ou défaillir dans la mort. "
John Keats
Poème
En février, la vie était à l'arrêt. Les oiseaux volaient à contrecoeur et l'âme raclait le paysage comme un bateau se frotte au ponton où on l'a amarré. Les arbres avaient tourné le dos de ce côté. L'épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes. Les traces de pas vieillissaient sur les congères. Et sous une bâche, le verbe s'étiolait. Un jour, quelque chose s'approcha de la fenêtre. Le travail s'arrêta, je levai le regard. Les couleurs irradiaient. Tout se retournait. Nous bondîmes l'un vers l'autre, le sol et moi.
Tomas Tranströmer
Poème
Un spectre m’attendait dans un grand angle d’ombre, Et m’a dit : — Le muet habite dans le sombre. L’infini rêve, avec un visage irrité. L’homme parle et dispute avec l’obscurité, Et la larme de l’œil rit du bruit de la bouche. Tout ce qui vous emporte est rapide et farouche. Sais-tu pourquoi tu vis ? sais-tu pourquoi tu meurs ? Les vivants orageux passent dans les rumeurs, Chiffres tumultueux, flot de l’océan Nombre, Vous n’avez rien à vous qu’un souffle dans de l’ombre ; L’homme est à peine né, qu’il est déjà passé, Et c’est avoir fini que d’avoir commencé. Derrière le mur blanc, parmi les herbes vertes, La fosse obscure attend l’homme, lèvres ouvertes. La mort est le baiser de la bouche tombeau. Tâche de faire un peu de bien, coupe un lambeau D’une bonne action dans cette nuit qui gronde ; Ce sera ton linceul dans la terre profonde. Beaucoup s’en sont allés qui ne reviendront plus Qu’à l’heure de l’immense et lugubre reflux ; Alors, on entendra des cris. Tâche de vivre ; Crois. Tant que l’homme vit, Dieu pensif lit son livre. L’homme meurt quand Dieu fait au coin du livre un pli. L’espace sait, regarde, écoute. Il est rempli D’oreilles sous la tombe, et d’yeux dans les ténèbres. Les morts ne marchant plus, dressent leurs pieds funèbres ; Les feuilles sèches vont et roulent sous les cieux. Ne sens-tu pas souffler le vent mystérieux ?
Victor Hugo
Poème
Toujours tendre me fut ce solitaire mont, Et cette haie qui, de tout bord ou presque, Dérobe aux yeux le lointain horizon. Mais couché là et regardant, des espaces Sans limites au-delà d'elle, de surhumains Silences, un calme on ne peut plus profond Je forme en mon esprit, où peu s'en faut Que le cœur ne défaille. Et comme j'ois le vent Bruire parmi les feuilles, cet Infini silence-là, et cette voix, Je les compare : et l'éternel, il me souvient, Et les mortes saisons, et la présente Et vive, et son chant. Ainsi par cette Immensité ma pensée s'engloutit : Et dans ces eaux il m'est doux de sombrer.
Leopardi
poème
Espérance ! ô grâce active et bienfaisante, Toi qui, sans dédaigner la maison de l'affligé, Te plais oeuvrant, ô noble médiatrice, Entre mortels et puissances célestes,
Où es-tu ? j'ai peu vécu ; mais déjà c'est le soir Aux souffles froids. Et morne, pareil aux ombres, Me voici désormais ; et mon cœur déjà glacé S'endort dans ma poitrine sans poèmes.
Au vert de la vallée, là où la source fraîche Bruit tous les jours et ruisselle des monts, où le colchique M'ouvre sa grâce à la lumière d'automne, Je te chercherai là dans cette paix,
Ô clémente ! ou encore à la mi-nuit Quand la vie invisible s'anime dans les bois Et que là-haut brillent sur moi les fleurs Toujours heureuses, les étoiles épanouies,
Et veuille, ô Fille de l'Éther, m'apparaître alors Au seuil de ces jardins de ton père, et si ce n'est En Esprit de la terre, oh ! viens, et D'un autre effroi saisis-moi le cœur !
Hölderlin
poème
Et qui, si je criais, m'entendrait donc depuis les ordres des anges ? Et quand bien même l'un d'entre eux soudain me prendrait sur son cœur : son surcroît de présence me ferait mourir. Car le Beau n'est rien d'autre que ce début de l'horrible qu'à peine nous pouvons encore supporter, Et nous le trouvons beau parce qu'impassible il se refuse à nous détruire ; tout ange est terrifiant. Et donc je me retiens et ravale l'appel d'obscurs sanglots. Ah, de qui pouvons-nous donc avoir besoin ? Ni d'anges, ni d'humains, et les bêtes ingénieuses voient déjà bien que nous ne sommes pas si confiants que cela sous nos toits dans l'univers expliqué. Peut-être qu'il nous reste quelque arbre sur la pente, où nous pourrions chaque jour le revoir ; il nous reste la route d'hier et la fidélité mal élevée d'une habitude qui s'est bien plu chez nous et n'est pas repartie. Ô la nuit, et la nuit quand le vent emblavé d'univers nous dévore le front --
Élégies de Duino (extrait) Rainer Maria Rilke avec la magnifique traduction de Jean-Pierre Lefebvre et de Maurice Regnaut Éditions Gallimard